Troisième président des États-Unis, élu en 1800, Thomas Jefferson, fils d'un riche planteur de Virginie, est un personnage aux multiples talents et d'une profonde humanité, incontestablement l'une des figures les plus attachantes de la Révolution américaine.
Son action à la présidence lui vaut d'être considéré comme le « second fondateur des États-Unis » après George Washington.
On lui doit le texte fameux de la Déclaration d'indépendance des États-Unis d'Amérique : « Nous tenons pour évidentes pour elles-mêmes les vérités suivantes : tous les hommes sont créés égaux ; ils sont doués par le Créateur de certains droits inaliénables ; parmi ces droits se trouvent la vie, la liberté et la recherche du bonheur. Les gouvernements sont établis parmi les hommes pour garantir ces droits, et leur juste pouvoir émane du consentement des gouvernés... » (4 juillet 1776).
Notons qu'il est mort cinquante ans jour pour jour après la publication de ce texte, le même jour qu'un autre Père fondateur de la Nation américaine, John Adams.
Un homme des Lumières
Enfant doué, Thomas Jefferson entre en 1760, à 17 ans, au collège William and Mary de Williamsburg, première capitale de la colonie anglaise de Virginie. C'est ainsi qu'il apprend le latin et le grec, cela va sans dire, mais aussi le français, l'espagnol, l'italien...
À 24 ans, il devient avocat mais n'aura guère l'occasion de plaider car il assume par ailleurs la direction de la propriété familiale de Shadwell depuis la mort de son père, dix ans plus tôt : mille hectares et 200 esclaves. D'ailleurs, l'année suivante, il se fait élire à la chambre des Bourgeois, l'assemblée coloniale de Virginie.
Homme des Lumières, d'une immense curiosité, il partage bien évidemment l'intérêt des physiocrates pour l'agriculture et, comme Jean-Jacques Rousseau, place son idéal dans une république de petits propriétaires terriens. Il milite par ailleurs à l'assemblée pour l'émancipation des esclaves mais rencontrera plus de succès dans ses diatribes contre Londres.
Il faut dire que le gouvernement anglais, qui sort d'une guerre très dure contre la France, demande aux colons d'assumer leur part du coût de cette guerre, en bonne partie menée pour défendre leurs territoires contre l'ingérence française. Une minorité de colons, les Insurgents, estime ne pas avoir à payer de taxes supplémentaires dès lors qu'ils n'ont pas participé au vote de ces taxes.
Jefferson est de ceux-là. Il publie après la Tea Party de Boston un pamphlet qui attire l'attention sur lui : Summary View of the Rights of British America (Aperçu sommaire des droits de l'Amérique britannique).
En 1775, il est choisi pour représenter la Virginie au Congrès insurrectionnel de Philadelphie (Pennsylvanie). Le 7 juin 1776, il est désigné par le Congrès pour rédiger la fameuse Déclaration unilatérale d'indépendance, assisté de Benjamin Franklin, John Adams, Roger Sherman et Robert Livingston.
Après cette équipée politique, Jefferson, qui n'a pas de goût pour les affaires militaires, laisse à d'autres, tel George Washington, le soin de combattre les « tuniques rouges » anglaises et d'obtenir enfin par les armes l'indépendance politique.
Lui-même préfère revenir auprès de sa femme Martha Skelton, une riche et jeune veuve qu'il a épousée en 1772. La plantation de Shadwell ayant été détruite en 1770, le couple s'installe dans une nouvelle plantation, à Monticello, sur l'autre rive de la Rivanna.
Mais le planteur est rattrapé par la politique. Élu à l'assemblée de Virginie, il rédige là aussi une Déclaration des Droits qui, pour la première fois au monde, établit le principe d'une séparation des Églises et de l'État ! En 1779, à 36 ans, le voilà gouverneur de Virginie. L'année suivante, la capitale de l'État est transférée de Williamsburg à Richmond. La guerre d'indépendance, cependant, poursuit son cours.
Découragé, Jefferson quitte les affaires en 1781 et revient à Monticello dans l'espoir de goûter enfin un bonheur tranquille entre ses livres, sa femme et leurs six enfants. Mais cet espoir lui sera interdit par le décès de sa femme, le 6 septembre 1782.
Pour se changer les idées, il accepte de relayer le vieux Benjamin Franklin à Paris et Versailles, comme ministre plénipotentiaire auprès du gouvernement français. La mission est d'importance : il s'agit d'assurer à la nouvelle fédération étasunienne des appuis sur le Vieux Continent. C'est ainsi que Thomas Jefferson arrive le 12 août 1784 à Paris.
Il sert avec brio les intérêts américains auprès du gouvernement de Louis XVI. Il découvre aussi avec ravissement les salons parisiens où se retrouve toute l'élite intellectuelle du continent. Il assouvit également sa passion pour l'architecture, les infrastructures et les arts.
On lui doit cette jolie formule : « Tout homme libre a deux patries, la sienne et la France ».
Dans sa suite figure, discrète, Sally Hemings, une jeune esclave noire avec laquelle il vivra jusqu'à la fin de sa vie et dont il aura plusieurs enfants.
Jefferson assiste aux débuts de la Révolution française et ne participe que par procuration à l'élaboration de la Constitution américaine et à l'intronisation du premier président, George Washington. Celui-ci le rappelle aux États-Unis pour lui confier le Secrétariat d'État, autrement dit le ministère des Affaires étrangères. Le voilà de retour dans son pays le 23 novembre 1789.
Un utopiste au gouvernement
Entouré d'hommes éminents et sages, George Washington rêvait d'un gouvernement par le consensus. Mais cette première République des Temps modernes en montre très vite les limites.
Au sein même du gouvernement, on se divise très violemment sur la question du fédéralisme. Le Secrétaire au Trésor Alexander Hamilton, proche du Président, prône le renforcement de l'État fédéral au détriment des États. Il aspire à développer un système bancaire moderne sur lequel pourrait s'appuyer un développement capitaliste de l'économie.
Sans surprise, Thomas Jefferson prend la tête du courant contraire. Il défend les prérogatives des États et préconise une démocratie de proximité animée par de petits propriétaires terriens. Pour promouvoir ses idées, son ami James Madison en vient à fonder en 1792 une ébauche de parti politique, le parti républicain-démocrate (rien à voir avec l'actuel Parti républicain).
Mais le Secrétaire d'État s'oppose également au président Washington sur la politique étrangère. Francophile, il souhaiterait s'appuyer sur la France révolutionnaire pour défendre les intérêts américains face à l'Angleterre. Par lassitude, une nouvelle fois, il s'éloigne du pouvoir et revient à Monticello en 1794.
Candidat aux élections présidentielles de novembre 1796, Jefferson est battu de justesse par le terne John Adams, le candidat fédéraliste. En sa qualité de second, la Constitution lui vaut toutefois le poste de vice-président (cette disposition sera plus tard abrogée). Pendant les quatre années suivantes, Jefferson ne va avoir de cesse de s'opposer au Président, notamment sur ses lois à l'encontre des étrangers et sa diplomatie hostile à la France.
La politique des « des bons sentiments »
Lors de l'élection suivante, en novembre 1800, il affronte avec succès son rival fédéraliste John Adams mais se retrouve à égalité de voix avec l'autre candidat républicain-démocrate, le sénateur Aaron Burr, un homme peu recommandable dont le principal atout est de venir de la Nouvelle-Angleterre (l'État de New York). Les deux hommes ont chacun recueilli 73 voix des grands électeurs.
Alexander Hamilton invite alors le Congrès à confirmer l'élection de Thomas Jefferson, qui est de toute évidence le plus honorable et le plus compétent pour la fonction. Son ouverture d'esprit lui coûtera la vie car il sera plus tard tué en duel par Aaron Burr !
Le nouveau président inaugure la nouvelle capitale fédérale, Washington, sur les bords du Potomac, mais en vertu de ses convictions rousseauistes, il donne d'emblée à l'institution présidentielle une simplicité toute démocratique, en rupture avec les traditions monarchiques du Vieux Continent. C'est ainsi que, le 4 mars 1801, jour de son investiture, il se rend à pied au Capitole, en tenue de ville et sans perruque ! Il supprime également les réceptions solennelles et renonce au discours annuel devant le Congrès, qui rappelle trop le discours du Trône du roi d'Angleterre.
Il nomme par ailleurs des républicains-démocrates aux fonctions ministérielles, parmi lesquels James Madison au Secrétariat d'État, et remplace une grande partie des six cents employés de l'exécutif par des fidèles de son parti. Il réduit les dépenses gouvernementales, supprime toutes les taxes, hormis les droits de douane, et abroge la loi contestée sur la naturalisation des étrangers : la durée requise de résidence passe de quatorze à cinq ans.
Laissant aux États le soin de la politique intérieure, il porte toute son attention sur les affaires extérieures et maintient non sans mal son pays dans la neutralité à l'égard du conflit qui oppose la France à l'Angleterre.
En 1801, de son propre chef, il lance une expédition contre le pacha de Tripoli qui s'est permis d'arraisonner des navires américains et d'asservir leurs équipages. Il s'en justifie en considérant que, dans les situations d'urgence, l'exécutif est en droit de se passer de l'accord préalable du Congrès pour agir. Mais il double aussi la superficie des États-Unis en achetant la Louisiane à la France en 1803 et inaugure l'exploration et la colonisation de l'Ouest avec l'expédition Lewis et Clark, du Mississipi à l'océan Pacifique.
Réélu sans difficulté en 1804 au terme de son premier mandat de quatre ans, Thomas Jefferson annonce son intention de ne pas se représenter pour un troisième mandat. À son corps défendant, il fait dès lors figure de « canard boiteux » (lame duck), nul n'ayant plus intérêt à suivre ses directives.
Le président fait néanmoins passer une loi le 2 mars 1807 qui interdit l'importation d'esclaves. C'est un premier pas timide vers l'abolition de l'esclavage. Mais il s'attire aussi de vives critiques en décrétant le 22 décembre 1807 un embargo qui interdit aux navires américains de se rendre dans l'Europe en guerre et aux navires européens d'accoster dans les ports américains ! Cet embargo Act est une réplique aux saisies de navires américains tant par les Anglais que par les Français.
Ses successeurs James Madison et James Monroe vont prolonger jusqu'en 1825 la politique des républicains-démocrates pendant l'ère dite « des bons sentiments ».
Homme aux multiples talents, Thomas Jefferson fut aussi un grand architecte et urbaniste.
Après la destruction du domaine familial de Shadwell, il entreprend la construction d'une nouvelle et somptueuse résidence à Monticello, dans un style néo-classique inspiré de l'architecte vénitien Andrea Palladio (1508-1580).
Jusqu'à sa mort, il ne va cesser de l'améliorer et l'embellir et c'est là qu'il se fera inhumé, auprès de sa femme et ses filles.
Ayant découvert la Maison carrée de Nîmes pendant son séjour en France, il s'en inspire très directement pour l'érection en 1785-1788 du Capitole de Richmond, siège du gouvernement de l'État de Virginie.
On lui doit aussi l'Université de Virginie, construite en 1819 à Charlottesville.
Vos réactions à cet article
Recommander cet article
Voir les 4 commentaires sur cet article
Gilbert Grellet (26-10-2022 16:39:27)
Ce portrait hagiographique occulte presque totalement (à part une discrète mention) le fait que Jefferson était un esclavagiste patenté qui n'a jamais cru que les blancs et les noirs étaient "é... Lire la suite
Alban (26-10-2022 16:33:22)
Merci pour cet éclairage sur un personnage méconnu...
Paul (01-03-2014 23:29:32)
Un article concis, bien rédigé, qui éclaire sur la personnalité de Th Jefferson