20 mai 2015

L'Histoire contre la Nation

En parallèle avec la réforme des collèges, le gouvernement français s'est avisé de présenter les futurs programmes de l'école et du collège... Ce toilettage a débouché sur une bronca inattendue de certains intellectuels contre les programmes d'Histoire. C'est que l'enjeu dépasse le strict cadre de l'enseignement.

On peut compléter l'information avec un passionnant débat télévisé : Quel est le problème avec l'Histoire de France ? Pourquoi tant de polémiques ? (22 mai 2015, Ce soir (ou jamais), France 2).

La précédente refonte des programmes d'Histoire a eu lieu en 2008, sous la présidence de Nicolas Sarkozy.

Déjà alors, elle avait suscité de très vives protestations, en particulier à droite où l'on soupçonnait les auteurs des programmes d'avoir voulu faire passer leur vision personnelle de l'Histoire, avec un accès privilégié aux cultures exotiques au détriment de l'histoire nationale.

Ainsi, en 5e, le temps total consacré à l'histoire devait se répartir comme suit :
- 10% aux débuts de l'islam,
- 10% au Moyen Âge occidental,
- 10% à l'Afrique noire médiévale,
- 40% à la Renaissance et au XVIIe siècle, le reste à la libre initiative de l'enseignant.

Pour éviter que se renouvelle la contestation, le gouvernement a confié en 2013 la responsabilité des futurs programmes à un groupe de personnalités de tous horizons nommé par le gouvernement, le Conseil Supérieur des Programmes.

Mais celui-ci, étrillé par le ministère et les « experts », a eu bien du mal à contenir les exigences des uns et des autres. Et c'est de son sein que sont venues les premières protestations contre les nouveaux programmes d'Histoire destinés au cycle 4 (de la 5e à la 3e).

Ces protestations ont été très vite relayées par différentes personnalités, de l'éditeur Pierre Nora à l'ex-ministre Jack Lang, en passant par les historiens Jean-Pierre Azéma et Patrice Gueniffey, les philosophes Michel Onfray et Alain Finkielkraut etc.

Désarçonné, le gouvernement a promis de ne rien figer avant la mi-juin et de laisser la porte ouverte à des amendements.

Le programme d'Histoire contesté

Voici un extrait des nouveaux programmes d'Histoire du « cycle 4 » (5e, 4e, 3e) : Programmes d'Histoire du cycle 4

L'Histoire mérite-t-elle tant d'émois ?

Jusqu'au Second Empire, les enfants qui avaient le privilège d'accéder à l'enseignement supérieur étudiaient essentiellement l'Histoire gréco-romaine et les vies des hommes illustres de l'Antiquité. La IIIe République a privilégié l'Histoire nationale, telle qu'elle s'est forgée autour de Paris, des rois capétiens et de leurs successeurs, tout en la rattachant à l'enseignement de la géographie, une spécificité française.

Ce faisant, les gouvernants ont voulu engager les jeunes générations dans la compétition avec les autres nations européennes... Ils n'y ont que trop bien réussi si l'on songe aux deux guerres mondiales. 

D'autre part, et c'est sans doute le plus important, ils ont voulu souder les citoyens autour d'un projet commun, ce qui ne va pas de soi. La France est en effet un pays composite constitué au fil des siècles par la dynastie capétienne qui a placé sous sa tutelle des populations que rien ne prédestinait à vivre ensemble, des Bretons aux Alsaciens en passant par les Flamands, les Corses, les Basques etc.

La langue française, qui fait l'unité de la nation, est elle-même une création de la Cour. Ce sont les poètes et les écrivains attachés au roi qui, du XVIe au XVIIIe siècles, l'ont forgée et polie. Ce sont les ministres... et les maîtresses royales qui en ont assuré la diffusion. Nous songeons ici à l'Académie française de Richelieu ou encore à l'école de Saint-Cyr de Mme de Maintenon. C'est enfin la Révolution qui l'a imposée à tous les citoyens.

En dépit de leurs différences, les Français de l'Ancien Régime étaient unis par l'attachement à la personne royale et à la dynastie, comme c'est encore le cas en Angleterre... ou en Belgique.

Avec l'installation définitive de la République, il a bien fallu suppléer à cet attachement personnel pour maintenir la cohésion de la Nation. Les symboles tels que Marianne ou La Marseillaise n'y suffisant pas, c'est l'Histoire nationale qui a fait office de liant.

Jules Michelet (1798-1874) a proprement construit cette Histoire : « La France est une personne ». Ernest Lavisse (1842-1922) l'a diffusée auprès des écoliers avec cette formule : « Tu dois aimer la France, parce que la Nature l'a faite belle, et parce que l'Histoire l'a faite grande » !

L'Histoire, un enjeu central

Ce qui se joue dans les programmes d'Histoire et émeut tant d'intellectuels concerne la vision que l'on peut avoir de l'avenir du pays.

Depuis deux décennies, sous le double effet de la construction européenne et de l'immigration, la France et la plupart des autres pays d'Europe continentale tendent à se dissoudre dans un vaste ensemble européen mais aussi à se fragmenter.

Devons-nous entériner ce mouvement et nous laisser porter par le courant ? C'est le choix de certains experts à l'origine des programmes d'Histoire et du président du Conseil Supérieur des Programmes, le géographe Michel Lussault, qui a ainsi déclaré : « Faut-il enseigner une nation française mythique qui n’a jamais existé ? »

La messe est dite. Lavisse, Michelet et tous les grands républicains que feignent encore d'honorer nos gouvernants peuvent aller se rhabiller, ainsi que le romancier Alexandre Dumas, qui fait encore vibrer les lecteurs avec ses héros si faussement vrais !

Mais est-il possible d'enseigner l'Histoire de façon désincarnée ?

Les professeurs ont le souci de faire comprendre aux collégiens la façon dont fonctionnent les sociétés humaines et en premier lieu la leur. Pour être compréhensible, cet enseignement doit s'adosser à une référence palpable, stable et évidente, en l'occurrence la nation. 

Pour l'heure, en effet, qu'on le veuille ou non, c'est en son sein que se décident les contours de nos destins, y compris les plus modestes comme le salaire et le statut du président Michel Lussault qui relègue la nation française à l'état de « mythe » !

Il s'agit donc d'enseigner l'Histoire du monde, de l'Europe et de la France elle-même en se demandant comment les habitants de ce pays, génération après génération, ont accompagné les grands mouvements civilisateurs : transformations culturelles, spirituelles, économiques et sociales, aventures individuelles, initiatives politiques et équipées militaires. 

À vrai dire, les rédacteurs des nouveaux programmes semblent l'avoir compris puisqu'ils ont judicieusement renoncé au saupoudrage de connaissances avec ici un peu d'Afrique médiévale, là un peu de Chine ou d'Inde antique comme dans les programmes de 2008. 

Reste à inventer pour l'école élémentaire - non pour le collège ou le lycée - un nouveau « roman national » (l'expression est d'Ernest Lavisse) autour duquel se rassemblent les petits Français de toutes couleurs et de toutes religions comme autrefois les Français bretonnants, flamingants, germanisants, corses et autres.

Joseph Savès
Publié ou mis à jour le : 2018-11-27 10:50:14
Margane (12-07-2015 17:43:16)

Même si elle est partiellement mythique notre histoire de France est unique et toute notre littérature en témoigne et donc l'ensemble de notre culture.il n'y a rien a reformater. Les nouveaux venus... Lire la suite

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