Victor Hugo (1802 - 1885)
« Un jour viendra où vous France, vous Russie, vous Italie, vous Angleterre, vous Allemagne, vous toutes, nations du continent, sans perdre vos qualités distinctes et votre glorieuse individualité, vous vous fondrez étroitement dans une unité supérieure, et vous constituerez la fraternité européenne ! »
Victor Hugo, génie universel aux multiples talents, reflète mieux que quiconque l'évolution de la bourgeoisie française au XIXe siècle. Jeune royaliste, il publie un essai, Le dernier jour d'un condamné (1829) en faveur de l'abolition de la peine de mort qu'un ministre, François Guizot, échoue de peu à faire voter. Sous le règne du « roi-bourgeois » Louis-Philippe Ier, le chef de l'école romantique se mue en notable et pair de France. Il devient républicain sous la IIe République (1848) et en appelle à la création des États-Unis d'Europe quand le continent entre en ébullition. C'est ainsi qu'il prononce les fières paroles ci-dessus dans son discours d'ouverture au Congrès de la paix, à Paris, le 21 août 1849. Il renouvelle ses exhortations dans un discours prononcée à Anvers le 1er août 1852 : « Amis, la persécution et la douleur c'est aujourd'hui ; les États-Unis d'Europe, les Peuples-Frères c'est demain »... Et il écrit dans une préface au Paris guide publié pour l'Exposition universelle de 1867 : « Au vingtième siècle, il y aura une nation extraordinaire... Elle sera illustre, riche, puissante, pacifique, cordiale au reste de l'humanité. Elle aura la gravité douce d'une amie... elle aura quelque peine à faire la différence entre un général d'armée et un boucher... Elle s'appellera l'Europe et aux siècles suivants, plus transfigurée encore, l'Humanité ». Visionnaire, Hugo ?...
« Et s'il n'en reste qu'un, je serai celui-là »
Source : Les Châtiments
Après l'échec de la IIe République et le coup d'État du prince Louis-Napoléon Bonaparte, en 1851, Victor Hugo s'exile volontairement à Bruxelles puis dans les îles anglo-normandes. Il s'affiche alors en opposant irréductible et publie un recueil poétique au titre virulent : Les Châtiments. Le dernier vers du poème Ultima verba est on ne peut plus explicite : «Et s'il n'en reste qu'un, je serai celui-là». Pour rabaisser l'empereur, le poète ne craint pas de sublimer dans La Légende des Siècles (1859) le souvenir de son oncle, Napoléon 1er, fossoyeur de la Révolution et conquérant insatiable. Il se montre néanmoins en harmonie avec l'esprit social du Second Empire en publiant Les Misérables (1862), l'une des plus belles fresques romanesques qui soient. Quand la défaite de Sedan ouvre la voie à la IIIe République (1870), le vieux poète devient le chantre de celle-ci.
« L'inviolabilité de la vie humaine est le droit des droits. Tous les
principes découlent de celui-là. Il est la racine, ils sont les
rameaux. L'échafaud est un crime permanent. C'est le plus insolent des
outrages à la dignité humaine, à la civilisation, au progrès. Toutes
les fois que l'échafaud est dressé, nous recevons un soufflet. Ce
crime est commis en notre nom. »
Source : Actes et Paroles vol. II - Pendant l'exil 1852-1870
En exil à Guernesey sous le Second Empire, Victor Hugo cultive sa fonction de conscience morale et universelle. Il poursuit son combat contre la peine de mort, entamé dans sa jeunesse, au temps où il était encore royaliste. C'est ainsi qu'il écrit les mots ci-dessus en réponse à la lettre d'un comité central italien pour l'abolition de la peine de mort (sa réponse est est datée de Hauteville-House, samedi 4 février 1865).
« Dans notre législation, la femme ne possède pas, elle n'este pas en justice, elle ne vote pas, elle ne compte pas, elle n'est pas. Il y a des citoyens, il n'y a pas de citoyennes. C'est là un état violent, il faut qu'il cesse »
Ces lignes témoignent comme beaucoup d'autres de l'extraordinaire capacité de Victor Hugoà exprimer et parfois anticiper les aspirations les plus élevées de son temps. Elles sont extraites d'une lettre adressée à une association féministe, par laquelle le poète s'excuse de ne pouvoir répondre à une invitation à leur assemblée générale.
« Dieu offre l'Afrique à l'Europe. Prenez-la »
Dès 1849, au Congrès de la Paix, Victor Hugo engage les Européens à « apporter la civilisation » au reste du monde (note). Il renouvelle son exhortation trente ans plus tard en plaidant pour la colonisation de l'Afrique, à l'unisson de la gauche républicaine.
C'est ainsi que le 18 mai 1879, il préside un banquet de 120 personnes pour commémorer l'abolition de l'esclavage. À sa droite se tiennent Victor Schoelcher, rédacteur du décret d'abolition de 1848, et Emmanuel Arago, fils du savant qui l'a signé en qualité de ministre de la Marine. À sa gauche Adolphe Crémieux et Jules Simon.
Le vieux poète conclut son discours par ces mots :
« Refaire une Afrique nouvelle, rendre l'Afrique maniable à la civilisation, tel est le problème. L'Europe le résoudra.
Allez, Peuples ! emparez-vous de cette terre. Prenez-la. À qui ? à personne. Prenez cette terre à Dieu. Dieu donne la terre aux hommes. Dieu offre l'Afrique à l'Europe. Prenez-la. Où les rois apporteraient la guerre, apportez la concorde. Prenez-la, non pour le canon, mais pour la charrue ; non pour le sabre, mais pour le commerce ; non pour la bataille, mais pour l'industrie ; non pour la conquête, mais pour la fraternité.
Versez votre trop-plein dans cette Afrique, et du même coup résolvez vos questions sociales, changez vos prolétaires en propriétaires. Allez, faites ! Faites des routes, faites des ports, faites des villes ; croissez, cultivez, colonisez, multipliez ; et que, sur cette terre, dégagée des prêtres et des princes, l'Esprit divin s'affirme par la paix et l'Esprit humain par la liberté » (le discours a été reproduit dans son intégralité dans le journal Le Rappel du 20 mai 1879).