Citations et Mots d'Histoire

Moyen Âge

Raoul Glaber    (985 - 1045)

« C'était comme si le monde lui-même se fut secoué et, dépouillant sa vétusté, ait revêtu de toutes parts une blanche robe d'église »
Source : traduction française de Georges Duby

L'auteur de ce texte est un Bourguignon connu sous le nom de Raoul Glaber (ou Rodulfus le Glabre ou le Chauve). Moine à 12 ans, d'une inconduite notoire, il va d'abbaye en abbaye jusqu'à la prestigieuse abbaye de Cluny, dans les années 1030-1040 (l'abbé en est Odilon, qui sera plus tard canonisé).

Doté d'un réel talent littéraire mais crédule et peu rigoureux, il écrit en latin, la langue universelle du Moyen Âge, une somme en cinq volumes intitulée Histoires qui retrace l'évolution de la chrétienté de l'an 900 à l'an 1044.

On peut y lire :
«La même année, la millième après la Passion du Seigneur, le troisième jour des calendes de juillet, un vendredi vingt-huitième jour de la lune, se produisit une éclipse ou obscurcissement du soleil, qui dura depuis la sixième heure de ce jour jusqu'à la huitième et fut vraiment terrible. Le soleil prit la couleur du saphir, et il portait à sa partie supérieure l'image de la lune à son premier quartier. Les hommes, en se regardant entre eux, se voyaient pâles comme des morts...».

Sur la foi de ce passage et de quelques autres plus tardifs, les écrivains romantiques du XIXe siècle ont créé le mythe de la «Grande Peur de l'An Mil». Ils ont imaginé l'An Mil émaillé de calamités diverses et les chrétiens de cette époque dans l'attente de la fin du monde... Il est vrai que les rares clercs instruits de l'époque, tel Raoul Glaber, pouvaient trouver des motifs de crainte dans l'interprétation du chapitre XX de l'Apocalypse de Saint Jean (l'un des textes du Nouveau Testament) où il est dit que le diable serait lâché sur le monde mille années après la venue du Christ. Pour désigner cette peur fondée sur un chiffre rond : la millième année suivant la mort du Christ, autrement dit l'an 1033 selon le comput traditionnel, on a même inventé vers 1840 un mot nouveau : le millénarisme (de Millenium, qui désigne une très longue période de temps, pas forcément de 1000 ans).

Aujourd'hui, à la suite de Georges Duby (L'An Mil, Julliard, 1967), les historiens ont fait litière de ce mythe. La très grande majorité des Européens d'il y a mille ans étaient illettrés et n'avaient aucune connaissance de la chronologie ni de la datation. La plupart se représentaient l'époque du Christ comme très proche de la leur et rien ne permet de croire qu'ils aient pu craindre la fin du monde.

A posteriori, l'An Mil nous apparaît comme une période de renouveau. Au tréfonds d'une société misérable, comme des graines sous la neige, des forces spirituelles sont en train de germer et vont s'épanouir sous la forme d'une grande et belle civilisation, la nôtre. L'historien Georges Duby parle très justement de «printemps du monde» pour qualifier cette époque.

Raoul Glaber lui-même a eu conscience de ce renouveau, à preuve le passage ci-après de ses Histoires qui témoigne de façon poétique de l'essor religieux aux alentours de l'An Mil, tandis que l'art roman émerge et que s'épanouit la foi chrétienne :
«Comme approchait la troisième année qui suivit l'An Mil, on vit dans presque toute la terre, mais surtout en Italie et en Gaule, rénover les basiliques des églises ; bien que la plupart, fort bien construites, n'en eussent nul besoin, une émulation poussait chaque communauté chrétienne à en avoir une plus somptueuse que celle des autres. C'était comme si le monde lui-même se fut secoué et, dépouillant sa vétusté, ait revêtu de toutes parts une blanche robe d'église».

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