Divin Moyen Âge

Histoire de Salimbene de Parme et autres destins édifiants

Alessandro Barbero (Flammarion, Au fil de l'Histoire, 214 pages, 17 euros,  7 mai 2014)

Divin Moyen Âge

Alessandro Barbero est un historien italien de 54 ans, célèbre dans son pays et qui mérite d'être connu de ce côté-ci des Alpes. Son récit très fourni de la bataille de Lépante, publié en français il y a deux ans, a révélé un érudit doublé d'un écrivain de talent qui n'a pas son pareil pour faire revivre les hommes du passé.

Par son talent de plume et sa sensibilité, il réalise la synthèse entre les deux grandes écoles historiographiques de notre époque, l'Histoire événementielle et l'École des Annales qui privilégie les mouvements sociaux sur le long terme et l'Histoire. 

Il sait en effet mettre en scène les individus et les événements de façon à dessiner en filigrane le contexte humain et social.    

C'est à ce jeu qu'il nous invite une nouvelle fois avec un petit livre de 200 pages publié en italien sous le titre Donne Madonne Mercanti e Cavalieri (« Dames, Marchands et Chevaliers ») et plus simplement traduit en français par Divin Moyen Âge.  

L'historien nous donne à voir cette société foisonnante à travers les portraits de trois hommes et trois femmes des XIIIe-XVe siècles.

Parmi eux Salimbene de Parme (1221-1288), un moine franciscain d'origine noble resté peu connu, qui a laissé à la fin de sa vie une volumineuse chronique de la société italienne de son temps. Décryptant avec habileté ses écrits, Alessandro Barbero y lit tous les préjugés et sentiments qui s'appliquaient aux clercs de son époque.

Le deuxième « héros » nous est tout aussi inconnu. C'est un marchand de Florence, Dino Compagni (1255-1324), qui a vécu les luttes de classes et de factions dans sa ville à l'orée de la Renaissance, entre guelfes partisans du pape et gibelins partisans de l'Empereur, puis entre Guelfes Blancs et Guelfes Noirs, les premiers étant liés à la noblesse, les seconds à la classe des marchands. Il raconte ces conflits de même que les guerres avec les cités rivales, telle Arezzo, avant la victoire finale de la noblesse et l'avènement de la famille des Médicis. L'auteur, qui a connu la défaite de son camp mais a pu échapper à l'exil, se réfugie à la fin de sa vie dans l'observation désabusée du monde.

Le troisième homme de cette chronique nous est quant à lui mieux connu. Il s'agit d'un Français originaire de Champagne, le sire Jean de Joinville (1225-1327), qui servit avec ferveur le roi Louis IX, futur Saint Louis, et écrivit sa biographie longtemps après sa mort. Sa Vie de Saint Louis, publiée en 1305, est une chronique pleine de vie dans laquelle l'auteur, pour la première fois dans la littérature occidentale, emploie la première personne, ainsi que le note Alessandro Barbero. Les faits rapportés par Joinville et sa vie personnelle témoignent de l'imprégnation religieuse de la société, sur la base de considérations très pratiques. Il existe un contrat entre les hommes et Dieu et ceux qui servent ce dernier peuvent y gagner un allongement bienvenu de leur vie terrestre, loin du mal et du malheur ! 

Viennent les femmes, personnes d'exception comme il se doit, dans une société où il leur faut une exceptionnelle énergie pour sortir de la norme ménagère.

Catherine de Sienne (1347-1380) ouvre le bal. Rien de plus normal. Cette mystique analphabète devenue Docteur de l'Église, morte à 33 ans à force de jeûnes et de mortifications, a été consacrée patronne de l'Italie en 1939 par le pape Pie XII. Elle est aussi la femme la plus célèbre du Moyen Âge pour les Italiens. Les Français, quant à eux, honorent bien entendu Jeanne d'Arc (1412-1431) dont Alessandro Barbero dresse aussi le portrait, tout en nuances et tendresse.

La troisième femme, Christine de Pisan (1364-1430) a quant à elle vécut une vie « normale » ou presque. Elle est née à Venise dans la famille d'un professeur de médecine et d'astrologie auquel sa réputation a valu d'être invité à la cour du roi de France Charles V le Sage. Il va avoir à coeur d'éduquer sa fille, contre tous les usages. Christine lit avec avidité et rêve d'une vie consacrée aux études mais à l'âge de quinze ans, elle accepte sagement d'épouser l'homme que lui ont choisi ses parents. Le ménage vit dans le bonheur, entouré de trois enfants, quand survient un tournant dramatique : à 25 ans, Christine de Pisan se retrouve veuve.

Elle choisit alors de ne pas se remarier, prend sa vie en main, met de l'ordre dans les affaires de son défunt mari et gagne assez de loisirs pour se remettre avec assiduité à la lecture. De la lecture à l'écriture, il n'y a qu'un pas qu'elle a tôt fait de franchir. Elle multiplie les notes d'observation sur la vie de cour, ce qui attire l'attention du duc de Bourgogne Philippe le Bon. Celui-ci lui commande une biographie de son oncle le roi Charles V en échange d'une grosse rémunération. Le duc veut de la sorte asseoir sa légitimité au sein du Conseil de régence qui entoure le malheureux roi Charles VI le Fou.

Après ce Livre des fais et bonnes moeurs du sage roi Charles V, l'une de nos principales sources sur le règne dudit roi, Christine de Pisan enchaîne les travaux d'écriture. Chacun, à la cour, se pique de lui commander un ouvrage, moins en raison de ses talents littéraires, qui restent à prouver, que de sa qualité de femme, qui donne une touche originale à ses oeuvres. De fait, Christine de Pisan devient la première femme de l'Histoire à faire de l'écriture son métier à part entière. Elle doit même s'entourer d'un atelier de copistes et enlumineurs qui travaillent exclusivement pour elle, souvent sous sa dictée.

Christine de Pisan montre aussi, dans ses écrits comme dans sa vie, une grande ouverture d'esprit et une conscience très aigüe des torts faits aux femmes. On peut la considérer comme la première « intellectuelle ». Ainsi s'en prend-elle aux abus de l'administration comme aux injustices fiscales. Indignée par le favoritisme qui prévaut dans le choix des officiers royaux, elle plaide pour un recrutement sur examen comme dans l'Université... ou comme c'est aujourd'hui le cas dans la plupart  des administrations. Avec La Cité des Dames, elle publie le premier manifeste féministe de l'Histoire, entendant montrer à travers quelques grandes figures le rôle éminent et décisif qu'ont tenues les femmes dans l'Histoire.

Ainsi Alessandro Barbero dessine-t-il à travers ses personnages un Moyen Âge familier, proche de nous par son humanité profonde et sa foi dans le progrès, quelque peu étranger aussi par certaines formes de vitalité ou de religiosité. 

André Larané

Publié ou mis à jour le : 10/06/2016 09:42:47

Aucune réaction disponible

Respectez l'orthographe et la bienséance. Les commentaires sont affichés après validation mais n'engagent que leurs auteurs.

Actualités de l'Histoire
Revue de presse et anniversaires

Histoire & multimédia
vidéos, podcasts, animations

Galerie d'images
un régal pour les yeux

Rétrospectives
2005, 2008, 2011, 2015...

L'Antiquité classique
en 36 cartes animées

Frise des personnages
Une exclusivité Herodote.net