La démographie (en grec : « description des populations ») se situe au croisement de la sociologie et de l'Histoire. Elle est indispensable aux gouvernants pour évaluer dépenses et recettes futures. Elle est aussi indispensable à qui veut comprendre les ressorts de l'Histoire : tensions, guerres, phases de progrès et d'expansion.
À partir des recensements, sondages et déclarations administratives (note), les démographes produisent des indicateurs : natalité, mortalité, fécondité, mortalité infantile, espérance de vie, immigration, etc. Ces indicateurs sont caractéristiques de l'état et de l'évolution d'une population, dans un cadre géographique (pays, province...) ou dans un intervalle de revenu. Ils ont l'avantage d'être difficilement falsifiables car interconnectés les uns aux autres, à la différence des indicateurs économiques (note).
Leur maîtrise est accessible à tous malgré leur aspect mathématique austère. La démographie requiert davantage de bon sens et de réflexion que d'érudition scientifique, selon l'éminent spécialiste Gilles Pison lui-même.
Tous les deux ans environ, la Division de la Population des Nations Unies (DPNU) publie des données démographiques dans le monde : 2002, 2008,... 2016, 2018, 2021, 2024.
En novembre 2022, Herodote.net a aussi publié sa propre synthèse au format pdf à partir des données économiqes et démographiques de la Banque mondiale et des Nations Unies : Des chiffres pour éclairer notre futur (en accès libre). Nous avons aussi mis à disposition des chercheurs, des enseignants et des curieux un Tableau général de la population humaine (1950-2100) qui se prête à tous les traitements grâce au format Excel...
Natalité et mortalité
Les taux de natalité et de mortalité sont des indicateurs fondamentaux et fiables car issus des registres d'état-civil. Mais il faut s'en méfier car ils peuvent nous induire en erreur sur le comportement et l'évolution des populations considérées !
La natalité en telle ou telle année est le nombre de naissances recensées dans l'année considérée, rapporté à la population totale au mitan de l'année.
Exemple : à la mi-2016, on a évalué la population de la France à 65 millions d'habitants (outre-mer compris) et l'on a enregistré cette année-là 780 000 naissances ; il s'ensuit en 2016 un taux de natalité de 1,2% (780 000/65 millions).
En matière de natalité, les garçons et les filles ne sont pas égaux ! Au naturel, il naît environ 105 garçons pour 100 filles en Eurasie, 102 à 103 en Afrique noire. Mais l'équilibre se rétablit à l'âge adulte du fait d'une plus grande mortalité des jeunes hommes. Ce sex-ratio est un indicateur auquel les démographes prêtent attention car, dans certains pays, avec l'apparition de l’échographie et la possibilité de connaître le sexe du bébé à naître, de nombreux couples procèdent à un avortement sélectif des fillettes pour éviter d'avoir plus tard à payer leur dot (Inde du nord) ou pour privilégier la transmission du nom par les garçons (Chine). Ces archaïsmes se reflètent dans ces pays par un sex-ratio de 1,10 à 1,18, prometteur de lendemains qui déchantent avec une surreprésentation d'hommes célibataires et un déficit accru de femmes et d'enfants.
Dans les sociétés pauvres de l'ère pré-industrielle, on pratiquait aussi l'élimination des fillettes comme moyen de régulation des naissances : à défaut d'avortement sélectif, on laissait dépérir les bébés filles ou on les noyait ! Au Japon, cette pratique était désignée par un euphémisme, l'« arrachage des mauvaises herbes ».
De la même façon, la mortalité en telle ou telle année est le nombre de décès recensés dans l'année considérée, rapporté à la population totale au mitan de l'année.
Exemple : en 2016, en France, on a enregistré 585 000 décès ; il s'ensuit cette année-là un taux de mortalité de 0,9% (585 000/65 millions).
Natalité et mortalité permettent de visualiser d'un coup d’œil le dynamisme d'une population et son évolution dans le temps. Mais à l'état brut, ils peuvent nous induire en erreur comme le montre l'exemple ci-après.
En 2015-2020, le Niger, l'un des pays les plus pauvres du monde, avait un taux de mortalité de 0,8%, inférieur à celui de la France, 0,9% ! Est-ce à dire que l'on s'y porte mieux ? Bien évidemment non puisque dans la période considérée (2015-2020), les nouveaux-nés nigériens ont une espérance de vie de 62 ans contre 82 ans pour les français.
Dans le même temps, on observe qu'en 2019, 69% des Nigériens et seulement 29% des Français ont moins de vingt-cinq ans (3% des Nigériens et 20% des Français ont aussi plus de 65 ans).
Le paradoxe est aisé à comprendre :
• La population du Niger a quintuplé en un demi-siècle du fait d'un taux de natalité très élevé de l'ordre de 5% (cinq naissances pour cent habitants chaque année). Il s'ensuit qu'il y a soixante ans ou plus, les naissances étaient environ cinq fois moins nombreuses que les naissances actuelles ! Ces nouveaux-nés d'antan, relativement peu nombreux, font les décès d'aujourd'hui, C'est ce qui explique le faible taux de mortalité actuel du Niger.
• En France, au contraire, les naissances étaient il y a quatre-vingts ans plus nombreuses que les naissances actuelles ! Ces naissances font les décès d'aujourd'hui, d'où un taux de mortalité relativement élevé. CQFD.
La différence entre taux de natalité et taux de mortalité définit le « solde naturel » de la population. En France, en 2016, ce solde naturel était positif et égal à 185 000 personnes (780 000 naissances - 585 000 décès) : il combinait une assez faible natalité et une faible mortalité liée à l'excellence des systèmes de santé.
Avant l'ère industrielle, les populations humaines enduraient une très forte mortalité, surtout dans les premières années de la vie. Si ces populations ne déclinaient pas, c'était grâce à une natalité égale ou supérieure à la mortalité : il fallait donner le jour à 5 ou 6 enfants pour espérer en amener 2 à l'âge adulte et ainsi renouveler la population. Il s'ensuivait un solde naturel parfois négatif ou nul (premier millénaire de notre ère), parfois légèrement positif (entre l'An Mil et 1500).
Avec l'amélioration de l'hygiène et de l'alimentation en Europe, au XVIIIe siècle, la mortalité juvénile (décès avant cinq ans) a rapidement chuté. Mais les familles européennes ont tardé à prendre conscience du phénomène et elles ont conservé pendant plusieurs décennies une natalité élevée de type pré-industriel, d'où un solde naturel élevé qui a permis à la population européenne de doubler au XIXe siècle et de contribuer au peuplement du Nouveau Monde.
Puis, à la fin du XIXe siècle, les Occidentaux ont modifié leur approche de la vie et de la mort. Bénéficiant de meilleures conditions de vie et de survie, ils ont pu réduire leur natalité jusqu'à l'aligner sur la mortalité, de façon à repasser par un état d'équilibre...
Le démographe Adolphe Landry a cru voir dans ce phénomène l'émergence d'un nouvel état stable. Il a inventé l'expression « transition démographique » (dico) pour désigner le passage de l'équilibre ancien au nouveau :
Mortalité et natalité élevées (stabilité) => mortalité faible et natalité élevée (accroissement) => mortalité et natalité faibles (retour à la stabilité).
Mais nous n'en sommes plus là. Dans tous les pays dits « développés », la natalité, indifférente aux injonctions des démographes, continue en effet de baisser bien au-dessous du seuil requis pour stabiliser les populations...
On ne croit plus que la « transition démographique » soit l'avenir du genre humain car on constate deux déséquilibres opposés et appelés à durer :
• Dans la plupart des pays riches (Occident et Extrême-Orient) ainsi que dans plusieurs États du Sud (Kerala, Thaïlande, Tunisie, Iran...), la fécondité a chuté très en-dessous du minimum indispensable au renouvellement de la population avec 0,7 à 1,8 enfants par femme ; il s'ensuit une diminution rapide du nombre de naissances et une proportion toujours croissante de vieillards dont les besoins de santé pèseront sur le bien-être général.
• En Afrique subsaharienne, la fécondité reste très élevée (4 à 6 enfants par femme) et il s'ensuit une hausse explosive de la population.
• Ajoutons que certains pays musulmans (Maghreb, Égypte...) ont connu une nette remontée de la fécondité, après une chute souvent spectaculaire dans les années 1990.
Fécondité
Le principal indicateur démographique est la fécondité. Elle est définie par le nombre d'enfants qu'ont les femmes au terme de leur vie féconde, à 49 ou 50 ans.
On connaît la « descendance finale » des femmes de plus de 50 ans (après leur ménopause). Mais quid des femmes plus jeunes qui ne sont pas arrivées au terme de leur vie féconde ?
Pour évaluer la fécondité de l'ensemble des femmes dans une année donnée et surtout apprécier son évolution dans le temps, les démographes recourent à un indicateur conjoncturel de fécondité ou indice synthétique de fécondité : il additionne à un moment donné (généralement une année civile) les taux de fécondité observés à chaque âge, entre 15 et 49 ans.
Pour calculer cet indice de fécondité, on recense le nombre de femmes qui ont un âge donné (entre 15 et 49 ans) et à chaque âge, le nombre de celles qui ont un enfant dans l'année.
• On additionne le nombre d'enfants à un âge donné et on le divise par le nombre de femmes de cet âge : on obtient le taux de fécondité à cet âge. Par exemple, si en 2018, sur 400 000 femmes nées vingt ans plus tôt, en 1998, 8000 ont eu un enfant, il s'ensuit un taux de fécondité de 0,02 enfant pour ces femmes de vingt ans (notons que cela n'a rien à voir avec un pourcentage),
• Il ne reste plus qu'à additionner sur l'année les taux de fécondité à chaque âge pour obtenir l'indicateur conjoncturel de fécondité (voir le tableau rétrospectif de l'INSEE, 17 janvier 2017).
Pour qu'une population se renouvelle d'une génération à l'autre, il faut qu'en moyenne chaque femme ait une fille qui arrive en âge d'avoir des enfants. Deux facteurs déterminent le nombre moyen d'enfants que doivent avoir les femmes pour atteindre ce seuil de renouvellement :
• Le sex-ratio à la naissance : compte tenu du plus grand nombre de garçons que de filles à la naissance (105 pour 100 en Occident), il faut déjà, de ce seul fait, 2,05 enfants par femme pour être assuré du renouvellement de la population.
• La mortalité des filles avant l'arrivée à la maternité : pour que l'ensemble des femmes amène un nombre équivalent de filles à l'âge de la maternité, il faut qu'elles aient un supplément d'enfants qui compense les décès prématurés.
Dans les pays riches d'Occident, où la mortalité des jeunes est très faible, on estime que le « remplacement des générations » est assuré avec environ 2,1 enfants par femme (légèrement au-dessus de 2,05). Dans les pays d'Extrême-Orient comme la Chine, où le sex-ratio atteint 2,18 (118 gaçons pour 100 filles), il faudrait au grand minimum 2,2 enfants par femme pour simplement remplacer les générations, en dépit d'une mortalité infantile très faible. Dans les pays où la mortalité des jeunes est très élevée, comme dans le Sahel, il y faut 2,5 à 3 enfants par femme en moyenne.
Si l'indice conjoncturel de fécondité des Françaises devait se maintenir au niveau de 2018 (1,88 enfants par femme), soit à 90% (1,88/2,1) du « seuil de remplacement », il s'ensuivrait d'une génération à l'autre, autrement dit au bout d'environ 30-35 ans, une baisse d'environ 10% du nombre annuel de naissances. Au bout de trois générations, soit un siècle, le nombre de naissances ne serait plus que 70% environ de son niveau initial.
La lettre Population & Sociétés (INED, juillet-août 2019) indique qu'en France, en 2017, les femmes « immigrées » (nées à l’étranger avec une nationalité étrangère) représentaient 12% du total des femmes en âge d’avoir des enfants mais étaient à l’origine de 19% des naissances (143 000 sur 760 000). Mais avec 2,6 enfants par femme, ces « immigrées » ne relèvent toutefois l’indicateur conjoncturel de fécondité que de 0,11 enfant par femme : différence entre l’indice de fécondité global (1,88) et l’indice des « natives » seules (1,77).
Le paradoxe tient à l'âge : les « immigrées » sont essentiellement des jeunes femmes venues du Maghreb et du Sahel dans la grande vague d’immigration qui a débuté vers 2002. Elles relèvent fortement les taux de fécondité des femmes entre 15 et 30 ans. Mais comme l’indicateur conjoncturel de fécondité est l’addition des taux à tous les âges, de 15 à 49 ans, il est amorti par la fécondité plus faible des « natives » entre 30 et 49 ans ! Les années passant, quand la structure par âge des « immigrées » se rapprochera de celle des « natives », leur impact sur l'Icf sera beaucoup plus marqué, à la mesure de leur propre fécondité.
En l'absence de guerres, famines, épidémies ou migrations de masse, la fécondité est le facteur déterminant de l'évolution d'une population :
• La grande majorité des pays riches (Occident et Extrême-Orient) affiche aujourd'hui un indice de fécondité de 1 à 1,8 enfants par femme. Si l'on suppose une stabilité de ces indices dans le temps, un pays comme la Corée du Sud (1 enfant par femme) verra le nombre annuel de naissances divisé par... 8 en trois générations, soit dans moins d'un siècle (40000 naissances environ au lieu de 300000 en 2019).
• À l'inverse, avec près de 3 enfants par femme en moyenne, comme c'était le cas en France après la Seconde Guerre mondiale, le nombre de naissances double au bout d'un siècle.
Notons que le peuplement francophone du Canada (environ sept millions de personnes) est issu en bonne partie de 1200 colons de la région de Mortagne-au-Perche qui ont traversé l'Atlantique au milieu du XVIIe siècle : du fait d'une fécondité généreuse, ils ont multiplé leur effectif par cinq mille en l'espace de quatre siècles. Avec une fécondité tout aussi généreuse, l'Afrique subsaharienne est aujourd'hui engagée dans la même voie, mais on peut s'interroger sur sa capacité à relever ce défi.
A contrario, les pays riches se préparent à des lendemains glauques. L'Italie, qui a une fécondité en chute libre (1,24 enfants par femme en 2020), pourrait passer de 400 000 naissances en 2021 à 200 000 naissances environ dans 30 ans, quand les 200 000 bébés-filles d'aujourd'hui engendreront à leur tour, et à 100 000 naissances dans 60 ans, en 2080, quand viendra le tour des petits-enfants. À cette échéance, les 400 000 bébés d'aujourd'hui amorceront leur entrée dans le grand âge et il y aura au moins 4 fois plus d’Italiens de plus de 60 ans que de jeunes de moins de 20 ans (au lieu de 2 pour 1 aujourd'hui). Un rebond sera-t-il plausible dans ces conditions ? C'est très douteux car les jeunes adultes qui devront assumer la charge de leurs aïeux invalides ne seront pas en situation d'ajouter à cela l'éducation d'une nombreuse nichée. À moins d’une énorme surprise, le peuple qui a donné le jour à Michel-Ange et Raphaël aura alors quasiment disparu.
Parmi les pays qui connaissent aujourd'hui une forte baisse de la fécondité, beaucoup voient néanmoins leur population continuer d'augmenter. C'est le cas de la Corée du Sud (1 enfant par femme en 2019). Rien de plus normal à cela car ce pays a connu dans les décennies passées une croissance rapide de sa population :
• Les personnes âgées qui décèdent aujourd'hui appartiennent à des classes d'âge (ou « cohortes ») peu nombreuses.
• A contrario, les adultes trentenaires en âge d'avoir des enfants appartiennent à des cohortes nombreuses. Malgré leur fécondité très basse, il s'ensuit un nombre de naissances supérieur au nombre de décès.
Si l'indicateur conjoncturel de fécondité se stabilise à moins d'un enfant par femme, on va arriver à un rythme de croisière quand disparaîtront les jeunes ménages actuels. À ce moment-là, l'effet d'inertie s'estompera et la population diminuera très vite.
Espérance de vie
L'espérance de vie à un âge donné est le nombre moyen d'années qui reste à vivre aux personnes de cet âge. C'est un indicateur capital pour les caisses de retraite. Leurs actuaires évaluent le montant des cotisations des futurs pensionnés en rapportant le total de leurs cotisations passées à leur espérance de vie à leur départ en retraite.
Pour évaluer le niveau de bien-être d'une population, les démographes utilisent l'espérance de vie à la naissance : en 2017, elle variait de 51 ans pour les Congolais de RDC (hommes) à 87 ans pour les Japonaises. Notons qu'en ce domaine, les sexes sont inégaux : les hommes sont plus nombreux à la naissance mais l'équilibre se rétablit à mi-vie car ils meurent en moyenne plus tôt que les femmes (ce n'était pas le cas à l'époque pré-industrielle quand beaucoup de femmes mouraient prématurément en couches).
Pour le calcul du nombre moyen d'années restant à vivre en 2022 à une personne de, disons, 60 ans, on considère le nombre de personnes décédées cette année-là à 60 ans, 61 ans, 62 ans, etc. On multiplie ces différents nombres par le nombre d'années au-delà de 60 ans (exemple : 2 pour 62 ans). On additionne ces différents items puis on divise le résultat par le nombre total de personnes de 60 ans et plus décédées dans l'année.
Notons que, comme la fécondité, l'espérance de vie est un indicateur « conjoncturel » (voir le blog de l'INSEE). Elle est définie par rapport aux conditions de l'année considérée. Il n'empêche que, dans les années suivantes, le risque de mortalité à chaque classe d'âge peut varier en fonction de l'état sanitaire du pays, des crises, des guerres, des pandémies, etc.
Mortalité infantile, mortalité juvénile
La mortalité infantile est le nombre de décès avant l'âge d'un an sur un total de mille naissances. Ce taux atteignait près de 40% des naissances en France avant la Révolution. Il atteint encore les 80‰ dans certains pays comme le Centrafrique. Au Japon, record mondial, il est en 2018 d'à peine 2‰. La mortalité juvénile, peu usitée par les démographes, désigne quant à elle le nombre de décès avant l'âge de cinq ans sur un total de mille naissances.
Pour réduire au maximum la mortalité infantile, il faut comme au Japon des infrastructures hospitalières et médicales de qualité et accessibles à tout le monde, avec des réseaux de transports et d'énergie qui fonctionnent ; il faut aussi une nourriture équilibrée pour les enfants comme pour les femmes ; il faut enfin que les femmes soient éduquées et socialement épanouies afin qu'elles puissent s'occuper correctement de leurs enfants et appliquer les recommandations du corps médical.
On voit à ce qui précède que la mortalité infantile est à la confluence de tous les facteurs qui dessinent les contours du bien-être (ou du mal-être) collectif. Elle est de ce fait l'indicateur le plus pertinent pour évaluer les conditions de vie d'une population ! L'historien Emmanuel Todd a ainsi vu dans la remontée de la mortalité infantile dans les années 1970 en URSS le signe indubitable d'une désintégration de la société soviétique. Il en a déduit avec une remarquable prescience l'effondrement de l'URSS à l'échéance d'une quinzaine d'années (La Chute finale, 1976, Robert Laffont). Plus près de nous, la comparaison des taux de mortalité infantile aux États-Unis nous renseigne sur la condition des descendants d'esclaves (et des immigrants africains des dernières décennies).
Mortalité infantile pour 1000 naissances vivantes aux États-Unis, 2018 | |||
Noirs | Blancs | Toutes origines | Ratio noirs/blancs |
10,8 | 4,6 | 5,7 | 2,3 |
Source : National Vital Statistics, 2020.
Avant la révolution industrielle, en Europe, l'espérance de vie à la naissance dépassait à peine 40 ans du fait qu'un quart, voire la moitié des nourrissons, disparaissaient avant l'âge de cinq ans (mortalité juvénile). Mais pour les survivants qui avaient franchi avec succès toutes les épreuves de la petite enfance, l'espérance de vie à 5 ans était nettement plus proche de 60 ans que de 40.
• Depuis lors, en deux siècles, dans les pays riches, l'effondrement de la mortalité juvénile a fait gagner douze années d'espérance de vie à la naissance.
• Dans les pays déshérités, on a pu aussi réduire la mortalité juvénile grâce aux vaccinations et à l'éradication des famines et des épidémies mais la santé des adultes reste précaire de sorte que l'espérance de vie à la naissance et l'espérance de vie à 5 ans se tiennent l'une et l'autre autour de 60 ans.
Migrations
Les statistiques migratoires sont connues de façon indirecte à travers les données fournies par l'Office français de l'intégration et de l'immigration (OFII) : titres de séjour, droit d'asile, étudiants, mineurs étrangers, etc. Ces catégories se recoupent très largement : une personne peut recevoir un titre de séjour au titre du regroupement familial, dès sa descente d'avion ; elle peut aussi le recevoir suite à une entrée illégale dans les années précédentes ; elle peut également avoir été enregistrée précédemment comme étudiant, mineur isolé ou réfugié.
Le solde migratoire est défini par l'INSEE comme suit : « Le solde migratoire est la différence entre le nombre de personnes qui sont entrées sur le territoire et le nombre de personnes qui en sont sorties au cours de l'année. Ce concept est indépendant de la nationalité. » Le solde migratoire est mesuré indirectement, par différence entre l’évolution de la population entre deux recensements et le solde naturel de l’année déduit de l’état civil. Les évolutions peuvent refléter des fluctuations des entrées et des sorties, mais également l’aléa de sondage du recensement. Il s'ensuit que le solde migratoire est un mauvais outil à utiliser avec précaution (note).
La différence entre flux et stock peut être illustrée par l'exemple nord-américain : aux XVIIe et XVIIIe siècles, l'Amérique du nord a accueilli un mince flux de migrants venu de Grande-Bretagne (quelques milliers de personnes tout au plus chaque année) mais cette population bénéficiait d'une très forte natalité, comme en Nouvelle-France (Québec) ; elle a formé des colonies de plus en plus nombreuses qui ont rapidement supplanté les Indiens autochtones, lesquels étaient pourtant à l'origine au nombre de plusieurs millions, sans doute bien plus nombreux que les habitants de Grande-Bretagne.
La démographie a ses lois que la politique ignore
Pour comprendre les limites de l'action politique en matière de démographie, empruntons quelques observations au maître en la matière, Alfred Sauvy (1898-1990).
Les actions dans le domaine démographique ont pour les dirigeants politiques un inconvénient dirimant : leurs effets se manifestent en général après la fin prévisible de leur mandat ! On sait d'ores et déjà quels seront les effectifs des actifs dans les 20 prochaines années, aux migrations près ; une relance de la natalité dans un pays en pleine asthénie n'aura donc pas d'effet sur la population active avant cette échéance ; en attendant, elle pèsera sur les retraités qui représentent aussi les principaux bataillons d'électeurs ! De quoi dissuader les gouvernants de trop s'engager dans cette voie, si profitable qu'elle soit sur le long terme !
L'immigration ne sauvera pas nos régimes de retraite. La démonstration par l'absurde en a été faite au début des années 2000 dans un rapport de l'ONU : Les migrations de remplacement : s'agit-il d'une solution au vieillissement ou au déclin des populatins ? À supposer que l'âge de départ à la retraite et la natalité demeurent ce qu'ils sont ; à supposer aussi que l'immigration fournisse les emplois qualifiés dont les pays industrialisés ont besoin, le rapport a ainsi montré que la Corée (50 millions d'habitants) aurait besoin de plusieurs centaines de millions d'immigrants !
Pour comprendre cela, il faut se rappeler que les actifs d'aujourd'hui financent les pensions des retraités d'aujourd'hui :
• Les actifs cotisent aux caisses de retraite en proportion de leurs revenus.
• Chaque retraité reçoit une part de ces cotisations au prorata de ce qu'il a lui-même versé du temps de sa vie active au profit de ses aînés.
Les cotisations versées par les immigrés s'ajoutent aux cotisations des autres actifs. Elles accroissent donc le montant que se partagent les retraités d'aujourd'hui mais n'accroissent en rien le montant que les retraités de demain, dont eux-mêmes, auront à se partager.
Le supplément de pension dont bénéficient les retraités d'aujourd'hui grâce aux immigrés n'a rien d'un miracle : il vient simplement de ce que les cotisations des immigrés ne profitent pas à leurs parents restés au pays et qui ont assumé la charge de leur éducation... Notons que cette iniquité ne choque personne ! L'équité voudrait que les immigrés puissent reverser leurs cotisations retraite à leurs parents ou les récupérer dans l'éventualité de leur retour au pays natal. Il n'y a pas de raison que ces cotisations profitent aux retraités du pays d'accueil qui ne les ont pas mis au monde et n'ont pas contribué à leur éducation.
Les actions politiques mal calibrées ou mal pensées peuvent déboucher au bout d'une génération, voire de quelques mois, sur des tensions inédites : ce fut le cas en Roumanie quand le dictateur Ceaucescu interdisit brutalement les avortements en 1967, d'où, l'année suivante, un trop-plein d'enfants qui ne trouvèrent pas d'accès dans les institutions et les écoles. Ensuite, les couples inventèrent des arrangements et la natalité retomba rapidement à son niveau antérieur !
Dans un autre domaine, on a aussi connu ce type de phénomène dans les années 1970 quand nos dirigeants ont jugé qu'il y avait trop de médecins et pas assez de pêcheurs : ils ont donc brutalement fermé l'accès aux facs de médecine et subventionné l'achat de bateaux, cela pour s'apercevoir trente ans plus tard que l'on manquait cruellement de personnel médical et que l'on avait beaucoup trop de chalutiers !
Interpellé sur l'explosion démographique des années 1960-1970, Alfred Sauvy ne manquait jamais de souligner l'extrême diversité des situations : chaque région du monde a ses problèmes et requiert des solutions spécifiques ; on ne peut guérir l'une en soignant l'autre, de même qu'on ne guérit pas notre voisin boulimique en devenant soi-même anorexique. En clair, un enfant de moins en Occident ne fera pas que les Africains surchargés d'enfants vivront mieux !
Deux écueils pèsent sur l'équilibre démographique d'une population :
• Une croissance excessive car elle rend impossible tout progrès humain, comme c'est le cas aujourd'hui dans de nombreux pays africains dont la population triple ou même quintuple tous les cinquante ans,
• Une diminution forte comme c'est le cas aujourd'hui dans les pays « avancés » avec, d'année en année, de plus en plus de vieux à la charge d'un nombre de plus en plus faible de jeunes et de moins en moins de personnes qualifiées pour remplacer les départs ; c'est ce que l'historien Pierre Chaunu appelait la « mort blanche ».
Le juste milieu est le renouvellement de la population, tel que, génération après génération, il se trouve autant de jeunes pour remplacer les vieux qui disparaissent. L'optimum sur lequel s'accordent les démographes et les dirigeants politiques raisonnables est un indice de fécondité égal au « seuil de remplacement des générations », soit un peu plus de 2 enfants par femme dans les pays développés, de façon que, sur le long terme, les naissances compensent les décès.
Il n'y a en tout cas nulle part de progrès possible sans une jeunesse nombreuse (mais pas trop) ; c'est l'observation du démographe Jean-Claude Chesnais qui a analysé le décollage de différents pays du tiers-monde (La revanche du tiers-monde, Robert Laffont, 1987). Ce principe s'applique bien évidemment à la France, qui n'a jamais été aussi créative et ouverte sur le monde que dans les périodes de forte natalité, au XVIIIe siècle et durant les Trente Glorieuses (1945-1973). A contrario, elle a été gagnée par la sclérose et tentée par le repli entre les deux guerres mondiales, quand sa fécondité était au plus bas. La même sclérose (politique, culturelle, économique, sociale...) s'observe aujourd'hui dans des pays européens comme l'Italie, frappés par une fécondité très en-dessous du seuil optimum, avec pléthore de seniors.
La sclérose se voit dans l'effondrement des taux de croissance économique, concomitant de l'effondrement de la fécondité (1973). Elle nous éclate à la figure aujourd'hui : épargne massive, déflation, absence d'investissements, panne d'utopies et fécondité toujours orientée à la baisse. Elle est directement liée au vieillissement de la population avec des seniors attachés à la préservation de leurs acquis (santé et biens matériels) et des jeunes gens en âge d'enfanter mais trop peu nombreux pour faire valoir leurs aspirations. Quoiqu'il en coûte aux seniors (comme l'auteur de ces lignes), une nation soucieuse de son avenir et de celui de l'humanité se devrait donc de soutenir avant toute chose les jeunes ménages. C'est moins d'un soutien financier qu'il s'agit que d'un allègement de la pression qui s'exerce sur chacun en vue de travailler toujours plus pour consommer toujours plus, avec un leitmotiv lancinant : « nous n'avons pas les moyens d'élever un enfant de plus ».
Il existe beaucoup d'ouvrages sur la démographie. Les livres d'Alfred Sauvy conservent pour la plupart leur pertinence. Sur les principes scientifiques de la démographie, on peut lire avec profit le livre de Gérard-François Dumont : Démographie politique. Pour les données d'actualité et les statistiques, on peut se reporter comme dans l'article ci-dessus à la lettre mensuelle de l'INED : Population & Sociétés ou mieux encore aux annuaires (en anglais) de la Division de la Population des Nations Unies.
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