Pratiquement inconnu des Européens jusqu'en 1542, l'archipel japonais nourrit dès les premiers siècles de notre ère une société complexe et évoluée. Elle se développe selon un processus assez semblable à celui de l'Europe médiévale. C'est ainsi que se forme au XIIe siècle une féodalité assise sur des fiefs héréditaires et une classe guerrière.
Les guerres privées entre seigneurs prennent fin au tournant du XVIe et du XVIIe siècle avec le triomphe de Tokugawa Ieyasu.
C'est le début d'une ère de grande stabilité politique et sociale, relativement prospère et épanouie, par ailleurs strictement fermée aux influences étrangères.
Centralisation autoritaire
Chef de guerre énergique, Tokugawa Ieyasu rétablit en 1603 le bakufu (ou « gouvernement de la tente ») et s'attribue lui-même tous les pouvoirs avec le titre de shôgun. L'empereur ne conserve pour sa part qu'une fonction symbolique et religieuse, en qualité de descendant de la déesse Amaterasu, selon la religion nationale (shintoïsme).
Il installe sa capitale à Edo (aujourd'hui Tokyo), au fond d'un golfe de la rive orientale de Honshu. Cette ville nouvelle, dominée par le château du shogun, devient rapidement la principale ville du pays. L'empereur, demeuré à Kyoto, se cantonne dans un rôle religieux et honorifique.
Tokugawa Ieyasu dote le Japon d'institutions stables et centralisées. Son succès lui permet de transmettre son titre et son pouvoir à son fils. Ainsi débute la « période d'Edo », sous la direction des Tokugawa.
La population est divisée en catégories sociales assimilables à des « castes » et dont il est presque impossible de sortir : nobles de cour, guerriers, paysans, commerçants... Les daimyo conservent l'autorité dans leur fief mais doivent se rendre à Edo tous les deux ans pour rappeler leur allégeance au shôgun.
Le Japon se replie sur lui-même
Méfiants à l'égard de l'Occident, les shôguns Tokugawa ferment le Japon aux influences étrangères. Ils interdisent tout déplacement des Japonais à l'étranger et expulsent les Européens, ne tolérant que quelques marchands hollandais sur l'îlot de Dejima, à Nagasaki.
Le christianisme, perçu comme une menace à l'équilibre social par Tokugawa Ieyasu, est brutalement réprimé. Dans la région de Nagasaki, des milliers de paysans christianisés sont massacrés ou condamnés à la clandestinité. Le Japon des Tokugawa se détourne par ailleurs du shintoïsme, la religion impériale, et adopte le néoconfucianisme comme religion officielle.
L'instruction progresse et le Japon peut se flatter d'avoir au moins une moitié d'adultes alphabétisés au début du XIXe siècle, soit au moins autant que dans les pays les plus avancés d'Occident.
En dépit de la pauvreté endémique et des catastrophes récurrentes, comme l'incendie d'Edo en 1657 (100 000 victimes) et l'éruption du mont Fuji en 1707, les villes se développent rapidement. Au XVIIIe siècle, Edo (Tokyo) est déjà l'une des plus grandes villes du monde avec 700 000 habitants. Mais il s'agit avant tout d'une ville administrative, une « ville de célibataires » avec une exceptionnelle concentration de samouraïs.
À l'époque des Tokugawa, les grands seigneurs, les daimyo, sont astreints à des dépenses de représentation colossales à Edo (Tokyo). Ils font la fortune des commerçants et artisans.
Cette bourgeoisie hédoniste, qui apprécie peu le théâtre classique nô, suscite la naissance d'une nouvelle forme théâtrale plus populaire, le kabuki. Elle savoure aussi les estampes issues d'un antique procédé d'impression xylographique.
Ces images reflètent leur mode de vie paisible et savoureux, avec belles courtisanes et paysages harmonieux. Elles mettent en valeur et idéalisent la beauté et la délicatesse des femmes, des paysages et de la vie. Elles soulignent aussi leur extrême fragilité, en conformité avec la mentalité bouddhiste. Les Japonais les appellent avec justesse « images du monde flottant » (en japonais ukiyo-e).
L'expression est inspirée par le titre d'un livre paru au XVIIIe siècle sous la signature d'Asai Ryai : Récits du monde flottant. L'auteur en donne la définition suivante : « Vivre seulement pour l'instant, contempler la lune, la neige, les cerisiers en fleurs et les feuilles d'automne, aimer le vin, les femmes et les chansons, se laisser porter par le courant de la vie comme la gourde flotte au fil de l'eau ».
Parmi les artistes qui ont popularisé l'art de l'estampe jusqu'en Occident, notons Kitagawa Outamaro (1753-1806), Katsushika Hokusai (1760-1849) ou encore Utagawa Hiroshige) (1797-1858). Leur activité s'exerce à Yoshiwara, le quartier des plaisirs d'Edo.
Suite à l'ouverture du Japon sur le monde, en 1867, les artistes européens découvrent avec enthousiasme les estampes. Celles-ci suscitent un courant pictural baptisé « japonisme » dès 1872. Jusqu'à la veille de la Grande Guerre, il va inspirer les plus grands peintres, au premier rang desquels Manet, Monet, Degas, Cézanne, Gauguin et surtout Matisse.
Les Occidentaux forcent la porte
Au milieu du XIXe siècle, les Américains viennent frapper à la porte du Japon. Par la voix du commodore Matthew Perry, ils enjoignent les Japonais d'ouvrir leur pays au commerce international. Le gouvernement cède à leur pression. Il signe des traités avec les États-Unis, la Grande-Bretagne, la France et la Russie, leur permettant de bénéficier de droits de douane très bas.
Cette ouverture commerciale alimente le mécontentement de clans opposés aux Tokugawa, favorables à une restauration du pouvoir impérial. Ils se liguent autour de l'empereur, installé à Kyoto, et attaquent dans les ports les navires étrangers. En 1864, les Occidentaux ripostent en bombardant le grand port de Shimonoseki.
Le coup d'État des féodaux contre le dernier shôgun réussit cependant : Tokugawa Yoshinobu abdique en 1867 et la restauration impériale est proclamée. La cour délaisse Kyoto et vient s'installer à Edo, rebaptisée Tokyo, « la capitale de l'Est ».
En moins d'une génération, l'Empire du Soleil levant va s'ouvrir au monde et se hisser parmi les puissances majeures de la planète.
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BERTRAND (01-04-2024 18:05:48)
Bon article qui aurait mérité d'être plus dissert.