Corée du Nord

Un État-guérilla en mutation

Philippe Pons (Gallimard, 720 pages, 34,50 euros,  2016)

Corée du Nord

Pour ceux qui ignoreraient que Philippe Pons est journaliste au Monde, son style suffit à le rappeler.

Les rédacteurs du  « quotidien de référence » avaient repris à leur compte en 1944 la formule de leur précurseur Adrien Hébrard, directeur du Temps :  « Faites emmerdant ! ».

Sans aller jusqu’à cette extrémité, l’auteur de Corée du Nord reste austère tout au long de ce pavé de plus de 700 pages. Son livre se présente comme une thèse dont le sérieux serait garanti par une bibliographie de plus de 50 pages.

Dès le départ il présente la Corée du Nord comme un « objet d’étude » et s’attache à se démarquer de ce qu’il appelle des images caricaturales du régime : « le caractère dictatorial et oppressif du régime ne fait gère de doute, écrit-il, mais il convient d’éviter de sombrer dans le nominalisme bestiaire des temps modernes ».

Bref, il faut être humble, éviter d’être « réducteur » en qualifiant de stalinien le régime nord-coréen, se méfier des témoignages des réfugiés : « souvent impossibles à vérifier, et donnant lieu à des généralisations hâtives, ils ne reflètent pas forcément ce que pensent ceux qui sont restés ».

L’auteur n’élude aucun des aspects horribles du régime mais lui trouve toujours de bonnes excuses : « totalitaire, le système tient à un mélange de coercition brutale et d’adhésion populaire ». Pour lui, « le peuple nord-coréen mérite plus de sympathie et de respect en raison de ce qu’il endure depuis 70 ans ». Comme si critiquer le régime nord-coréen était manquer de respect à son peuple et comme si ceux qui abhorrent le régime communiste étaient responsables des souffrances infligées aux Coréens du Nord.

Comment expliquer cette horreur qui émeut toute personne sensible et éprise de liberté à part Philippe Pons ? Par l’histoire, par la culture et la faute des autres.

L’occupation coloniale du Japon, de 1910 à 1945, fut sans doute un traumatisme, bien qu’il faille reconnaître qu’elle s’est accompagnée d’une modernisation du pays. L’occupation soviétique au nord, et l’américaine au sud (bien plus terrible selon l’auteur puisqu’elle préparait « une autocratie de droite ») et la division du pays, ont fait de l’aspiration à l’indépendance nationale l’alpha et l’oméga de la politique pour le conduire à une « autocratie patriotique ».

S’appuyant sur les traditions historiques de stratification sociale, la population a été divisée en classes selon le degré d’attachement des familles au socialisme, les moins fiables étant envoyés dans des camps.

Fort de ses explications sociologico- historiques, l’auteur peut ainsi narrer toutes les turpitudes de la dynastie fondée par Kim Il Sung, y compris les attentats perpétrés contre la Corée du Sud ou encore les enlèvements de Japonais dans les années 1970-1980, avec un œil parfaitement froid.

S’agissant par exemple des kidnappings, l’auteur écrit : « Montée en épingle par la droite japonaise, l’affaire pris un tour passionnel ». Qu’une puissance étrangère vienne sur votre sol enlever vos ressortissants sur les plages, ne mérite pas, aux yeux d’un journaliste objectif, que l’on en fasse un plat et que l’on cède à l’émotion !

Bref, on l’aura compris, en lisant l’ouvrage de Philippe Pons, on saura tout sur la Corée du Nord, ce qui en fait malgré tout un livre intéressant, à condition de ne pas se laisser aller à des sentiments simplistes.

Que va devenir cet « État-guérilla », donc à priori sympathique pour les admirateurs de Che Guevara, en mutation , c’est-à-dire passé de la famine à la disette grâce à une ouverture à l’économie de marché, à de « menues libertés » et à une corruption omniprésente ? L’auteur est béat d’admiration devant la capacité de la Corée du Nord à résister aux coups de boutoir de l’histoire.

Excluant la perspective d’une attaque nord-coréenne sur le Sud, qui serait suicidaire, et l’effondrement interne du régime que seul « une ignorance condescendante des histoires locales » de la part des puissances occidentales permet d’espérer, l’auteur estime que le peuple nord-coréen doit être réhumanisé aux yeux du reste du monde.

Cette réhumanisation ne dépend pas de ses dirigeants, mais d’un arrêt de la « rhétorique haineuse » des Américains. Traiter la Corée du Nord d’État voyou contribue à « l’enfermer dans son étrangeté ». « Soutenir une évolution progressive de la RPDC sous la houlette d’un pouvoir totalitaire, mais réformiste, paraît la seule voie réaliste pour faire retomber la tension dans la péninsule et éviter le risque d’un effondrement du régime qui déstabiliserait toute la région ». Et laissons-lui la bombe atomique, seul acquis et seule fierté de l’ère « Kim Jong Il ». Avec un tel « réalisme », la Corée du sud devrait tout de suite capituler et se ranger « sous la houlette » de Pyongyang !

David Victoroff

Voir : Le «Pays du Matin calme»

Publié ou mis à jour le : 25/06/2016 16:56:07

Jean Loignon (04-07-2016 22:25:20)

La curieuse exhortation (Faites emmerdant...) citée au début de cette critique est à attribuer à Adrien Hébrard, directeur du "Temps", ancêtre sinon modèle du "Monde"... "Le Temps" était l'org... Lire la suite

Guillaume_rc (04-07-2016 21:45:06)

Une fois de plus, on constate la complaisance (quand ce n'est pas la fascination) d'une grande partie de l'intellingentsia française vis-à-vis des régimes communistes. Il ne viendrait à personne ... Lire la suite

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