Jean-Marie Constant (Flammarion, 400 pages, 25€, 2016)

Mais qu’était-ce donc que la Fronde ? Si le mot de frondeur est à la mode depuis que quelques députés socialistes ont feint de s’indigner qu’un président issu de leur rang puisse ne pas tenir ses promesses, cette période de l’histoire de France qui s’étend de la mort de Louis XIII en 1643 au règne effectif de Louis XIV demeure méconnue de la plupart des Français.
On n’en retient, pour ceux qui ont encore étudié l’histoire dans des manuels classiques, l’image de la Grande Mademoiselle faisant tirer les canons de la Bastille contre les troupes royales de Turenne. Pour le reste, on connaît vaguement le cardinal Mazarin pour tout le mal qu’on en a dit dans les « mazarinades » et Anne d’Autriche, la régente, dont il faut savoir que malgré son nom elle était espagnole. Bref, tout cela est confus et nécessitait bien l’éclairage d’un professeur émérite spécialiste de la période pour tenter d’y voir un peu plus clair.
Est-il parvenu à rendre plus lisible cet épisode baroque de l’histoire de France ? Difficilement.
L’auteur commence par faire le portrait des protagonistes, tout à la fois guerriers, écrivains et nobles comme La Rochefoucauld et le cardinal de Retz. Les gentes dames aventurières jouent un rôle important.
Tous ces personnages font le récit de leurs propres aventures en les embellissant, ce qui ne facilite pas la tâche de l’historien. Les liens privés entre les personnages sont déterminants alors qu’ils jouent un assez faible rôle de nos jours (qui s’intéresse aux amours entre Aurélie Filipetti et Arnaud Montebourg ?).
La Rochefoucauld est ainsi épris de la duchesse de Longueville, sœur du grand Condé, tandis que la duchesse de Chevreuse est la maîtresse du Cardinal de Retz et que la princesse Palatine est follement amoureuse d’Henri de Guise, archevêque de Reims.
Ainsi les protagonistes sont-ils mus par des liens d’amitié, d’amour et de haine qui les entraînent dans des intrigues difficiles à démêler du propre aveu de l’auteur : « Retz a changé trois fois de camp, devenant pour l’histoire le rois de l’intrigue et le symbole d’une fronde incompréhensible à déchiffrer sur le plan politique ».
Au-delà des anecdotes qui conduisent les héros des alcôves des duchesses et des princesses aux cachots de la Bastille, de Vincennes et d’ailleurs, mènent Louis XIV du Louvre à Vincennes en passant par Rueil, et contraignent Mazarin à alterner les exils et les retours, l’auteur parvient tout de même à discerner quelques lignes de force. Il décrit la guerre avec l’Espagne qui n’en finit pas et amène l’État à prélever de plus en plus d’impôts. Il expose cette volonté de créer un État fort, entreprise commencée brutalement par Richelieu et poursuivie en douceur par Mazarin mais avec tout autant de détermination, ainsi que le mécontentement subséquent de tous ceux qui voient leurs impôts s’alourdir et leurs privilèges battus en brèche.
Les nobles ne se sentent plus respectés, le parlement de Paris ne parvient plus à imposer son autorité et les dévots s’inquiètent d’une guerre qui s’éternise contre le roi catholique d’Espagne. Tous ces intérêts contradictoires s’allient tour à tour contre la régente Anne d’Autriche et son cardinal, les Parisiens se soulèvent, le grand Condé tout auréolé de ses victoires de Rocroi et de Lens se révolte contre l’autorité royale et Mazarin, jouant de divisions des uns et des autres, finit par imposer l’autorité du roi.
L’auteur discerne dans la fronde une aspiration à la réforme du pays, à l’établissement d’une monarchie tempérée (au moment où les Anglais décapitent leur roi) mais aussi un ras-le-bol fiscal qui peut éveiller quelques échos contemporains : « le peuple rêve de la fin de l’orgie fiscale, mortifère pour lui ».
La difficulté de réformer révèle aussi une constance : la société française « refuse avec force toute remise en cause des fragiles équilibres entre groupes sociaux, qui reposent sur des pyramides de privilèges. Pratiquement tout le monde a acquis, au cours de l’histoire, des franchises, des droits personnels ou collectifs, minimes ou gigantesques, qui représentent dans l’esprit de chacun des libertés intangibles. C’est pourquoi la Fronde n’est pas la première marche d’un mouvement révolutionnaire, mais l’expression d’un désir nostalgique de retrouver un passé radieux. » Ne retrouve-t-on pas la même nostalgie aujourd’hui des « Trente Glorieuses » et le refus de toute remise en cause du droit du travail, du statut des fonctionnaires, des droits des retraités, des licences des taxis, des niches fiscales ?
Jean-Marie Constant termine son étude par un étrange parallèle entre mai 1968 et la Fronde : Sartre et Marcuse ont remplacé Corneille, l’Astrée et le Roland Furieux ; cependant, l’issue de la crise a été selon lui la même : un apparent retour à l’ordre avec finalement beaucoup de réformes, où il apparaîtrait que Louis XIV a baissé les impôts, écouté les parlements, satisfait la noblesse et n’aurait pas été si absolu qu’on le dit.
Voir : La Fronde contre le Roi
Publié ou mis à jour le : 08/07/2016 16:07:54
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