Le Siècle de Charles VII

Charles le Bien Servi (1422-1461)

Né en 1403, le futur roi Charles VII grandit sous les pires auspices. Au milieu du XIVe siècle, la fin du « beau Moyen Âge » a été marquée en France par une invasion anglaise (guerre de Cent Ans), la Grande Peste et des troubles sociaux, Grande Jacquerie et révolution manquée d'Étienne Marcel

Après la longue « embellie » qu'a connue le royaume sous les règnes de Charles V le Sage et de son fils Charles VI le Fou, voilà que ressurgit le péril anglais. La chevalerie française périt à Azincourt en 1415 et le roi Henri V Tudor entame la conquête du pays avec la bienveillante neutralité du puissant duc de Bourgogne Jean sans Peur, cousin du roi Charles VI.

Chassé de Paris et déshérité par ses propres parents, l'héritier du trône, réfugié à Bourges, va lentement reprendre pied avec le concours de ses fidèles, en premier lieu Jeanne d'Arc bien sûr, mais aussi Dunois et Richemont, Jacques Coeur, Jouvenel des Ursins, les frères Bureau, etc., sans compter sa maîtresse Agnès Sorel qui lui rendra la joie de vivre. Il y gagnera de son vivant même le surnom mérité de Charles « le Bien Servi ».

Intelligent et cultivé, il prouvera qu'il est le digne descendant de son grand-père Charles V en surmontant avec habileté les pires épreuves qu'ait connues le royaume depuis près d'un siècle.

Cette longue crise vaut aux habitants du royaume d'immenses tourments et un état de guerre quasi-permanent. Les méfaits des bandes de routiers, les « Écorcheurs », et les reprises de l'épidémie font des ravages dans la paysannerie comme dans la noblesse : moins nombreux, les paysans négocient une amélioration de leur statut, de leurs rémunérations et de leurs droits ; plus pauvres, les petits nobles s'engagent au service du roi, dans les nouvelles compagnies d'ordonnance. Par ailleurs, la haute noblesse et la bourgeoisie urbaine profitent de l'essor de l'industrie et du commerce dans les Flandres (possessions bourguignonnes) et en Italie pour s'enrichir sans mesure.

Aussi les malheurs du temps ne sauraient-ils occulter les signes de renouveau qui se manifestent un peu partout dans le royaume... Le long règne de Charles VII (près de quatre décennies) voit ainsi l'éclosion de la poésie française avec François Villon et Charles d'Orléans, l'Âge d'Or de l'enluminure avec les Très Riches Heures du duc de Berry, l'émergence de la peinture avec Jean Fouquet et le Diptyque de Melun, etc.

Le roi met surtout en place les fondements de l'État moderne : un impôt permanent non sujet à la bonne volonté des vassaux et une armée permanente au service exclusif du souverain, une Église gallicane émancipée à l'égard du Saint-Siège (la « Pragmatique Sanction » de Bourges)... Aussi serait-il justifié de qualifier ce XIVe siècle de « Siècle de Charles VII »

André Larané

Enfance malheureuse

Le futur Charles le Victorieux, fils de Charles VI le Fou et d'Isabeau de Bavière, naît à l'hôtel Saint-Paul, à Paris, le 22 avril 1403. C'est une personne mélancolique et sans charme comme l'atteste le portrait du roi adulte, peint par Jean Fouquet. 

Cinquième fils du couple royal, il n'est pas initialement destiné à régner et reçoit simplement, en 1416, le Berry (avec sa capitale Bourges) et le Poitou, en héritage de son grand-oncle Jean. Le 4 avril 1417, la mort du dernier de ses frères aînés l'amène aux marches du trône : à 14 ans, il devient l'héritier de la couronne, le Dauphin.  Mais à ce moment-là, le royaume doit faire face à la coalition anglo-bourguignonne qui occupe le nord du royaume et menace Paris. 

Dans la nuit du 20 août 1418, le jeune Dauphin est sauvé in extremis de la foule parisienne en furie par le prévôt de Paris et emmené à Bourges où, entouré d'une poignée de fidèles, il engage la lutte contre les Anglais. L'année suivante, il assiste au meurtre de son rival, le duc de Bourgogne Jean sans Peur sur le pont de Montereau. À 18 ans, suite au calamiteux traité de Troyes, il est déshérité par ses parents au profit du roi anglais Henri V, leur gendre.

Henri V et Charles VI meurent à quelques mois de distance en 1422, le premier au château de Vincennes le 31 août 1422, le second en l'hôtel Saint-Pol, à Paris, le 21 octobre 1422 . La couronne de France et d'Angleterre revient alors à un enfant de quelques mois, Henri VI, la régence étant assurée en France par le duc de Bedford, son oncle.

Le dauphin Charles se replie dans le Berry et se proclame roi de son côté, sous le nom de Charles VII, à Mehun-sur-Yèvre, près de Bourges. La même année, le 18 décembre 1422, il épouse Marie d'Anjou (18 ans). Le choix est judicieux. Son épouse, aimante et tolérante, lui donnera 13 enfants dont le futur Louis XI. Elle le soutiendra sans fléchir, de même que sa belle-mère, l'influente Yolande d'Aragon, soucieuse de préserver ses possessions de la convoitise anglaise.

Mais le « petit roi de Bourges » n'a d'autorité que sur la Touraine, l'Orléanais, le Berry, l'Auvergne et le Dauphiné, avant que ne se rallie à lui le gouverneur du Languedoc. Ses maigres troupes, les « Dauphinois » ou « Armagnacs », reculent partout. À l'instigation d'Yolande d'Aragon, le 7 mars 1425, il octroie la fonction de connétable (chef des armées) à Arthur de Bretagne, comte de Richemont, frère cadet du duc de Bretagne Jean V le Sage et beau-frère du duc de Bourgogne Philippe le Bon.

Politique intelligent et militaire courageux, Richemont raccommode ses compatriotes bretons avec le roi de France et comprend la nécessité de réconcilier le duc de Bourgogne avec le roi de France pour enfin chasser les Anglais du royaume. Dans un premier temps, il éloigne les conseillers du roi compromis dans l'assassinat de Jean sans Peur, au premier rang desquels Tanguy du Châtel et Jean Louvet.

Mais il se trompe dans le choix des nouveaux ministres. Prévaricateurs et incompétents, deux d'entre eux sont arrêtés et vite exécutés. Le dernier va être fatal au connétable. Corrompu, roué et ambitieux, Georges de la Trémoille se retourne contre son bienfaiteur et obtient sa disgrâce. Richemont, en exil de 1427 à 1433, prend à peine part à l'épopée qui va suivre...

La France de Charles VII et Jeanne d'Arc

Cliquer pour agrandir la carte
La France de Charles VII et Jeanne d'Arc (1429)À la mort de Charles VI le Fou, en 1422, la France est une mosaïque de territoires, les uns soumis aux Anglais, les autres aux Bourguignons, les derniers enfin au Dauphin, futur Charles VII. Sans compter les provinces périphériques, aujourd'hui françaises, qui sont encore terres d'Empire (Lorraine, Provence...).
Noter à l'est de la Lorraine l'enclave de Vaucouleurs et Domrémy, dont le seigneur fait allégeance au Dauphin. De cette terre lointaine va surgir Jeanne d'Arc...

Le miracle johannique

En 1429, les Anglais, qui commencent à éprouver des difficultés dans l'occupation du Bassin parisien, décident d'en finir. Ils rassemblent toutes leurs troupes disponibles, soit dix à douze mille hommes de toutes provenances, pour assiéger Orléans et enfin traverser la Loire et s'emparer des possessions méridionales du Dauphin.

Tandis que débute le siège de la ville, les troupes royales se font humilier en tentant d'intercepter un convoi de ravitaillement anglais. Cette « journée des harengs » (12 février 1429) illustre la détresse du Dauphin. Triste, tourmenté, mal entouré, indécis et indolent, le jeune homme est près de renoncer à la lutte quand survient Jeanne d'Arc.

La situation du « petit roi de Bourges » va changer du tout au tout grâce aux succès de la Pucelle, qui lève le siège d'Orléans, vainc les Anglais à Patay et fait sacrer le roi à Reims. Charles VII devient dès lors pleinement légitime aux yeux de tous, y compris des Français sous occupation anglaise. Il va dès lors surmonter sa mélancolie native et prendre confiance en lui-même.

La mort tragique de Jeanne sur le bûcher le 30 mai 1431, est d'abord interprété comme un échec et, dans les mois qui suivent, les troupes royales essuient à nouveau des revers.

Le chancelier Regnault de Chartres et le chambellan La Trémoille font surgir un « pâtre du Gévaudan » qui prétend renouveler le miracle johannique. L'affaire se termine misérablement par la capture et la noyade du berger à Beauvais, après que le capitaine Xaintrailles a tenté de s'emparer de la ville avec son concours. Xaintrailles est lui-même capturé mais généreusement relâché.

Le « carillon de Vendôme »

Charles VII à Formigny (miniature, Chroniques royales, BNF)Les malheurs du dauphin Charles sont à l'origine d'une comptine enfantine qui inspire encore nombre d'interprètes, le carillon de Vendôme :

Mes amis, que reste-t-il ?
À ce Dauphin si gentil ?
Orléans, Beaugency,
Notre-Dame de Cléry,

Vendôme, Vendôme !

Les ennemis ont tout pris
Ne lui laissant par mépris
Qu'Orléans, Beaugency,
Notre-Dame de Cléry,
Vendôme, Vendôme !

Le roi transformé

Là-dessus, Charles VII a le bon goût de chasser La Trémoille et de rétablir son rival Richemont dans la fonction de connétable. Bien qu'il ne l'aime pas, il va s'appuyer sur lui pour réformer l'armée et renouer avec les Bourguignons.

En prenant de l'âge, le roi a gagné en énergie et en audace. Il contracte une alliance avec l'empereur d'Allemagne, Sigismond. Puis, au traité d'Arras, le 21 septembre 1435, il détache le duc de Bourgogne, Philippe le Bon, de son alliance avec les Anglais. Le 12 novembre 1437, il peut faire une entrée triomphale à Paris, sa capitale, d'où les Anglais ont été chassés quelques mois plus tôt.

Il en profite pour réorganiser son administration, son armée et même son église. Le 7 juillet 1438, par la Pragmatique sanction de Bourges, Charles VII décide de choisir lui-même les évêques français et de contrôler leurs activités. Son fils et successeur Louis XI prétendra l'abolir le 27 novembre 1461, peu après son avènement, mais elle restera peu ou prou en application jusqu'au concordat de Bologne, en 1516. C'est un pas important dans l'émancipation de la monarchie à l'égard du Saint-Siège.

Les états généraux, le 2 novembre 1439, accordent au roi le droit de percevoir année après année un impôt permanent pour la taille des lances (la « taille »).

Assuré de rentrées fiscales plus régulières, Charles VII peut dès lors songer à se doter d'une armée régulière permanente. Ce sera chose faite en 1445 avec la création des compagnies d'ordonnance, constituées pour l'essentiel de mercenaires sans emploi, les Écorcheurs de sinistre réputation.

Avec le connétable Richemont, le roi réprime au passage la « Praguerie », une révolte qui réunit quelques nobles de haute volée : les duc de Bretagne, de Bourbon et d'Anjou ainsi que son propre fils, le Dauphin, futur Louis XI. Figurent aussi parmi les conjurés le « Bâtard d'Orléans » Dunois, qui l'avait si bien servi aux côtés de Jeanne d'Arc, et de façon moins surprenante son ancien chambellan La Trémoille !

Enfin sorti d'affaire, Charles VII profite de ce que l'Angleterre est entrée elle aussi dans une guerre entre factions nobiliaires pour négocier une trêve avec le roi Henri VI. Elle est signée au château de Montils-lès-Tours  le 28 mai 1444 par Dunois et le comte de Suffolk.

Là-dessus, une fois son armée permanente bien établie, le roi de France prend prétexte du comportement agressif des capitaines anglais pour reprendre la guerre. Le 15 avril 1450, il remporte la victoire de Formigny sur les Anglais qui lui vaut le surnom de Victorieux. La guerre de Cent Ans touche à sa fin.

Ces succès militaires et le lent retour de la paix permettent au roi de renforcer son autorité à l'intérieur du royaume. La justice est en particulier réorganisée par deux grandes ordonnances, en 1446 et 1450. Au sommet de la hiérarchie judiciaire, le Parlement de Paris est ramené dans l'obéissance.

À la faveur des guerres, il s'était arrogé le droit de faire des observations au souverain avant d'enregistrer les édits royaux. Désormais, il est ramené à sa stricte fonction de cour d'appel et ses membres sont choisis par le roi sur une liste de trois candidats proposés par les magistrats.

Charles VII préside le lit de justice du Parlement, réuni à Vendôme en 1458 pour juger le duc d'Alençon, coupable de trahison (miniature de Jean Fouquet, Bibliothèque de Munich)

Le « Bien Servi »

Dans toutes les entreprises de son règne, Charles VII a eu la chance de se faire assister par des personnalités de grande valeur dans leur domaine respectif.

Il y a avant tout Jeanne d'Arc mais aussi Yolande d'Aragon, la mère de son épouse Marie d'Anjou, qui l'a soutenu sans faillir quand il était en butte à l'hostilité de ses propres parents ; Yolande d'Aragon a aussi arrangé la rencontre de Jeanne et du roi et encouragé celui-ci à lui confier des troupes. Son fils René d'Anjou, beau-frère du roi, l'a également servi par ses talents de diplomate, notamment dans les négociations avec les Bourguignons...

Il y a le chancelier Guillaume Jouvenel des Ursins, dont les traits nous sont connus par un très beau portrait du peintre Jean Fouquet (1420-1478)... Ses lointains descendants, Bertrand et Louis de Jouvenel, se sont illustrés au XXe siècle dans la sociologie et les lettres.

N'oublions pas le connétable de Richemont, disgrâcié de 1427 à 1433, ni le financier Jacques Coeur, bien mal récompensé de ses services par une définitive condamnation à l'exil. Ni surtout Agnès Sorel, la dame de Beauté(-sur-Marne), première maîtresse officielle d'un roi de France.

Le roi est aussi assisté par des capitaines hardis comme Dunois qui commande ses troupes, ou encore La Hire et Xaintrailles, ainsi que par les frères Jean et Gaspard Bureau, qui réorganisent son armée et constituent pour la première fois une artillerie puissante et relativement efficace.

Ce n'est pas par hasard que Charles VII a gardé pour la postérité le surnom de Charles le Bien servi en concurrence avec celui de Charles le Victorieux. Le seul proche dont il a eu à se plaindre est son propre fils, le Dauphin, futur Louis XI, qui complote contre son père à la fin de sa vie et lui fait même la guerre.

Le roi a tant de crainte que son fils ne le fasse empoisonner qu'il en vient à s'abstenir quasiment de toute nourriture et meurt pratiquement de faim ! Quand il meurt, le 22 juillet 1461, à 58 ans, son fils et successeur Louis XI, encore en exil chez le duc de Bourgogne, cache à peine sa joie. Ainsi va la vie.

Un monde se meurt

La France, sous le règne de Charles VII, sort de la guerre de Cent Ans mais reste encore ancrée dans le Moyen Âge. En cela, elle garde ses distances avec l'Italie, déjà bien engagée dans la Renaissance.

C'est à l'écart de Paris et à sa périphérie, en Bourgogne et dans les Flandres, comme en Provence et en Touraine que s'activent les artistes.

La peinture s'illlustre en France avec Jean Fouquet, peintre officiel du roi. L'art de l'enluminure jette ses derniers feux cependant qu'à Mayence, un certain Gutenberg met au point un procédé révolutionnaire, l'imprimerie, qui l'enverra aux oubliettes.

Les maîtres d'ouvrage prolongent l'art ogival (ou gothique) avec le style dit flamboyant, en référence aux meneaux finement nervurés, avec une prédominance des vides sur les pleins. Ce gothique flamboyant est illustré par la façade finement dentelée de l'église Saint-Maclou, à Rouen.

Éclosion de la poésie française

Sous le règne de Charles VII se révèle l'immense talent poétique de son cousin Charles d'Orléans, capturé à Azincourt et retenu en Angleterre pendant 25 ans :
« En regardant vers le pays de France,
Un jour m'advint, à Douvres sur la mer,

Qu'il me souvin de la douce plaisance
Que je soulais audit pays trouver ;

Et commençai de coeur à soupirer,
Combien certes que grand bien me faisoit
De voir France que mon coeur aimer doit. »

Dans un tout autre genre de poésie explose le génie de François Villon, étudiant et truand, né l'année où périssait Jeanne d'Arc, disparu au début du règne suivant...

Publié ou mis à jour le : 2024-05-22 14:24:58

Voir les 4 commentaires sur cet article

Christian Griffoul (20-02-2017 14:14:55)

Ces Jouvenel contemporains ne sont pas du tout les descendants des Jouvenel des Ursins. Bertrand de Jouvenel, ami intime d’Otto Abetz (futur ambassadeur du Reich à Paris en 1940) et de Pierre Dri... Lire la suite

Le Glaunec (18-03-2015 17:59:40)

Je suis scandalisé par cette phrase :"C'est une personne mélancolique, sans charme et sans grande intelligence comme l'atteste le portrait du roi adulte, peint par Jean Fouquet.". Ce portrait est fa... Lire la suite

Anonyme (22-02-2011 18:40:28)

s'il fut pusillanime n'était-ce pas à cause de ses propres doutes sur sa légitimité ; voir les soupçons de bâtardise

Respectez l'orthographe et la bienséance. Les commentaires sont affichés après validation mais n'engagent que leurs auteurs.

Actualités de l'Histoire
Revue de presse et anniversaires

Histoire & multimédia
vidéos, podcasts, animations

Galerie d'images
un régal pour les yeux

Rétrospectives
2005, 2008, 2011, 2015...

L'Antiquité classique
en 36 cartes animées

Frise des personnages
Une exclusivité Herodote.net