À la demande de l'avocat Serge Klarsfeld, ancien «chasseur de nazis», le ministre de la Culture a rayé l'écrivain Louis-Ferdinand Céline de la liste des célébrations nationales... Plus discrètement, le ministère a d'emblée évacué des anniversaires qui fâchent : ainsi le cinquantenaire de la manifestation tragique du 17 octobre 1961 est-il passé sous silence.
Cinq ans après l'occultation du bicentenaire d'Austerlitz, l'État poursuit le tri dans la mémoire nationale...
Ce 21 janvier, Frédéric Mitterrand, ministre français de la Culture et de la Communication, a convoqué la presse pour lui présenter le 25e Recueil des célébrations nationales, consacré à l'année 2011. Las, ce fut pour annoncer la mise au pilon de ce précieux document.
La raison ? L'avocat Serge Klarsfeld, ancien « chasseur de nazis », s'est ému d'y trouver le nom de l'écrivain Louis-Ferdinand Céline, mort il y a 50 ans. L'auteur de Voyage au bout de la nuit a chamboulé la littérature française. Il est reconnu à ce titre comme l'un des plus grands romanciers français du XXe siècle. Mais il s'est aussi déshonoré par des écrits et des prises de position d'une violence antisémite hors du commun.
Serge Klarsfeld est une personnalité ô combien respectable et son émotion est compréhensible. Doit-on pour autant effacer Céline de la mémoire nationale ? Cette question en introduit plusieurs autres :
Nul ne songe ni n'a jamais songé à faire de Céline un héros.
Doit-on pour autant l'ignorer ou feindre de l'ignorer, comme si nous étions trop incertains de nos convictions pour oser regarder en face le visage de l'abjection ?
À rebours de cette attitude de confort, j'aurais apprécié pour ma part que l'on profitât du 50e anniversaire de sa mort pour réfléchir, à travers colloques, débats et articles, sur les facteurs mentaux et environnementaux qui ont pu conduire un écrivain exceptionnel, l'auteur de Voyage au bout de la nuit (1932) à se fourvoyer dans des éructations antisémites, Bagatelles pour un massacre (1937).
Ainsi pourrions-nous approcher le mystère du Mal contre lequel aucun d'entre nous ne peut se prétendre immuniser. La lutte contre l'antisémitisme d'hier et d'aujourd'hui aurait sans doute beaucoup plus à gagner à cette clarification qu'à une mesquine censure.
Ne doit-on pas distinguer commémoration et célébration ?
- La commémoration (même racine que mémoire) prend prétexte d'un anniversaire pour faire retour sur un personnage ou un événement heureux ou malheureux, constitutif de la mémoire nationale, sans exclusive.
- On parle de célébration seulement à propos d'une commémoration qui rappelle les mérites d'une personnalité ou les heures glorieuses de la Nation,.
Ainsi peut-on commémorer le bicentenaire de la Terreur et des guerres de Vendée pour les déplorer aussi bien que la prise de la Bastille et la fin de l'absolutisme pour s'en réjouir. Dans ce dernier cas, la commémoration prend la forme d'une célébration festive.
Si l'on s'en tient aux célébrations heureuses, comme il semble que ce soit l'intention de notre ministre, il faudrait que ce soit dans une démarche civique mais présentée comme telle, qui n'ait rien à voir avec une approche historienne ou simplement mémorielle.
Dans ce cas, les auteurs du Recueil des célébrations nationales devraient se restreindre à une poignée d'événements et personnages significatifs et se garder de multiplier les anniversaires au risque d'en diluer la portée et la signification.
Évacuons tout ce qui fâche. C'est la règle à laquelle se plient nos gouvernants, de Chirac à Sarkozy. Il n'est pas sûr que la mémoire et l'Histoire s'y retrouvent.
En 2005, un histrion ayant dénoncé Bonaparte comme le restaurateur de l'esclavage en 1802 (assertion discutable), le Premier ministre Dominique de Villepin, bien qu'amoureux de l'Empereur, a préféré renoncer ipso facto à célébrer le bicentenaire de la bataille d'Austerlitz.
L'affaire se renouvelle avec Céline, censuré sur recommandation de l'Élysée, bien que l'écrivain soit l'un des rares qu'aime à lire le Président de la République.
Plus discrètement, le ministère a d'emblée évacué des anniversaires qui fâchent : ainsi le cinquantenaire de la manifestation du 17-Octobre est-il passé sous silence dans le recueil des célébrations nationales. Le 17 octobre 1961, rappelons-le, le FLN appelle les Algériens de la capitale à manifester le soir devant les grilles de l'Élysée. Il s'ensuit une répression meurtrière de la part d'une police chauffée à blanc par les attentats dont elle a été victime dans les semaines précédentes.
Au train où vont les choses, et le courage de nos gouvernants étant ce qu'il est, on peut s'attendre à ce que l'on débaptise dans les prochaines années les avenues Thiers (le « massacreur de la Commune ») et les écoles Jules Ferry (le promoteur de la « mission civilisatrice » de la France). Quant à Mitterrand (l'autre), coupable d'avoir supervisé la répression en Algérie, il ne perd rien pour attendre.
Tout cela laisse mal augurer du projet de Musée de l'Histoire de France, dont on voudrait qu'il fédère les Français autour de leur Histoire, sans esprit partisan ni censure.
Est-il dans le rôle de l'État, par l'intermédiaire du ministère de la rue de Valois, de décider de ce que l'on doit célébrer ou commémorer ?
Depuis 25 ans, au cœur du vieux Paris, des services ministériels, sous la tutelle bienveillante d'un Haut Comité des célébrations nationales, composent année après année leur liste des célébrations. On peut la consulter librement sur le web. Elle ne manque pas d'intérêt...
En 2011, le Recueil des célébrations nationales distingue Frantz Fanon, Philippe de Commynes, Jean-Pierre Levy etc. Ces célébrations qui, n'en doutons pas, font vibrer les cœurs de chacun d'entre nous, sont accompagnées de notices didactiques. Je vous laisse juger de leur intérêt avec celle qui relate le 800e anniversaire de la cathédrale de Reims.
Mais on peut se demander comment il est possible que les auteurs du Recueil citent le 1er concert de Johnny Halliday, il y a 50 ans, mais oublient le 70e anniversaire du « serment de Koufra » (2 mars 1941), la deuxième grande étape de la France libre après l'Appel du 18 Juin.
Curieuse aussi est la consultation des pages dédiées à l'Europe et au reste du monde, pour lesquelles ont été mobilisés « la délégation au développement et aux affaires internationales du ministère de la Culture et de la Communication, des postes diplomatiques français de l'Union européenne et de la Commission nationale française pour l'UNESCO ».
On y trouve la mort de Lucian Blaga, poète roumain (1961), ou encore la fondation de l'université de Kisangani (Congo, 1961) et bien d'autres anniversaires de cette ampleur. Mais rien sur le centenaire de la République chinoise, le fameux « Double-Dix » (10 octobre 1911), célébré par un milliard d'hommes dans le monde, dont un certain nombre en France. Rien non plus sur Pearl Harbor (1941) ou encore l'indépendance du Bangladesh (1971).
Quand l'État « en faillite » ferme à la volée tribunaux, hôpitaux et casernes, quitte à désertifier un peu plus le monde rural, quand il en vient à brader le patrimoine national, tel l'Hôtel de la Marine, est-il encore pertinent de payer des professeurs émérites et des fonctionnaires de la rue de Valois pour un travail éditorial que les médias dont c'est la spécialité peuvent accomplir à moindres frais, sinon avec plus de discernement ?
Je vous renvoie pour cela vers les pages du site Herodote.net, qui constituent à ma connaissance la synthèse la plus complète sur les anniversaires 2011 : On célèbre cette année... et C'était il y a...
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Deforche Marc (12-02-2012 23:49:18)
Merci de secouer un peu ceux qui prôneraient assez facilement la pensée unique...
Marc Deforche