Impensable ! Deux semaines après la défaite de Sedan, la capture de Napoléon III et la proclamation de la IIIe République, les armées prussiennes atteignent Paris. Le siège de la capitale débute le 19 septembre 1870.
Le même jour, Jules Favre, vice-président du Gouvernement de la Défense nationale et ministre des Affaires étrangères, gagne le château de Ferrières-en-Brie, près de Brie, où le chancelier Bismarck a installé son quartier général. Les deux hommes vont s'entretenir en secret pendant deux jours et le chancelier va faire comprendre à son interlocuteur que la paix devra se payer de la cession de l'Alsace et d'une partie de la Lorraine à l'Allemagne. Ne se résignant pas à cette issue, le gouvernement provisoire va donc relancer la guerre.
Paris affamé
Deux millions d'habitants, de réfugiés et de soldats se voient pris au piège à l'intérieur des 33 kilomètres de fortifications érigées sous l'égide d'Adolphe Thiers trente ans plus tôt. 16 forts ceinturent Paris.
100 000 bourgeois ont fui la capitale mais 200 000 banlieusards l'ont rejointe pour se mettre à l'abri. Près de cent cinquante mille soldats réguliers sont aussi venus la défendre, sous le commandement du général Louis Trochu, assistés de deux cents mille gardes nationaux. Ces derniers n'ont, il est vrai, aucune valeur combattive faute d'entraînement. Ils représentent à peu près toute la population masculine en âge de combattre. Ils se voient remettre une modeste solde de 1,50 franc par jour. Elle ne compense pas, pour beaucoup d'artisans et de commerçants la perte de leur revenu du fait de l'interruption de nombre d'activités.
Paris se voit encercler par 400 000 soldats ennemis. Ceux-ci coupent les voies ferrées et sectionnent le câble télégraphique qui emprunte le lit de la Seine. Les assiégés ne peuvent plus communiquer avec l'extérieur que par pigeons voyageurs et ballons dirigeables.
Le jeune maire de Montmartre, un médecin et journaliste de 29 ans qui a nom Georges Clemenceau affiche le 23 septembre 1870 une proclamation à l'attention de ses concitoyens : « Nous sommes les enfants de la Révolution. Inspirons-nous de l'exemple de nos pères de 1792 et, comme eux, nous vaincrons. Vive la France ! Vive la République ! ». Cette référence à la Grande Révolution va nourrir les espoirs les plus fous au sein du peuple parisien, composé pour l'essentiel d'artisans, ouvriers et boutiquiers. Dans le reste du pays, cependant, bourgeois et paysans vont dans leur grande majorité aspirer à faire la paix et tourner la page au plus vite.
Le 7 octobre, le fougueux Gambetta, ministre de l'Intérieur, quitte Paris à bord d'un ballon. Sitôt à Tours, il organise l'armée de la Loire en vue de secourir la capitale et de mener une « guerre à outrance ». Son initiative recueille quelques éphémères succès mais elle inquiète les populations rurales qui aspirent au retour de la paix. Les troupes hâtivement rassemblées par Gambetta vont être sans trop de difficultés battues par les Prussiens.
Pendant ce temps, à Paris, les combattants ne veulent pas rester inactifs. 300 francs-tireurs occupent sans coup férir le village du Bourget, au nord de la capitale. Mais les Allemands lancent une furieuse riposte le 30 octobre et, faute de renforts, les francs-tireurs doivent capituler.
Les Parisiens, déjà éprouvés par un siège impitoyable et un hiver qui s'annonce des plus rigoureux, apprennent la nouvelle en même temps que la reddition honteuse de l'armée de Bazaine, à Metz, le 27 octobre. Ils ressentent avec rage cette trahison et leur impuissance à desserrer l'étau prussien.
Le 31 octobre, des gardes nationaux investissent l'Hôtel de Ville où siègent quelques membres du gouvernement de la Défense nationale aux cris de « À bas Trochu ! Pas d'armistice ! Guerre à outrance ! » Monté sur une table, le jeune savant et révolutionnaire Gustave Flourens (32 ans) appelle même à la création d'un nouveau gouvernement. Des clubs et des comités révolutionnaires commencent à se former dans la ville et d'aucuns évoquent « La Patrie en danger », manière de rééditer la Grande Révolution 80 ans après.
Pour ne pas donner à l'ennemi le spectacle de ses divisions, le gouvernement promet des élections municipales et celles-ci conduisent à l'election de l'un des siens, Jules Ferry, comme maire de Paris le 15 novembre.
Le calme revient mais les difficultés n'en finissent pas de croître. Les autorités municipales ouvrent des boucheries municipales et dès le 26 octobre, n'octroient plus que 50 grammes de viande par jour à chaque habitant. Cela est encore trop !
Dès le mois de novembre, incapables de mettre en place un rationnement efficace ou de lutter contre la spéculation, elles n'ont plus de viande à distribuer. Les Parisiens se voient contraints d'envoyer à la boucherie les animaux du Jardin des Plantes, les deux derniers étant les éléphants Castor et Pollux, sacrifiés les 29 et 30 novembre. Cette « viande de fantaisie » régale les plus riches. Les autres, moins chanceux, en viennent à manger des rats, vendus au prix de deux francs-or pièce.
Le maire Jules Ferry, en charge du ravitaillement, y gagne le surnom de « Ferry-Famine »... Et voilà le mois de décembre avec des températures de -5°C à -20°C ! Disette et froid vont causer la mort d'environ 40 000 Parisiens.
Paris meurtri
Sous la pression de Gambetta, le général Trochu effectue une sortie en force du 30 novembre au 2 décembre à Chamigny. Elle échoue. Une deuxième sortie au Bourget le 21 décembre n'est pas plus heureuse.
Pour ne rien arranger, le roi de Prusse se laisse convaincre par Bismarck de bombarder les forts à partir du 27 décembre 1870 puis la capitale elle-même à partir du 5 janvier 1871. Il s'ensuit la destruction d'un millier de maisons et d'édifices publics, surtout sur la rive gauche, ainsi qu'une centaine de morts et quelques centaines de blessés. Les Prussiens utilisent une nouvelle arme, un gigantesque canon Krupp qui avait été présenté à l’Exposition universelle de Paris, trois ans plus tôt ! Sinistre prélude aux guerres du XXe siècle.
Adolphe Thiers (73 ans), vieux député conservateur doté d'un très grand prestige, entreprend une tournée des capitales européennes en vue d'obtenir une intervention militaire en faveur de la France. Il se heurte partout à un refus poli... au grand soulagement du chancelier Bismarck. Les 10 et 11 janvier 1871, l'armée de la Loire commandée par le général Alfred Chanzy est défaite à la bataille du Mans. Pour la majorité du gouvernement, il est clair, désormais, que toute résistance est inutile.
Pour satisfaire toutefois les meneurs révolutionnaires qui menacent de se rebeller, on accepte le principe d'une dernière attaque. 90 000 Parisiens tentent dans un effort désespéré une « sortie torrentielle » à Buzenval, le 19 janvier 1871, sous la protection de l'artillerie du fort du Mont-Valérien. Elle s'achève par une piteuse retraite. 4 000 hommes y laissent la vie. Le gouverneur militaire de Paris, le général Trochu, démissionne deux jours plus tard en préconisant rien moins qu'une humiliante capitulation. Il restera de lui le mot cinglant de Victor Hugo : « Participe passé du verbe Tropchoir » (L'Année terrible).
À Saint-Pétersbourg, le tsar Alexandre II accueille avec une secrète jubilation les nouvelles de France, qu'il avait prévues. Il y voit la rançon de son humiliation dans la guerre de Crimée et des leçons prodiguées par les Français à son endroit à propos de la Pologne.
L'armistice est finalement signé par Jules Favre le 28 janvier 1871 pour une durée de quatre semaines. Bismarck veut ainsi donner le temps aux vaincus d'élire une assemblée nationale. Il a besoin en effet que le traité de paix définitif soit entériné par une autorité légitime afin de ne pas être plus tard contesté. C'est pour Paris la fin d'un siège de 138 jours mais la population cultive l'amertume d'avoir souffert pour rien et d'avoir été trahie...
Dix jours plus tôt, le 18 janvier, les envahisseurs ont proclamé triomphalement l'Empire d'Allemagne dans la Galerie des Glaces de Versailles.
Le 8 février, les élections générales amènent à la nouvelle Assemblée nationale une majorité favorable à la paix. Les ruraux des provinces, peu au fait du siège de Paris et des événements militaires, manifestent massivement leur volonté d'en finir au plus vite avec la guerre en reportant leurs suffrages sur les notables. C'est ainsi que se révèle à l'Assemblée une majorité écrasante de monarchistes avec 400 députés royalistes, 200 républicains et 30 bonapartistes ! Pas moins d'un élu sur trois est noble ! Mais les députés royalistes sont divisés entre partisans du comte de Paris, petit-fils de Louis-Philippe 1er, du comte de Chambord, petit-fils de Charles X, et de Napoléon III, empereur déchu.
Paris étant entourée de troupes allemandes et trop agitée au goût de l'Assemblée nationale, celle-ci se réunit le 12 février 1871 au Grand Théâtre de Bordeaux. Le gouvernement de Trochu lui remet sa démission et, le 17 février, l'Assemblée désigne Adolphe Thiers comme « chef du gouvernement exécutif de la République française » en attendant de statuer sur la nature du régime futur : monarchie ou république. C'est le « pacte de Bordeaux ».
Ce dédit par rapport aux proclamations du 4 septembre est une gifle pour les Parisiens qui, sur 43 députés, ont élu trente-six républicains hostiles à la paix, dont Louis Blanc, Victor Hugo, Léon Gambetta, Giuseppe Garibaldi, Henri Rochefort, Félix Pyat, etc.
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