La médecine occidentale

De la trépanation à la biotech

L'espérance de vie dépasse aujourd'hui 80 ans dans les pays les plus avancés. Mais il y a deux siècles, elle était partout inférieure à 40 ans cependant que la moitié des nouveau-nés étaient voués à une mort prématurée.

Cet immense bond en avant est en premier lieu dû aux progrès de la médecine et de l'hygiène. C'est le fruit de recherches tâtonnantes entamées il y a plusieurs millénaires avec les premières trépanations et le recours aux plantes médicinales mais aussi jalonnées d'erreurs et de régressions.

Face aux défis de l'ère post-industrielle et à l'émergence de nouveaux risques sanitaires et environnementaux, médecins et scientifiques auront encore besoin de beaucoup d'intelligence et de pragmatisme pour consolider les acquis du passé !

La leçon d'anatomie ou Aristote enseignant au milieu de ses disciples, fresque de la catacombe de la Via Latina à Rome, IVe siècle.

Le caducée de la médecine

Le latin nous a légué le mot. Medicina signifie à la fois l’art de guérir et le remède. La médecine est donc simultanément un art, au sens de la pratique, et la « science » de la santé, au sens contemporain d’une discipline composée d’un ensemble de connaissances fondées sur une méthodologie à valeur universelle.

Statue d'Asclépios du sanctuaire d'Épidaure, copie d'un original du IVe s. av. J.-C., musée national archéologique d'Athènes. En agrandissement, le logo de l'Organisation mondiale de la Santé.Un objet du passé symbolise aujourd’hui encore la pratique : le bâton d’Esculape. Cet attribut hérité de l’Antiquité grecque représente un serpent s’enroulant sur un bâton.

Drôle de symbole ! Selon une première légende, le dieu grec Asclépios (Esculape chez les Romains) tendit son bâton autour duquel un serpent s’enroula. Il tua la bête mais un second serpent apparut et ressuscita le reptile à l’aide d’une herbe mystérieuse. La vertu médicinale des herbes aurait ainsi été révélée !

Selon une autre légende, le symbole serait une représentation du traitement traditionnel de la dracunculose, une douloureuse maladie de la peau dont les abcès sont infestés… d’un ver pondeur ! Il en est extrait à l’aide d’un bâtonnet, autour duquel il s’enroule.

Le bâton d'Esculape, repris comme emblème par l’Organisation Mondiale de la Santé, ne doit cependant pas être confondu avec le caducée d’Hermès (Mercure chez les Romains), autre dieu grec ayant pour attribut un bâton, mais cette fois avec deux serpents enroulés et symbolisant le commerce et l’éloquence.

Esculape découvrant la bétoine dans De ponderibus medicinalibus, Pseudo-Hippocrates latinus, Epistola ad maecenatem, Antonius Musa, Epistola de herba vetonica, XIe s., Paris, BnF.

L’ère du silex

L’histoire non écrite n’est pas facile à interpréter. Bien que l’on puisse apprendre beaucoup de l’étude des dessins, des ossements et des outils des premiers humains, il est difficile de saisir leur attitude face aux problèmes de santé. Il semble probable que l’usage des végétaux se soit généralisé par un processus d’essais et d’erreurs distinguant les plantes alimentaires, toxiques et médicinales.

Chamane dansant, grotte des Trois-Frères (Pyrénées), Magdalénien (17 000 à 12 000 avant J.-C.).La médecine populaire ou la médecine domestique, qui utilise les ressources de la nature, est née de cette manière et persiste encore. Mais ce n’est pas tout.

Si les maladies communes comme le rhume ou la constipation font partie de la vie courante et sont traitées par des herbes, il semble que les maladies graves et invalidantes soient classées dans une catégorie très différente : d’origine surnaturelle, résultat d’un sort, d’un démon malveillant ou l’oeuvre d’un dieu offensé, elles nécessitent l’intervention de sorciers ou de magiciens.

Ces chamanes (dico) servent d’intermédiaire entre le tangible et l’invisible, et ôtent l’intrus maléfique par des contre-sorts, des incantations et des danses comme le montre la peinture d’un danseur à la tête de cerf, dans la Grotte magdalénienne des Trois-Frères (Pyrénées), des potions ou d’autres moyens.

Dès le Néolithique, nos ancêtres maîtrisaient une pratique chirurgicale étonnante : la trépanation des crânes ! Cette curieuse méthode consiste à faire un trou, de 2,5 à 5 cm de diamètre, dans le crâne. Elle s'observe aussi bien en Grande-Bretagne qu'au Pérou ou dans le reste de l'Europe.

En 1874, sous un dolmen en Lozère, le docteur Prunières découvre une rondelle crânienne. Animés par la passion de l’archéologie naissante et de la « crâniomanie », de nombreux chercheurs exhument alors d’autres crânes perforés, particulièrement abondants dans la région des Grands Causses et dans la vallée du Tarn. Pas moins de 213 exemples y sont exhumés, sur les 258 connus en France !

Crâne avec double trépanation Hypogées de la Marne, IIIe millénaire avant J.-C., DR.Dans ces sépultures néolithiques, en moyenne un crâne sur 25 est trépané ! Bien évidemment, l’opération est rudimentaire : on utilise un silex pour faire la besogne, ce qui n’est ni pratique ni agréable pour le patient ! Quelques fois, un même individu est trépané deux ou trois fois avec succès : les deux trépanations du crâne de l’Hypogée de la Marne, en 3 000 avant J.-C., indiquent une régénération de l’os. Le patient a donc survécu. Sans doute le chirurgien était-il doué, le patient robuste et docile, ou les deux !

L’acte était-il religieux ou thérapeutique ? Le doute subsiste, mais on ne peut écarter l’hypothèse que l’homme préhistorique attribuait déjà au cerveau l’origine de certains maux.

Des rives de l’Euphrate à celles du Nil

Les premières preuves écrites d’une certaine pratique de la médecine ont été découvertes en Mésopotamie. Plus précisément sur une stèle retrouvée entre le Tigre et l’Euphrate et datant de 1 750 avant notre ère. Cette stèle est aujourd’hui exposée au Louvre : c’est le code d’Hammourabi.

La stèle ou code d’Hammourabi, gravée en cunéiforme, Paris, musée du Louvre. Parmi les 300 articles juridiques qui la recouvraient, une douzaine fixaient les règles la pratique de la médecine et de la chirurgie.

Dans ce long texte à la gloire du souverain, écrit en akkadien grâce au procédé cunéiforme d'écriture, il est fait mention de spécialistes nommés asûm, (médecins, chirurgiens ou physiciens) guérissant par des remèdes tandis que des exorcistes, les ašīpum, procèdent à des rituels magiques pour obtenir la guérison.

Comme c’est avant tout un texte juridique, les honoraires et les condamnations qu’encourent un médecin malhabile y sont consignées. Les tarifs des praticiens sont encadrés en fonction du type d’opération, et les châtiments en cas de faute sont clairement indiqués. Mais tout dépend du statut du patient !

Un médecin ayant causé une blessure grave ou conduit un notable au trépas aura la main coupée. Il n’en est pas de même pour un malade moins nanti : un esclave décédé sera tout simplement remplacé au frais du praticien. Et pas de vétérinaire : le médecin-chirurgien soigne tous les vivants, humains ou animaux !

Les deux molaires de Gizeh. Hildesheim (Allemagne), RÅ“mer Pelizaeus Museum ©BiuSanté-ParisDescartes.La médecine des Égyptiens jouit également d’une incontestable renommée, dont on trouve des traces chez Homère et Hérodote, qui note d’ailleurs que « l’art de la médecine est chez eux très divisé. Tout le pays abonde en médecins. Quelques-uns soignent les yeux, les autres la tête, d’autres les dents, d’autres les intestins, d’autres les maladies invisibles… »

On sait que les Égyptiens ont utilisé des prothèses dentaires. À Gizeh, dans un tombeau datant de 2 500 - 2 400 avant J.-C, deux molaires ont été retrouvées. Elles étaient ingénieusement reliées entre elles par un fil d’or, dans l’intention de donner un soutien à une dent mobile grâce à une voisine bien implantée.

D’autres tombes ont révélé des prothèses sculptées dans l’ivoire d’hippopotame ou le bois de sycomore, preuve que les anciens notables égyptiens prenaient soin de leurs quenottes !

Papyrus Edwin Smith, partie portant sur les traumatismes faciaux.L’Égypte des pharaons nous a également légué une quinzaine de documents comme le papyrus Edwin Smith, considéré comme le plus ancien document de chirurgie connu à ce jour. Il traite essentiellement d’actes médicaux de guerre. Et c’est là un paradoxe : hormis sur les champs de bataille, la chirurgie égyptienne est peu développée.

Surprenant ? Peut-être pas : dans une civilisation qui porte un intérêt majeur à la vie après la mort, la dissection des corps était sans doute moins importante que leur préservation en vue de leur transformation en momies !

L’Antiquité grecque et romaine : de la méthode et des dieux

L’enseignement officiel de la médecine se structure à l’époque hellénistique (dico), avec la fondation de la bibliothèque d’Alexandrie et de son musée, vers 285 avant J.-C. La somme des connaissances et des traités de médecine de toute la Méditerranée orientale et les anciennes pratiques ancestrales égyptiennes y sont conservées.

Pourtant, les conceptions conjuratoires et sacerdotales persistent. Le dieu Asclépios est invoqué, les amulettes protectrices sont d’usage ainsi que les incantations et l’interprétation de songes dans les temples. Ainsi, la stèle votive du Musée du Pirée représente une scène « d’incubation », un rituel qui consiste à s’endormir dans un temple afin que le dieu vienne en rêve diagnostiquer la maladie et indiquer le remède approprié. Des prêtres interprètent alors ces rêves pour les traduire en ordonnance.

Stèle votive en marbre, provenant de l’Asclépieion du Pirée, IVe siècle avant J.-C. musée du Pirée.

Mais, à côté de ces usages, la pratique rationnelle et méthodologique de la médecine trouve son point de départ : observation et interrogatoire du malade, examen physique, usage de la raison et formulation d’un diagnostic.

La médecine grecque se mêle aussi à d’autres disciplines, notamment philosophiques. Pour Aristote, trois catégories de personnes sont habilitées à réaliser les actes de santé : le praticien (δημιουργός / dêmiourgós, désignant étymologiquement celui qui travaille pour le peuple, un artisan), le professeur de médecine ou médecin savant (ἀρχιτεκτονικός / arkhitektonikós en référence à celui qui dirige), et l’homme cultivé qui a étudié la médecine au cours de son cursus général.

Pour le citoyen grec, assister aux consultations n’est pas étonnant. Le médecin, contrairement à nos jours, n’est jamais seul avec le patient : l’entourage est présent, ainsi que d’éventuels curieux et parfois même d’autres confrères qui s’immiscent dans l’établissement du diagnostic. Et contrairement au praticien mésopotamien, le mauvais médecin grec ne perd que sa réputation !

Fresque murale représentant Galien et Hippocrate, XIIe s., Anagni, Italie. En agrandissement, manuscrit byzantin présentant le Serment d’Hippocrate sous la forme d'une croix, XIIe siècle.

La médecine selon Hippocrate (460-377 avant J.-C.)

Hippocrate, facsimile du buste du British Museum (Londres). L'agrandissement présente un buste antique d'Hippocrate, Rome, musée du Capitole.Quelle renommée, cet Hippocrate ! Issu d’une famille attachée au culte d’Asclépios, grand compilateur des traditions antérieures, il a donné son nom au fameux serment. L’histoire lui attribue plus de 60 traités, Corpus hippocraticum, en réalité rédigés par des disciples et d’autres médecins.
Selon ces textes, la maladie est un processus associant les quatre humeurs : sang, bile jaune, bile noire, lymphe, correspondant aux quatre éléments : feu, air, terre, eau, et aux qualités : sec, chaud, froid, humide. D’autres thérapeutiques « nouvelles » y sont préconisées, comme les saignées, les purgatifs, les règles d’hygiène, l’exercice physique et le régime alimentaire.
Au demeurant, qui ne connaît pas l'une de ses plus célèbres maximes : « Que ton aliment soit ta seule médecine ». Un conseil toujours bon à appliquer !

Les Romains héritent des découvertes grecques ainsi que des bénéfices de l’autorisation exceptionnelle de la dissection sous Ptolémée II (265-247 avant J.-C.). Nombreux, surtout en milieu urbain, les praticiens sont souvent spécialisés et disposent d’instruments perfectionnés : le chirurgicus et le medicus (ou la medica, car les femmes exercent la profession) savent réduire les fractures, soigner les plaies et même opérer la cataracte !

Intervention chirurgicale sur Énée, fresque romaine, Ier siècle, musée archéologique de Naples. Agrandissement : double scalpel en bronze, Bruxelles, musée de la médecine.Le monde romain apparaît ainsi comparable au nôtre, aussi par le souci de l’hygiène du corps, de la salubrité des villes ou de la qualité de l’eau.

Galien, né dans la cité grecque de Pergame au IIe siècle après J.-C. et devenu médecin des empereurs romains, est après Hippocrate la plus grande figure de la médecine antique. À Rome, il ouvre un cours public dans le temple de la Paix où se pressent les plus hauts personnages de la cour impériale. La tradition raconte que c’est devant cet auditoire qu’il ligature les cordes vocales de chèvres vivantes, démontrant ainsi le fonctionnement de la voix, et qu’il dissèque chiens, porcs et même un éléphant ! 

En Occident, ses études anatomiques sur les animaux et ses observations sur les fonctions du corps humain dominent la théorie et la pratique médicale jusqu’à la Renaissance.

Quelle longévité ! Elle s’explique par la conviction de Galien de l’existence d’un dieu unique, créateur du corps humain. Ainsi, pendant longtemps, s’opposer à Galien signifie s’opposer à l’Église. D’où son influence quasi-constante pendant près de 1400 ans !

Malgré tout, quand la science se révèle impuissante, on s’en remet aux dieux. Esculape, dieu de la médecine, et sa fille Hygie, déesse de la santé... et de l'hygiène, sont représentés sur le relief du musée du Louvre qui les montre entourés de deux énormes serpents. Finalement, pour les Romains comme pour les civilisations de l’Antiquité, pourquoi choisir entre raison et croyances ?

Relief représentant Asclépios et Hygie, Leiden, Pays-Bas, Rijksmuseum van Oudheden. En agrandissement, Asclépios et Hygie entourés de serpents, Paris, musée du Louvre.

Abracadabra… La fièvre disparaît !

Vous avez de la fièvre ? À en croire un poème de Serenus Sammonicus, médecin romain du IIIe siècle, l’utilisation de la formule incantatoire « Abracadabra » est redoutablement efficace !
La formule Abracadabra. L'agrandissement montre une une croix talisman, VIe-VIIe siècle, Burgondie franque, Lausanne, musée cantonal d’archéologie et d’histoireIl conseille aux malades atteints de demi-tierce (la fièvre la plus dangereuse à l’époque) d’écrire la formule magique sous la forme d’un cône inversé, de la répéter autant de fois qu’elle comporte de lettres en retranchant une à chaque ligne, puis de porter l’incantation en amulette autour du cou. Le principe guérisseur de ce mot, dont on retrouve différentes étymologies possibles sans que personne ne sache réellement quelle en est l’origine, perdurera durant des siècles.
Ainsi, une croix talisman mérovingienne découverte en Burgondie franque est ornée d’une inscription apparentée à « Abracadabra ». Siècle après siècle, la formule magique perdure comme un symbole de protection…
Bien sûr, les magiciens d’aujourd’hui disent encore « Abracadabra ! » avant de faire apparaître un lapin dans un chapeau ou de transformer un foulard en colombe. Mais l’incantation ne vous sonne-t-elle pas autrement familière ? Rien d’étonnant : nous la retrouvons sous la plume de Victor Hugo (Correspondance, 1853), de Théophile Gautier (Le Capitaine Fracasse,1863) et, plus proche de nous, l’auteure de la saga Harry Potter, J.K. Rowling s’en serait inspirée pour créer son sort le plus redoutable, le fameux avada kedavra qui permet de tuer instantanément son adversaire !

Le moine et le barbier

Il est parfois dit que l’Église médiévale aurait eu un effet négatif sur le progrès médical, la maladie ayant été considéré par certains clercs comme la punition d’un péché réclamant prière et repentance. De plus, le corps humain a longtemps été considéré comme sacré et la dissection condamnée, ce qui a longtemps entravé les recherches scientifiques. Il n'empêche que les soins charitables accordés aux malades et aux nécessiteux, au sein des hôtels-dieux et des dispensaires, ont beaucoup contribué à atténuer et soulager la souffrance humaine...

Hippocrate examinant le contenu d'un urinal, manuscrit byzantin, Paris, BnF. L'agrandissement montre un clerc médecin examinant une fiole d’urine et prenant le pouls d’un malade. Recueil de médecine, Avignon, IRTH.Au sein des abbayes, les moines se consacraient à la traduction des textes antiques ou à de nouvelles compilations.

Les religieux se firent aussi souvent apothicaires et par exemple s'exercèrent à l'observation des urines. À chaque maladie, son saint guérisseur.

La médecine médiévale, essentiellement monastique, fut redevable aux savoirs du passé, aux influences arabes (Rhazès et Avicenne notamment, mais sans influence réciproque de la médecine chinoise !) et développe les connaissances en pharmacopée.

Ainsi, jusqu’au milieu du Moyen Âge, la pratique médico-chirurgicale est l’apanage des religieux. Mais l’Église se rend compte que les gens viennent voir les prêtres davantage pour le salut de leur corps que pour celui de leur âme. Rien ne va plus ! À l’issue du concile de Tours (1163), le décret « L’Église hait le sang » est publié. Et la conséquence est sans appel : la pratique de la chirurgie est interdite aux membres du clergé.

Détenteurs de lames bien aiguisées, les barbiers s’engouffrent dans l’exercice de la discipline. Ils pratiquent les saignées, crèvent les abcès, pratiquent des amputations... sous les instructions des docteurs en médecine. Ceux-ci sont formés dans l’une des 80 universités créées à travers tout le continent européen, à l'image de la faculté de Montpellier. Plusieurs sont dotées de facultés de médecine et de chirurgie s’inspirant de l’École de Salerne, fondée au IXe siècle près de Naples. L’approche y est pluridisciplinaire : à la philosophie, l’astrologie et l’alchimie s’ajoute la théorie par l’étude encyclopédique, de Galien surtout. Elle est doublée de la pratique de la dissection d’animaux.

Page de garde du Viandier, Guillaume Tirell dit Taillevent, Paris BnF. En agrandissement, La gastronomie médiévale : viande salée et séchée, Paris, BnF.Le Moyen Âge est toujours marqué par la persistance des théories antiques des humeurs, mais aussi par l’absence de frontière nette entre alimentation et médicament. De nombreux réceptaires culinaires indiquent des principes diététiques et les manuscrits médicaux régissent la manière de se nourrir.

Dans le Viandier de Taillevent, par exemple, « versuse […] est viande merveilleusement saine, principalement en este, et fort plaisante, nourrist aussi bien grandement, refraiche le foye et reprimist la colere » souligne l’analogie entre la couleur d’une sauce jaune et ses vertus hépatiques ! À l’inverse, les livres de plantes médicinales (les fameuses « simples ») d’Hildegarde de Bingen sont parfois de véritables recettes de cuisine…

La medica, femme-médecin

La pratique et l’étude de la médecine au Moyen Âge est loin d’exclure les femmes, bien au contraire !
Une femme médecin, peut-être Trotulla de Saterne, Miscellanea medica XVIII, Londres, Wellcome Library, XIVe siècle.Trotula, au début du XIe siècle, figure parmi les nombreuses étudiantes de l’École de Salerne et devient une medica, une femme médecin, spécialisée en gynécologie et à la réputation internationale. Elle accueille et soigne les malades venus de toute l’Europe pour bénéficier de ses soins dans l’infirmerie salernitaine.
Saint Louis lui-même, lors de la VIIe croisade en Terre Sainte, se fait accompagner de France Magistra Herstrend, une « chirurgienne » en charge de le soigner ainsi que la reine et toutes les femmes accompagnant les croisés. Elle recevra une rente à vie pour services rendus et épousera un apothicaire du roi.
La présence féminine dans la sphère médicale se réduit à partir de la fin du XIIIe siècle, alors que l’exercice de la médecine est soumis à l’obtention d’un doctorat. L’université étant exclusivement réservée aux hommes, elles sont exclues de facto du métier. L’injonction est pourtant transgressée, et plusieurs femmes continuent d’exercer, notamment dans les villes.
Les choses s’arrêtent brusquement au terme du procès de Jacqueline Félicie de Almania, débuté en 1322. L’interdiction de pratiquer la médecine sous peine d’excommunication fait jurisprudence. Les femmes sont dès lors cantonnées aux métiers d’infirmières et de sages-femmes jusqu’en 1875, quand Madeleine Brès devient la première Française des temps modernes obtenant un doctorat de médecine.

Les Carmélites à l'infirmerie. Une saignée (détail), Guillot, Saint-Denis, musée d'Art et d'Histoire, école française du XVIIIe siècle.

Entre conservatisme et (r)évolutions scientifiques

De l’époque de Montaigne à celle de Balzac, la médecine connaît un spectaculaire dynamisme même si la théorie antique des quatre humeurs perdure longtemps. Tout déséquilibre entraîne des « sautes d'humeur » menaçant la santé.

Pour soigner le patient, on use de purges, de lavements ou de régimes. Surtout, les saignées sont considérées comme une panacée : on croit à cette époque que le sang est produit en continu par le foie et que le corps en contient 20 litres ! Pour combattre le mal, il faut l’évacuer par d’abondants saignements provoqués d’un coup net de plume vaccinostyle (ou lancette) dans le bras.

On saigne à peu près pour n’importe quel motif : du nourrisson au vieillard, la pratique est censée venir à bout de bien des maux. Quitte à la répéter de manière hebdomadaire ! Quelle que soit la pathologie, on imagine aisément l’affaiblissement qui s’ensuit ! Ainsi croît-on qu’elle facilite la percée des dents chez le bébé, qu’elle adoucit les grossesses et rend l’accouchement moins douloureux, ou soigne des maladies contagieuses.

Pour le doyen de la faculté de Paris, Guy Patin (1602-1672) : « Il n’y a point de remède au monde qui fasse autant de miracles. J’ai fait pour ma part, saigner douze fois ma femme pour une seule pleurésie, vingt fois mon fils pour une fièvre continue, et moi-même sept fois pour un rhume ». La duchesse de Bourbon, fille de Louis XIV, est saignée à quatre reprises pour soigner la vérole, surnommée la « mort rouge », dont elle est atteinte.

Abraham Bosse, La Saignée, 1632, Paris, BnF, Gallica.

Le marquis de Sourches raconte, avec le plus grand sérieux, que le médecin de la cour de Versailles tente une saignée pour soigner le nez ensanglanté d’un courtisan malencontreusement heurté par un comparse un peu trop empressé à saluer le roi... Curieuse idée pour notre conception contemporaine des soins !

Si les « remèdes de bonne femme » sont toujours utilisés, l’étude anatomique devient essentielle. La dissection est encouragée par une nouvelle curiosité portée au corps humain et, contrairement à ce que l’on croit souvent, l’Église ne l’interdit pas ! La pratique est déjà attestée dans l’Italie du XIIIe siècle, dans un cadre strictement légal d’autopsies judiciaires ou universitaires. Les assistants disséquaient tandis que le maître fait lecture des textes antiques afin de visualiser et corriger d’anciennes observations.

À Paris, dès 1576, quelques corps de condamnés du Châtelet ou de la Conciergerie parviennent au Doyen pour les cours de dissection. Mais cela reste occasionnel, et les étudiants du royaume apprennent davantage leur futur métier dans les livres que par la pratique.

Portrait d'André Vésale, Pierre Poncet, XVIe siècle, Orléans, musée des Beaux-Arts. L'agrandissement montre une planche d'écorché debout de Calcar dans le traité d'André Vésale, XVIe siècle.À cette époque, ni l’hôpital, ni l’université ne sont au cœur de la recherche et de l’innovation. Celles-ci sont le fait de quelques courageux bénéficiant de l’appui de personnalités de haut rang, qui leurs accordent leur protection morale et leur soutien matériel. Leur motivation tient donc à la fois du souci de justifier ces appuis et du désir de se faire une renommée parmi ses contemporains.

Dans ce contexte de renouveau, certains travaux se démarquent. André Vésale, originaire de Bruxelles, se forme à Louvain, à Montpellier et à Paris avant de partir à Padoue. Rompant avec la tradition, Vésale tient lui-même le bistouri et identifie des erreurs de Galien. Il publie le De Humani corporis fabrica libri septem, avec pour illustrations des œuvres de l’école du Titien supervisées par l’anatomiste lui-même !

L’évolution scientifique de la Renaissance touche aussi à l’alchimie, avec Paracelse. Quel étrange personnage pour son époque ! Critiquant les auteurs anciens, il défend une vision médicale fondée sur les liens entre l’homme et le cosmos. Rejetant l’antique théorie des humeurs, la maladie résulte selon lui d’un dysfonctionnement d’organe. Père de la toxicologie, il préconise l’utilisation du semblable en thérapeutique et établit son désormais célèbre : « C’est la dose qui fait le poison ».

Les observations zoologiques d'Antoine van Leeuwenhoek à l'aide de son microscope (voir agrandissement), 1682, BEIC, Italie, Milan.

Alors que les savoirs progressent grâce à Galilée, Newton et Descartes, les connaissances sur l’embryon font de spectaculaires avancées et les globules rouges sont observés pour la première fois par un drapier, Antoine van Leeuwenhoek, avec un microscope qu’il a lui-même fabriqué à partir d’une lentille en verre et de deux plaques de métal. Le modèle est peu pratique, mais permet un grossissement de 70 à 250 fois.

Edward Jenner vaccinant son propre fils contre la variole, bronze de Giulio Monteverde, 1873, Gênes, musées de Nervi.À l’entrée de l’Europe dans les Lumières, l’antique doctrine des humeurs n’est plus qu’un lointain souvenir. La diffusion du savoir est assurée par les académies de sages, comme l’Académie Royale des Sciences à Paris (1666) ou la Société Royale de Londres qui l’a précédée (1663).

C’est l’époque de la compréhension du système respiratoire, des premières transfusions d’animal à animal, puis d’animal à l’homme (elle fut vite interdite par les autorités en raison de son danger !). Peu après, ce seront les découvertes d’Édouard Jenner sur la variole et des premiers vaccins.

En France, l’Édit royal de Marly du 18 mars 1707, le premier grand texte de santé publique, réorganise les études et la pratique de la médecine, en ayant pour vocation d’« empêcher que des personnes sans titre et sans capacité ne (continuent) d’exercer la médecine sans y apporter souvent d’autre dispositions que l’Art criminel d’abuser de la crédulité des Peuples ». Un constat que Molière n’aurait certainement pas renié !

Molière et les médecins

Ignares, charlatans, cupides… il ne fait pas bon être médecin sous la plume de Molière. Le dramaturge se moque des pratiques de son temps et de l’emprise de faux savants se gargarisant de la connaissance du latin, s’exprimant de manière pédante tout en imposant des remèdes au mieux inefficaces ou pire, néfastes !
Que ce soit Sganarelle dans Le médecin volant et Le médecin malgré lui, les célèbres Purgon et Diafoirus dans Le malade imaginaire, ou même le personnage du savant « trois fois sot » Trissotin dans les Femmes savantes, il faut avouer le caractère comique du personnage du docte. Le corps enveloppé dans sa grande robe noire, le cou ceint d’une large fraise et la tête couronnée d’un bonnet pointu, tenant quelques documents d’auteurs anciens ou brandissant une seringue à clystère, on le soupçonne volontiers d’être de connivence avec l’apothicaire ou courtisan des riches.
Molière, Le médecin malgré lui, Paris, BnF, Gallica.La caricature cynique se construit sur une réalité existante et révèle l’image que les contemporains se font de ceux à qui ils confient leur santé. L’histoire personnelle du Maître, tel qu’il est dénommé par les membres de sa troupe de théâtre, n’y est sans doute pas étrangère. Songeons-y : le décès de sa mère alors qu’il n’a que 10 ans, certainement saignée à de multiples reprises par ses médecins, la perte de deux enfants et bien sûr l’incurable angine de poitrine, dont le fameux malaise ne l’empêchera pas de terminer sa pièce sans que le public ne se doute da la triste ubiquité. Engagé par la nature même de ses personnages, il compte pourtant parmi ses amis le docteur Armand Mauvilain.
Ce dernier est un original pour l’époque, qui préconise l’usage de « médecines douces » telles que la musique, le chant, la danse. Sa vision des choses, peu commune, lui valut d’ailleurs d’être rejeté de l’Académie de médecine par deux fois ! Mauvilain n’a donc pas de point commun avec les médecins caudataires qui prennent vie sous la plume de son ami auteur. De fait, Molière pourrait être l’ancêtre du « e-patient », ne racontant pas la maladie sur les réseaux sociaux ou les forums du net, mais dans ses pièces de théâtre !

Laënnec à l'hôpital Necker ausculte un phtisique devant ses élèves avec un stéthoscope, Péristyle en Sorbonne, toile de Théobald Chartran, XIXe siècle. L'agrandissement montre une peinture de Robert A. Thom, Laennec and the Stethoscope, 1952, illustrant A History of Medicine in Pictures, collection of the University of Michigan.

L’essor de la médecine moderne

Au XIXe siècle, tout s’accélère. Les tests de laboratoire complètent l’examen anatomo-clinique et de nouvelles techniques et technologies voient le jour. Le stéthoscope complète la besace du médecin. Il n’est, à l’origine, qu’un simple cylindre en bois !

Grâce à ce type de nouveau outil, la recherche progresse vite ! Sous les lentilles des microscopes, les cellules sont au coeur de la recherche. Le phénomène de leur production est identifié, et avec lui leur rôle tant dans le développement de l’embryon que dans celui des tumeurs. On découvre les chromosomes, de même que les bacilles de la tuberculose ou le vibrion du choléra.

L'un des premiers stéthoscopes. En agrandissement, stéthoscopes et poumons, René-Théophile-Hyacinthe Laennec in De l’auscultation médiate.... 1819.

C’est le temps de la médicalisation de la société avec la naissance du concept de santé publique et des hommes illustres : Magendie, Bernard, Pasteur, Koch,… La plupart donneront d’ailleurs leurs noms aux hôpitaux parisiens. L’hygiène personnelle et, par extension, la santé s’améliorent. Des soins de santé modernes sont doublés de la capacité des États occidentaux à les mettre à la disposition des gens ordinaires.

Les campagnes publicitaires se multiplient, largement encouragées par les gouvernements. « Une pomme par jour éloigne le médecin pour toujours », disait la reine Victoria. Et Winston Churchill d’ajouter plus tard avec malice : « Pourvu que l’on vise bien ! ».

La première opération du Dr Halsted en 1904 dans le nouvel amphithéâtre chirurgical de Baltimore.De spectaculaires progrès sont faits en anesthésie, avec la première utilisation de l’éther en 1846 aux États-Unis. C’est aussi le contrôle des hémorragies et en prévention des infections par l’asepsie et le traitement des infections (antisepsie). De nouveaux médicaments sont créés, comme la digitaline ou l’aspirine, parallèlement au développement fulgurant de la radiologie avec Röntger et Béclère.

C’est aussi l’époque d’une des plus belles découvertes faites par amour. En 1886, dans le flambant neuf Johns Hopkins Hospital de Baltimore (USA), le Dr William Halsted opère selon les principes de Pasteur en désinfectant le champ opératoire, la peau des malades et les mains des opérateurs avec de l’acide phénique.

En effet, depuis les travaux de Semmelweis sur l’importance du lavage des mains et grâce à ce puissant antiseptique, le taux de mortalité des personnes opérées chute drastiquement ! Malheureusement pour Halsted, l’infirmière chef du bloc opératoire, Caroline Hampton, supporte très mal les multiples nettoyages de ses mains à l’acide phénique.

Par amour pour elle, Halsted va demander la création de gants aussi fins que possible en latex, matériau récemment découvert par Charles Goodyear, et ce sans penser un instant que cela pouvait être également utile aux chirurgiens ! Ce n’est que dix ans plus tard que le Dr Joseph Bloodgood proposa les gants de chirurgie comme moyen antiseptique...

Couveuses à Coney Island.

« Incubateurs » pour nouveau-nés

Les couveuses sont, de nos jours, un équipement standard dans les unités de soins intensifs et sont devenus si courantes qu’elles sont, à bien des égards, emblématiques des soins prodigués aux bébés prématurés.
Utilisées pour la première fois par l’obstétricien français Stéphane Étienne Tarnier à la fin du XIXe siècle, les couveuses sont présentées lors de l’Exposition de Berlin. Rejetées par les établissements médicaux américains, le Dr Couney les installe alors au Luna Park de Coney Island, à New York. Il facture 25 cents aux visiteurs pour voir les couveuses en action, l’argent récolté étant destiné aux soins des bébés.
Ainsi, entre 1903 et 1940 aux États-Unis, le seul endroit où l’on pouvait trouver ce matériel médical était dans les parcs d’attractions, aux côtés de femmes tatouées et d’avaleuses d’épées ! Surprenant, n’est-ce pas ? On estime cependant que Couney a traité environ 8 000 bébés et a sauvé la vie de 6 500 d’entre eux au cours des quatre décennies d’exposition sur la promenade de Coney Island.
36 ans après la première présentation au Luna Park, l’hôpital de New York ouvrira le premier centre officiel de formation et de recherche pour les bébés prématurés. L’Histoire a presque oublié Couney ; cependant, l’adoption généralisée des couveuses pour nourrissons témoigne de son courage … et de son sens du spectacle !

Promotion de la santé et de l’hygiène, tableau Armand Colin de 1900, Paris, BnF, Gallica.

Et demain ?

L’après Seconde Guerre mondiale voit l’affermissement de la collaboration internationale, avec la fondation de l’Organisation mondiale de la santé (OMS, 1948) en tant qu’agence des Nations Unies, contribuant à l’amélioration de l’espérance de vie, à l’éradication de maladies infectieuses et à la création de plusieurs nouveaux vaccins comme celui contre la rougeole ou les oreillons.

Robotisation et intelligence artificielle au service de la santé © Tribune, DR.La médecine accompagne l’évolution des moeurs, avec le développement de la contraception, et développe de nouvelles armes face aux « maladies du siècle » comme le tabagisme, l’obésité, les douleurs lombaires etc. Le corps médical, et les patients, s’interrogent : comment maintenir le lien humain alors que la robotisation et l’intelligence artificielle sont capables du meilleur mais aussi du pire ? Comment faire progresser la connaissance médicale alors que les budgets sont limités et que les gouvernants encouragent le télé-enseignement et la télé-consultation ?

Si appréciables que soient les progrès passés, d'immenses défis attendent encore les médecins et chercheurs : complications induites par les nouvelles techniques médicales, vieillissement de la population, nouveaux risques infectieux et sanitaires etc.

Chrystel Lupant

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Maladies et épidémies
Publié ou mis à jour le : 2022-10-20 16:32:45

Voir les 5 commentaires sur cet article

François (03-01-2021 09:04:14)

Dommage que le(s) traitement(s) des maladies mentales ne soit pas abordé. Mais peut-être cela ferait-il l'objet d'un article à part entière.

Benito (22-09-2020 09:14:33)

La première phrase me fait mourir de rire. Mais voyons qui peut croire de telles aberrations. Non mais sérieusement? A croire que ce sont les "lumières" qui nous ont sauvé de la débilitté de not... Lire la suite

Loignon (31-08-2020 22:48:45)

Le symbole du bâton d'Esculape ne serait-il pas rapprocher du serpent d'airain que Moïse fixa à une hampe pour soigner les Hébreux victimes d'autres serpents suscités par le courroux divin. C'est... Lire la suite

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