Rester séduisant, ne pas indisposer son entourage, conserver une bonne dentition... nous avons tous une bonne raison de passer dans la salle de bains ! Nos ancêtres partageaient-ils ce point de vue ? Pour le savoir, entrons dans leur intimité et observons discrètement les habitudes de la toilette...
La toilette des premiers temps
Vêtus de peaux et dormant dans des abris sous roche, au coeur d'une nature inviolée, les hommes préhistoriques ne se souciaient sans doute pas de l'hygiène.
Mais leurs compagnes savaient être coquettes comme l'atteste la belle coiffure soigneusement tressée de la Vénus de Brassempouy, dans les Landes, il y de cela près de trente mille ans.
Les parures féminines, dont les plus anciennes remontent à 75 000 ans, ne laissent aucun doute sur le désir de plaire.
Mais c'est beaucoup plus tard, à l'époque néolithique, il y a moins de dix mille ans, qu'a été inventé le peigne. Crasseux, peut-être, mais élégant, sûrement !
Les ablutions ont très tôt été considérées comme un rituel religieux lié à la recherche de la pureté spirituelle. Des simples ruisseaux à l'océan dans son entier, les sources d'eau étaient assimilées dans la haute Antiquité à des divinités, généralement protectrices.
C'est le dieu Nil en Égypte qui permet la survie du pays, ce sont les nymphes en Grèce qui protègent les amoureux venus se plonger dans leurs sources, c'est la mer Égée dans laquelle, tous les ans, la statue d'Athéna était baignée pour renforcer ses pouvoirs.
Les grandes religions ont repris par la suite cette symbolique de l'eau qui purifie. On pense bien sûr au baptême chrétien, aux ablutions faites par le croyant musulman avant la prière mais aussi aux bains dans le Gange qui rassemblent des millions d'hindous.
Premières civilisations, premières baignoires
Apparues dans des contrées chaudes, les premières civilisations ont très tôt pratiqué la toilette. La toute première baignoire qui soit parvenue jusqu'à nous aurait ainsi fait les beaux jours d'une famille de Mésopotamie, région pionnière en matière de gestion de l'eau. Cet objet acquiert d'ailleurs une telle importance qu'il est parfois utilisé comme sarcophage.
Sur les berges du Nil, les privilégiés aimaient à se délasser dans une salle de douche, à l'exemple de celle découverte dans le palais du pharaon Ramsès III (1100 av. J.-C.). Ils y avaient à disposition un bac en calcaire, au milieu de grandes dalles protégeant les murs de brique des projections d'eau. Mais pas de pommeau : c'était un serviteur qui versait l'eau ! Leurs épouses étaient également soucieuses de leur propreté et faisaient usage de parfums capiteux.
L'art du bouillon collectif
Homère le savait bien : après un rude combat ou une traversée mouvementée, rien de tel qu'un petit plongeon ! C'est d'ailleurs devenu une tradition incontournable pour toute personne recevant un hôte, ou pour toute beauté cherchant l'aventure à la rivière.
C'est aux Sybarites, habitants de la colonie grecque de Sybaris, dans le golfe de Tarente, au sud de l'Italie, qu'est attribuée l'invention du bain de vapeur, au VIIIe siècle av. J.-C.
Au Ve s. av. J.-C., les épidémies de typhus ou de peste font de l'hygiène une préoccupation majeure des Grecs. Le mot lui-même vient d'Hygie, fille du dieu de la médecine Asclépios et déesse des guérisons, de la santé et de la propreté.
Dans le même temps, le rituel du bain revêt une dimension collective.
D'abord aménagés dans les gymnases, les bains publics, face au succès, deviennent des établissements autonomes et de plus en plus luxueux.
Ils sont plébiscités pour les bonnes (ou mauvaises) rencontres qu'ils offrent. Et qu'importe si des esprits médisants, comme Aristophane, ne cessent de se plaindre que la volupté de l'eau chaude « rend l'homme lâche ».
Rome, championne toutes catégories du bain
À leur tour, les Romains cultivent un art du bain qui n'a guère été surpassé jusqu'à nos jours. Les thermes publics deviennent un élément central de la civilisation romaine. On s'y rend deux heures par jour pour se laver, bien sûr, mais aussi pour rencontrer clients ou amis.
À l'intérieur, le parcours mène le baigneur du bain froid (frigidarium) au bain de vapeur (sudatorium) où l'on trouve, nous raconte Sénèque, « une température d'incendie et telle, qu'un esclave convaincu de quelque crime devrait être condamné à être baigné vif » !
Pour se relaxer, on peut accéder à la bibliothèque de l'établissement ou céder à la tentation des douceurs vendues par les marchands de gâteaux ou de charcuterie. À moins qu'on ne préférât s'isoler en bonne compagnie... Les thermes de Stabies, à côté de Pompéi, ne donnaient-ils pas sur la rue dite « du Lupanar » ?
Félicitons les ingénieurs romains qui maîtrisaient si bien les principes de l'hydraulique qu'ils parvenaient à mettre à disposition de la population de la ville, grâce à leur 4 000 km d'aqueducs, les mille litres d'eau nécessaires par jour et par personne. Eau chauffée à volonté, bien sûr !
À la fin de l'Empire, c'est près de 900 monuments qui permettent à toute la population de Rome, sans distinction de sexe ou de classe sociale, d'aller barboter dans des décors de rêve, tous les 9 jours suivant l'usage.
Les 3000 baigneurs des thermes de Dioclétien, inaugurés en 306 et toujours visibles, pouvaient en chœur faire fuir par sudation leurs mauvaises humeurs, se racler la peau avec un strigile, oindre leur corps d'huile et replonger dans l'eau tiède puis dans l'eau froide.
« Je suis logé à coté d'un établissement de bains ; et maintenant représente-toi tout ce que peut la voix humaine pour exaspérer les oreilles ; quand les champions du gymnase s'entrainent en remuant leurs haltères de plomb, quand ils peinent ou font comme si ils peinaient, je les entends geindre. [...] Si je suis tombé sur quelque baigneur passif qui ne veut rien de plus que le massage du pauvre, j'entends le bruit de la main claquant sur les épaules avec un son indifférent, selon qu'elle arrive à creux ou à plat. Mais qu'un joueur de balle survienne et se mette à compter les points, c'est le coup de grâce ! N'oublie pas le chercheur de querelles, le filou pris sur le fait, l'homme qui trouve que dans le bain il a une jolie voix. N'oublie pas la piscine et l'énorme bruit d'eau remuée à chaque plongeon. Outre ces gens qui à défaut d'autre chose, ont des intonations naturelles, figure-toi l'épileur qui reprend sans cesse un glapissement en fausset, afin de signaler sa présence, et ne se taisant que pour écorcher les aisselles et faire crier un autre à sa place. Puis c'est le marchand de boissons avec ses appels sur diverses notes, le marchand de saucisses, le confiseur et tous ces garçons de taverne qui ont chacun pour crier leur marchandise une modulation caractéristique » (Sénèque, Lettres à Lucillius, IV, 56).
Des étuves un peu louches...
Les débuts de l'ère chrétienne ne remettent pas en cause la pratique du bain.
Partant du principe que la propreté du corps est le reflet de celle de l'âme, on incite les religieux à faire un tour du côté des cuvettes d'eau.
Au Xe siècle, pour suivre les enseignements d'Avicenne, les moines de Cluny avaient par exemple à leur disposition une baignoire dans leur cellule et les religieuses de la règle de sainte Radegonde étaient invitées à se baigner régulièrement... mais « en aucun cas par deux » !
Il faut dire qu'au Moyen Âge, prendre un bain, c'est faire la fête ! Si les thermes antiques étaient tombés en ruine, faute d'entretien, les Croisés avaient rapporté d'Orient une vision éblouie des hammams, hérités des Romains et développés par les Byzantins.
Au XIIe siècle, le recul de l'ascétisme et la mise en place d'un certain art de vivre réhabilitent le corps.
Il est d’usage de se baigner nu dans les rivières pour se laver ou se détendre. On voit des hommes et des femmes se baigner ainsi en plein Paris comme le montre une miniature du XIVe siècle de la vie de Saint-Denis.
Chevaliers comme simples bourgeois aiment quant à eux à se délasser, nus et parfois en bonne compagnie, dans de grandes cuves entourées de rideaux, pour faire étuve.
Ces bons moments vont se raréfier et bientôt disparaître sous l'effet de deux catastrophes. D'abord la Grande Peste, avec ses reprises épisodiques à partir de 1347. Puis, surtout, l'arrivée de la syphilis, importée d'Amérique par les compagnons de Christophe Colomb dès 1492.
Se mouiller ? Quelle horreur !
Un virage s’amorce au début du XVIe siècle en raison de la peur des maladies mais aussi de la nouvelle rigueur des mœurs dérivée de la Réforme protestante. Il n'est plus question de se baigner nus en plein Paris, dans les bains publics ou la Seine !
Des lois imposent le port de vêtements lors des baignades et interdisent progressivement les bains publics, suspectés à juste titre de propager la syphilis et autres maladies vénériennes. En 1566, les médecins font tomber le couperet : « Étuves ou bains, je vous en prie, fuyez ou mourrez ». Voici les baigneurs prévenus !
La toilette privée ne disparaît heureusement pas. Elle offre l'occasion d'un « lieu de galanterie » : ainsi François Ier fit-il construire à Fontainebleau des bains pour admirer sans risque la plastique de sa favorite la duchesse d'Étampes.
Ces coquins de peintres prennent aussi prétexte de la toilette de Diane, Vénus, Suzanne et autres Bethsabée pour représenter la nudité.
Mais la Renaissance européenne, ne l'oublions pas, est une époque de contrastes qui combine avancées et reculs. Il en va ainsi dans la médecine et l'hygiène.
En 1568, l'illustre chirurgien Ambroise Paré reflète les nouvelles théories « hygiénistes » en écrivant : « Il convient d’interdire les bains, car, lorsque l’on en sort, la chair et le corps sont ramollis et les pores sont ouverts, et la vapeur pestiférée peut entrer rapidement à l’intérieur du corps et provoquer une mort subite ».
On fuit l'eau comme le sous-entend avec malice cette héroïne de Marguerite de Navarre : « Voyez ces belles mains, encore que je ne les aye point décrassées depuis huit jours, gageons qu'elles effacent les autres ». Un bon argument pour séduire, en effet !
Il n'y a plus guère que quelques esprits libres comme Montaigne pour oser affirmer que « le baigner [est] salubre ».
Au siècle suivant, que l'on dit pourtant le Grand Siècle des Sciences, plus question de bains délassants comme au Moyen Âge. Désormais s'impose une nouvelle méthode d'hygiène : la « toilette sèche ».
Notre mot toilette lui-même vient de là : on se passe sur les parties visibles du corps une belle toile blanche, éventuellement imprégnée de vinaigre, et le tour est joué !
Il ne reste plus qu'à changer de chemise, au moins cinq fois par jour dans les classes aisées. Comme le rappelle Charles Perrault : « La propreté de notre linge et l'abondance que nous en avons valent mieux que tous les bains du monde ». Des vêtements propres sur un corps sale, donc...
C'est que les courtisans privilégient les apparences, avec force rubans, parfums et perruques. Les produits cosmétiques ne manquent pas après que Colbert a lancé la fabrication du savon de Marseille pour donner un débouché à l'huile d'olive.
L'illustration ci-contre montre la toilette sèche : la servante tient le linge blanc destiné à frotter le visage, les mains et le cou de sa maîtresse.
Louis XIV, dit-on, ne prit qu'un bain dans sa vie. Légende !
Même s'il n'a pas fait l'expérience de la bassine avant ses huit mois, le Roi-Soleil, dans sa jeunesse, aimait à nager dans la Seine. Les médecins de l'époque, si justement moqués par Molière, finirent par l'en dissuader après lui avoir imposé vingt jours de suite un bain médicamenteux de deux heures suivi d'un bouillon purgatif... Toute trempette, à l'époque, se devait en effet d'être thérapeutique.
Mais à Versailles, le roi eut aussi le souci de faire installer l'eau courante et même un appartement des bains pour son usage, avec une baignoire sur roulettes. Certains courtisans avaient aussi droit à un cabinet de toilette, près de leur chambre.
Viendrez-vous me visiter dans mon cabinet de toilette ?
Louis XIV disparu, la Cour respire... On se veut plus libre et plus proche de la Nature.
Les « Lumières », Rousseau en tête, commencent à parler éducation et hygiène de vie, en plein accord avec les savants et le corps médical.
En 1777, Lavoisier montre que la peau respire.
C'est un premier pas avant la mise en évidence par Pasteur, un siècle plus tard, de la responsabilité des germes dans la transmission des maladies et, donc, de l'importance de l'asepsie.
Il est à nouveau recommandé de se laver vraiment !
Pour cela, les aristocrates font aménager dans leurs demeures des cabinets de toilette, symboles d'un luxe nouveau. Ils aiment y recevoir dans leur baignoire sabot (ou « pantoufle » pour les Anglo-Saxons) en cuivre, très chic, et qui a l'avantage de nécessiter peu d'eau.
On y trouve parfois le bidet, ce « confident des dames » propre à la France, qui apparaît dans tout bon roman libertin.
Les bourgeois se font apporter à domicile une baignoire pliante à double paroi qui permet de conserver l'eau à bonne température. Toute la famille n'a plus qu'à y défiler.
Les citadins plus modestes se détournent des bains de rivière pour de nouveaux établissements qui proposent bains chauds ou froids et même piscine pour apprendre à nager.
Mais le plus souvent, on en reste à une toilette partielle (visage, bras, pieds, siège...).
« Le bas peuple de Paris a plus besoin d'être décrassé plus que tout autre au monde », affirme le journaliste Jean-Sébastien Mercier, auteur d'un Tableau de Paris.
De l'hygiène, que diable !
La révolution de l'hygiène survient au XIXe siècle, plus décisive encore que la Révolution que l'on sait. Les découvertes de Louis Pasteur et, avant lui, le combat méritant et trop peu connu du médecin hongrois Ignace Semmelweis (1818-1865) apportent la preuve que les maladies viennent pour beaucoup des microbes et de la saleté !
À Vienne, le médecin obstétricien, Ignace Semmelweis déplore qu'un grand nombre de femmes soient victimes de fièvres puerpérales après leur accouchement à l'hôpital. Il démontre que ces décès sont causés par le fait que les médecins accoucheurs passent de la dissection d'un cadavre à un accouchement sans prendre la peine de se laver les mains ! Dans le même temps, Louis Pasteur révèle l'existence de microbes potentiellement vecteurs de maladies et de l'importance de s'en prémunir par une hygiène soignée.
La mise en oeuvre des recommandations de Semmelweis et Pasteur aboutit très vite à des résultats spectaculaires. L'amélioration de l'hygiène, plus encore que les vaccins, entraîne dès le milieu du XIXe siècle la chute de la mortalité infantile et à l'allongement de l'espérance de vie.
Scientifiques et médecins font assaut d'arguments pour développer l'hygiène tandis que les édiles municipaux multiplient les initiatives en vue de la démocratiser, à commencer par la création dans les villes de réseaux de distribution d'eau courante et d'évacuation des eaux usées.
Dès le début de la IIIe République, Paris en vient à compter pas moins de 187 bains publics pour un peu plus d'un million d'habitants, baptisés « russes », « turcs » ou « chinois » pour plus d'exotisme.
Si utiles qu'ils soient, les bains réclament toutefois beaucoup d'eau... et de temps. Beaucoup trop aux yeux du docteur François Merry Delabost, médecin-chef de la prison Bonne-Nouvelle de Rouen.
Il a l'idée en 1872 de remplacer le bain des détenus par un « bain par aspersion » ou « bain en pluie » individuel, de façon à économiser de l'eau et de l'argent. La douche est née !
Très vite, son idée se diffuse dans les casernes, les internats et les hôpitaux. L'Allemagne et l'Autriche-Hongrie la généralisent même plus vite que la France et l'introduisent dans les bains publics. En France, le premier « bains-douches » apparaît à Bordeaux en 1893. Paris inaugure à son tour un premier établissement le 20 mai 1899.
C'est enfin la découverte de l'intimité avec la généralisation des cabinets de toilette dans les demeures bourgeoises !
Quelques peintres peuvent encore jeter un œil sur ces scènes cachées et observer le triomphe des tubs en zinc, arrivés d'Angleterre à la fin du XVIIIe siècle.
« Mais la merveille de l'appartement, la pièce dont parlait tout Paris, c'était le cabinet de toilette. On disait : ''Le cabinet de toilette de la belle madame Saccard'', comme on dit : « La galerie des glaces, à Versailles ». Ce cabinet se trouvait dans une des tourelles de l'hôtel, juste au-dessus du petit salon bouton-d'or. On songeait, en y entrant, à une large tente ronde, une tente de féerie, dressée en plein rêve par quelque guerrière amoureuse. Au centre du plafond, une couronne d'argent ciselé retenait les pans de la tente qui venaient, en s'arrondissant, s'attacher aux murs, d'où ils tombaient droits jusqu'au plancher. […]
Le tapis, d'une blancheur de neige, s'étalait sans le moindre semis de fleurs. Une armoire à glace, dont les deux panneaux étaient incrustés d'argent ; une chaise longue, deux poufs, des tabourets de satin blanc ; une grande table de toilette, à plaque de marbre rose, et dont les pieds disparaissaient sous des volants de mousseline et de guipure, meublaient la pièce. Les cristaux de la table de toilette, les verres, les vases, la cuvette étaient en vieux bohème veiné de rose et de blanc. Et il y avait encore une autre table, incrustée d'argent comme l'armoire à glace, où se trouvait rangé l'outillage, les engins de toilette, trousse bizarre, qui étalait un nombre considérable de petits instruments dont l'usage échappait, les gratte-dos, les polissoirs, les limes de toutes les grandeurs et de toutes les formes, les ciseaux droits et recourbés, toutes les variétés des pinces et des épingles.
Mais le cabinet avait un coin délicieux, et ce coin-là surtout le rendait célèbre. En face de la fenêtre, les pans de la tente s'ouvraient et découvraient, au fond d'une sorte d'alcôve longue et peu profonde, une baignoire, une vasque de marbre rose, enfoncée dans le plancher, et dont les bords cannelés comme ceux d'une grande coquille arrivaient au ras du tapis. On descendait dans la baignoire par des marches de marbre. Au-dessus des robinets d'argent, au col de cygne, une glace de Venise, découpée, sans cadre, avec des dessins dépolis dans le cristal, occupait le fond de l'alcôve. Chaque matin, Renée prenait un bain de quelques minutes. Ce bain emplissait pour la journée le cabinet d'une moiteur, d'une odeur de chair fraîche et mouillée ». (Émile Zola, La Curée, 1871).
Eau courante à tous les étages
C'est d'Angleterre que nous vient la salle de bain telle que nous connaissons.
Lavabo et baignoire en porcelaine, enfin reliés à un système de plomberie, séduisent les riches milieux d'affaires européen et américain.
Mais pour l'immense majorité des Français et en particulier des ruraux, la toilette continue de se faire au broc, avec une garniture de toilette, ou, plus souvent encore, dans une bassine devant l'âtre de la cuisine.
« Malgré le bas prix des bains, leur gratuité même, la moyenne des bains par habitant n'a pas varié depuis 1850 : un bain tous les deux ans ! » (étude de 1900).
Ce n'est qu'avec les grands ensembles de logements sociaux, dans les années 1950, que l'accès à l'hygiène va se démocratiser, avec la généralisation du chauffage central et des salles de bain dans les appartements, avec la douche en complément de la baignoire ou en remplacement de celle-ci.
Bénéficiant aujourd'hui d'un confort qui en fait une des pièces les plus fréquentées de la maison, la « salle d'eau » séduit non seulement pour des questions de propreté mais aussi de plaisir : elle devient une invitation à la détente.
Tout y concourt et en particulier la profusion de produits cosmétiques raffinés et coûteux... qui font la fortune de quelques grandes firmes mondiales.
Ne soyons pas surpris que la première d'entre elles, L'Oréal, soit française. Elle est l'héritière en effet d'une addiction pluriséculaire aux parfums.
Il se trouve maintenant des médecins pour mettre en garde leurs patients contre l'excès de soins et de bains, avec le risque d'affaiblir les immunités naturelles. Retour à la toilette sèche ?
« Colin terminait sa toilette. Il s'était enveloppé, au sortir du bain, d'une ample serviette de tissu bouclé dont seuls ses jambes et son torse dépassaient. Il prit à l'étagère de verre, le vaporisateur et pulvérisa l'huile fluide et odorante sur ses cheveux clairs. Son peigne d'ambre divisa la masse soyeuse en longs filets orange pareils aux sillons que le gai laboureur trace à l'aide d'une fourchette dans de la confiture d'abricots. Colin reposa le peigne et, s'armant du coupe-ongles, tailla en biseau les coins de ses paupières mates, pour donner du mystère à son regard. Il devait recommencer souvent, car elles repoussaient vite. Il alluma la petite lampe du miroir grossissant et s'en rapprocha pour vérifier l'état de son épiderme. Quelques comédons saillaient aux alentours des ailes du nez. En se voyant si laids dans le miroir grossissant, ils rentrèrent prestement sous la peau et, satisfait, Colin éteignit la lampe. Il détacha la serviette qui lui ceignait les reins et passa l'un des coins entre ses doigts de pied pour absorber les dernières traces d'humidité. [...]
Il vida son bain en perçant un trou dans le fond de la baignoire. Le sol de la salle de bains, dallé de grès cérame jaune clair, était en pente et orientait l'eau vers un orifice situé juste au-dessus du bureau du locataire de l'étage inférieur. Depuis peu, sans prévenir Colin, celui-ci avait changé son bureau de place. Maintenant, l'eau tombait sur son garde-manger.
Il glissa ses pieds dans des sandales de cuir de roussette et revêtit un élégant costume d'intérieur, pantalon de velours à côtes vert d'eau très profonde et veston de calmande noisette. Il accrocha la serviette au séchoir, posa le tapis de bain sur le bord de la baignoire et le saupoudra de gros sel afin qu'il dégorgeât toute l'eau contenue. Le tapis se mit à baver en faisant des grappes de petites bulles savonneuses ». (Boris Vian, L'Écume des jours, 1947).
Accessoires d'hygiène
Le bidet : cette baignoire miniature, dont le nom est emprunté à celui d'un cheval de poste, petit et trapu, a rassuré à partir de 1710 les volages soucieuses de prévenir les maladies honteuses.
Le bourdalou : ce pot de chambre féminin en forme de haricot doit son nom au prédicateur Bourdaloue, rival de Bossuet ; les pieuses dames de la bonne société en faisaient usage pendant ses prêches, connus pour être interminables.
Broc et garniture de toilette : ce broc dans une bassine en faïence joliment décorée faisait au XIXe siècle et jusqu'au milieu du XXe siècle la fierté des ménages ruraux. Il trônait habituellement sur une table de toilette dans la chambre matrimoniale.
La brosse à dents : prenant la suite du bout de bois cure-dents et des bâtonnets à mâcher, la brosse à dents est apparue au XVe siècle en Chine puis en Europe à la fin du XVIe siècle.
La douche : on doit la popularité de cet outil, connu dès l'Antiquité, au médecin-chef de la prison de Rouen : ce bon gestionnaire y voyait un moyen bien pratique d'économiser l'eau et le temps lors de la toilette des détenus.
Le papier-toilette : l'indispensable papier hygiénique a prouvé à partir de la moitié du XIXe siècle qu'il était nettement plus efficace que l'éponge, le chanvre ou même les cailloux employés jusqu'alors.
Le peigne : présent dans les civilisations les plus anciennes, il fait partie des premiers objets ouvragés par l'homme (artefacts), en os, corne ou ivoire.
Le rasoir : coquillage, lame en bronze, coupe-choux, tous les moyens étaient bons pour se faire la peau nette, jusqu'à l'arrivée en 1904 de monsieur Gillette et de son rasoir « de sécurité » pour éviter les défigurations malencontreuses.
Le savon : longtemps attribuée aux Gaulois, ce serait finalement aux Sumériens que l'on doit l'invention du savon à partir de la graisse de vache, de l'huile d'olive ou encore de la soude végétale ainsi que de cendres.
Le shampooing : il a été ramené des Indes par les Anglais, comme l'indique son nom dérivé de champo : masser. Avant son introduction en Europe, au XVIIIe siècle, on avait recours au vinaigre, à l'argile ou plus simplement, aux perruques !
Sources
Pascal Bonafoux, Indiscrétion. Femmes à la toilette, éd. Seuil, 2012.
Françoise de Bonneville, L'ABCdaire du bain, éd. Flammarion, 2002.
Ned Rival, Histoire anecdotique du lavage et des soins corporels, éd. Lever, 1986.
Georges Vigarello, Le Propre et le sale. L'hygiène du corps depuis le Moyen Âge, éd. du Seuil, 1985.
Exposition (février-juillet 2015) : La Toilette. Naissance de l'intime, musée Marmottan-Monet, Paris, Catalogue d'exposition aux éditions Hazan.
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Voir les 9 commentaires sur cet article
LOIGNON (05-04-2020 11:47:34)
A propos du papier-toilette, sujet devenu récemment d'actualité... J'ai vu (et me suis fait expliquer) au musée de la Grande Guerre de Meaux une sorte de raclette en bois qui servait aux soldats ap... Lire la suite
kourdane (27-03-2015 15:11:36)
ok bien documenté ! mais pourquoi affirmer que nos ancêtres " pré-historiques " eussent été sans hygiène ? les eaux courantes n'étaient pas polluées, les habitats étaient obligatoirement pro... Lire la suite
RODRIGO (22-03-2015 10:22:40)
En ce qui concerne les "règles" des femmes, la femme était "impure" pendant ses menstruations; Des directives lui enjoignaient de se laver pour être de nouveau approchable;On peut lire dans la Bibl... Lire la suite