Le 14 juillet 1919 s’ouvre le défilé de la Victoire. Quand apparaît la silhouette à cheval du général de Castelnau, la foule se met soudain à scander : « Maréchal, Maréchal ». Comme le rapporte La Revue des Deux Mondes, l’opinion populaire réclame unanimement ce bâton de maréchal que le gouvernement obstinément lui refuse.
Pour Édouard de Castelnau, ces célébrations ont un goût amer. Cette guerre lui a pris trois de ses fils. Les honneurs qui pleuvent sur les chefs militaires français lui paraissent indécents. Il juge que la victoire doit tout à l’abnégation des soldats et dénie le moindre génie militaire aux généraux qui les commandaient.
Contrairement à eux, il n’écrira pas ses mémoires et se tiendra à l’écart des panégyristes. Aussi sa trace dans l’histoire de cette guerre s’estompera-t-elle au fur et à mesure où les années passeront au point de disparaître de l’historiographie. Heureusement, l’effort mémoriel qui accompagne la célébration du Centenaire de 14-18 permet de redécouvrir ce personnage oublié.
Une ascendance noble, une enfance modeste
Au-delà de l’hommage qui lui est légitimement dû, c’est l’histoire de la Grande Guerre qui mérite d'être revisitée à travers le regard d’un homme qui avec Joffre, Foch et Pétain, a formé le haut commandement français tout au long du conflit.
L’éclairage qu’il donne à propos de ces événements est d’autant plus intéressant que le général de Castelnau est un personnage atypique. À commencer par ses origines. Il est en effet issu d’une famille dont le nom apparait dès les premières croisades. Les représentants de la lignée de Curières - le patronyme Castelnau ne sera durablement accolé qu’à partir du XVIIe siècle - s’illustrent sur tous les champs de bataille dès l’appel des souverains qui se succèdent sur le trône de France.
Mais ces fastes militaires ne leur rapportent guère plus que l’honneur d’avoir servi et c’est dans une très modeste aisance qu’ils vivent sur leurs terres arides du plateau de l’Aubrac. La Révolution et un grand-père dispendieux précipitent la ruine de cette famille qui doit alors se terrer dans une province reculée où elle s’immerge dans la petite bourgeoisie et la paysannerie locale.
Ce contexte bien particulier façonne l’univers dans lequel se déroulent l’enfance et l’adolescence du futur général de Castelnau. Il est le troisième d’une fratrie de cinq. Léonce et Clément le précèdent, Marie et Léonie le suivent.
À Saint-Affrique (Aveyron), il mène la vie des fils de paysans et de petits notables. Ses deux meilleurs amis ont pour pères de modestes commerçants de la ville. Comme eux, il parle le patois et forge au grand air sa robuste constitution.
Bien que de petite taille, il devient un véritable athlète, condition qu’il gardera jusqu’à un âge avancé et qui le distinguera dans une armée où ses pairs, notamment aux échelons élevés de la hiérarchie, ne sont pas particulièrement sportifs. Il conservera de cette éducation et de cette vie rurale une grande facilité et une grande authenticité dans les contacts humains.
Michel de Castelnau, son père, a également transmis à ses enfants sa très vaste culture ce qui permettra au futur général d’impressionner ses interlocuteurs par ses analyses et ses visions géostratégiques, y compris face à des dirigeants politiques de haut rang. Il leur a également imposé d’atteindre l’excellence scolaire pour espérer ramener sa famille au sein de l’élite sociale dont elle s’est trouvée pratiquement exclue. Ce sera le barreau et une vie politique de premier plan pour l’ainé de ses fils, Polytechnique et le corps de Mines pour le second.
Sous la mitraille à 17 ans
Attiré par la carrière des armes, Noël-Édouard, lui, entre à Saint-Cyr en 1869. À l’issue de sa première année éclate la guerre franco-prussienne de 1870-1871.
À dix-huit ans, il sert comme sous-lieutenant avant d’être rapidement promu lieutenant puis capitaine dans l’armée de la Loire qui s’est hâtivement formée après les désastres du début de campagne. Ces défaites ont eu raison de l’empereur Napoléon III.
La jeune République qui s’est établie tente, au début de l’hiver 1871, d’inverser le sort des armes. L'armée de la Loire demeure la principale force combattante française mais elle se bat dans des conditions climatiques effroyables. Fort d’un physique de lutteur, Castelnau s’imposera comme l’un des meilleurs officiers et conservera un style de commandement proche du soldat ainsi qu’une grande sensibilité au sort des hommes.
Le traité de Francfort signé, Castelnau retrouve l’armée du temps de paix. Il passe quelques années d’officier impécunieux dans diverses garnisons. Outre le fait qu’il est immédiatement noté comme « très intelligent », on le trouve « ouvert et sympathique ». Il est également « travailleur » ce qui lui vaut d’être admis à l’École de guerre à l’âge de 27 ans, en 1878.
Ce succès n’augure pas seulement d’une belle carrière mais lui ouvre le cœur d’une de ses cousines, Marie Barthe de Mandebourg. Fille unique, elle vient d’hériter d’une importante propriété terrienne à la mort de sa mère après avoir perdu son père quelques années plus tôt. Ce legs conduira Castelnau à préférer une carrière plus modeste dans région de Toulouse à des affectations plus prestigieuses à Paris, aux colonies ou dans les régiments placés sur la frontière avec l’Allemagne.
Le « Capucin botté »
Mais ces années qu’il passe à Toulouse lui donnent une formation inégalée. Il combine l’exercice des commandements subalternes avec des séjours en état-major et finit par attirer l’attention du chef d’état-major en personne, le général de Miribel, qui l’affecte à Paris comme chef du 1er bureau du grand état-major avec la mission de refondre du plan de mobilisation. Cette expérience lui vaudra quelques années plus tard d’être appelé par le chef des armées, le général Joffre, pour le seconder dans cette même tâche.
En 1895 débute l’affaire Dreyfus. Bien que très discret à propos de sa propre opinion, Castelnau du fait de ses origines aristocratiques et d’une assiduité à l’église dont il ne fait pas mystère, en paie les conséquences. S’ouvre en effet en France une période d’anticléricalisme pendant laquelle les gouvernements s’attachent à républicaniser l’armée en facilitant la promotion d’officiers républicains athées et laïcs.
Cela force Castelnau à passer cinq ans à la tête du 37e régiment d’infanterie de Nancy au lieu des deux ou trois années habituellement requises pour ce temps de commandement. Mais cette affectation anormalement longue va avoir un effet déterminant sur sa carrière. Il y acquiert une expérience tactique que posséderont peu de ses homologues ainsi qu’une connaissance parfaite de la région Lorraine où se dérouleront les batailles du début de la guerre auxquelles il participera.
Alors qu’il aurait dû être mis en retraite d’office, Paul Doumer, président de la Chambre des députés, le remarque lors d’une de ses visites à Nancy et impose qu’il soit nommé général. Après le commandement d’une brigade puis d’une division, ce qui le place une première fois au contact du général Joffre, il est appelé en 1911 à le seconder dans son nouveau rôle de chef des armées françaises.
Dans un contexte de grande tension internationale — les grands pays européens se préparent à un conflit qui semble inévitable —, Castelnau a pour mission de préparer l’armée à la guerre. Ce travail l’amène à préconiser l’extension du service militaire sur une durée de trois ans.
Il devient en effet impératif de porter les effectifs français à un niveau comparable à celui des Allemands. Ce projet soulève une tempête politique en raison de l’opposition d’une grande partie des députés radicaux-socialistes qui dominent les Assemblées et le gouvernement à cette époque.
Ces parlementaires en concevront une haine durable à l’encontre de Castelnau qui, à cette occasion, héritera du surnom de « Capucin botté » ou de celui de « général de la jésuitière ». Cet antagonisme perdurera pendant la guerre elle-même au point d’empêcher à plusieurs occasions le gouvernement, soucieux d’éviter une crise politique, de le nommer au poste suprême de généralissime.
« En avant, partout et à fond »
Le 28 juin 1914, le ciel s’assombrit avec l'assassinat à Sarajevo de l'archiduc François-Ferdinand. En quelques jours, un mécanisme implacable se met en place conduisant les cinq principales puissances européennes à s’affronter. D’un côté, l’Entente formée de la France, de la Grande-Bretagne et de la Russie vole au secours de la Serbie que l’Autriche, alliée à l’Allemagne en est train d’attaquer. Castelnau part en guerre en même temps que six de ses huit fils. Trois n’en reviendront pas.
D’entrée de jeu, la situation militaire de la France se révèle difficile. À la surprise d’une pénétration allemande non prévue en Belgique — le fameux plan Schlieffen — s’ajoute le fait que les armées de l'empereur Guillaume II sont numériquement plus fortes. En effet, elles incorporent en première ligne des unités composées de réservistes, ce que n’ont pas été capables de faire les Français.
Lors de la bataille des frontières, la 2e armée que commande Castelnau va connaître le même sort que ses voisines. Elle est battue à Morhange le 20 août 1914 et ne doit son salut qu’à une retraite précipitée qui la ramène dans la région de Nancy. À cet instant, les Allemands pensent tenir une victoire décisive qui leur offre la possibilité de tourner l’aile droite française et de parachever l’encerclement qu’ils ont entamé avec leur manœuvre à travers la Belgique. Ils vont devoir déchanter.
Surgissant des collines qui s’étendent autour de Nancy sur lesquelles il a réussi à reconstituer son armée, Castelnau tombe sur le flanc des troupes allemandes commandées par le Prince Rupprecht de Bavière et remporte la victoire de la Trouée de Charmes.
Hormis le célèbre « En avant, partout et à fond » qu’ordonne Castelnau au moment clef de cette bataille, celle-ci sera rarement mentionnée dans la littérature militaire française. Au contraire, outre-Rhin, les différents protagonistes du haut commandement allemand se renverront la responsabilité de cet échec qui a mis un terme à leurs espérances de gagner la guerre en quelques semaines.
En effet, la victoire de Castelnau prépare le redressement français sur la Marne qui intervient quelques jours plus tard. À cette occasion d’ailleurs, celui-ci récidive en prolongeant vers l’est la victoire de Joffre. Il bat une nouvelle fois le Prince de Bavière qui espérait prendre sa revanche en attaquant Nancy.
Ces combats terriblement meurtriers — la France y perd 850 000 hommes, tués, blessés ou disparus — conduisent les belligérants à changer leurs méthodes de combat. Dorénavant, les armées s’enterrent. C’est la guerre des tranchées. L’utopie d’un conflit de courte durée s’estompe. Nul ne sait désormais quand les hostilités se termineront.
La planche ci-dessus est extraite de la bande dessinée La Faute au Midi, par l'historien Jean-Yves Le Naour et le dessinateur A. Dan (48 pages, 14,50 euros, 2014, Bamboo Édition, Grand Angle). Elle évoque le moment où le général de Castelnau, en pleine préparation de la défense de Nancy, apprend la mort de son fils Xavier (21 ans) à Morhange, le 20 août 1914.
La tactique : débarquer dans les Balkans
Pendant la première partie de l’année 1915, le généralissime Joffre et celui qu’il considère comme son second opérationnel, le général Foch, entraînent les armées françaises dans une série d’offensives dont les gains sont négligeables au regard des pertes qu’elles engendrent. Castelnau y est résolument opposé.
Inlassablement à chacune de ses rencontres avec les dirigeants français, il expose une autre vision stratégique et tactique. Préconisant d’adopter une attitude défensive sur le front occidental, il propose de rechercher une victoire dans les Balkans... tout comme d'ailleurs le Premier Lord de l'Amirauté britannique Winston Churchill. Les alliés de l’Allemagne, l’Autriche-Hongrie et la Turquie ottomane qui vient de les rejoindre y sont en effet dans une position critique.
Il suffirait de débarquer un contingent franco-anglais pour inciter les pays limitrophes, l’Italie, la Roumanie et la Bulgarie à rejoindre l’Entente.
Le président de la République Raymond Poincaré et les principaux ministres concernés, bien que convaincus de cette approche, n’arriveront pas à l’imposer au généralissime Joffre qui, fort du prestige acquis après la victoire de la Marne, maintiendra ses priorités offensives sur le front occidental.
Sur ce théâtre d’opérations, Castelnau se distingue en démontrant une réelle capacité d’adaptation aux paramètres de la guerre des tranchées alors que beaucoup de ses pairs subissent échec sur échec en continuant à appliquer des méthodes de combat trop simplistes. Cela lui vaut d’être nommé le 22 juin 1915 au commandement du principal groupe d’armées, celui du Centre.
On lui confie alors la préparation et la direction de la plus grande offensive jamais engagée par l’Entente depuis la bataille de la Marne. Lancée à la fin du mois de septembre 1915 en Champagne, elle remporte un succès beaucoup plus important que toutes les tentatives précédentes. Le front allemand est enfoncé sur plus de 25 kilomètres, mais sans que cet avantage puisse être exploité.
Ce succès vaut néanmoins à Castelnau d’être élevé à la dignité de grand croix de la Légion d’honneur. Quelques semaines plus tard, il est promu adjoint de Joffre en qualité de chef d’état-major général des armées. Les principaux dirigeants politiques, Poincaré, le président du Conseil Aristide Briand et le nouveau ministre de la Guerre, le général Joseph Gallieni, auraient aimé aller plus loin en lui confiant la haute main sur l’ensemble du front occidental.
Mais l’opposition farouche d’une partie de la classe politique à cette nomination les en empêche. Il dépendra donc de Joffre qui, inquiet de la présence à ses côtés d’un rival potentiel, ne lui délèguera jamais une pleine autonomie. Cela ne l’empêchera pas d’exercer dans certaines circonstances la plénitude du commandement suprême, en particulier lors de la bataille de Verdun.
Au moment où l’attaque allemande se déclenche, le 21 février 1916, il se rend sur place et prend les mesures capitales qui sauvent la ville. Il nomme le général Pétain et réorganise le commandement local. Par la suite, il intervient lors des épisodes les plus critiques et ordonne au mois de novembre 1916, contre l’avis de Joffre, la dernière offensive qui transforme cette longue bataille en une victoire.
Dans les papiers personnels du général de Castelnau se trouve un dossier sur lequel figure la mention suivante écrite de sa main : « Ne pas ouvrir avant la disparition du dernier survivant de cette guerre ». À la lecture de ce document, on comprend la raison d’un tel embargo. Castelnau y expose en des termes très clairs comment les Alliés ont gâché ce qui constitue sans aucun doute une occasion unique de terminer victorieusement la guerre dès l’été 1916.
Les Allemands, en attaquant à Verdun en février 1916, avaient tenté le tout pour le tout. Les Russes avaient été repoussés très loin vers l’Est et ils espéraient anéantir l’armée française avant que les Britanniques n’aient le temps de débarquer les nouvelles troupes qu’ils préparaient depuis plus d’un an. Dans les Balkans, les Bulgares avaient la situation en main. Mais ce plan allemand s’enraye. Verdun résiste et la nouvelle armée anglaise débarque au printemps 1916. À Salonique, Français et Anglais qui ont réussi à sauver une partie de l’armée serbe, deviennent très menaçants. Sur le front Est, contre toute attente, les Russes passent à l’offensive le 4 juin 1916. C'est l'offensive Broussilov. Victorieux face aux Allemands en Lettonie, ils écrasent l’armée autrichienne dans les Carpates en capturant près d’un demi-million de prisonniers alors qu’au même moment, les Italiens contre-attaquent dans les Alpes.
Dans son journal personnel, le général allemand Ludendorff est sans illusion. Si la Roumanie entre en guerre à ce moment précis, la partie est irrémédiablement perdue. Or, les Roumains n’attendent qu’un signe favorable pour confirmer ce qu’ils ont secrètement promis aux alliés. Une victoire lors de l'offensive de la Somme qui démarre ce premier 1er juillet 1916 provoquerait leur intervention.
Mais le premier jour de l’offensive se passe mal pour l’armée anglaise chargée de l’effort principal. Elle échoue avec de fortes pertes sur la première ligne allemande. Par contre, la petite armée française du général Fayolle qui se bat à ses côtés enfonce le front allemand. En moins de trois jours, pour la première fois depuis le début de la guerre des tranchées, les troupes françaises débouchent en terrain libre. Si elles poursuivent leur attaque, elles peuvent capturer entre cent à deux cent mille prisonniers et faire reculer les lignes d’une cinquantaine de kilomètres ! Ce serait le signal tant attendu par les Roumains.
Dans la soirée du 3 juillet 1916 se tient une réunion entre Joffre et Castelnau qui va en quelque sorte décider du sort de la guerre.
Castelnau veut exploiter immédiatement cette percée.Il avait prévu cette hypothèse et avait fait travailler l’état-major sur un plan.
Le Comité de Guerre britannique se rallie à cette idée. Mais Joffre s'y oppose. Sous la pression de son entourage, face aux arguments du général Foch qui dirige l’opération sur le terrain, il insiste pour que les Anglais renouvellent leur assaut. Pendant toute une semaine, Foch ordonne à l'armée de Fayolle de rester l’arme au pied. Les Allemands sont stupéfaits. Ils ne laisseront pas passer ce sursis inespéré. Ils rameutent des renforts de partout où ils peuvent et creusent fébrilement des tranchées. Au bout d’une semaine, il faut se rendre à l’évidence, les Anglais ne perceront pas.
Joffre ordonne alors à Foch d’appliquer le plan Castelnau. Mais il est trop tard ! Les Allemands ont reconstitué un front continu face aux Français. Quand la Roumanie apprend que l’offensive de la Somme piétine, elle diffère son entrée en guerre. Deux mois plus tard, elle finira par s'y décider alors que le contexte sera loin d'être aussi favorable. Après une première série de victoires, elle finira par être battue. Au lendemain de la guerre se créera une forme de conspiration du silence à propos de cette péripétie sans résultat. Beaucoup de documents vont disparaître, volontairement mal classés ou carrément détruits. Dans ses Mémoires, Joffre minimisera fortement cet épisode et accusera Foch qui, lui, se gardera bien d’en parler. Les Anglais, eux, feront mine de ne rien savoir.
Aujourd’hui, la numérisation des archives permet de retrouver des documents mal classés propres à cet événement. Quant à ceux qui ont été détruits, une copie des plus importants figure dans le dossier conservé par Castelnau. Ces pièces historiques permettent d’être catégorique : le 3 juillet 1916, si Castelnau avait été écouté, les Alliés pouvaient espérer terminer beaucoup plus tôt cette guerre.
Et si l’Armistice avait été différé…
L'échec roumain entraîne en décembre 1916 la chute de Joffre et par contrecoup, celle de Foch. Castelnau est quant à lui maintenu au sein du haut commandement en prenant la tête du groupe d’armées de l’Est. Cependant, ce secteur du front où opèrent ses unités est le moins actif. En 1918, profitant du retrait russe du conflit après la révolution bolchévique, les Allemands ramènent l’ensemble de leurs forces en France et en Belgique et lancent au printemps une série de grandes offensives qui sont en passe de les rendre victorieux.
Les armées que commande Castelnau ne jouent pas un rôle de premier plan pendant cette période. Par contre, alors que les troupes franco-britanniques, renforcées par le contingent américain, reprennent l’initiative au cours de l’été, il est désigné pour préparer une manœuvre décisive en Lorraine.
Dans ce secteur, la faiblesse du dispositif allemand laisse présager un succès de grande ampleur susceptible d’accélérer la fin de la guerre. À deux jours près, Castelnau ne connaîtra pas une nouvelle victoire. L’armistice du 11 novembre 1918 suspend son attaque alors qu’elle l’aurait sans doute conduit profondément en Allemagne et aurait donné une tout autre tournure à la défaite de ce pays.
Rejet de la Révolution nationale
La paix revenue, le général de Castelnau se lance en politique et se fait élire député au sein du parti républicain majoritaire, L’Entente républicaine démocratique. Il devient alors président de la Commission de l’armée.
La victoire du Cartel des gauches en 1924 l’écarte de la vie parlementaire. Mais, devant la résurgence d’une politique anticléricale mise en œuvre par le nouveau président du Conseil, Édouard Herriot, il lance l’idée d’une vaste fédération nationale des divers mouvements catholiques.
La Fédération nationale catholique (FNC) est née. Elle comptera jusqu’à deux millions d’adhérents. À sa tête, il fera plier le pouvoir en place qui sera contraint d’abandonner l’ensemble de son programme anticlérical. Cela lui vaudra la détestation d’une partie de la mouvance radical-socialiste et d’être caricaturé sous les traits d’un personnage réactionnaire et royaliste.
Il faudra attendre l’aube du vingt-et-unième siècle pour que des historiens contemporains tels que René Rémond corrigent cette image et le décrivent comme un républicain modéré aux idées sociales en avance sur son temps. Ce n’est donc pas une surprise si, dès l’annonce de l’armistice du 22 juin 1940, il prend ses distances avec tous ceux qui rallient Vichy. À cet égard, il est amené à s’écarter de la ligne de la FNC et de celle adoptée par une majorité de l’épiscopat français qui préconise un soutien critique au général Pétain.
Avant tout, Castelnau porte un jugement très différent sur les événements. On possède l’ensemble de sa correspondance privée de l’époque qui permet de suivre et dater avec précision sa pensée. Il n’admet pas que la France n’ait pas continué la lutte en Afrique du Nord et dans le reste de l’Empire. Il rejette la dialectique de la Révolution nationale. Très vite, il manifeste ouvertement son hostilité au régime de « l’État Français ».
Ses critiques et ses bons mots sont répétés à l’envi dans les rangs de la Résistance pour laquelle il ne cache pas ses préférences. À un vicaire venu lui porter un message de modération de la part du cardinal Gerlier, il répond : « Il a donc une langue ? Je croyais qu’il l’avait usée à lécher le cul de Pétain ! »
Édouard de Castelnau ne verra pas la libération de la France, il meurt en mars 1944 aux heures les plus sombres de l’occupation ce qui contribuera un peu plus à effacer son nom de l’Histoire.
Vos réactions à cet article
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Charles Brandt (25-04-2018 14:26:23)
Bonjour Monsieur Benoit Chenu, Je vous remercie pour vos précisions sur l'amplitude et la profondeur de la percée française lors de l'offensive de Champagne (septembre 1915). Vos commentaires su... Lire la suite
Charles Brandt (24-04-2018 14:28:19)
Bonjour. Vous indiquez une percée de 25 km lors de l'offensive de Champagne (septembre 2015). Dans son livre "1915" Le Naour parle de 5 km seulement. Qui a raison ?Lors de deuxième offensive de Cha... Lire la suite
Henri Huc (13-03-2018 18:08:54)
L'important n'est pas de savoir si ce texte est, ou pas, hagiographique. L'important c'est de savoir si d'avoir écarté du maréchalat le général de Castelnau, en raison de ses opinions personnell... Lire la suite
Jean-Pierre S. (13-03-2018 11:07:52)
En tant que Saint-Affricain, je ne peu qu'être fier de ce compatriote. Mon grand-père, qui n'était pas du pays mais avait combattu sous ses ordres, parlait avec nostalgie du "Père de Castelnau" q... Lire la suite
Jean-Marc LONGUET (12-03-2018 22:46:04)
Quel militaire intelligent, et combien de millier de morts auraient été évités. Mais l'orgueil bouffi des tenants de l’état-major a eu raison de cette intelligence, par le soutien de lèche-cul... Lire la suite
Henri Huc (12-03-2018 21:34:54)
Merci à Herodote de publier cet article qui rend justice au général de Curiéres de Castelnau. Son gendre aussi est tombé au Champ d'honneur. Il était très populaire parmi les soldats, il y avai... Lire la suite
L. HENROT (12-03-2018 21:02:11)
Gentille hagiographie ("racontée sous un autre jour") d'un ancêtre qui, lui, était resté raisonnablement modeste. Intéressant, sans plus.
Alain Salivas (12-03-2018 19:52:22)
Bonjour, Je profite de cette tribune, ou plutôt la détourne à mon profit (honte++), pour vous demander s'il serait possible de transmettre mes coordonnées à M. Chenu Benoît que je pense avoir... Lire la suite