Au IIe millénaire av. J.-C., à l'Âge du bronze, la grande plaine irriguée par le Houang He, le Fleuve Jaune, a vu l'émergence d'une civilisation originale, sous l'autorité d'empereurs quelque peu légendaires. Au tournant du Ier millénaire av. J.-C., le pays se divise en une myriade de principautés féodales qui se ramènent au fil des siècles à un total de sept royaumes dits « royaumes combattants ».
Au IIIe siècle avant J.-C., un énergique chef de guerre réunit sous son autorité les sept royaumes et réalise pour la première fois l'unité de la Chine. La dynastie Qin de ce Premier Empereur n'a pas survécu longtemps à sa disparition. Mais une nouvelle dynastie, les Han, relevait aussitôt son empire. Elle allait durer à peu près aussi longtemps que l'empire romain et mourir comme lui sous les coups des Barbares.
Les Chinois sont redevables aux Han de leur unité et d'à peu près tout ce qui compose leur identité nationale. C'est au point qu'ils leur ont emprunté leur nom et se qualifient eux-mêmes de Han.
NB : les illustrations de ce texte viennent de la magnifique exposition qui se tint au musée Guimet (Paris) en 2014-2015 : Splendeur des Han.
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À la haute Antiquité de la Chine, dominée par la dynastie des Shang, succède l'époque des « royaumes combattants », qui ressemble au Moyen Âge occidental (en plus brutal), puis les empires de l'époque classique, des Han aux Tang...
La brutale construction d'un État unifié
Tout commence au pays de Qin (prononcer Tjin). Ce royaume bénéficie d'une situation privilégiée dans la haute vallée de la Wei, un affluent du Houang He, le Fleuve Jaune. Protégé par les montagnes, il domine la grande plaine à blé de la Chine du nord.
Ses souverains vont user de cet avantage pour soumettre leurs rivaux, en affichant leur mépris des traditions militaires et des combats « à la loyale ». Ainsi délaissent-ils les chars en usage à l'époque féodale des « royaumes combattants » et leur préfèrent-il la cavalerie et l'infanterie. Ils n'ont pas de scrupules non plus à poursuivre les fuyards après la bataille et les massacrer.
Zhen Ying, qui deviendra pour la postérité le Premier Empereur Qin Shi Huangdi, recueille les fruits de ces entreprises. En une dizaine d'années, il unifie la Chine du nord sous sa férule et brise la féodalité en remplaçant les antiques royaumes par des préfectures administrées par des fonctionnaires. Cela lui vaut la haine des lettrés confucéens, attachés plus que tout aux traditions et à l'ordre ancien.
Qin Shi Huangdi ne s'en tient pas là.
Il renforce la Grande Muraille destinée à repousser les Barbares de la steppe, lance de grands travaux de génie civil dont certains (canaux...) durent encore, unifie les poids et mesures, et surtout l'écriture idéographique. Ainsi tous ses sujets, même s'ils parlent des langues différentes, peuvent communiquer grâce à une écriture commune.
L'empereur procède aussi à des transferts massifs de populations afin de parfaire l'unification du pays.
Succès sur toute la ligne... Mais après la mort de Qin Shi Huangdi, son fils se montre incapable de poursuivre son oeuvre. L'Empire menace de se désagréger. Lettrés et anciens féodaux aspirent à leur revanche.
La civilisation chinoise trouve ses marques
En 206 av. J.-C., quatre ans à peine après la mort du Premier Empereur, un officier du nom de Liu Bang prend la tête d'une bande de brigands et, dans le désordre ambiant, devient le nouveau maître de l'empire.
Désormais connu sous le nom de règne Gaozu, il s'arroge le titre impérial avec le Mandat du Ciel qui fait de lui, selon la tradition antique, le protecteur des récoltes.
Il inaugure la dynastie Han qui durera quatre siècles (avec une brève interruption). Il s'installe à Chang'an, la capitale des Qin, près de la ville actuelle de Xian.
Entourée de 25 km de murailles en terre damée, composée surtout de palais et de parcs, la résidence impériale est l'une des plus grandes villes de son époque. Il n'en reste pratiquement rien aujourd'hui, comme de la plupart des autres villes et monuments de la Chine antique...
Construite en briques, tuiles, bois et pisé, elle n'a pas résisté à l'épreuve du temps, à la différence des constructions en pierre du bassin méditerranéen.
Gaozu flatte habilement les lettrés confucéens, ce qui lui vaudra une image flatteuse dans la postérité !
Pour récompenser ses fidèles, il leur offre de grands gouvernements provinciaux tout en en faisant des quasi-fonctionnaires qu'il déplace à loisir.
Si Gaozu perd une grande partie des conquêtes de son prédécesseur, il arrive toutefois à contenir les nomades derrière la Grande Muraille.
La dynastie confirme la place des lettrés et des paysans au sommet de la hiérarchie sociale.
Gaozu étant lui-même d'origine paysanne, il évite de pressurer les propriétaires terriens qui forment l'ossature de la société. La Chine, en effet, demeure un pays de hameaux, avec de grosses fermes patriarcales qui pratiquent la culture céréalière et l'élevage.
Wudi et la Chine des Han à son apogée
C'est un demi-siècle après la disparition de Gaozu qu'émerge le plus grand souverain de la dynastie, Wudi (140-87).
En 54 ans de règne, Wudi va restaurer l'empire dans ses plus grandes frontières. Ainsi fait-il entrer le Vietnam dans la dépendance de la Chine pour un millénaire.
Afin d'assurer l'unité de l'empire, il procède comme les Qin à de grands échanges de populations.
Pour mieux contenir les Barbares de l'autre côté de la Grande Muraille, il renforce sa cavalerie et, pour cela, en 138 av. J.-C., demande à son général Zhang Qian de lui ramener des « chevaux célestes » du lointain Ferghana.
L'expédition va durer de longues années et contribuer à l'ouverture de la mythique « route de la soie », une succession d'oasis, de caravansérails et de foires par laquelle vont dès lors les marchandises entre l'Orient et l'Occident.
Afin de monter les chevaux à leur aise, ses guerriers sont priés de renoncer à leur robe et d'adopter le pantalon, vêtement habituel des femmes chinoises !
Wudi impose à ses grands vassaux, au nombre d'environ cent cinquante, de partager leur héritage à leur mort entre tous leurs fils...
C'est afin de réduire peu à peu la taille de ces baronnies et la menace qu'elles font peser sur le pouvoir central.
L'une de ses réformes les plus importantes est l'instauration en 134 av. J.-C. de concours pour le recrutement des fonctionnaires.
Recrutés au mérite dans toutes les classes de la société selon les principes confucéens, ces mandarins vont remplacer l'aristocratie dans l'administration de l'empire.
Le recrutement sur concours va perdurer jusqu'en 1905. Au XVIIIe siècle, en pleine « sinomanie », il va être introduit en France par le gouvernement de Louis XV avec le succès que l'on sait.
Mais les ambitions de Wudi ont un coût : elles entraînent l'empereur à altérer la valeur des monnaies et imposer un monopole d'État sur le sel et le fer.
Écrasés d'impôts, les petits paysans lâchent prise et entrent au service des grands propriétaires comme serfs.
Xuandi (73-49), petit-fils du grand Wudi, relance avec succès les guerres préventives contre les Xiongnu, de mystérieux barbares de la steppe, et les Qiang, nomades des plateaux tibétains.
Mais ces guerres s'avèrent extrêmement coûteuses... et elles suscitent naturellement la réprobation des pacifistes conseillers confucéens de la cour.
Elles aggravent le poids des impôts et entraînent des jacqueries que les successeurs de Xuandi vont être incapables de maîtriser.
Le désir d'immortalité tenaille beaucoup de souverains et de princes Han, conduisant certains à se faire inhumer dans un linceul en jade, le jade ayant la réputation de transmettre son imputrescibilité au corps.
Ce linceul-ci aurait appartenu à Liu Yngke, prince du Chu, mort en 174 av. J.-C. Il est composé de plus de quatre mille plaquettes de jade tissées par des fils d'or.
Un « usurpateur » communiste/confucéen
En l'an 9 de notre ère, Wang Mang, le neveu de l'impératrice douairière (dico), renverse l'empereur Han et prend sa place. Passionnément fidèle aux préceptes confucéens, il tente d'instaurer un régime étatiste ou pour tout dire communiste. Il nationalise la terre et impose des monopoles d'État sur l'exploitation de la pêche et la forêt.
Mais il est incapable de réprimer les jacqueries qui, périodiquement, émergent dans tel ou tel endroit de l'empire. L'une d'elles, la révolte des « Sourcils Rouges », va l'emporter. Liu Xiu, un prince Han, pénètre à Chang'an et décapite l'usurpateur.
La prospérité au rendez-vous
L'heureux vainqueur s'attribue le Mandat du Ciel sous le nom de règne Guangwudi (25-57). Mais il renonce à résider à Chang'an et lui préfère une nouvelle capitale plus à l'Est, Luoyang, dans la vallée du Huang He. Aussi les nouveaux empereurs sont-ils qualifiés par les historiens de Han postérieurs (à Wang Mang) ou Han orientaux (établis à Luoyang), par opposition aux précédents, les Han antérieurs ou Han occidentaux.
Si l'on en croit les chroniques, Guangwudi fut un souverain idéal. Sous son règne, les barbares Xiongnu furent contenus au-delà de la Grande Muraille (de dépit, ils se retournèrent vers l'Ouest, repoussant leurs voisins toujours plus vers l'Ouest... jusqu'à atteindre l'empire romain !).
La route de la soie fut aussi plus active que jamais comme l'attestent les pièces romaines retrouvées dans le sol chinois. À l'intérieur, la sage administration impériale permit de réduire les impôts des deux tiers !
Cette politique eut une traduction bien concrète : au début de notre ère, un recensement officiel attribuait à l'empire chinois 57 millions d'habitants (c'était à peu près le cinquième de l'humanité et autant que l'empire romain dans sa plus grande extension) ; deux siècles plus tard, quand les Han arrivèrent à bout de souffle, l'empire comptait près d'une centaine de millions d'habitants.
Néanmoins, les successeurs de Guangwudi ne laissent pas le souvenir de grands souverains.
On note seulement à la fin du premier siècle les exploits d'un général de valeur, Ban Chao (31-102), qui lance des expéditions victorieuses dans le bassin du Tarim, au coeur du Sinkiang, et atteint même la mer Caspienne...
C'est ainsi qu'à la fin du premier siècle, il n'y a plus que le royaume des Parthes qui sépare la Chine de Rome !
Le dernier siècle des Han témoigne d'une haute classe alanguie, avec une cour impériale paralysée par les querelles de palais entre eunuques et lettrés.
Mais c'est aussi une grande époque d'innovations qui voit l'invention du papier et les premières reproductions de textes par estampage, le développement des laques et aussi l'introduction en Chine du bouddhisme (dico) en provenance de l'Inde.
Les somptueux tombeaux princiers et leur matériel funéraire témoignent de la richesse de cette époque.
Les « Trois Royaumes » défont l'empire
En 184, une nouvelle jacquerie, la révolte des « Turbans Jaunes », a raison de la dynastie Han. On atteint alors le comble de la misère. « L'anarchie règne dans la capitale de l'Ouest, troublée par les tigres et les loups... Les ossements humains couvrent la plaine. Au bord d'une route, une femme en proie à la famine abandonne son enfant dans les herbes », témoigne un poète. À Chang'an, les palais impériaux sont détruits ainsi que tous les trésors accumulés par les Han.
Dans le désordre ambiant, trois usurpateurs s'emparent du pouvoir. Aux Han succède l'époque turbulente des « Trois royaumes » (221-265) : Wei (capitale : Luoyang), Shu (capitale : Chengdu) et Wu (capitale : Wuchang). Cette époque de fer et de sang sera magnifiée au XIVe siècle par un roman épique, Le roman des Trois Royaumes... et en 2008 par un film à grand spectacle, Les Trois Royaumes (John Woo).
Profitant du désordre ambiant, les barbares cantonnés aux frontières se font revendicatifs (tout comme sur le limes romain à la même époque !). C'est ainsi qu'en 316, Chang'an tombe sous les assauts d'un chef Xiongnu (Hun) qui se pare d'un nom chinois, Liu Yao, et revendique l'héritage des Han. La suite est aussi complexe et tourmentée que la période mérovingienne et le haut Moyen Âge à l'autre extrémité de l'Eurasie. Et d'un côté comme de l'autre, les atrocités du temps conduisirent les hommes à chercher consolation et espérance dans une religion d'amour et de paix. C'est ainsi que le bouddhisme séduisit la Chine comme le christianisme séduisit l'Europe.
En 318, rebutée par les barbares, la dynastie impériale de Jin, qui gouvernait le royaume de Wei, se réfugia au sud du Yangzi Jiang, le grand Fleuve Bleu qui sépare la Chine du nord de la Chine du sud. Elle s'installa à Jiankang (l'actuelle Nankin) et contribua à la sinisation de cette Chine encore arriérée.
La Chine du nord retrouva quant à elle son unité sous la férule d'une tribu d'origine turco-mongole, les Tabgatch, dont le nom deviendra tuoba en chinois. Ces barbares vont peu à peu s'amadouer et même se faire les promoteurs du bouddhisme. Ils vont attacher leur nom à la plus grande sculpture religieuse qu'ait possédée la Chine, l'équivalent de notre art roman et gothique, dans les grottes de Yun-kang (Chansi) et Long-men (Honan).
En 618 seulement, la Chine retrouve son unité avec Taizong, fondateur de la dynastie des Tang.
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