« S'il savait que je vous écris, mon père vous tuerait ».
Aucun doute, Laurent Binet, auteur remarqué de HhhH (2017), a su relever avec efficacité le piège de la première ligne d'un roman : en quelques mots, il parvient à nous faire comprendre tout ce qui va faire le piquant de son nouvel ouvrage, mystérieusement intitulé Perspective(s) (éditions Grasset, 2023). La forme, tout d'abord : nous allons fouiller les tiroirs pour lire la correspondance d'une dizaine de protagonistes. Le thème ensuite : une histoire de famille assombrie par une douteuse affaire de meurtre...
Pas très original, semble-t-il. Depuis Choderlos de Laclos, on sait que le roman épistolaire a de nombreux atouts pour séduire ; quant à la banale histoire de vengeance paternelle, la mythologie grecque en était déjà pleine !
Alors, d'où vient l'intérêt de ce livre ? Ouvrons la liste des correspondants : on y trouve entre autres les noms de Vasari, Strozzi, Médicis et d'un certain Buonarroti, plus connu sous son prénom de Michel-Ange. Nous voilà transportés en effet au milieu du XVIe siècle à Florence, alors qu'artistes, politiciens et religieux s'agitent autour du cadavre du peintre Pontormo, retrouvé assassiné au pied de sa fresque inachevée. Tout ce petit monde va s'employer à se courtiser et se trahir avec un talent certain, non tant pour savoir qui a commis le crime (des artistes après tout, il y en a plein à cette époque !), mais pour retrouver un mystérieux tableau qui met en péril une des plus nobles familles de la cité...
Son intrigue posée, ne reste plus à Laurent Binet qu'à jongler avec les lettres comme ses héros jouaient avec les couleurs, en les personnalisant suivant les individus concernés. Il parvient ainsi à créer un style d'écriture à la fois assez soutenu pour nous faire croire que nous déchiffrons les missives de la haute société florentine, et exempt de toute pédanterie pour rendre la lecture agréable. Ajoutons à ce numéro d'équilibriste des qualités de pédagogie pour, mine de rien, nous donner l'impression en quelques 250 pages de devenir des experts en Histoire et en Art de la Renaissance. Dans la riche famille des romans policiers historiques, Perspective(s) sort donc du cadre par l'originalité de sa composition, son érudiiton et le soin apporté à l'écriture. Pourquoi s'en priver ?
Publié ou mis à jour le : 24/10/2023 09:51:14