Pour en finir avec la repentance coloniale

Le passé colonial revisité

Daniel Lefeuvre (1951-2013), professeur à l'Université Paris-8 (Saint-Denis), bouscule les idées reçues, les mystifications et les erreurs qui polluent notre réflexion sur le passé colonial de la France.

Pour en finir avec la repentance coloniale

Depuis le début du XXIe siècle monte en France un débat autour du passé colonial avec une question très actuelle : les jeunes Français issus des anciennes colonies (Antilles, Afrique du nord, Afrique noire) doivent-ils se considérer comme des victimes de ce passé ?

Daniel Lefeuvre y a répondu avec un essai court mais solidement argumenté : Pour en finir avec la repentance coloniale.

Il démonte avec les bons vieux outils de l'historien (analyse critique des sources et des chiffres, contexte, comparaisons historiques...), les contrevérités, les trucages et les billevesées des anticolonialistes de salon qu'il appelle les « Repentants ».

Le résultat a de quoi surprendre :
– La conquête de l'Algérie et des autres colonies ? Des guerres ni plus ni moins cruelles que les guerres européennes,
– Le bilan économique de la colonisation ? Une perte nette pour la métropole et un transfert de richesses au profit des colonies très supérieur à l'actuelle aide au développement,
– Les immigrants des anciennes colonies dans la société française ? Une intégration beaucoup plus aisée que ne le fut celle des immigrants d'origine européenne (Italiens, Polonais...) !

La émonstration de Daniel Lefeuvre nous invite à réfléchir sur notre passé et sur... les motivations plus ou moins conscientes des « Repentants » dans leur volonté de victimiser les enfants de l'immigration.

Anachronisme

Le premier péché des Repentants, selon l'historien, est l'anachronisme : il consiste à juger les événements du passé selon notre propre grille de valeurs, indépendamment du contexte. « Comment ne pas s'inquiéter des dangers dont cette conception de l'Histoire est porteuse ? » note Daniel Lefeuvre.

« Falsifier l'histoire, c'est tromper les citoyens, c'est fausser leur jugement », dit-il en prenant pour exemple la conquête de l'Algérie, dans laquelle certains, dont le président algérien Bouteflika, voient rien moins que le prélude des chambres à gaz !

Daniel Lefeuvre (1951-2013)Daniel Lefeuvre rappelle la triviale réalité : après la prise d'Alger en 1830, les Français se cantonnent sur le littoral et concluent des traités avec les chefs de l'intérieur. Mais la guerre sainte lancée par Abd el-Kader en 1839 les entraîne dans une longue et difficile conquête.

L'historien en évoque les aspects sombres. Il rappelle ce que furent très précisément les « enfumades ». Il réévalue aussi les pertes des deux côtés en écornant au passage certaines évaluations fantaisistes...

Plus important encore, il rappelle, preuves à l'appui, que les horreurs de la guerre d'Algérie (comme des autres guerres coloniales) n'avaient hélas rien d'exceptionnel. Le mépris de l'ennemi était au moins aussi grand dans les troupes républicaines qui combattaient les Vendéens en 1793 ou dans les armées de Napoléon engagées en Espagne en 1808...

Les guerres coloniales n'anticipent en rien la Shoah. Elles reflètent les moeurs de leur époque et c'est déjà bien assez.

Exploitation

Je ne m'attarderai pas sur les chapitres que Daniel Lefeuvre consacre à l'économie coloniale.

Affiche de l'Expositioncoloniale de 1931 Malgré la propagande distillée par les partis colonistes de la fin du XIXe siècle à l'Exposition coloniale de 1931, les colonies se révèlent un gouffre économique, commercial et financier et il n'y a guère que quelques affairistes liés aux lobbies coloniaux pour en tirer profit.

À la suite de l'historien Jacques Marseille (Empire colonial et capitalisme français. Histoire d'un divorce), Daniel Lefeuvre montre que les colonies n'ont rien apporté à l'économie française et ont plutôt bridé son dynamisme. Tout juste ont-elles permis l'enrichissement de quelques sociétés et affairistes protégés par le gouvernement.

La principale exportation de l'Algérie était le vin, concurrent des vins métropolitains, déjà en surproduction. L'Afrique noire n'arrivait à exporter tant bien que mal qu'un peu de coton et de denrées tropicales, à des coûts bien plus élevés que sur les marchés mondiaux. Même le phosphate du Maroc coûtait plus cher à la France que celui disponible ailleurs.

Retenons le mot d'un économiste belge du XIXe siècle, Gustave de Molinari : « De toutes les entreprises de l'État, la colonisation est celle qui coûte le plus cher et qui rapporte le moins ».

Stigmatisation

Daniel Lefeuvre réévalue la perception des indigènes par les colons. Que n'a-t-on écrit là-dessus ces dernières années, en redécouvrant les « zoos humains » d'il y a 100 ans, ces cirques où l'on venait se repaître de la vue des « sauvages » !

« Sauvages ? » Parlons-en. Ce qualificatif revient fréquemment au XIXe siècle dans la bouche et sous la plume des bourgeois qui évoquent les paysans de notre douce France. Les poncifs que l'on appliquait à l'époque coloniale aux habitants des colonies s'appliquaient aussi aux plus pauvres des Français.

Daniel Lefeuvre cite à ce propos l'oeuvre magistrale d'Eugen Weber : La fin des terroirs (1976). On peut y lire : « Un spécialiste de folklore musical, parcourant le pays de l'ouest de la Vendée jusqu'aux Pyrénées, compare la population locale à des enfants et des sauvages qui,  heureusement,  comme tous les peuples primitifs, montrent un goût prononcé du rythme »... Après cette lecture, il ne reste plus aux Vendéens et aux Pyrénéens (dont votre serviteur) qu'à rallier le clan des « indigènes de la République » !

À ceux qui aujourd'hui stigmatisent le comportement discriminatoire de la République à l'égard des immigrés et enfants d'immigrés, Daniel Lefeuvre offre un aperçu de l'accueil reçu en d'autres temps par les immigrants européens (Belges, Polonais, Italiens).

En août 1893, à Aigues-Mortes, des voyous font la chasse aux immigrants italiens aux cris de : « Mort aux Christos ! » (Mort aux chrétiens !). Les malheureux sont roués de coups. On relève huit morts. La chronique rapporte ça et là d'autres incidents violents et souvent mortels...

Si l'on s'attarde sur les immigrants européens qui, au tournant du XXe siècle, se sont magnifiquement intégrés à la société française, on ne voit pas, et pour cause, ceux, en nombre équivalent, qui n'y ont pas réussi par le simple fait que, découragés par l'hostilité ambiante, ils sont rentrés au bercail.

Félicitons-nous que la situation actuelle n'ait rien de comparable à celle-là. A rebours des idées convenues, Daniel Lefeuvre considère que les immigrés originaires des anciennes colonies sont somme toute mieux accueillis et mieux intégrés que ne le furent les immigrés européens, prétendûment si proches des « Français de souche ».

L'historien craint en conclusion qu'à trop minimiser le processus d'intégration des Français originaires des anciennes colonies, on ne « persuade ces populations que la République s'est définitivement fermée à elles et qu'il leur faut donc chercher ailleurs les voies de leur réussite ».

La repentance pourrait en définitive réussir là où les colonistes et les racistes d'antan ont échoué, en enfermant les Français originaires des Antilles, d'Afrique du Nord ou d'Afrique noire dans un statut de victimes innocentes et de grands enfants irresponsables et en les convainquant qu'il leur est impossible d'en sortir par leur effort personnel !

Paralysés par le complexe victimaire, ils pourraient alors se détourner de la compétition sociale (« À quoi bon travailler à l'école, acquérir des diplômes et devenir un bon professionnel puisque je serai toujours marqué au fer rouge de la colonisation et de l'esclavage ? »). Ce renoncement marquerait le triomphe des bourgeois « repentants », tartuffes modernes, en facilitant à leurs rejetons la conquête des postes de commandement.

André Larané
Les cinq péchés capitaux des faux historiens

Daniel Lefeuvre recense cinq fautes méthodologiques majeures chez les « Repentants » et les prétendus historiens qui torturent le passé pour l'asservir à leurs présupposés idéologiques :

– l'absence de recul critique dans la reprise de citations isolées : le propos d'un excentrique ne reflète pas nécessairement l'état d'esprit de l'opinion publique,
– l'anachronisme : on assimile les faits de guerre pendant la conquête de l'Algérie à des crimes nazis sans voir qu'ils sont tout simplement de même nature que d'autres faits de guerre commis à la même époque et en d'autres lieux, y compris en Europe,
– la généralisation abusive : sur la base de quatre « enfumades » identifiées, on imagine que ce type d'action était banal pendant la conquête de l'Algérie,
– l'absence de comparaison : on déplore la condition déplorable des immigrés algériens en France après la Seconde Guerre mondiale sans voir qu'elle était en tous points semblable à celle des autres immigrants et de beaucoup de Français pauvres,
– la censure : on fait sciemment silence sur tous les faits qui pourraient contredire la thèse dominante ; ainsi attribue-t-on à la conquête la diminution de la population algérienne entre 1830 et 1870 sans parler de la crise frumentaire très grave qui a sévi en Algérie et au Maroc en 1865-1868.

Publié ou mis à jour le : 2019-08-27 19:23:19

Voir les 29 commentaires sur cet article

JP FABRE (02-11-2006 10:00:30)

Bravo pour ce livre remarquable et précis qui résume pour le grand public l'ouvrage "Chère Algérie" qui est magnifiquement documenté. Ma question est "Comment expliquer tant d'acharnement à main... Lire la suite

bahmed (26-09-2006 12:00:42)

C'est encore un ouvrage polémiste de plus qui lui vaudra une publicité imméritée. Je tiens a dire que pour tous chercheurs(Historiens, anthropologues, sociologues ou particuliers avertis), il exis... Lire la suite

Planat (24-09-2006 15:59:21)

Les Algériens se sont trompés de guerre. Ils auraient du lutter pour l'égalité des droits dans un état autonome, soutenu par la France.

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