Venus du sud de la Chine actuelle, les Birmans (ou Bamars), s’installèrent au VIIIe siècle dans ce qu’on appelle aujourd’hui la Haute-Birmanie. En moins de deux siècles, ils bâtirent un empire qui allait devenir la plus grande puissance régionale de cette zone géographique.
Ce verrou stratégique entre les Indes britanniques, la Chine et l’Asie du Sud-Est, suscita la convoitise de la Grande-Bretagne et des dirigeants de l’East India Company, présents dans le sous-continent indien depuis le XVIIe siècle.
Les Britanniques durent cependant mener trois guerres au XIXe siècle pour réduire la résistance birmane et provoquer la chute de la prestigieuse dynastie Konbaung (1752-1885). La Grande-Bretagne pu alors avoir un accès direct à l’immense marché chinois ainsi qu’au lucratif commerce de l’opium tout en tirant un grand profit de l’exploitation des richesses du sous-sol birman.
Ce n’est qu’en 1948 que fut proclamée l’indépendance. Depuis, cette démocratie subit régulièrement des coups d’État de la part d'une armée qui mène une guerre sans merci contre les minorités accusées de vouloir détruire l’unité du pays.
Entre l'Inde et le Bangladesh d'un côté, la Chine, le Laos et la Thaïlande de l'autre, la Birmanie est enserrée dans un écrin de montagnes bien arrosées et traversées de puissantes artères fluviales, l'Irrawaddy étant le fleuve principal. Elle a été rebaptisée Myanmar en 1989 et sa capitale Rangoun est devenue Yangon.
Le pays compte 54 millions d'habitants (2023) sur 676 000 km2, parmi lesquels une centaine d'ethnies minoritaires qui vivent dans les territoires périphériques (Karin State, Chan State, Karen State...), sans compter quelques communautés musulmanes à la frontière avec le Bangladesh et dans l'extrême sud.
Longtemps morcelée en petits royaumes rivaux et soumise aux influences étrangères, la Birmanie a accueilli avec chaleur le bouddhisme, religion d'État depuis 1961.
Le bouddhisme theravada (« Petit véhicule ») (dico) a toujours été le principal ciment de la société birmane et s'est en particulier épanoui après l'An Mil autour de Pagan (ou Bagan), la « Ville des mille temples » avec ses célèbres stupas (chignons) symboliques de l'ordre cosmique. Venue d’Inde au IIIème siècle avant J.-C., cette religion préserve l’unité du royaume malgré la division physique du pays et la présence de groupes minoritaires animistes (notamment les Karens vivant dans les montagnes qui seront plus réceptifs à l’évangélisation au XIXème siècle).
Encore aujourd’hui en Asie du Sud-Est, la Birmanie fait même figure de siège continental du bouddhisme theravada puisque 85 à 89 % de la population birmane adhère à cette croyance.
La Birmanie avant la conquête britannique
Entre l'Inde et le Bangladesh d'un côté, la Chine, le Laos et la Thaïlande de l'autre, la Birmanie est enserrée dans un écrin de montagnes bien arrosées et traversées de puissantes artères fluviales, l'Irrawaddy étant le fleuve principal.
C’est au VIIIème siècle que les Birmans (ou Bamars) venus du sud de la Chine actuelle s’installent dans ce qu’on appelle aujourd’hui la Haute-Birmanie. Au IXème siècle, ils fondent Pagan sur les rives de l’Irrawaddy, une cité-État qui deviendra bientôt un empire.
L’expansion birmane s’oriente rapidement vers la Basse-Birmanie et supplante le royaume de Thâton fondé par les Môns, venus eux-aussi de Chine durant le IVème siècle avant J.-C. Entre le XIème et le XIIIème siècle, l’ethnie birmane va réussir à dominer l’ensemble du pays.
À cette épopée unificatrice dont Pagan constitue le noyau vont succéder deux siècles de division qui virent la Birmanie partagée entre le royaume birman d’Ava au nord et le royaume môn de Pégou au sud.
À nouveau réunifié après cette période troublée, le pays va devenir la plus grande puissance régionale de son temps à la fin du XVIème siècle. Situé au cœur du commerce asiatique, il profite de sa position stratégique entre les mondes indiens et chinois. Sa prospérité est d’ailleurs bientôt renforcée par l’arrivée dans la région des premiers navires européens.
Parvenue à son apogée sous la dynastie Taungou (1527-1740), la Birmanie étend sa domination de Manipour et des frontières de l’Arakan, à l’ouest, jusqu’aux limites des civilisations viêt et khmer, à l’est, et des confins du Yunnan, au nord, jusqu’à la pointe de la péninsule malaise, au sud.
À la fin du XVIIIème siècle, la dynastie Konbaung (1740-1824) consolide son pouvoir et s’impose à ses voisins môns de Basse-Birmanie jusqu’à leur assimilation forcée. Elle va cependant devoir faire face à la colonisation britannique qui signera la fin de la monarchie birmane.
Première guerre anglo-birmane (1824-1826)
Au début du XIXème siècle, la Birmanie constitue l’un des empires les plus importants de la région puisqu’il a édifié, en moins d’un siècle, trois capitales monumentales : Ava, Amarapura et Mandalay.
Après avoir soumis les royaumes voisins, le royaume se dote d’une frontière avec la partie nord-est de l’Inde britannique. Dès lors, les sanglantes poussées de la monarchie birmane aux portes de l’Assam et du Bengale inquiètent les Anglais et notamment lord Amherst, le gouverneur de Calcutta.
Inquiet des développements potentiellement belliqueux de cette situation, il persuade Londres d’intervenir sur la frontière au nord-est des Indes ainsi que le long des côtes birmanes. C’est ainsi que va commencer le 5 mars 1824 la première guerre anglo-birmane.
Elle mobilisa 40 000 soldats, principalement des cipayes (soldats indiens), dont 15 000 périrent soit au combat soit à cause des maladies car ils étaient peu habitués au climat tropical du delta de l’Irrawaddy.
Un corps expéditionnaire fut envoyé en mai 1824 par la mer à partir des îles Andamans pour occuper la ville de Rangoun (Basse-Birmanie). En parallèle, les Birmans furent refoulés hors de l’Assam et du Manipur. Suite à ces débâcles, le roi demanda une trêve qui fut refusée par les Britanniques et l’armée se vit obligée de capituler le 26 décembre 1825.
Ce fut l’un des conflits les plus coûteux en hommes et en ressources que la Grande-Bretagne eut à mener dans son empire. Il engloutit en effet 13 millions de livres-or ce qui représentait à l’époque plus de la moitié du budget annuel de l’East India Company.
Avec le traité signé le 24 février 1826 à Yandabo, les vainqueurs imposèrent l’installation d’une représentation britannique permanente à la cour d’Ava, ainsi que des accords pour garantir des avantages aux commerçants britanniques en Birmanie. Enfin, les Anglais décidèrent d’annexer les zones côtières de l’Arakan et du Tenasserim, s’assurant ainsi un glacis défensif dans le nord-est des Indes.
Ce fut le début de l’afflux des commerçants britanniques et européens, avides d’exploiter les richesses du pays. Au même moment, le roi birman Bagyidaw abdiqua au profit de son frère Tharrawaddy qui fut couronné le 15 avril 1837.
Aimant faire des démonstrations de force à la tête de son armée, le nouveau souverain adopta une attitude ouvertement agressive à l’égard des représentants britanniques qui se trouvaient en difficulté financière.
À sa mort, le 17 novembre 1846, son fils lui succéda sous le nom de Pagan. Le climat très conflictuel entre Birmans et commerçants européens atteignit son paroxysme en 1852 lorsque le nouveau roi tenta d’imposer une taxe les mouvements des navires anglais.
Deuxième guerre anglo-birmane (1852)
Une nouvelle fois, la guerre fut déclarée et un corps expéditionnaire de 6000 hommes composé de soldats de la Couronne et des forces navales de l’East India Company débarqua sur la côte birmane. Les principales villes du sud tombèrent les unes après les autres aux mains des Anglais jusqu’à la prise de Prome le 9 octobre 1852.
Endommagée durant les deux premières guerres anglo-birmanes, la cité fut restaurée à ses frais par le roi Mindon, soucieux d'entretenir de bonnes relations avec les Britanniques. Ce conflit fut rapide et habilement planifié par les Anglais qui trouvèrent face à eux une armée birmane désorganisée et incapable d’opposer une résistance efficace.
Il eut des conséquences fâcheuses pour les Birmans puisqu’il aboutit à l’annexion de l’ensemble de la Basse-Birmanie, soit la capitale Rangoun, le delta de l’Irrawaddy et la région de Pegu, privant ainsi le pays d’un accès à la mer et obligeant la cour birmane à se réfugier dans la ville de Mandalay plus au nord.
L’East India Company ne se souciait pas de soumettre le pays mais aspirait seulement à un commerce sans entraves. Cette guerre fut d’ailleurs mentionnée en 1853 par Karl Marx dans un article du New York Tribune pour illustrer le comportement impérialiste de la Grande-Bretagne.
Suite à cette guerre, une révolution provoqua la chute du roi Pagan, jugé responsable de la perte de la moitié du royaume. Son successeur, le roi Mindon, adopta une stratégie de guérilla et de harcèlement à l’encontre des troupes coloniales présentes sur le territoire birman. En 1857, il fit de Mandalay la nouvelle capitale du royaume tout en se voyant obligé d'accepter la présence d'un résident britannique sur place.
Pour contrer l’avancée des Britanniques, la cour birmane noua des relations avec les nations européennes rivales. En 1872, le roi Mindon envoya une première ambassade en Europe et d’abord en Angleterre pour aborder quelques questions politiques, puis en Italie et en France dans le but de jeter les bases d’un nouveau traité de commerce.
Un accord de coopération fut d’abord obtenu avec le jeune royaume d’Italie qui envoya des ingénieurs, des armes et des machines industrielles en Birmanie. Des employés italiens servirent également auprès du roi en tant qu’experts et conseillers militaires, permettant au pays d'engager sa modernisation.
Puis, le 6 novembre 1878, Thibaw, fils de Mindon, fut couronné à Mandalay sans savoir qu’il serait le dernier roi de la dynastie Konbaung. Le nouveau souverain, conscient des avantages qu’il pouvait tirer de la rivalité coloniale entre la France et la Grande-Bretagne dans la région, se laissa approcher par les Français, présents en Cochinchine depuis 1862 et au Tonkin depuis 1883.
L’un des objectifs de la France était de concurrencer le commerce britannique en reliant la route commerciale de Yunnan-Fou (future Kunming) et Mandalay au Mékong, afin de détourner les flux commerciaux vers l’Indochine française et ainsi de priver les Britanniques d’échanges lucratifs avec les Chinois.
En 1883, Thibaw envoya une nouvelle ambassade en France qui s’engagea à fournir des armes à la Birmanie en cas de besoin. En réaction à ces accords franco-birmans, les Britanniques décidèrent de rompre leurs relations diplomatiques avec la cour birmane.
Troisième guerre anglo-birmane (1885)
La troisième guerre anglo-birmane devint inévitable lorsqu’en août 1885, le roi Thibaw s’attaqua aux intérêts britanniques en Birmanie. Le conseil birman (Le Hluttô) venait en effet de condamner et d’infliger une amende pour contrebande à la Bombay Burmah Trading Corporation qui exploitait le bois de teck dans les forêts de Haute-Birmanie, soutenue par des hommes d'affaires britanniques de Rangoun.
En réponse à cet affront, Lord Randolph Churchill (le père de Winston), ministre en charge des affaires indiennes, ordonna le 22 octobre l’envoi d’une canonnière porteuse d’un ultimatum à la Birmanie.
Les Britanniques exigèrent qu’un nouveau résident soit envoyé à Mandalay pour prendre en charge la gestion des relations diplomatiques du gouvernement birman. Londres espérait ainsi éviter tout nouvel accord secret avec une puissance étrangère. Pour le roi birman, cela revenait à renoncer à sa souveraineté et à devenir officiellement un vassal des Britanniques, d’où son refus d’obtempérer.
Le gouvernement britannique ne vit d'autre alternative que l'annexion. Il envoya le 14 novembre 1885 une flottille de vapeurs, en partie constituée des bateaux de l’Irrawaddy Flotilla Company. Elle remonta l’Irrawaddy en étant appuyée par une colonne de soldats sur chaque rive. Commandée par le général Harry Prendergast, l’opération avait pour but la prise de Mandalay.
Le conflit dura à peine deux semaines car les troupes du roi Thibaw, éparpillées sur tout le royaume, furent surprises par l’attaque et plièrent sans résistance devant la puissance de feu et l’organisation des troupes anglo-indiennes.
Le roi Thibaw tenta d'obtenir un armistice mais Sir Harry Prendergast refusa. Il promit néanmoins la vie sauve à la famille royale si les garnisons de la capitale se rendaient sans condition, ce que Thibaw fut contraint d'accepter. Mandalay fut ainsi prise le 28 novembre 1885 et, le lendemain, le colonel Edward Sladen recevait la capitulation inconditionnelle du gouvernement birman.
Mais la reddition de la capitale ne signifiait pas la fin des opérations. Sir Prendergast voulait atteindre Bhamo et la frontière chinoise toute proche, objectif qu’il atteignit le 28 décembre.
Cette conquête de la Haute-Birmanie permit aux Britanniques d’intégrer l’ensemble du territoire birman et d’en faire la marche stratégique orientale de l’Empire des Indes, véritable tampon destiné à contenir les Chinois et les Français d’Indochine.
L'annexion de la Birmanie, la dernière des Anglais en Asie, fut annoncée au Parlement britannique le 1er janvier 1886 par Sir Randolph Churchill au titre de « cadeau de Nouvel An » à la reine Victoria. Le 1er janvier de l’année suivante, elle est officiellement couronnée impératrice des Indes. Une démarche logique puisque la couronne britannique avait mis en place une administration directe sur l'ensemble des Indes depuis la révolte des Cipayes de 1857.
Quant au roi Thibaw, après avoir été officiellement déposé le 1er décembre, il fut envoyé en exil avec sa famille sur la côte ouest de l’Inde, où il mourut en 1916 après trente ans d’exil.
La période coloniale
Une fois la conquête terminée, les Britanniques durent cependant mener des « opérations de pacification » car de nombreux insurgés (les dacoïts) refusèrent la défaite et continuèrent la lutte. Prompts à piller tout autant qu'à combattre l'occupant, ces insurgés pouvaient être comparés aux « pirates » auxquels les Français durent faire face au Tonkin.
Ils bénéficiaient du soutien de la population locale, qui ne supportait pas de voir les colonisateurs piller les trésors nationaux et la bibliothèque royale ou encore installer une chapelle anglicane et l’Upper Burma Club dans l’enceinte même du palais royal. Aux côtés des populations civiles, le clergé était également très actif dans l’insurrection et de nombreux moines prirent la tête de groupes résistants.
Pour mettre fin à l’insurrection, Sir Charles Crosthwaite, le nouveau commissaire en chef pour la Birmanie, n’hésita pas à brûler les villages soupçonnés de ravitailler les insurgés, ni à exécuter les hommes suspects.
Cette répression fut assurée par des troupes principalement indiennes puisque près de 40 000 cipayes étaient chargés de quadriller le territoire afin d’y assurer la stabilité. La violence fut telle que la presse européenne en rendit compte, ce qui provoqua des débats houleux au Parlement britannique.
Cette domination territoriale, quoiqu’imparfaite, fut tout de même suffisante pour permettre aux Britanniques d’instaurer une administration efficace pouvant répondre aux besoins des entreprises venues exploiter la colonie. La Haute-Birmanie, surtout, regorgeait de ressources sur lesquelles les milieux d’affaires britanniques lorgnaient depuis longtemps.
On y exploita en particulier le bois de teck si bien que des milliers d’hectares de forêts disparurent en quelques années avant que l'exploitation ne fût régulée.
Les mines de Mogok, dont la fameuse « vallée des rubis », immortalisée par Joseph Kessel dans son roman La Vallée des rubis, fut une autre source d’immenses revenus. Ce gisement situé à près de 150 km au nord-est de Mandalay fournit au monde l’essentiel de ses rubis et fut notamment la propriété de Lord Rothschild qui constitua la Burma Ruby Mines Company, introduite en bourse en mars 1889.
Enfin, le pétrole birman fut exploité par les Britanniques dès 1853, date à laquelle le premier baril quittait le pays, faisant de la Birmanie l’un des plus anciens pays exportateurs de pétrole.
Pour imposer leur mainmise sur le pays, les Britanniques s’employèrent à diviser les groupes ethniques locaux. Les minorités - karen (à l’est), kachin et chin (à l’ouest) - obtinrent l’élargissement de leurs droits ainsi qu’une relative autonomie.
À l’inverse, la majorité birmane (bamar), directement soumise au pouvoir colonial, vécut quant à elle la colonisation comme une expérience humiliante. À cela s’ajouta une immigration massive de main d’œuvre bon marché venue de Chine et surtout d’Inde, qui occupa dès lors tous les secteurs clés de l’économie birmane.
De l’artisanat aux professions libérales, les Indiens disposaient en effet de nombreux atouts pour concurrencer les Birmans. Il s'ensuivit l’émergence d’un nationalisme birman qui s’exacerba à partir des années 1930.
Les Birmans militèrent en premier lieu pour s’extraire de l’Empire des Indes, ce qu'ils obtinrent en 1937 quand la Birmanie devint une colonie à part. Dans une phase ultérieure, ils militèrent pour l'indépendance, laquelle fut retardée par la Seconde Guerre mondiale et l’invasion japonaise de 1942 qui mit fin à la domination britannique.
Une indépendance chèrement acquise
Après une période de négociations serrées, marquées par des grèves qui paralysèrent tout le pays, les Britanniques admirent le principe de l'indépendance de la Birmanie.
Avant qu'elle ne devienne effective, Aung San, Premier ministre de la Birmanie britannique depuis 1946, fut assassiné le 19 juillet 1947. C'est son compagnon de lutte U Nu qui devint le Premier ministre du nouvel État. Ce n’est que le 4 janvier 1948 que la Birmanie fut formellement indépendante.
Les premières années s'avèrent particulièrement difficiles : les exportations de riz tombent au plus bas ; des minorités, notamment les Karens chrétiens du centre-ouest, tentent de faire sécession. Dans les montagnes frontalières de la Chine, la culture illicite du pavot s'épanouit dans le Triangle d'Or.
U Nu parvient toutefois à installer une démocratie parlementaire. Son pays est présent en 1955 à la conférence de Bandoeng (Indonésie) qui réunit les pays « non-alignés ». L'un de ses compatriotes, le professeur U Thant, devient le troisième secrétaire général de l'ONU en 1961 (et le premier non-Européen à ce poste). La même année, le bouddhisme devient religion d'État.
Mais les épreuves affectent la jeune démocratie. Dans la crainte de rébellions ethniques et d'une fédéralisation du pays, le général Ne Win procède à un coup d'État le 2 mars 1962. La Birmanie devient une dictature militaire. Ne Win et ses successeurs l'engagent à marche forcée dans des réformes socialistes, au prix d'une violente répression contre les démocrates et les minorités.
En 1988, un soulèvement fait plusieurs milliers de victimes à Rangoun et conduit l'année suivante à l'organisation de premières élections libres. Celles-ci conduisent à la victoire du parti d'Aung San Suu Kyi, la fille de l'ancien leader assassiné. Mais la junte récuse le scrutin et jette Aung San Suu Kyi en prison.
En 1989, le pays prend le nom officiel d'Union de Myanmar, plus consensuel que celui de Birmanie, qui fait référence à une seule ethnie sur une centaine, tout en restant unitaire et centralisé. La capitale Rangoun devient Yangon.
Les militaires renforcent leur domination et ferment à peu près complètement le pays en s'appuyant sur la Chine populaire, leur alliée stratégique et sans craindre de défier l'opinion occidentale.
La Birmanie s'enfonce toutefois dans le dénuement et le mutisme, à l'écart de la modernisation accélérée qui parcourt ses voisins du Sud-Est asiatique. Les appels poignants d'Aung San Suu Kyi, assignée à résidence après avoir reçu le Prix Nobel de la Paix en 1991, ne semblent rien y changer, pas plus que les protestations des bonzes bouddhistes...
De nombreux Indiens ont émigré en Birmanie pour participer au boom économique induit par la colonisation britannique à la fin du XIXe siècle.
Parmi ces immigrants figuraient des Bengalis musulmans de la région de Chittagong. Ils sont devenus majoritaires dans la région de Maungdaw, au nord de l'ancien royaume bouddhiste d'Arakan, aujourd'hui appelé État Rakhine.
Au début du XXIe siècle, leurs descendants, appelés Rohingyas d'après leur langue usuelle, ont tenté d'obtenir un statut d'autonomie et d'affirmer avec plus de force leur foi islamique. Il s'en est suivi des persécutions de la part des bouddhistes rakhines et de l'armée birmane. À partir de 2015, sur une population d'environ 1,3 million de Rohingyas, plusieurs centaines de milliers ont dû fuir vers le Bangladesh voisin pour échapper aux massacres et aux viols.
Le jour se lève
L’élection du général Thein Sein (66 ans) à la présidence de la République le 4 février 2011 amorce une timide démocratisation : libéralisation économique, allègement de la censure, négociations avec les minorités, visite de la Secrétaire d’État américaine Hillary Clinton et élargissement du Prix Nobel de la Paix Aung San Suu Kyi.
Celle-ci revient sans attendre dans la compétition en politicienne avisée. Pragmatique et volontaire, digne fille de son père, elle avertit : « Je ne suis pas Margaret Thatcher mais je ne suis pas non plus Mère Teresa ».
Aux élections du 2 avril 2012, Aung San Suu Kyi est élue députée dans des conditions à peu près régulières. D'aucuns se prennent à rêver que la Birmanie (ou Myanmar) rejoigne la communauté des nations démocratiques.
Dans la perspective d'une transition paisible, la « Dame de Rangoun » commence à négocier en sous-main avec le régime militaire. C'est ainsi que son parti, la Ligue nationale pour la démocratie (LND), remporte haut la main les élections législatives, le 9 novembre 2015. Mais elle doit accepter que 25% des sièges de députés soient d'office attribués à la junte militaire.
Elle-même devient ministre des Affaires étrangères et porte-parole de la présidence (ou Conseillère d'État), une fonction équivalente à celle de chef de gouvernement.
Avec le même sens des réalités que le président Thein Sein, elle ne proteste pas quand celui-ci réprime dans le sang un soulèvement de la minorité Kachin, au nord du pays, ou traque les musulmans du sud et les pousse à fuir le pays sur des embarcations de fortune.
Le 10 décembre 2019, elle ne craint pas non plus de se présenter en personne devant la Cour internationale de justice, à La Haye, pour contrecarrer les accusations de génocide portées contre son gouvernement, à propos du sort réservé aux Rohingyas.
Son pragmatisme vaut à Aung San Suu Kyi une popularité renforcée. Aux élections du 8 novembre 2020, son parti remporte 82% des sièges ouverts au vote. C'en est trop pour le chef de l'armée, le général Min Aung Hlaing, qui, le 1er février 2021, commet un nouveau coup d'État et renvoie Aung San Suu Kyi en résidence surveillée.
Le bilan du séisme du 28 mars 2025 se monte déjà, provisoirement, à 3 000 morts. Il a aussi infligé de graves dommages au riche patrimoine du pays.
Les premières constatations montrent malheureusement que certains monuments, très fragiles, ont été totalement ou partiellement détruits. C'est le cas des sites les plus emblématiques de la région :
C'est dans une large plaine que s'était développée la civilisation dite de Bagan autour de sa capitale du même nom, du XIe jusqu'à l'arrivée des Mongols au XIIIe siècle. Ses quelque 3 500 monuments répertoriés, stupas et autres pagodes, répartis sur près de 50 km2, en faisaient un site majeur de la religion et de l'art bouddhiques. Souvent comparé à Angkor, au Cambodge, il avait déjà eu à souffrir d'un premier cataclysme en 2016 avant d'être classé au patrimoine mondial de l'UNESCO en 2019.
Ce palais avait été construit dans le milieu du XIXe siècle par le roi Mindon dans sa nouvelle capitale, aujourd'hui épicentre du séisme. En grande partie détruite par les bombardements de la Seconde guerre, la quarantaine de ses bâtiments de style traditionnel en teck, disposés en étages, étaient devenus un symbole fort d'identité du pays depuis leur reconstruction dans les années 1990. Une partie de son enceinte et sa célèbre tour de guet seraient à présent en ruines.
Construite au XVIIIe siècle à Mandalay, haute de 76 mètres, elle s'est elle aussi écroulée sous les yeux des passants.
Situé dans les environs de Mandalay, sa grande pagode dorée veillait depuis 1874 sur des centaines de sanctuaires disposés en rangs serrés à ses pieds.
Édifié en 1816 dans la ville de Mingun, ce bâtiment d'une blancheur éclatante voulait témoigner du chagrin du roi Bagyidam qui le fit construire en hommage à sa femme défunte.
Construit tout en briques entre 1822 et 1828, il n'offrait que peu de résistance aux séismes.
À ces sites les plus célèbres, il faudra certainement ajouter des centaines d'autres monuments du patrimoine civil ou religieux, comme la soixantaine de mosquées qui se sont effondrées sur les croyants, en ce vendredi de prière.




Birmanie, un pays mosaïque en quête d’unité 










Vos réactions à cet article
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Michel Fibiani (04-04-2025 16:25:12)
Bien que succinct car sous forme de résumé, votre article retrace bien l'histoire récente du Myanmar. Pour y avoir séjourné très récemment pendant quatre semaines, si " la Birmanie retrouve le ... Lire la suite
Michel Pesneau (03-04-2012 11:02:56)
Je trouve que vous évoquez un peu trop sommairement les élections (de 1962 ?) gagnées par le parti d'Aung San Suu Kyi et le sort réservée à sa présidente, non seulement assignation à résidenc... Lire la suite