Alexis de Tocqueville (1805 - 1859)
« Les nations de nos jours ne sauraient faire que dans leur sein les conditions ne soient pas égales; mais il dépend d'elles que l'égalité les conduise à la servitude ou à la liberté, aux lumières ou à la barbarie, à la prospérité ou aux misères »
Cette citation est empruntée à l'oeuvre magistrale d'Alexis de Tocqueville : De la démocratie en Amérique. Elle témoigne de l'acuité politique de celui que certains s'autorisent à considérer comme le plus grand penseur politique français.
Prophète de la démocratie comme du totalitarisme, Tocqueville a aussi entrevu en janvier 1848 la montée des revendications sociales et ouvrières. « Regardez ce qui se passe au sein de ces classes ouvrières, qui, aujourd'hui, je le reconnais, sont tranquilles... ; mais ne voyez-vous pas que leurs passions, de politiques, sont devenues sociales ? » lance-t-il à ses collègues députés en janvier 1848 quelques mois avant les émeutes ouvrières qui discréditeront la IIe République.
Sa lecture est toujours d'actualité (et d'un abord agréable), qu'il s'agisse de De la démocratie en Amérique, de L'Ancien Régime et la Révolution ou de ses Souvenirs.
« Quand l'inégalité est la loi commune d'une société, les plus fortes inégalités ne frappent point l'œil ; quand tout est à peu près de niveau, les moindres le blessent. C'est pour cela que le désir de l'égalité devient toujours plus insatiable a mesure que l'égalité est plus grande. »
Source : De la démocratie en Amérique (tome 3, édition de 1840)
Dans le droit fil de l'observation ci-dessus, le penseur Alexis de Tocqueville montrera dans L'Ancien Régime et la Révolution (1856) que les droits féodaux étaient devenus en 1789 d'autant plus insupportables aux Français qu'ils avaient déjà pour l'essentiel disparus ! Au contraire, dans des pays comme la Hongrie ou la Russie, ils étaient encore très vivants mais parfaitement acceptés car ils étaient considérés comme faisant partie de la nature des choses.
Cette observation, dite « paradoxe de Tocqueville », peut s'appliquer à quantité de phénomènes sociaux, politiques ou moraux (harcèlement sexuel, violences à l'égard des femmes, homophobie, intolérance religieuse etc.). Ces phénomènes sont d'autant plus réprouvés qu'ils sont marginaux. Ainsi, c'est en Suède plus qu'au Mexique que les femmes se plaignent d'être battues et en France plus qu'en Algérie que le racisme anti-noir est dénoncé...
« Mahomet a fait descendre du ciel, et a placé dans le Coran, non seulement des doctrines religieuses, mais des maximes politiques, des lois civiles et criminelles, des théories scientifiques »
Source : De la démocratie en Amérique II, I, v
Dans son analyse de la démocratie et des périls qui la menacent, l'historien et sociologue Alexis de Tocqueville accorde une grande place à l'excès d'individualisme comme à l'incrédulité religieuse. À défaut de citer en entier son chef-d'oeuvre De la démocratie en Amérique, relevons l'observation ci-après, dans le tome II, paru en 1840 ; elle fait écho à des interrogations très actuelles : « Mahomet a fait descendre du ciel, et a placé dans le Coran, non seulement des doctrines religieuses, mais des maximes politiques, des lois civiles et criminelles, des théories scientifiques. L'Évangile ne parle, au contraire, que des rapports généraux des hommes avec Dieu et entre eux. Hors de là, il n'enseigne rien et n'oblige à rien croire. Cela seul, entre mille autres raisons, suffit pour montrer que la première de ces deux religions ne saurait dominer longtemps dans des temps de lumières et de démocratie, tandis que la seconde est destinée à régner dans ces siècles comme dans tous les autres ».
« Je ne crois pas que la France puisse songer sérieusement à quitter
l'Algérie. L'abandon qu'elle en ferait serait aux yeux du monde l'annonce certaine de sa décadence. »
Alexis de Tocqueville a 25 ans en 1830. Jeune homme rêvant d'aventure et d'exotisme, il songe à s'établir en Algérie et se montre favorable à sa
conquête.
Plus tard, au terme de plusieurs séjours de l'autre côté de la Méditerranée, il écrit dans un Travail sur l'Algérie (octobre 1841) destiné aux parlementaires : «Je ne crois pas que la France puisse songer sérieusement à quitter l'Algérie. L'abandon qu'elle en ferait serait aux yeux du monde l'annonce certaine de sa décadence.»
Après ce préliminaire, Tocqueville justifie la guerre de conquête, non sans regretter les excès qu'elle entraîne : «Pour ma part, j'ai rapporté d'Afrique la notion affligeante qu'en ce moment nous faisons la guerre d'une manière beaucoup plus barbare que les Arabes eux-mêmes. C'est, quant à présent, de leur côté que la civilisation se rencontre.
Cette manière de mener la guerre me paraît aussi inintelligente qu'elle est cruelle (...).
D'une autre part, j'ai souvent entendu en France des hommes que je respecte, mais que je n'approuve pas, trouver mauvais qu'on brûlât les moissons, qu'on vidât les silos et enfin qu'on s'emparât des hommes sans armes, des femmes et des enfants.
Ce sont là, suivant moi, des nécessités fâcheuses, mais auxquelles
tout peuple qui voudra faire la guerre aux Arabes sera obligé de se soumettre. Et, s'il faut dire ma pensée, ces actes ne me révoltent pas plus ni même autant que plusieurs autres que le droit de la guerre autorise évidemment et qui ont lieu dans toutes les guerres d'Europe. En quoi est-il plus odieux de brûler les moissons et de faire prisonniers les femmes et les enfants que de bombarder la population inoffensive d'une ville assiégée ou de s'emparer en mer des vaisseaux marchands appartenant aux sujets d'une puissance ennemie ?» (oeuvres
de Tocqueville, La Pléiade, tome 1, pages 704 et 705).
Malgré tout lucide, l'historien ajoute en 1847 :
«Autour de nous, les lumières se sont éteintes. Nous avons rendu la société musulmane beaucoup plus misérable, plus désordonnée, plus ignorante et plus barbare qu'elle n'était avant de nous connaître.»