Souvenirs d'une ambassade à Berlin

1931-1938

André François-Poncet (Perrin, 505 pages, 24 €,  2016)

Souvenirs d'une ambassade à Berlin

La réédition des mémoires d’André François-Poncet sur son ambassade à Berlin revêt une résonnance particulière.

Tout comme Les Somnambules de Christopher Clark, qui relatait la marche inéluctable de l’Europe vers la catastrophe de la Première Guerre mondiale, le livre d’André François-Poncet décrit avec brio le glissement inexorable du vieux continent vers une nouvelle tragédie.

Si le premier ouvrage a eu un retentissement mondial, chacun pouvant y discerner de nombreux éléments de comparaison avec la situation internationale actuelle, les mémoires de l’ambassadeur français ne sont pas non plus sans éveiller certains parallèles avec les temps présents : avons-nous vraiment tiré toutes les leçons de l’agonie de la république de Weimar, de la faiblesse des démocraties face aux dictatures, de l’impuissance de la Société des Nations à résoudre les problèmes de l’heure ?

L’ouvrage d’André François-Poncet (1887-1978) est une œuvre d’écrivain digne des grands mémorialistes. Ce germaniste grand bourgeois, diplômé de l’École Normale Supérieure de la rue d’Ulm, ancien combattant de la Première Guerre mondiale, blessé à Verdun, n’est pas un diplomate de carrière.

Rédacteur du bulletin du Comité des forges, il est repéré pour ses analyses par Poincaré qui l’envoie en 1923 comme chef des renseignements économiques en Allemagne, alors en pleine crise. Entré en politique, il est choisi par Pierre Laval en 1931 pour l’ambassade d’Allemagne en raison de sa compétence économique et de sa parfaite connaissance du pays et de sa langue. Il y restera jusqu’au lendemain de la conclusion des accords de Munich.

En dépit de sa détestation des nazis, il sera néanmoins apprécié d’Hitler qui, à l’occasion de son départ, le recevra dans son nid d’Aigle de Berchtesgaden. Le récit de cette entrevue telle qu’il l’a rapportée au quai d’Orsay clos le livre. Il sera rendu public en 1940 avant l’invasion, ce qui mettra Hitler hors de lui et vaudra à François-Poncet d’être interné pendant deux ans au Tyrol.

Outre le récit des événements qui conduisent de la chute de la République de Weimar à l’annexion des Sudètes, le livre contient une série de portraits parfois féroces des protagonistes ; ainsi de Laval qu’il exécute en une phrase s’agissant des relations franco-allemandes : « il est vrai qu’il n’était ni gêné par la connaissance de ces problèmes, ni par un penchant à en faire une étude approfondie ». Le même Laval se rendant en Allemagne en 1931, est déçu : « on avait beau lui expliquer que la choucroute n’est pas un plat national, mais un plat régional allemand…, il ne cachait pas son désappointement ».

Évidemment, les portraits les plus intéressants sont ceux des dirigeants allemands et de Mussolini. Tout un chapitre est consacré au portrait croisé du Führer et du Duce. Hitler en prend pour son grade : « les traits d’Hitler sont mous. Front moyen, nez moyen, bouche moyenne ; l’expression du visage est figée, morne et vulgaire, les yeux légèrement globuleux, d’un gris terne, n’ont d’éclat que dans la colère et dans la transe… »

Il croque aussi des personnages moins connus des Français, comme Franz von Papen qui, par bêtise et vanité, joua un rôle décisif dans l’arrivée de Hitler au pouvoir et dont la particularité est « que ni ses amis, ni ses ennemis ne le prennent tout à fait au sérieux » ou encore du pauvre maréchal Hindenburg, qui finira quasiment prisonnier de Hitler et dont le testament sera falsifié.

Le récit des événements qui conduisent à l’abîme est passionnant. L’auteur se place en observateur privilégié et non en acteur et ne se fait guère d’illusion sur son influence auprès de Paris, qui apparaît d’ailleurs au fil des événements plus soucieux de ne pas fâcher son allié anglais que de contenir Hitler.

Sur Munich, François-Poncet émet un jugement nuancé. Pour lui, le lâchage de la Tchécoslovaquie apporte un répit que les Alliés auraient pu mettre à profit pour se préparer à l’affrontement inéluctable. Il avoue s’être fait des illusions sur l’influence exercée par Mussolini sur Hitler. Convaincu que la clé de la paix se trouvait à Rome, il demande sa mutation dans la capitale italienne après Munich.

Mais le plus passionnant est sans doute la description de la prise du pouvoir par Hitler et des deux années, 1933 et 1934, au cours desquelles il a imposé sa dictature sanglante : l’incendie du Reichstag et la chasse aux communistes et aux socialistes, la nuit des longs couteaux et l’élimination des SA et des catholiques modérés, l’assassinat du chancelier Dollfuss, la mort d’Hindenburg et la fusion des rôles de président et de chancelier.

Autant d’événements auxquels le corps diplomatique assiste atterré et impuissant. Bref, un livre à lire ou à relire, d’autant qu’il est enrichi de nombreuses notes et d’une introduction de Jean-Paul Bled, spécialiste de l’Allemagne.

David Victoroff

Publié ou mis à jour le : 10/06/2016 09:42:47

Djili (01-03-2016 22:40:06)

Il est incompréhensible que comme pour tout tyran pendant toutes ces années de la prise de pouvoir d'Hitler on ait eu de cesse de lui régler son compte au lieu d'en devoir supporter l'horreur. !fa... Lire la suite

LABORDE (28-02-2016 21:57:19)

De 1931 à 1939 a lieu, aussi , la Guerre d'Espagne, avec un rôle particulier des commanditaires anglais( et leurs complices français) qui défendent là leurs intérêts, jouent Hitler et Mussolini... Lire la suite

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