Le curieux « musée du quai Branly-Jacques Chirac », à deux pas de la Tour Eiffel, au bord de la Seine, a été voulu par le président Jacques Chirac, que l'on dit amateur d'arts exotiques, arts primitifs ou «arts premiers». Inauguré par le président de la République le 20 juin 2006 sous le nom de « musée du quai Branly », il a ajouté le nom du président au sien dix ans plus tard, le 21 juin 2016...
Jacques Chirac se flatte de considérer la valeur artistique d'une production des Indiens de la côte ouest-américaine aussi estimable que toute la peinture française du XVIIIe siècle (on nous pardonnera de ne pas partager cette opinion).
Mais si le président a voulu le musée du quai Branly, c'est, insiste-t-il, moins pour satisfaire un goût personnel que pour apporter à ses concitoyens une ouverture sur des cultures trop longtemps méconnues...
Le musée abrite dans ses réserves un total de 300 000 « objets ». Ils sont exposés à tour de rôle sur le plateau accessible au public. 3 600 sont ainsi visibles simultanément.
Il s'agit bien d'objets et non d'œuvres car le musée du quai Branly n'est pas à proprement parler dédié à l'art. Selon ses promoteurs, c'est tout à la fois un musée d'arts et traditions populaires, un musée d'archéologie et d'histoire et un musée d'anthropologie.
Notons que la plupart des objets du quai Branly avaient à l'origine une fonction utilitaire comme nos propres artefacts industriels. Par exemple, les masques de cérémonie avaient vocation à être détruits après usage. Leurs créateurs africains ou océaniens, lorsqu'ils viennent à être interrogés, ne comprennent pas qu'ils soient ainsi exposés hors contexte !
Ces objets viennent du musée de l'Homme du Trocadéro et surtout du musée des arts africains et océaniens du bois de Vincennes, dernier vestige de l'Exposition coloniale de 1931, en voie d'être transformé en un improbable lieu à la gloire des immigrations du dernier siècle.
Les promoteurs du musée ont aussi effectué des achats en vue de compléter leurs collections... Ce qui a contribué à la flambée des cours sur le marché de l'art africain (un masque fang a été vendu pour 4 millions d'euros en juin 2006). Il est même arrivé que l'on procède à des échanges baroques : un Titien des collections nationales contre un masque africain !
La plupart des objets d'origine océanienne, en bois et autres matériaux putrescibles, datent du XIXe siècle ou du XXe siècle. Très peu d'objets remontent au-delà du XIXe siècle. Les civilisations chinoise et indienne ne sont pas plus représentées que les civilisations européenne ou islamique même si l'on voit, dans la partie du Moyen-Orient, quelques pétoires ou mousquets de l'empire ottoman...
Le point commun à l'ensemble des cultures et civilisations représentées ici semble être l'absence d'écriture.
Le musée du quai Branly-Jacques Chirac est un lieu d'évasion et de rêve. Il n'a pas vocation à nous instruire sur les civilisations exotiques, pas plus sur leurs mœurs que sur leur art ou leur histoire. Conçu par l'architecte Jean Nouvel, le bâtiment est en lui-même un objet culturel original. C'est ce qui fait aussi son intérêt. Il se présente comme un gros cube multicolore isolé des bruits de la ville par une muraille de verre et un mur-jardin.
Le visiteur accède aux collections par une rampe de 300 mètres. Le plateau d'exposition couvre 4 500 m2, avec une hauteur de plafond de huit mètres. On est accueilli par un impressionnant totem du pays dogon (Mali), à la fois homme et femme, qui remonterait au Xe siècle. Ensuite, il ne reste plus qu'à se laisser guider en suivant le parcours en forme de « labyrinthe », « rivière » ou « serpent », dans une lumière tamisée propice à la songerie.
Ce parcours nous mène d'une région à l'autre de la planète : l'Océanie et l'Amérique du sud, l'Insulinde, l'Asie, le Moyen-Orient, l'Afrique, enfin l'Amérique du nord et les Inuits du cercle polaire.
L'inauguration du musée du quai Branly a donné lieu à d'innombrables articles dithyrambiques et l'on a pu lire en boucle une information selon laquelle le musée attirerait beaucoup de Français originaires d'outre-mer (Afrique, Antilles, Asie, Orient). Journalistes et commentateurs en ont conclu que ces Français ont besoin d'un lieu où ils retrouvent leurs racines et que les musées classiques, avec leurs Delacroix et leurs Rembrandt, ne peuvent les satisfaire.
Glissons sur ce raisonnement teinté de racisme, tout bien-pensant qu'il soit, et soulignons la réalité : ayant à plusieurs reprises fait la queue à l'entrée du musée du quai Branly, j'ai noté l'absence presque totale de « minorités visibles » parmi les visiteurs (à l'exception des classes scolaires) !
Le constat est clair : comme tous les établissements culturels français, le musée du quai Branly a un public à peu près exclusivement composé de représentants des classes moyennes supérieures (blanches), quoique sa direction assure recevoir 20% de personnes en quête de leurs racines ! L'éducation et le statut social, plus encore que le prix d'entrée, font que les classes populaires, à quelques remarquables exceptions, délaissent hélas les lieux de culture quels qu'ils soient, y compris le musée du quai Branly.
Mon intuition est confirmée par la Cité de l'Immigration, à l'est de la capitale. Bien que d'un accès très bon marché, ce musée reçoit lui aussi très peu de « minorités visibles » alors que les familles de toutes les couleurs se pressent à l'entrée du zoo voisin, sans être rebutées par le prix d'entrée élevé.
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