Giovanni Ferretti, élu le 16 juin1846 sous le nom de Pie IX, a eu le règne le plus long (32 ans) et l'un des plus tourmentés de l'Histoire de l'Église.
Le pape du concile Vatican fut d'abord perçu comme un homme d'ouverture. Les catholiques libéraux ainsi que les républicains italiens reportèrent sur lui leurs espoirs d'ouverture de façon quelque peu exagérée mais ils durent déchanter après l'échec des soulèvements révolutionnaires de 1848.
Un pape sous pression
Né en 1792 près d'Ancône (Italie), Giovanni-Maria Mastaï Ferretti devient prêtre, puis évêque d'Imola, après avoir été empêché d'entrer dans l'armée pour cause d'épilepsie.
Le 16 juin 1846, il est élu pape par le conclave des cardinaux. Il devient à ce titre le guide spirituel du monde catholique et également le souverain temporel des États pontificaux, en Italie centrale, autour de Rome et de Ravenne.
L'origine de ces États remonte à une donation de Pépin le Bref au pape de son époque, plus de mille ans auparavant. Elle était destinée à assurer l'autonomie du Saint-Siège face aux pressions des souverains temporels.
Pie IX se signale par une charité ardente et commence à introduire la démocratie dans le gouvernement de ses États. Il libère des militants de l'unité nationale et instaure deux Chambres pour le vote des lois.
Il fait entrer des laïcs dans les commissions du gouvernement, lance la construction d'un chemin de fer, la rénovation de l'éclairage public... Il abolit l'obligation faite aux juifs de Rome de résider dans le ghetto et fait détruire le mur qui entoure cet ancien quartier réservé.
De nombreux Italiens voient en lui le chef possible d'une fédération italienne. L'abbé piémontais Vincenzo Gioberti préconise une fédération autour du pape (dans la tradition des Guelfes qui, au Moyen Âge, s'opposaient aux Gibelins partisans de l'empereur d'Allemagne). Le 8 septembre 1847, l'agitateur républicain Giuseppe Mazzini lance même à Pie IX, depuis Londres, un appel en vue de prendre la tête du mouvement italien de libération.
Déception des patriotes italiens
Les Révolutions de 1848 vont mettre un terme à ces velléités libérales. À la suite de Vienne, Milan se soulève contre l'absolutisme de l'empereur d'Autriche, lequel règne sur le royaume lombardo-vénitien (Milan et Venise) depuis le Congrès de Vienne de 1815.
Le petit roi du Piémont, Charles-Albert, appelle les princes de la péninsule à le rejoindre dans la guerre contre l'empereur d'Autriche, afin de libérer la Lombardie et la Vénétie. Pie IX laisse partir des troupes pontificales mais se rétracte bientôt et renonce à la guerre. C'est la consternation dans les rangs libéraux qui voient s'effondrer leurs chances de succès.
Pie IX promulgue une Constitution pour apaiser ses sujets tout en préservant l'indépendance de ses États. Une insurrection n'en éclate pas moins. Son ministre libéral Pellegrino Rossi est assassiné le 15 novembre 1848. Fuyant les violences, le pape doit se réfugier dans la citadelle de Gaète, au sud de Rome, où il attend la suite des événements...
Tandis que la guerre menée par le Piémont tourne à la confusion, des républicains menés par Mazzini s'emparent de la Ville sainte et proclament la République le 9 février 1849.
Les Italiens, guidés par le roi de Piémont-Sardaigne, sont piteusement battus par les Autrichiens à Novare. Pie IX fait alors appel à la France pour le restaurer dans ses États. La IIe République envoie à son secours le général Oudinot et les troupes françaises entrent à Rome le 2 juillet 1849 après avoir écrasé les volontaires de Giuseppe Garibaldi, venus défendre l'éphémère République romaine.
Tout change. Pie IX rétablit le ghetto et impose aux juifs de Rome une contribution particulière pour financer son retour au Vatican. Puis il se détourne des révolutionnaires exaltés, comme les Chemises rouges de Giuseppe Garibaldi. Répudiant le libéralisme et l'engagement politique, il donne désormais la primauté à la quête spirituelle. Le 8 décembre 1854, il prononce le dogme de l'Immaculée Conception à propos de la Vierge Marie. Ce dogme sera porté aux nues par les apparitions miraculeuses de Lourdes quelques années plus tard.
En 1858 éclate l'affaire Mortara. Dans une famille juive de Bologne, la police pontificale enlève un enfant, Edgardo Levi Mortara, sous prétexte qu'il aurait été baptisé en secret par une servante. L'enfant sera placé sous la protection de Pie IX et deviendra prêtre.
En France, où le parti clérical a été remis en selle par la Deuxième République et le Second Empire, le journaliste Louis Veuillot justifie avec violence, dans sa feuille L'Univers, l'attitude de la Sainte Congrégation dans l'affaire Mortara. Il s'en prend à la « presse juive », autrement dit aux journaux qui défendent l'opinion contraire de la sienne et qu'il accuse d'être à la solde des juifs.
La polémique développée par Louis Veuillot apparaît comme la première manifestation de l'antisémitisme moderne (dico). Prenant la place de l'antijudaïsme traditionnel, il s'en prend à la fois aux juifs cosmopolites de la bourgeoisie, que l'on accuse d'opprimer les ouvriers, et aux juifs traditionalistes et pauvres, auxquels on reproche de repousser les valeurs universelles de l'Europe des Lumières.
En riposte à l'affaire Mortara et à cet antisémitisme naissant, des juifs occidentaux créent en 1860 l'« Alliance israélite universelle » afin de se défendre des accusations portées contre eux. L'avocat et homme politique français Adolphe Crémieux en est le premier président. Il s'illustrera plus tard en donnant la citoyenneté française aux juifs d'Algérie (en oubliant les musulmans).
Succès de l'ultramontanisme
Le 8 décembre 1864, en annexe de l'encyclique Quanta cura, Pie IX publie le Syllabus. Il s'agit d'un catalogue à la Prévert de tout ce qu'il pense être les erreurs de la pensée moderne. Ce document témoigne de son appréhension face à des États de plus en plus envahissants, qui tendent à limiter la liberté des individus (on en verra les effets désastreux avec l'avènement du totalitarisme deux générations plus tard). Mais le ton sarcastique et les excès de langage du Syllabus suscitent l'ire des catholiques libéraux.
L'époque est à l'ultramontanisme. Dans les grands pays catholiques, dont la France, le clergé et les fidèles manifestent un soutien croissant envers le pape « d'outre-monts ».
L'action des troupes du roi de Piémont-Sardaigne et de Garibaldi, qui s'emparent des États pontificaux, à la seule exception de la Ville éternelle, ne fait qu'accroître la sympathie des catholiques à l'égard du souverain pontife.
L'autorité morale et spirituelle de Pie IX ne cesse de s'accroître. C'est ainsi qu'en 1869, il réunit le concile Vatican I en vue de consolider son autorité.
Le 18 juillet 1870, au terme d'un débat agité, le concile Vatican I attribue au souverain pontife l'infaillibilité en matière de dogme. Avec une nuance toutefois : ses décisions n'ont de valeur que si elles sont prononcées de façon solennelle, devant le peuple, ex cathedra, ce qui est une manière de respecter la démocratie des origines. À noter que l'infaillibilité ne s'applique pas aux décisions ordinaires du souverain pontife, en matière de discipline, de morale ou de gestion des affaires courantes.
Quelques mois plus tard, le 20 septembre 1870, les troupes du roi d'Italie occuperont Rome en profitant du retrait des troupes françaises suite à la défaite de Napoléon III à Sedan. C'en sera fini des États pontificaux. Pie IX se considèrera comme prisonnier au Vatican. Une situation qui perdurera jusqu'aux accords de Latran, en 1929, avec le Duce Mussolini, et à la création de l'État souverain du Vatican (le plus petit État du monde).
La fin du pontificat de Pie IX, jusqu'à sa mort, le 7 février 1878, sera consacrée à combattre la montée de l'anticléricalisme et des idéologies laïques en Europe occidentale, en France et aussi dans l'Allemagne de Bismarck, troublée par le Kulturkampf.
Le pape et ses successeurs vont faire tout leur possible pour accroître l'autorité du Saint-Siège sur les catholiques du monde entier, au détriment des institutions intermédiaires : associations cultuelles, ordres monastiques, actions associatives de laïcs et de clercs. Le pouvoir passera par la nomination d'évêques acquis au Saint-Siège, parfois contre le souhait des fidèles.
Pie IX a été béatifié par le pape Jean-Paul II en septembre 2000, en même temps que Jean XXIII. Par cette béatification qui en fait un « bienheureux », son lointain successeur a voulu honorer ses qualités humaines sans porter de jugement sur ses actions, contestables à bien des égards.
La papauté moderne entre tradition et ouverture
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