Le 8 décembre 1864, en annexe de l'encyclique Quanta cura, le pape Pie IX publie le Syllabus. Il s'agit d'un catalogue à la Prévert de tout ce que le souverain pontife pense être les erreurs de la pensée moderne. Ce document témoigne de son appréhension face à des États de plus en plus envahissants, qui tendent à limiter la liberté des individus. Il illustre aussi un rejet viscéral de la démocratie que partageront ses successeurs jusqu'à Pie XII, mort en 1958.
RÉSUMÉ RENFERMANT LES PRINCIPALES ERREURS DE NOTRE TEMPS
QUI SONT SIGNALÉES DANS LES ALLOCUTIONS CONSISTORIALES, ENCYCLIQUES ET AUTRES LETTRES APOSTOLIQUES DE N. T. S. P. LE PAPE PIE IX.
§ I.
Panthéisme, naturalisme et rationalisme absolu.
I. Il n'existe aucun Être divin, suprême, parfait dans sa sagesse et sa providence, qui soit distinct de l'univers, et Dieu est identique à la nature des choses, et par conséquent assujetti aux changements ; Dieu, par cela même, se fait dans l'homme et dans le monde, et tous les êtres sont Dieu et ont la propre substance de Dieu. Dieu est ainsi une seule et même chose avec le monde, et par conséquent l'esprit avec la matière, la nécessité avec la liberté, le vrai avec le faux, le bien avec le mal, et le juste avec l'injuste.
II. On doit nier toute action de Dieu sur les hommes et sur le monde.
III. La raison humaine, considérée sans aucun rapport à Dieu, est l'unique arbitre du vrai et du faux, du bien et du mal : elle est à elle-même sa loi, elle suffit par ses forces naturelles à procurer le bien des hommes et des peuples.
IV. Toutes les vérités de la religion découlent de la force native de la raison humaine ; d'où il suit que la raison est la règle souveraine d'après laquelle l'homme peut et doit acquérir la connaissance de toutes les vérités de toute espèce.
V. La révélation divine est imparfaite, et par conséquent sujette à un progrès continuel et indéfini correspondant au développement de la raison humaine.
VI. La foi du Christ est en opposition avec la raison humaine, et la révélation divine non seulement ne sert de rien, mais encore elle nuit à la perfection de l'homme.
VII. Les prophéties et les miracles racontés dans les saintes Écritures sont des fictions poétiques, et les mystères de la foi chrétienne sont le résumé d'investigations philosophiques ; dans les livres des deux Testaments sont contenues des inventions mythiques, et Jésus-Christ lui-même est un mythe.
§ II.
Rationalisme modéré.
VIII. Comme la raison humaine est égale à la religion elle-même, les sciences théologiques doivent être traitées comme les sciences philosophiques.
IX. Tous les dogmes de la religion chrétienne sans distinction sont l'objet de la science naturelle ou philosophie ; et la raison humaine n'ayant qu'une culture historique, peut, d'après ses principes et ses forces naturelles, parvenir à une vraie connaissance de tous les dogmes, même les plus cachés, pourvu que ces dogmes aient été proposés à la raison comme objet.
X. Comme une chose est le philosophe et autre chose la philosophie, celui-là a le droit et le devoir de se soumettre à une autorité dont il s'est démontré à lui-même la réalité ; mais la philosophie ne peut ni ne doit se soumettre à aucune autorité.
XI. L'Église non seulement ne doit, dans aucun cas, sévir contre la philosophie, mais elle doit tolérer les erreurs de la philosophie et lui abandonner le soin de se corriger elle-même.
XII. Les décrets du Siège apostolique et des Congrégations romaines empêchent le libre progrès de la science.
XIII. La méthode et les principes d'après lesquels les anciens docteurs scolastiques ont cultivé la théologie ne sont plus en rapport avec les nécessités de notre temps et les progrès des sciences.
XIV. On doit s'occuper de philosophie sans tenir aucun compte de la révélation surnaturelle.
N.B. - Au système du rationalisme se rapportent pour la majeure partie les erreurs d'Antoine Günther, qui sont condamnées dans la Lettre au Cardinal Archevêque de Cologne "Eximiam tuam", du 15 juin 1857, et dans la Lettre à l'Évêque de Breslau "Dolore haud mediocri", du 30 avril 1860.
§ III.
Indifférentisme, Latitudinarisme.
XV. Il est libre à chaque homme d'embrasser et de professer la religion qu'il aura réputée vraie d'après la lumière de la raison.
XVI. Les hommes peuvent trouver le chemin du salut éternel et obtenir ce salut éternel dans le culte de n'importe quelle religion.
XVII. Tout au moins doit-on avoir bonne confiance dans le salut éternel de tous ceux qui ne vivent pas dans le sein de la véritable Église du Christ.
XVIII. Le protestantisme n'est pas autre chose qu'une forme diverse de la même vraie religion chrétienne, forme dans laquelle on peut être agréable à Dieu aussi bien que dans l'Église catholique.
§ IV.
Socialisme, Communisme, Sociétés secrètes, Sociétés bibliques, Sociétés clérico-libérales.
Ces sortes de pestes sont à plusieurs reprises frappées de sentences formulées dans les termes les plus graves par l'Encyclique "Qui pluribus", du 9 novembre 1846 ; par l'Allocution "Quibus quantisque", du 20 avril 1849 ; par l'Encyclique "Nostis et Nobiscum", du 8 décembre 1849 ; par l'Allocution "Singulari quadam", du 9 décembre 1854 ; par l'Encyclique "Quanto conficiamur morore", du 10 août 1863.
§ V.
Erreurs relatives à l'Église et à ses droits.
XIX. L'Église n'est pas une vraie et parfaite société pleinement libre ; elle ne jouit pas de ses droits propres et constants que lui a conférés son divin Fondateur, mais il appartient au pouvoir civil de définir quels sont les droits de l'Église et les limites dans lesquelles elle peut les exercer.
XX. La puissance ecclésiastique ne doit pas exercer son autorité sans la permission et l'assentiment du gouvernement civil.
XXI. L'Église n'a pas le pouvoir de définir dogmatiquement que la religion de l'Église catholique est uniquement la vraie religion.
XXII. L'obligation qui concerne les maîtres et les écrivains catholiques, se borne aux choses qui ont été définies par le jugement infaillible de l'Église, comme des dogmes de foi qui doivent être crus par tous.
XXIII. Les Souverains Pontifes et les Conciles oecuméniques ont dépassé les limites de leur pouvoir ; ils ont usurpé les droits des princes et ils ont même erré dans les définitions relatives à la foi et aux moeurs.
XXIV. L'Église n'a pas le droit d'employer la force ; elle n'a aucun pouvoir temporel direct ou indirect.
XXV. En dehors du pouvoir inhérent à l'épiscopat, il y a un pouvoir temporel qui lui a été concédé ou expressément ou tacitement par l'autorité civile, révocable par conséquent à volonté par cette même autorité civile.
XXVI. L'Église n'a pas le droit naturel et légitime d'acquérir et de posséder.
XXVII. Les ministres sacrés de l'Église et le Pontife Romain doivent être exclus de toute gestion et possession des choses temporelles.
XXVIII. Il n'est pas permis aux Évêques de publier même les Lettres apostoliques sans la permission du gouvernement.
XXIX. Les faveurs accordées par le Pontife Romain doivent être regardées comme nulles, si elles n'ont pas été demandées par l'entremise du gouvernement.
XXX. L'immunité de l'Église et des personnes ecclésiastiques tire son origine du droit civil.
XXXI. Le for ecclésiastique pour les procès temporels des clercs, soit au civil, soit au criminel, doit absolument être aboli, même sans consulter le Siège Apostolique et sans tenir compte de ses réclamations.
XXXII. L'immunité personnelle en vertu de laquelle les clercs sont exempts de la milice, peut être abrogée sans aucune violation de l'équité et du droit naturel. Le progrès civil demande cette abrogation, surtout dans une société constituée d'après une législation libérale.
XXXIII. Il n'appartient pas uniquement par droit propre et inné à la juridiction ecclésiastique de diriger l'enseignement des vérités théologiques.
XXXIV. La doctrine de ceux qui comparent le Pontife Romain à un prince libre et exerçant son pouvoir dans l'Église universelle, est une doctrine qui a prévalu au moyen âge.
XXXV. Rien n'empêche que par un décret d'un Concile général ou par le fait de tous les peuples le souverain pontificat soit transféré de l'Évêque romain et de la ville de Rome à un autre Évêque et à une autre ville.
XXXVI. La définition d'un Concile national n'admet pas d'autre discussion, et l'administration civile peut traiter toute affaire dans ces limites.
XXXVII. On peut instituer des Églises nationales soustraites à l'autorité du Pontife Romain et pleinement séparées de lui.
XXXVIII. Trop d'actes arbitraires de la part des Pontifes Romains ont poussé à la division de l'Église en orientale et occidentale.
§ VI.
Erreurs relatives à la société civile, considérée soit en elle-même, soit dans ses rapports avec l'Église.
XXXIX. L'État, comme étant l'origine et la source de tous les droits, jouit d'un droit qui n'est circonscrit par aucune limite.
XL. La doctrine de l'Église catholique est opposée au bien et aux intérêts de la société humaine.
XLI. La puissance civile, même quand elle est exercée par un prince infidèle, possède un pouvoir indirect négatif sur les choses sacrées. Elle a par conséquent non seulement le droit qu'on appelle d'exequatur, mais encore le droit qu'on nomme d'appel comme d'abus.
XLII. En cas de conflit légal entre les deux pouvoirs, le droit civil prévaut.
XLIII. La puissance laïque a le pouvoir de casser, de déclarer et rendre nulles les conventions solennelles (Concordats) conclues avec le Siège Apostolique, relativement à l'usage des droits qui appartiennent à l'immunité ecclésiastique, sans le consentement de ce Siège et malgré ses réclamations.
XLIV. L'autorité civile peut s'immiscer dans les choses qui regardent la religion, les moeurs et le gouvernement spirituel. D'où il suit qu'elle peut juger des Instructions que les pasteurs de l'Église publient, d'après leurs charges, pour la règle des consciences ; elle peut même décider sur l'administration des sacrements et les dispositions nécessaires pour les recevoir.
XLV. Toute la direction des écoles publiques dans lesquelles la jeunesse d'un État chrétien est élevée, si l'on en excepte dans une certaine mesure les séminaires épiscopaux, peut et doit être attribuée à l'autorité civile, et cela de telle manière qu'il ne soit reconnu à aucune autre autorité le droit de s'immiscer dans la discipline des écoles, dans le régime des études, dans la collation des grades, dans le choix ou l'approbation des maîtres.
XLVI. Bien plus, même dans les séminaires des clercs, la méthode à suivre dans les études est soumise à l'autorité civile.
XLVII. La bonne constitution de la société civile demande que les écoles populaires, qui sont ouvertes à tous les enfants de chaque classe du peuple, et en général que les institutions publiques destinées aux lettres, à une instruction supérieure et à une éducation plus élevée de la jeunesse, soient affranchies de toute autorité de l'Église, de toute influence modératrice et de toute ingérence de sa part, et qu'elles soient pleinement soumises à la volonté de l'autorité civile et politique, suivant le désir des gouvernants et le niveau des opinions générales de l'époque.
XLVIII. Des catholiques peuvent approuver un système d'éducation en dehors de la foi catholique et de l'autorité de l'Église, et qui n'ait pour but, ou du moins pour but principal, que la connaissance des choses purement naturelles et la vie sociale sur cette terre.
XLIX. L'autorité séculière peut empêcher les Évêques et les fidèles de communiquer librement entre eux et avec le Pontife Romain.
L. L'autorité séculière a par elle-même le droit de présenter les Évêques, et peut exiger d'eux qu'ils prennent en main l'administration de leurs diocèses avant qu'ils aient reçu du Saint-Siège l'institution canonique et les Lettres apostoliques.
LI. Bien plus, la puissance séculière a le droit d'interdire aux Évêques l'exercice du ministère pastoral, et elle n'est pas tenue d'obéir au Pontife romain en ce qui concerne l'institution des évêchés et des Évêques.
LII. Le gouvernement peut, de son propre droit, changer l'âge prescrit pour la profession religieuse, tant des femmes que des hommes, et enjoindre aux communautés religieuses de n'admettre personne aux voeux solennels sans son autorisation.
LIII. On doit abroger les lois qui protègent l'existence des familles religieuses, leurs droits et leurs fonctions ; bien plus, la puissance civile peut donner son appui à tous ceux qui voudraient quitter l'état religieux qu'ils avaient embrassé et enfreindre leurs voeux solennels ; elle peut aussi supprimer complètement ces mêmes communautés religieuses, aussi bien que les églises collégiales et les bénéfices simples, même de droit de patronage, attribuer et soumettre leurs biens et revenus à l'administration et à la volonté de l'autorité civile.
LIV. Les rois et les princes, non seulement sont exempts de la juridiction de l'Église, mais même ils sont supérieurs à l'Église quand il s'agit de trancher les questions de juridiction.
LV. L'Église doit être séparée de l'État, et l'État séparé de l'Église.
§ VII.
Erreurs concernant la morale naturelle et chrétienne.
LVI. Les lois de la morale n'ont pas besoin de la sanction divine, et il n'est pas du tout nécessaire que les lois humaines se conforment au droit naturel ou reçoivent de Dieu le pouvoir d'obliger.
LVII. La science des choses philosophiques et morales, de même que les lois civiles, peuvent et doivent être soustraites à l'autorité divine et ecclésiastique.
LVIII. II ne faut reconnaître d'autres forces que celles qui résident dans la matière, et tout système de morale, toute honnêteté doit consister à accumuler et augmenter ses richesses de toute manière, et à satisfaire ses passions.
LIX. Le droit consiste dans le fait matériel ; tous les devoirs des hommes sont un mot vide de sens, et tous les faits humains ont force de droit.
LX. L'autorité n'est autre chose que la somme du nombre et des forces matérielles.
LXI. Une injustice de fait couronnée de succès ne préjudicie nullement à la sainteté du droit.
LXII. On doit proclamer et observer le principe de non-intervention.
LXIII. Il est permis de refuser l'obéissance aux princes légitimes et même de se révolter contre eux.
LXIV. La violation d'un serment, quelque saint qu'il soit, et toute action criminelle et honteuse opposée à la loi éternelle, non seulement ne doit pas être blâmée, mais elle est tout à fait licite et digne des plus grands éloges, quand elle est inspirée par l'amour de la patrie.
§ VIII.
Erreurs concernant le mariage chrétien.
LXV. On ne peut établir par aucune preuve que le Christ a élevé le mariage à la dignité de sacrement.
LXVI. Le sacrement de mariage n'est qu'un accessoire du contrat et peut en être séparé, et le sacrement lui-même ne consiste que dans la seule bénédiction nuptiale.
LXVII. De droit naturel, le lien du mariage n'est pas indissoluble, et dans différents cas le divorce proprement dit peut être sanctionné par l'autorité civile.
LXVIII. L'Église n'a pas le pouvoir d'établir des empêchements dirimants au mariage : mais ce pouvoir appartient à l'autorité séculière, par laquelle les empêchements existants peuvent être levés.
LXIX. L'Église, dans le cours des siècles, a commencé à introduire les empêchements dirimants non par son droit propre, mais en usant du droit qu'elle avait emprunté au pouvoir civil.
LXX. Les canons du Concile de Trente qui prononcent l'anathème contre ceux qui osent nier le pouvoir qu'a l'Église d'opposer des empêchements dirimants, ne sont pas dogmatiques ou doivent s'entendre de ce pouvoir emprunté.
LXXI. La forme prescrite par le Concile de Trente n'oblige pas sous peine de nullité, quand la loi civile établit une autre forme à suivre et veut qu'au moyen de cette forme le mariage soit valide.
LXXII. Boniface VIII a le premier déclaré que le voeu de chasteté prononcé dans l'ordination rend le mariage nul.
LXXIII. Par la force du contrat purement civil, un vrai mariage peut exister entre chrétiens ; et il est faux, ou que le contrat de mariage entre chrétiens soit toujours un sacrement, ou que ce contrat soit nul en dehors du sacrement.
LXXIV. Les causes matrimoniales et les fiançailles, par leur nature propre, appartiennent à la juridiction civile.
N.B. - Ici peuvent se placer d'autres erreurs : l'abolition du célibat ecclésiastique et la préférence due à l'état de mariage sur l'état de virginité. Elles sont condamnées, la première dans la Lettre Encyclique "Qui pluribus", du 9 novembre 1846, la seconde dans la Lettre Apostolique "Multiplices inter", du 10 juin 1851.
§ IX.
Erreurs sur le principat civil du Pontife romain.
LXXV. Les fils de l'Église chrétienne et catholique disputent entre eux sur la compatibilité du pouvoir temporel avec le pouvoir spirituel.
LXXVI. L'abrogation de la souveraineté civile dont le Saint-Siège est en possession servirait, même beaucoup, à la liberté et au bonheur de l'Église.
N.B. - Outre ces erreurs explicitement notées, plusieurs autres erreurs sont implicitement condamnées par la doctrine qui a été exposée et soutenue sur le principat civil du Pontife Romain, que tous les catholiques doivent fermement professer. Cette doctrine est clairement enseignée dans l'Allocution "Quibus quantisque", du 20 avril 1849 ; dans l'Allocution "Si semper antea", du 20 mai 1850 ; dans la Lettre Apostolique "Cum catholica Ecclesia", du 26 mars 1860 ; dans l'Allocution "Novos", du 28 septembre 1860 ; dans l'Allocution "Jamdudum", du 18 mars 1861 ; dans l'Allocution "Maxima quidem", du 9 juin 1862.
§ X.
Erreurs qui se rapportent au libéralisme moderne.
LXXVII. A notre époque, il n'est plus utile que la religion catholique soit considérée comme l'unique religion de l'État, à l'exclusion de tous les autres cultes.
LXXVIII. Aussi c'est avec raison que, dans quelques pays catholiques, la loi a pourvu à ce que les étrangers qui s'y rendent y jouissent de l'exercice public de leurs cultes particuliers.
LXXIX. Il est faux que la liberté civile de tous les cultes, et que le plein pouvoir laissé à tous de manifester ouvertement et publiquement toutes leurs pensées et toutes leurs opinions, jettent plus facilement les peuples dans la corruption des moeurs et de l'esprit, et propagent la peste de l'Indifférentisme.
LXXX. Le Pontife Romain peut et doit se réconcilier et transiger avec le progrès, le libéralisme et la civilisation moderne. -
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