8 mai 2025. Le pape François est mort le 21 avril 2025. Comme pour son prédécesseur Benoît XVI, il aura fallu au conclave à peine plus d'une journée et 4 tours de scrutin seulement pour élire son successeur en la personne de Robert Francis Prevost, qui a choisi de régner sous le nom hautement significatif de Léon XIV.
Né à Chicago, le nouveau pape a des ascendances françaises et italiennes du côté de son père, ainsi que des ascendances créoles (Louisiane, Haïti) et donc africaines du côté de sa mère. Il a longtemps exercé son apostolat au Pérou. Il appartient de ce fait par tous les pores de sa peau à l'Ancien Monde comme au Nouveau. Il est le premier pape étasunien de l'Histoire... mais aussi le deuxième pape sud-américain après l'Argentin Jorge Bergoglio !
En rupture avec ce dernier, qui ambitionnait de refonder l'Église, Léon XIV se moule d'emblée dans le cadre millénaire de l'Église...
L’élection du nouveau Souverain pontife aura surpris le monde par sa rapidité (quatre tours de scrutin seulement), par l’émotion qu’elle a suscitée dans les médias, par la découverte enfin d’un nouveau nom qu’on ne connaissait guère, bien qu’il ait figuré sur la liste des papabili : le cardinal Robert Francis Prevost, premier pape étasunien de l’Histoire.
Relativement jeune (69 ans), le 267e successeur de l’apôtre Pierre a par ailleurs choisi un nom qui sonne étrangement baroque après l’épure du pape François. C'est un nom qu’on n’avait plus entendu à cette fonction depuis plus d’un siècle : Léon XIV, choisi « principalement parce que le pape Léon XIII, avec l'encyclique historique Rerum novarum, a abordé la question sociale dans le contexte de la première grande révolution industrielle, » expliquera le nouveau pape lui-même.
Le suspense de la fumée blanche, le décor cinématographique de la place Saint-Pierre, l’apparition du nouveau pape à la loggia des bénédictions auront achevé de donner à ce 8 mai 2025 un caractère éminemment théâtral.
Teint mat et cheveux blancs, visage grave et souriant, renouant avec le classicisme de la mozette de soie rouge et de l’étole brodée d’or, Léon XIV, accueillit d’abord avec une émotion contenue mais visible les vivats de la foule, puis reprit les mots du Christ ressuscité à ses apôtres : « La paix soit avec vous ».
Ces mots sonnèrent singulièrement tandis que la guerre répand son ombre en Ukraine, en Palestine et à la frontière entre l’Inde et le Pakistan. Mais loin de la réduire au silence des armes, le pape en appela à une méditation plus profonde de chacun sur la paix intérieure, « humble et persévérante (…) qui provient de Dieu » et de son amour pour l’humanité. La foule fut appelée à réciter un Ave Maria (« Je vous salue Marie ») puis reçut la bénédiction solennelle du nouvel évêque de Rome (c’est le titre officiel du pape).

Un fils de Saint Augustin
Né à Chicago, le 14 septembre 1955, d’un père directeur d’école, d’ascendances italienne et française (par sa mère), et d’une mère bibliothécaire de la paroisse, créole d’ascendance espagnole, Robert Francis Prevost a connu un parcours religieux discret mais brillant. Après un Bachelor de Mathématiques à l’université de Villanova (près de Philadelphie), il entre chez les Augustins en 1977 et est ordonné prêtre en 1982 à Rome.
Cet héritage augustinien est suffisamment fort pour qu’il se soit donné la peine de le rappeler lors de sa première apparition au balcon de Saint-Pierre : « Je suis un fils de saint Augustin ».
Figure théologique et spirituelle majeure du catholicisme, Augustin d’Hippone (354-430) est à l’origine d’une règle monastique qui a donné naissance à des ordres de chanoines réguliers au Moyen-Âge : des prêtres vivant en communauté mais exerçant leur ministère dans le monde. L’auteur des Confessions et de La Cité de Dieu nous a légué l’extrême sensibilité de sa plume et la rigueur impeccable de son raisonnement.
Muni d’une thèse de droit canonique, soutenue en 1987, élu prieur général des Augustins en 2001, le nouveau pape hérite de cette synthèse entre l’action et la contemplation mais aussi du dialogue entre la raison et la foi, dont la société occidentale s’est privée depuis les Lumières (dico).
Léon XIV ne s’est cependant pas cantonné au monde des études. Missionnaire au Pérou, il dispose d’une expérience de terrain dans un pays du Sud où un tiers de la population reste confronté à la pauvreté. La sensibilité du pape François pour les plus pauvres a donc toutes les chances de se prolonger sous le pontificat de Léon XIV. Le nouveau pape a d’ailleurs pris soin, dès sa première apparition, de s’adresser en espagnol au diocèse de Chiclayo, dont il a été nommé évêque en 2015. Sa devise épiscopale, « In Illo uno unum », « En Celui qui est Un, soyons un », peut être entendue comme une réponse au défi de l’unité dans l’Église face à la diversité des situations géographiques et culturelles mais aussi face à la rivalité des interprétations doctrinales. Ce sera assurément le grand chantier du pontificat qui commence.
En 2023, avant de recevoir la barrette de cardinal (dico), Robert Francis Prevost a été nommé par le pape François Préfet du Dicastère pour les évêques, un organe en charge de l'accompagnement des évêques au sein de la Curie (le gouvernement de l'Église catholique). À ce poste, pendant deux années, le nouveau pape a pu se frotter aux enjeux de pouvoir au sein du Vatican. Il en appelle désormais, dans la continuité du pape François, à une Église synodale.
Appuyée sur le principe de la collégialité, promu par le Concile Vatican II, la synodalité n’est pas sans risques. En construisant l’Église d’en-bas à partir des laïcs, elle s’expose à une polarisation croissante au sein de l’institution, comme l’a montré encore récemment le « Chemin synodal allemand » : cette assemblée lancée en 2019 par le cardinal Reinhard Marx a émis des propositions de réformes qui, par leur audace, ont plongé dans l’embarras le pape François…
Saint Léon le Grand, gardien du dogme et de la paix
La première figure dont le nouveau pape peut se réclamer en raison du nom qu’il a choisi est celle de Léon Ier. Né à Rome à la fin du IVe siècle, Léon le Grand, premier du nom, a gouverné l’Église entre 440 et 461, dans un contexte de crise religieuse et politique.
Gardien du dogme, il clarifie, contre les hérésies alors en cours, le mystère de l’Incarnation, ou comment le Fils de Dieu s’est fait homme sous le nom de Jésus. Dans le Tome à Flavien, lettre adressée au patriarche de Constantinople en 449, le pape affirme qu’en Jésus, il n’y a qu’une personne mais deux natures, humaine et divine.
Sa définition est reprise par le concile de Chalcédoine (451) qui condamne le monophysisme (une seule nature) et le nestorianisme (dualité de personnes). Comme un seul homme, l’assemblée se serait levée et aurait proclamé : « C’est Pierre qui parle par la bouche de Léon. » On conserve de lui 179 lettres et 97 sermons dont la clarté et la simplicité lui vaudront le titre de Docteur de l’Église (dico).
À l’image de l’évêque Ambroise de Milan (339-397), Léon le Grand est aussi une figure de la résistance de l’Église face aux puissances temporelles. L’empire romain d’Occident est alors sur le point de s’effondrer (476). Confronté aux grandes invasions, Léon Ier fait face à Attila, roi des Huns, qui s’apprête à ravager l’Italie. Il le rencontre à Mantoue, en 452, et le persuade de se retirer. Celui-ci était aussi, il est vrai, menacé sur ses arrières, par les armées byzantines, ce qui fut sans doute l’argument le plus convaincant.
Trois ans plus tard, en 455, les Vandales de Genséric pillent la ville de Rome mais Léon Ier obtient du roi que la ville ne soit pas incendiée et qu’il n’y ait ni viols ni meurtres.
Léon le Grand meurt en 461, laissant l’exemple d’une autorité exercée avec sagesse et force, deux vertus dont le nouveau pape Léon XIV pourra s’inspirer.
Léon XIII, un pape social, doctrinal et missionnaire
L’autre figure tutélaire dont le nouveau pape peut se réclamer est celle de Léon XIII, pape social, doctrinal et missionnaire de la fin du XIXe siècle. Élu à 67 ans, le 20 février 1878, le cardinal Pecci a gouverné l’Église vingt-cinq ans durant, jusqu’en 1903. Faut-il y voir un signe annonciateur ?
Il est d’abord connu pour avoir répondu de manière vigoureuse aux conséquences sociales de l’industrialisation européenne par son encyclique Rerum novarum (1891). Renvoyant dos à dos Marx et Adam Smith, le capitalisme, qui écrase l’homme sous la recherche du profit, et le socialisme, qui réduit l’histoire à une lutte des classes et nourrit le ressentiment des prolétaires contre les bourgeois, Léon XIII invita patrons et ouvriers à se respecter mutuellement : les premiers, en offrant des conditions de travail dignes et un salaire juste à leurs ouvriers, les seconds, par le respect du droit de propriété et la plus grande application possible à leur tâche.
Le nouveau pape Léon XIV a sans doute le désir de s’inscrire dans l’héritage de ce texte équilibré et fin qui fonde la doctrine sociale de l’Église, garantit contre les polarisations violentes et appelle chacun à prendre ses responsabilités.
Mais Léon XIII fut aussi, on l’oublie souvent, un pape doctrinal. On lui doit 86 encycliques, qui s’efforcèrent à la fois d’approfondir le mystère de l’Église et de répondre aux hérésies modernes. Son pontificat contribua ainsi au renouveau des études thomistes (encyclique Aeterni Patris, 1879) et au développement de l’exégèse.
Si Léon XIII est parfois réduit au Ralliement, entreprise diplomatique invitant les catholiques français à se réconcilier avec la République (1892), il fut aussi, en un temps où l’anticléricalisme battait son plein, un gardien de la doctrine, condamnant dans des textes importants et argumentés l’indifférentisme, le laïcisme (Immortale Dei, 1885), le naturalisme, le divorce ou encore la franc-maçonnerie.
Héritier à la fois de Léon XIII et du concile Vatican II, tentative de réconciliation avec la modernité, Léon XIV aura sans doute à exercer son discernement dans un contexte de forte sécularisation des sociétés occidentales.
Léon XIII fut enfin un pape missionnaire, réactivant l’idéal de la mission, aussi bien en Europe que dans les contrées lointaines. La France y prit une part très active : au début du siècle, un missionnaire sur trois dans le monde venait de l’Hexagone. Nul doute que le pape actuel, en raison de son histoire personnelle mais aussi du patronage qu’il a choisi, ait l’ambition de prolonger cet élan missionnaire.
L’attente du monde semble immense, en ces temps mêlés de vide spirituel, de relativisme et de fanatisme. Le magistère moral du pape est écouté bien au-delà des frontières de l’Église, comme l’a montré le pontificat du pape François. Ni rupture ni continuité. Le nouveau pape est en charge de la plus vieille institution qui soit. Léon XIV hérite d’un fardeau colossal mais, avec Isidore de Séville qui en aurait fait son miel, on se souviendra que son nom tire son étymologie du roi de la savane, le lion, animal paisible et redoutable à la fois.














Vos réactions à cet article
Recommander cet article
Voir les 6 commentaires sur cet article
Orlando (16-05-2025 18:50:19)
Personnellement, je regrette que la place des femmes dans l'administration du culte n'ait pas été évoquée. D'autre part, je redoute un pape doctrinal : la liberté de penser la théologie ne doit... Lire la suite
Ernestine (13-05-2025 19:02:45)
Un grand merci pour ce résumé succint et pertinent sur la carrière ecclésiastique du nouveau pape Leo XIV !
Christian (12-05-2025 06:21:53)
En ce qui concerne Léon XIII, il me semble utile de rappeler qu’il a approuvé et encouragé la première conférence internationale sur la législation du travail, qui s’est tenue à Berlin du 1... Lire la suite