23 septembre 1862

Bismarck ministre-président du royaume de Prusse

Le 23 septembre 1862, le roi de Prusse Guillaume Ier, confronté à une grave crise politique, nomme à la tête de son gouvernement un homme à poigne, le comte Otto von Bismarck

Les journaux libéraux de Berlin ne donnent que quelques mois à ce junker (petit noble) brandebourgeois aux manières rudes et sans appui parlementaire. Dans les faits, pendant vingt-huit ans, il va gouverner le pays puis l'ensemble de l'Allemagne, après avoir unifié celle-ci autour de son souverain. Par son énergie, il va bouleverser les rapports de force sur la scène européenne.

Alban Dignat

Une ambition pour la Prusse

Principal État d'Allemagne du Nord, la Prusse a obtenu une Constitution et un régime relativement libéral en 1850, sous le règne de Frédéric-Guillaume IV de Hohenzollern.  Atteint de démence en 1858, le roi doit confier la régence à son frère cadet Frédéric-Guillaume, déjà âgé de 60 ans. Cet homme profondément pieux révoque le président du Conseil Otto von Manteuffel et tente de réduire au silence les intrigants qui entouraient son frère (la Camarilla)

Emil Hünten, Portrait de l'empereur Guillaume Ier, 1891, Hambourg, collection particulière.Par ailleurs, il veut ramener la Prusse au-devant de la scène européenne et, pour cela, renforcer son amée dont il a pu mesurer la médiocrité lors des crises européennes des années 1848, 1852 et 1859. Dès 1860, le régent prépare avec le chef d'état-major von Moltke et le ministre de la Guerre Albert von Roon une nouvelle loi militaire. Il s'agit de pouvoir mobiliser jusqu'à 500.000 hommes en cas de guerre (au lieu de seulement 150.000).

Le 2 janvier 1861, à la mort de son frère, Frédéric-Guillaume monte sur le trône de Prusse sous le nom de Guillaume Ier. Il s'accroche à son projet de loi militaire mais l'opposition libérale ne faiblit pas et sort même renforcée des élections législatives de mars 1862. Les députés dénoncent le coût du projet (quatre millions de thaler  supplémentaires par an) et le risque qu'il nuise au développement économique et prive l'industrie d'une précieuse main-d'oeuvre.

L'ultime carte du roi

Découragé, le roi envisage d'abdiquer. Von Roon est effrayé par cette perspective qui amènerait sur le trône son fils, le  Kronprinz, lequel a la réputation d'être un libéral bon teint. Le ministre suggère au souverain de tenter un nouveau départ avec Otto von Bismarck. Guillaume Ier a remarqué son tempérament ardent et ses convictions rigides quand il était député au Landtag puis ambassadeur à la Diète de Francfort (1851-1859), ambassadeur à Saint-Pétersbourg (1859-1862) et depuis mai 1862, ambassadeur à Paris.

Bismarck lui-même attend son heure. Plusieurs fois dans les années et les mois précédents, il a cru pouvoir accéder au gouvernement comme ministre des Affaires étrangères, voire comme chef du gouvernement, avec le soutien de son ami von Roon. Mais à chaque fois, le roi Guillaume Ier avait repoussé l'idée, par incompatibilité de caractère avec le fougueux géant. Le Kronprinz (le prince héritier) soupçonnait quant à lui le comte d'être vendu à Napoléon III et aux Français !

Franz Seraph Lenbach, portrait d'Otto von Bismarck, 1890, Berlin-Lichterfelde.Cette fois,  sera la bonne... 

Le 16 septembre 1862, à Paris, Bismarck, qui rentre tout juste de ses vacances dans le sud de la France, reçoit de son ministre Bernstorff un télégramme chiffré l'informant que le roi l'attend d'urgence à Berlin. («Dépêchez-vous !» y est-il écrit). Le matin du 22 septembre, un officier introduit l'ambassadeur auprès du roi au château de Babelsberg, près de Potsdam. 

D'après le récit qu'a fait plus tard Bismarck de la rencontre, le roi lui montre son acte d'abdication, sur une table, et lui dit : «Je ne veux plus régner si je ne puis le faire en assumant la responsabilité devant Dieu, selon ma conscience, devant mes sujets. Je ne trouve plus de ministre qui soit disposé à diriger mon gouvernement. C'est pourquoi j'ai résolu d'abdiquer». 

À quoi Bismarck répond : «Je suis prêt depuis le mois de mai - Votre Majesté le sait - à assumer la responsabilité du pouvoir». 
-- Seriez-vous prêt à soutenir les projets militaires sans les modifier?
-- Oui, Sire,
-- À quelles conditions?
-- Sans aucune condition...
-- Il est donc de mon devoir de tenter de poursuivre la lutte avec vous... Je n'abdique pas.

C'est ainsi que le comte Otto von Bismarck (47 ans) devient le lendemain ministre d'État et ministre-président, autrement dit chef du gouvernement.

Jusqu'à sa mort, en 1888, le roi Guillaume Ier va lui conserver sa confiance malgré leur incompatibilité de caractère et de très violents heurts entre les deux hommes ! Bismarck lui-même ne quittera le pouvoir contraint et forcé que deux ans plus tard, après vingt-huit à la tête du gouvernement, comme ministre-président de la Prusse puis chancelier de l'Empire allemand. La Prusse, l'Allemagne et l'Europe en sortiront profondément transformées.

Un incident révélateur

Dès le 30 septembre 1862, soit une semaine après la nomination de Bismarck, un incident va donner le ton du changement et révéler la ferme volonté de Bismarck de réaliser enfin l'unité de l'Allemagne autour de la Prusse, fut-ce au prix de la guerre... Le nouveau ministre-président assiste à une séance de la commission parlementaire du budget. Il est avec quelques ministres et une vingtaine de députés, majoritairement hostiles. 

Il prend la parole et devise sur un ton courtois puis laisse échapper : «L'Allemagne ne s'intéresse pas au libéralisme de la Prusse mais à sa force (...). La Prusse doit rassembler ses forces et les tenir en réserve pour un moment favorable qu'on a déjà laissé passer plusieurs fois. Depuis les traités de Vienne, nos frontières ne sont pas favorables au développement de notre État. Ce n'est pas par des discours et des votes de majorité que les grandes questions de notre époque seront résolues, comme on l'a cru en 1848, mais par le fer et par le sang».

Les députés présents vont s'empresser de répercuter ces paroles et en particulier les derniers mots qui laissent augurer le basculement du pays vers la militarisation et la guerre. Le scandale est immense et le roi lui-même s'en trouve bouleversé. 

Bismarck comprend qu'il a été un peu loin et, montant à la hâte dans un train, se rend à la rencontre du roi. Il le rejoint dans la petite gare de Juterborg. Guillaume Ier lui réserve un accueil glacial. Mais après une chaude discussion, la première d'une longue série, il se laisse convaincre par les arguments de son ministre. Celui-ci aura carte blanche pour mener à bien ses projets : réforme militaire, guerre contre l'Autriche puis contre la France, avec au final l'accomplissement de son rêve : l'unification de l'Allemagne autour de la monarchie prussienne.

Publié ou mis à jour le : 2022-09-20 12:40:15

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