Le colonel Driant (1855 - 1916)

L'officier écrivain

Le capitaine Driant, Journal illustré du 4 novembre 1888, bibliothèque de Reims.Si l’on évoque encore aujourd’hui la mémoire du lieutenant-colonel Émile Driant, c’est principalement en tant que héros des combats du Bois des Caures (Meuse), les 21 et 22 février 1916. Alors âgé de 60 ans, il engage une résistance héroïque face à l’attaque allemande sur Verdun, soutenu par l’esprit de sacrifice des 1 200 chasseurs à pied répartis entre les deux bataillons placés sous son commandement.

Cette fin glorieuse ne doit rien au hasard. Adolescent, il assiste en 1870 au défilé des troupes allemandes victorieuses des armées de Napoléon III. Il prend aussitôt une décision irrévocable : s’engager dans la carrière militaire. Elle lui permit de devenir un proche du fameux général Boulanger mais aussi de développer l’un de ses nombreux talents, l’écriture, et de devenir un écrivain à l’imagination prémonitoire.

Jérôme Driant

Une vocation militaire née de la défaite de 1870

Émile Driant naît le 11 septembre 1855, à Neufchâtel-sur-Aisne, petit village au nord de Reims où son père est juge de paix. Ce jour-là, l’Empereur fête l’entrée des troupes françaises à Sébastopol, qui annonce la fin de la Guerre de Crimée. Mais plus que cette victoire, c’est une défaite qui marque de façon décisive le destin du jeune Émile. Celle de Sedan, en 1870.

Émile Driant enfant.Il a alors quinze ans et voit défiler dans son village les troupes allemandes fières et victorieuses, et s’installer presque sous son toit les vainqueurs dont l’occupation et les exigences qui l’accompagnent sont vécues comme autant d’humiliations. Dans la tête de l’adolescent, la décision est prise et irrévocable : il sera militaire.

Toute sa vie, il a fait partie de ceux qui attendent et se préparent à la Revanche, non qu’ils la souhaitent ou la redoutent, mais qui la savent inévitable.

Peu à peu, à mesure qu’il réalise les contours de La Guerre de Demain (titre de ses premiers romans), le potentiel de destruction qu’apportent les nouveaux armements, l’impréparation et l’inconscience de ses compatriotes, et combien tout cela fait peser de risques sur la France et le continent européen, il se montre plus pondéré, parfois inquiet ; cependant, jamais sa détermination ne faiblit : la Revanche s’impose car, pour lui, la France ne peut pas oublier ses enfants dans les régions annexées, et il veut être de ceux qui rappellent leur souvenir à temps et à contretemps.

Dans son roman, L’Invasion Jaune, le Capitaine Danrit met en scène un reporter français qui rencontre l’empereur allemand Guillaume II : celui-ci évoque une entente européenne face à l’envahisseur sino-japonais que l’auteur fait déferler sur le Vieux Continent ; mais la discussion achoppe sur un « Ah ! Il y avait l’Alsace-Lorraine ! » qui résume toute la pensée et l’état d’esprit de son auteur.

L'Invasion Jaune par le capitaine Danrit, 1900.

L’Allemagne est davantage pour lui un ennemi de circonstance qu’un ennemi héréditaire (l’ennemi héréditaire, pour Driant, c’est l’Anglais qui œuvre pour ses seuls intérêts et à qui l’on ne peut jamais se fier !). Il envoie d’ailleurs un exemplaire de cet ouvrage à l’empereur allemand avec une dédicace ; ce qui ne l’empêcha pas de s’engager quelques années plus tard face aux armées du Kaiser.

C'est donc dans l’espoir de cette Revanche qu'il entre à l’École Spéciale Militaire de Saint-Cyr en 1875. Il en sort en 1877 avec la 4e place au classement qui reflète autant ses dons naturels que l’engagement qu’il met au travail. Alors que son classement lui ouvre les places les plus avantageuses dans les unités les plus convoitées de l’Armée française, il choisit le 54e Régiment d’Infanterie, à Compiègne, une unité tournée vers la frontière de l’Est d’où surviendra indubitablement l’inéluctable ennemi.

Le capitaine Driant tenant le drapeau des Zouaves.Maîtrisant l’art du dessin avec talent, il est envoyé plusieurs mois au fort de Liouville, près du saillant de Saint-Mihiel, pour y faire des relevés topographiques. Là, il regarde au loin et imagine le jour où l’ennemi franchira la frontière… Quand cela adviendra-t-il ? Quel rôle jouera-t-il dans ce conflit ? Quelle en sera l’issue ? Dans sa tête, son imagination bouillonnante échafaude des scénarios et fait germer ce qui sera son premier roman à succès, dix ans plus tard, La Guerre de Demain, et son premier tome, « La Guerre des Forts. L’Ennemi devant le fort de Liouville ».

Il est ensuite envoyé en Tunisie, au sein de la 3e Brigade Topographique, puis intègre le 4e Régiment de Zouaves à Tunis où il sert la majeure partie de sa carrière sous les drapeaux. C’est là qu’il fait une rencontre décisive pour la suite de son parcours personnel et militaire.

Le général Boulanger (au centre).

Le général Boulanger, pygmalion du capitaine Driant

Le général Georges Boulanger, directeur de l’Infanterie, qui s’est déjà construit une certaine renommée, notamment lors du centenaire de l’Indépendance américaine où il dirigeait la délégation française, est nommé au commandement de la Division d’occupation française en Tunisie. Arrivé sur place, il recherche son officier d’ordonnance et demande qu’on lui présente les officiers qui figurent parmi les mieux classés.

« Un officier parfait »

Les notes élogieuses qu’a reçues le jeune lieutenant Driant le recommande pour cette mission aux yeux de ses supérieurs : « Officier parfait. À demandé à faire campagne et, bien qu’il n’ait servi que 4 mois au bataillon de Tunisie, a justifié pleinement les excellentes notes et la réputation d’officier modèle qui l’avaient accompagné depuis sa sortie de l’École militaire. À reçu une lettre de satisfaction et d’éloges du ministre pour ses travaux topographiques en 1879. À une instruction générale et professionnelle supérieure, dessine admirablement, est beau cavalier, possède une tenue et une éducation parfaites, doué d’un tact et d’une maturité exceptionnelle de jugement. M. Driant est destiné à arriver aux plus hauts grades de l’armée. » Le général Boulanger se félicitera lui aussi de ce choix, voyant dans son officier d’ordonnance « un officier complet (…) apte à toutes les missions, même les plus difficiles, qu’on voudra lui confier ».

C’est tout naturellement que Boulanger demande plus tard à Driant de le suivre à Paris lorsqu’il est nommé au Ministère de la Guerre. Les deux hommes s’apprécient et s’estiment mutuellement. Aux côtés de celui que toute la France surnomma bientôt le Général Revanche, le capitaine Driant assistera et participera en première ligne au redressement de l’armée française, quinze ans après la terrible défaite de 1870.

Ce titre de « Général Revanche » exprime assez bien ce qui fut la préoccupation principale, voire unique, de Boulanger. Il a connu la défaite de 1870-71, et en tant que militaire, l’humiliation qui l’a accompagnée ; il s’est efforcé d’en tirer et méditer les leçons. Toute sa préoccupation est donc de préparer la France à l’inéluctable revanche, ou faire en sorte qu’elle n’advienne pas.

Georges Boulanger en grande tenue de général de division, photographie vers 1890. Agrandissement : John Williamson, Portrait équestre du général Boulanger, XIXe siècle, Paris, musée Carnavalet.Il le déclare dans une formule limpide: « Si je poussais à la guerre, je serais un fou ; si je n’y préparais pas, je serais un misérable. » C'est le sens des réformes qu'il a entreprises. « Pour mon compte, affirmait-il, plus patriote encore que soldat, je désire ardemment le maintien de la paix, si nécessaire à la marche du progrès et au bonheur de mon pays. C’est pour cela que dédaignant les attaques et fort du sentiment du devoir, je poursuis sans relâche la préparation à la guerre, seule garantie des paix durables. Il y a pour une Nation deux sortes de paix : la paix que l’on demande, et la paix que l’on impose par une attitude ferme et digne. Cette dernière est la seule qui nous convienne. »

Le travail de réforme qu'il entreprend est immense : d'une part pour renforcer l'esprit de corps dans l'Armée et raviver le goût des Français pour cette institution, notamment pour augmenter le nombre des engagements volontaires ; et d'autre part pour réorganiser et moderniser cette armée.

C'est à lui que la France doit le remplacement du fusil Gras par le fusil Lebel, la réorganisation de l’État-Major, l’organisation de la mobilisation en cas de guerre rendue possible en deux jours au lieu de cinq, la refonte des services de renseignement (2e Bureau)… et en sous-main les prémices d’un rapprochement avec la Russie. Driant l'assiste dans ce travail de réforme avec enthousiasme et travaille de longues heures pour celui dont il partage bien des vues.

Marcelle Boulanger, fille du général Boulanger, épouse d' Émile Driant. Boulanger, dont la popularité est devenue trop encombrante, est remercié et envoyé à Clermont-Ferrand où il est nommé à la tête du XIIIe Corps d’armée. Driant le suit de nouveau. Lors du fameux épisode de la Gare de Lyon durant lequel la foule tente d’empêcher le départ du Général Revanche, le capitaine Driant fait partie du voyage ; n’arrivant pas à accéder à la voiture qui doit les conduire à Clermont-Ferrand, il parvient in extremis à se hisser à l’avant de la locomotive, faisant une partie du trajet cramponné à la cheminée, jusqu’à ce qu’on le découvre couvert de suie et de moucherons à la première halte.

Boulanger, mis à la retraite, met fin aux fonctions de son ordonnance et Driant retourne alors en Tunisie au 4e Zouaves. Le chemin des deux hommes ne se sépare pas complètement puisque peu de temps après, en octobre 1886, Driant épouse la fille cadette du général, Marcelle ; mariage d’amour très médiatisé dans le contexte de la montée du mouvement boulangiste.

Driant fut-il Boulangiste ? Il est important de préciser qu’à aucun moment ou sous aucune forme, le capitaine Driant n’a pris part au mouvement politique autour du général Boulanger. S’il prend parti – notamment via une indiscrétion publiée par son ami Chincholle dans Le Figaro, qui lui vaut quelques jours d’arrêts – c’est pour défendre l’homme, le soldat, son honneur, et surtout l’œuvre entreprise au ministère de la Guerre.

En ce sens, il est un ardent et fidèle disciple de Boulanger, le ministre de la Guerre, mais aucunement « Boulangiste » ; il sut garder ses distances avec le mouvement politique qui se termina de façon tragique par la mort de son chef. Cette fidélité à son beau-père a valu à Driant bien des inimitiés au sein de la hiérarchie militaire et lui fit souffrir bien des brimades qu’il endura avec tristesse et patience.

Alors que son épouse est enceinte de leur premier enfant, il est envoyé aux confins de la Tunisie, et on lui refuse la permutation avec un de ses camarades qu’autorise pourtant la situation du jeune couple.

Émile Driant, capitaine Danrit.

Du capitaine Driant au capitaine Danrit, la naissance d’un écrivain

C’est à cette période que l’envie d’écrire lui prend. Il vient de passer des années très riches au ministère, où il a côtoyé toutes les sommités du monde militaire, entendu des récits de campagne exaltants de la bouche même de leurs protagonistes, assisté à des débats stratégiques et géopolitiques passionnants, rencontré des ingénieurs proposant les innovations les plus audacieuses en matière d’armement et de mobilités (fusils, munitions, explosifs, sous-marins, aérostation, aviation, cyclisme…).

Il n’en faut pas plus à son imagination déjà très vive et à son intelligence aiguisée pour concevoir les contours de « Ce que sera la prochaine guerre » (sous-titre de son premier roman, La Guerre des Forts, publié en feuilleton de façon anonyme dans la revue L’Etoile du Général Boulanger). Les premières publications sont encourageantes et suscitent l’intérêt du public.

La Guerre de demain par le capitaine Danrit, Affiche de Louis Bombled, 1889, Paris, BnF, Gallica.L’éditeur Fayard met les moyens en termes de réclame pour promouvoir le jeune auteur. Si bien que les feuilletons deviennent un vrai roman, et que La Guerre des Forts s’enrichit de La Guerre en rase campagne et de La Guerre en Ballon pour devenir une œuvre roborative de 2500 pages : La Guerre de Demain.

Son ambition est de préparer les Français aux luttes à venir et leur donner confiance. « Dans ce but, écrit-il à Jules Claretie à qui il dédie son premier ouvrage, je leur montre les ressources de leur pays, je les familiarise avec les nouveautés qui interviendront dans les batailles prochaines : mélinite, fusil Lebel, ballon dirigeable, etc. »

Son récit est une formidable opération de service après-ventedes réformes Boulanger : il y vante constamment l’efficacité du nouveau fusil Lebel, les avantages de la mélinite, l’efficience des nouvelles règles de mobilisation, le rôle que joueront les ballons (lui qui a assisté en tant que passager à bien des expériences d’aérostation menées à l’École de Meudon)… Il veut s’inscrire dans la veine d’un Jules Verne, cherchant à « amuser pour instruire, instruisant pour être utile ».

Driant l'écrivain. Agrandissement : la capitaine Danrit, auteur de La Guerre des Forts, première édition, 1888.On attribue d’ailleurs souvent le titre de « Jules Verne militaire » à celui qui aurait été élu à l’Académie Française où il avait déposé sa candidature en décembre 1915, si la mort n’était venue le faucher deux mois plus tard. Le succès est en tout cas au rendez-vous : ses œuvres connaissent de multiples éditions et rééditions, sont souvent remises aux enfants comme prix à l’école ou en cadeau aux étrennes dans de belles reliures historiées, mais aussi traduites dans toute l’Europe, jusqu’aux État-unis, au Mexique, en Russie, et même en Chine et au Japon.

Il est amusant d’observer l’évolution de l’écrivain au fil du temps, qui peu à peu prend confiance en son talent et explore des champs de plus en plus variés. Dans son premier ouvrage, La Guerre des Forts, Danrit puise essentiellement dans l’expérience vécue de Driant. « J'ai tout fait entrer en jeu dans ce récit humoristique : le fort de Liouville, je l'ai habité et commandé ; les camarades qui s'y meuvent sont mes anciens amis de régiment ; les soldats que j'y nomme sont ceux de ma première compagnie ; les caractères des uns et des autres, ceux que je leur ai connus ».

Couverture de La Guerre en rase campagne suivie de la couverture de La Guerre en Ballon.Dans les deux ouvrages suivants, La Guerre en rase campagne et La Guerre en Ballon, il ne parle plus de son expérience personnelle mais reste encore très proche de sujets qu’il maîtrise et connaît bien. Par la suite, il s’émancipe et, prenant goût à son métier d’écrivain, et l’intérêt du public l’encourageant à poursuivre dans cette voie, il explore de nouveaux horizons, des confins du Tibet au Pôle Nord ou au Pacifique, des profondeurs de la mer aux grands espaces de l’éther.

La plupart de ses œuvres parlent de guerre et évoquent des conflits possibles. Certains critiques actuels lui en font grief et lui reprochent ce qu’ils considèrent être une obsession belliciste. C’est oublier que Driant est d’abord un soldat avant d’être un écrivain, et que chez lui, la plume est au service de l’épée. « J’ai écrit vingt-deux livres pour exalter l’Armée, pour la placer très haut dans l’esprit des jeunes français », assume-t-il.

Couverture de La Guerre fatale par le capitaine Danrit, 1901.Derrière l’écrivain, il y a l’officier appelé à commander des hommes au combat, à prendre des décisions, à assumer des responsabilités parfois terribles. Dans chacun de ses romans, Driant réfléchit, à travers ses personnages, au rôle qui pourrait être le sien dans un conflit à venir, et, en se confrontant à des situations variées, il aiguise ses capacités d’analyse et de décision, et forge le caractère et les convictions de celui qui  plus tard le héros du Bois des Caures.

Mais il ne s’agit pas seulement pour lui de se préparer aux conflits à venir, il s’agit aussi d’y préparer ses compatriotes, en leur représentant toutes les menaces qui pourraient survenir : La Guerre de Demain face aux Allemands, La Guerre fatale avec l’Angleterre, L’Invasion jaune suite à la guerre russo-japonaise, L’Invasion noire dans le contexte des soulèvements mahdistes au Soudan…

Capitaine Danrit, Histoire d'une famille de soldats, illustrations du volume 1 puis du volume 2, Paris, BnF, Gallica.

Les écrits prophétiques de Danrit

Ses romans sont surtout l’occasion de vanter le caractère spécifique du soldat français, et de mettre en scène les nouveaux armements avec des descriptions parfois ardues, très techniques et détaillées, parfaitement assumées par leur auteur.

Le capitaine Driant à Vélo.Le lecteur de Danrit découvre ainsi les sous-marins, leur fonctionnement et leur rôle dans la guerre maritime, différents modèles de dirigeables ou d’aéroplanes, et même des avions qui peuvent décoller à la verticale comme un hélicoptère ou s’envoler depuis le pont d’un bateau.

La bicyclette, que Driant pratique assidûment, est moins impressionnante, mais Danrit n’hésite pas à la mettre aussi en situation pour montrer tous les avantages qu’elle peut présenter au combat par rapport au cheval.

Les armements et explosifs ne sont pas en reste, ainsi que les moyens de communication, comme ce téléphone qui pourrait restituer non seulement la voix mais aussi l’image de ceux qui se parlent. Danrit n’invente pas de machine extraordinaire, mais son talent réside dans le fait d’imaginer et de dépeindre les usages militaires que l’on pourrait faire des machines existantes, ou encore en développement, à son époque.

Couverture des Robinsons de l'air, Flammarion. 1909, illustrations de G. Dutriac, suivie de la couverture de L’Aviateur du Pacifique, 1910.Ce qui suscite le plus d’étonnement, ce sont ses capacités de prémonition. Certes, Driant n’a pas le don de lire l’avenir, comme dans une boule de cristal, mais ses qualités d’analyse lui permettent d’anticiper des événements qui ne seront pas loin de se réaliser par la suite.

Dans L’Aviateur du Pacifique, écrit en 1910, trente-deux ans avant Pearl Harbor, il imagine une attaque surprise des Japonais sur une base américaine dans les îles Midway.

Dans Les Robinsons de l’Air, il évoque l’expédition Andrée qui a disparu au Pôle Nord quelques années auparavant et décrit les conditions dans lesquelles les protagonistes auraient pu survivre quelques temps et mourir dans cette étendue glacée ; et c’est à peu près ainsi qu’on les retrouva vingt après la publication du roman.

Cinquante ans avant l’inauguration de l’usine marémotrice de la Rance, il imagine que dans la baie de Saint-Malo, on utilise la force de la marée pour produire de l’électricité.

Il décrit surtout bien des situations que connaîtront les soldats de la Grande Guerre : guerre des mines, guerre de tranchées, gaz asphyxiants… Il anticipe même la guerre bactériologique et évoque l’hypothèse de conflits rendus impossibles du fait des capacités de destruction, trente ans ans avant la dissuasion nucléaire.

Les Robinsons sous-marins par le capitaine Danrit, 1908, illustrations de G Dutriac.

Plus étonnant encore, il décrit dans Les Robinsons sous-marins à peu près les circonstances de sa propre mort : sur un champ de bataille dont la configuration rappelle celle du Bois des Caures, à la tête de chasseurs à pied (alors qu’à l’époque où il écrit il commande des zouaves), recevant une balle au flanc et à la tempe. Il n’est alors pas surprenant qu’un esprit aussi aiguisé ait pu annoncer l’imminence de l’attaque allemande sur Verdun plusieurs mois avant son déclenchement.

Couverture du premier volume de L'Histoire d'une famille de soldats, Jean Tapin,  suivie de la couverture du deuxième volume, Petit marsouin.Pour écrire ses romans, Danrit s’appuie sur un méticuleux travail de lecture et de documentation. Il s’appuie aussi sur une solide culture littéraire et historique. On peut le remarquer dans ses romans historiques, en particulier « L’Histoire d’une famille de soldats » qui retrace sur trois volumes l’histoire militaire de la France depuis Valmy jusqu’à 1899, en passant par l’épopée napoléonienne et la guerre franco-prussienne de 1870.

Il n’hésite pas aussi à solliciter son vaste réseau aux quatre coins du monde pour obtenir des informations de première main en particulier sur les mœurs des populations autochtones. On peut apprécier ses qualités d’anthropologue et ses connaissances en ethnologie en particulier dans ses deux grandes épopées : L’Invasion noire et L’Invasion jaune.

Dans la première, Danrit imagine les populations africaines, converties à l’islam et soulevées par un Sultan turc, déferlant sur l’Europe. Dans la seconde, c’est le chef d’une société secrète japonaise qui parvient à dresser les masses chinoises pour envahir l’Europe. L’auteur y décrit en détail les caractéristiques physiques, morales, les us et coutumes de chaque peuple, chaque ethnie.

Certains, de nos jours, veulent voir dans cette affrontement entre les « blancs » et les « noirs » ou « jaunes » la marque d’un racisme et d’une xénophobie. C'est anachronique et très éloigné de ce qui animait réellement celui qui avait tant de respect pour les populations arabes qu’il donna un troisième prénom musulman à tous ses enfants nés sur le sol africain (Henri-Jean Hussein, Marie-Térèse Taazia, Henri-Léon Hussein).

La guerre au XXe siècle. L'invasion noire, tome III. La fin de l'Islam devant Paris , Paris, Ernest Flammarion, 1913, couverture de Paul de Sémant.On entend même aujourd’hui certains faire de l’auteur de L’Invasion noire le père des théories du Grand Remplacement ! C’est d’autant plus absurde que, dans son roman, Danrit met en scène un affrontement militaire direct et qu’il n’est aucunement question d’une conquête démographique. Cependant, Driant est renseigné sur l’islam, connaît le principe du Djihâd et imagine le pouvoir qu’aurait un Islam conquérant et fanatisé sur les populations africaines face à une Europe décadente et sans idéal.

Mais lorsqu’il écrit L’Invasion noire, la situation est bien différente d’aujourd’hui, tant sur le plan démographique que géopolitique. Danrit le reconnaît lui-même dans une lettre qu’il adresse à Jules Verne publiée en préface : son roman « repose sur une donnée bien problématique puisqu’à l’époque où nous vivons, c’est l’inverse qui se produit, les puissances européennes découpant le Continent noir en tranches proportionnées à leur appétit et s’en partageant comme un vil bétail les populations primitives ».

On voit d’ailleurs poindre dans ces mots une certaine distance par rapport à la colonisation. Comme beaucoup d’officiers de son époque, Driant considère que les campagnes coloniales risquent de distraire nos forces de la préoccupation principale que doit être la Revanche et la reconquête des provinces perdues en 1870.

Il est souvent critique sur l’exploitation qu’elle peut engendrer et marque une différence entre les approches anglaises et françaises qu’il caricature ou idéalise volontiers : considérant que les premiers n’hésitent pas à exploiter à des fins mercantiles les territoires et les populations qu’ils conquièrent, semant et récoltant la haine dans les populations autochtones, tandis que les Français viennent libérer les populations africaines des razzias et de la traite arabo-musulmane et leur apporter le développement offert par la technique (routes, voies ferrées, ravitaillements…), gagnant ainsi la reconnaissance et le respect des populations conquises prêtes à combattre pour le drapeau de leurs libérateurs.

C’est en ce sens que la colonisation offre à Danrit la matière pour des récits épiques et à Driant et aux officiers de cette époque l’opportunité de faire campagne et de satisfaire le goût de l’aventure qui anime tout soldat… en attendant la Revanche qui ne vient pas.

Publié ou mis à jour le : 2022-09-05 11:22:26

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