André Tardieu (1876 - 1945)

Le « Mirobolant » aux affaires

André Tardieu - surnommé « le mirobolant » -  fut trois fois président du Conseil entre 1929 et 1932. Succédant en novembre 1929 à Raymond Poincaré, il s'écarte de l'orthodoxie budgétaire de ce dernier au nom d'une « politique de la prospérité ». Ainsi, il engage la construction de la ligne Maginot, institue un régime d'assurance vieillesse obligatoire pour tous les salariés modestes et la retraite du combattant.

Oublié du public, il reste connu des spécialistes en droit constitutionnel comme un précurseur du général de Gaulle dans sa volonté de réformer les institutions parlementaires en vue de renforcer le pouvoir exécutif.

Michel Psellos

Brillant sujet

André Tardieu (22 septembre 1876, Paris - 15 septembre 1945, Menton)Fils d’un avocat parisien aisé, André Tardieu révèle des dons intellectuels précoces et devient bientôt, selon la formule de son collègue parlementaire Anatole de Monzie, un « professionnel du succès scolaire », ainsi qu’un spécialiste de l’acte manqué : après avoir raflé une douzaine de prix au Concours général des lycées et collèges, il est classé major du concours de l’École Normale Supérieure de la rue d’Ulm… et décide de ne pas y entrer, n’ayant pas l’intention de s’engager dans une carrière d’enseignant en lettres.

Il sera cependant toujours considéré comme normalien par les anciens élèves de Normale Sup que sont Léon Blum (qui démissionnera lui aussi de l’École au bout d’un an), Édouard Herriot (qui obtiendra l’agrégation en trois ans au lieu de quatre) et Paul Painlevé (seul scientifique de cette « République des professeurs »)...

Ce qui compte n’est pas d’avoir hanté quelques années le pensionnat le plus sélectif de France installé rue d’Ulm, mais d’avoir prouvé ses capacités intellectuelles en réussissant son concours.

André Tardieu sera plus tard reconnu comme l’esprit le plus brillant de la fin de la IIIe République, qui n’en manquait pourtant pas avec l’inspecteur des finances Joseph Caillaux et les normaliens précités qui lui témoigneront toujours leur estime personnelle au-delà de leurs oppositions politiques irréconciliables.

Après ce refus, André Tardieu est classé major du concours d’entrée aux Affaires étrangères dans lequel s’illustreront plus tard des écrivains comme Paul Morand, Paul Claudel et Jean Giraudoux.

Il commence une carrière d’attaché d’ambassade, fait un passage dans les cabinets du ministre des affaires étrangères Théophile Delcassé puis du président du Conseil Pierre Waldeck-Rousseau et démissionne après deux ans, trouvant trop longues les étapes du cursus honorum à accomplir avant d’atteindre enfin le niveau hiérarchique auquel ses dons éclatants le destinent : rappelons à cet égard que Charles de Gaulle, né une quinzaine d’années après Tardieu, piétinera douze ans au grade subalterne de capitaine et était encore colonel à l’âge de 50 ans, avant d’être enfin nommé général à titre temporaire.

André Tardieu, trop impatient pour une si longue attente, voit loin : il passe le concours difficile mais relativement méconnu de l’Inspection générale du ministère de l’intérieur, havre de paix qui permet à ses membres de disposer de temps libre pour d’autres activités.

La même stratégie de carrière conduira plus de soixante ans après deux énarques, Philippe Séguin puis François Hollande, classés en rang utile pour intégrer la prestigieuse Inspection générale des finances, à opter pour la Cour des Comptes, corps moins flamboyant mais moins prenant et qui laisse tout loisir à ses membres de développer des activités politiques annexes.

L’inspecteur général adjoint de l’intérieur André Tardieu peut enfin donner libre cours à ses dons d’écriture, son humour ravageur et son immense culture, qui le portent vers le journalisme et le domaine ardu des affaires étrangères. En marge de la rédaction de rapports administratifs de bonne facture, il devient en quelques années l’indéboulonnable chroniqueur de la rubrique de politique étrangère du journal Le Temps, reçu par les ministres successifs des Affaires étrangères et leur inamovible conseiller Philippe Berthelot qui lui distillent des confidences soigneusement calculées, destinées à lancer des ballons d’essai pour jauger leur effet, non pas comme aujourd’hui sur l’opinion publique française, mais plutôt sur les puissances étrangères avec lesquelles le bras de fer en ces années d’avant-guerre se durcit.

Il reste de cette période plusieurs ouvrages d’André Tardieu sur « la conférence d’Algésiras » ou « le mystère d’Agadir », ainsi que la relation d’un voyage aux États-Unis au cours duquel il sera reçu par le jeune président Théodore Roosevelt qui lui laissera une impression profonde, et ne sera pas pour rien dans la volonté ultérieure d’André Tardieu d’introduire en France un régime présidentiel à l’américaine.

Il en reste aussi de méchantes rumeurs qui le suivront toute sa vie politique sur le mélange des genres auquel le jeune journaliste-fonctionnaire s’était livré, en participant à des négociations dans les affaires aujourd’hui bien oubliées du chemin de fer Homs-Bagdad et de la Compagnie de la N’Goko Sangha au Congo.

Débuts en politique

Le célibataire André Tardieu est en 1914, à 38 ans, au faîte de son succès journalistique et mondain dans le Paris de la Belle Époque. Il démissionne alors de l’administration et s’engage en politique en se faisant élire au printemps 1914 député du centre-droit en Seine et Oise.

Puis c’est la guerre dans laquelle il s’engage, devient bientôt grâce à sa réputation, collaborateur de Foch puis de Joffre, fait un temps de commandement dans les tranchées puis reprend sa place à la commission des Armées de l’Assemblée Nationale. C’est là que le président de la République Raymond Poincaré et le président du Conseil Alexandre Ribot viennent le chercher en 1917 pour le nommer Haut-Commissaire aux États-Unis, afin d’accompagner l’entrée en guerre de l’Amérique à nos côtés.

La carrière d’André Tardieu décolle alors à 41 ans, avec un succès complet dans cette mission qui conduit le nouveau président du Conseil Georges Clemenceau à en faire après novembre 1918, en raison de ses compétences en politique étrangère, l’un des principaux négociateurs du traité de Versailles.

Il en sortira après-guerre un tandem de deux anciens collaborateurs de Clemenceau qui défendront bec et ongles sa mémoire et l’intangibilité du traité, tout se faisant concurrence sur le même créneau de l’échiquier politique : le chef de cabinet Georges Mandel qui s’occupait des affaires politiques intérieures, pendant qu’André Tardieu négociait le traité.

André Tardieu a la dent aussi dure que Clemenceau et ne recule jamais devant un bon mot ou une réponse étincelante d’insolence à la tribune de la Chambre, ce qui lui vaudra beaucoup d’ennemis et l’empêchera de devenir véritablement chef de parti. Il est par exemple à l'origine de l'expression : « la politique du chien crevé qui suit le fil de l’eau », aimablement lancée à Aristide Briand.

Mais il n’a pas la misanthropie de Georges Mandel et connaît une carrière ministérielle plus rapide. Après avoir été nommé ministre des régions libérées par Clemenceau dès 1919, il est réélu député de Seine et Oise dans la Chambre bleu horizon, puis battu en 1924 dans celle du Cartel des gauches et change alors de circonscription en se faisant élire député du Territoire de Belfort en 1926 à la faveur d’une élection partielle. Il devient ministre des Travaux Publics et des régions libérées en 1926 dans le gouvernement Poincaré, et entame une longue liaison tapageuse avec l’actrice Mary Marquet.

Il apprécie et se lie avec un autre ministre du camp de droite, Pierre Laval, son exact contraire sur le plan personnel comme l’écrira F. Kupferman dans une biographie du second : « Avec sa tête rejetée en arrière, son fume-cigarette, son sourire éclatant et un peu méprisant, il est une cible rêvée pour les dessinateurs. On le surnomme le mirobolant parce qu’il a une idée par jour et que sa pensée va trop vite pour l’homme politique moyen… À ses côtés, cultivant son personnage d’homme de terroir, tutoyant les journalistes, Pierre Laval pourrait être le Sancho Pança de ce Don Quichotte qui fonce contre les moulins des idées reçues ».

Le voici président du Conseil en novembre 1929 au lendemain du krach de Wall Street, en tant que plus remarquable personnalité de la droite depuis le retrait de la vie politique de Raymond Poincaré. Il le sera pendant trois périodes dont les durées respectives de 3 mois, 9 mois puis 3 mois jusqu’en 1932 avec pour prédécesseurs ou successeurs Aristide Briand, Camille Chautemps, Pierre Laval, Théodore Steeg et Édouard Herriot, suffisent à dire l’instabilité ministérielle de la IIIe République finissante.

Il se signale par une politique de relance keynésienne avant l’heure, décrivant la France comme « un îlot de prospérité dans un monde en crise », par une pratique très personnelle du pouvoir avec des causeries radiodiffusées et des discours qui fascinent sa majorité à l’Assemblée autant qu'ils exaspérent l’opposition, enfin par une attitude impeccablement démocratique à l’occasion de l’assassinat du président de la République Paul Doumer qu’il ne cherche pas à mettre à profit entre les deux tours des élections législatives de 1932.

Après son troisième et bref passage à la présidence du Conseil, son siège est fait et il n’en changera plus : le système constitutionnel est mauvais et doit impérativement être réformé pour y introduire plus de stabilité, par la suppression du droit d'initiative des dépenses budgétaires pour les parlementaires, le droit de vote des femmes, le recours au référendum en cas de difficulté législative, enfin la possibilité pour le « Premier ministre » - qui remplacerait le « président du Conseil » - de dissoudre la Chambre des députés sans l’accord du Sénat.

On retrouve là l’essentiel des principes qui seront défendus par le général de Gaulle dans son discours de Bayeux en 1946 puis mis en œuvre dans la Constitution de la Ve République, mis à part le transfert de l’essentiel du pouvoir décisionnaire du Premier ministre vers le président de la République lorsque les majorités présidentielle et parlementaire coïncident.

Mais André Tardieu, envers lequel la gauche est déjà mal disposée, va entamer une dérive anti-institutionnelle qui le marginalisera et empêchera ses idées pourtant pertinentes de prospérer... Après la manifestation sanglante du 6 février 1934, il est une dernière fois ministre d’État dans le gouvernement de l’ancien président de la République Gaston Doumergue, rappelé pour rétablir l’ordre et préparer une réforme constitutionnelle qui n’aboutira pas. Il démissionne alors du Parlement, se met à frayer avec les Croix-de-Feu du colonel de la Rocque, s’installe sur la Côte d’Azur pour s’adonner à la défense de ses idées par l’écriture, et retrouve ses premières amours journalistiques dans le journal d’extrême-droite Gringoire dont la campagne de calomnies provoquera le suicide du ministre du Front Populaire Roger Salengro.

Ces excès réactionnaires contribuent à déconsidérer ses idées constitutionnelles taxées de « néo-boulangisme »... Le général de Gaulle, conscient de ce risque, se gardera toujours de s’isoler dans la frange droitière de l’électorat et cherchera au contraire à élargir la base de ses soutiens en 1940 à Londres comme en 1944 dans le gouvernement provisoire et en 1958 lors de son retour au pouvoir.

André Tardieu est victime d’une attaque cérébrale une quinzaine de jours après la déclaration de guerre en 1939, et survit à l’état de légume jusqu’à sa mort en 1945. Il est aujourd’hui oublié, et ce n’est pas sa biographie par l’ancien élu parisien Michel Junot qui lui rendra sa place dans l’Histoire : le genre hagiographique existe mais doit se pratiquer avec un minimum de subtilité, sans être cousu de gros fil blanc comme la pratique qui consiste à ne mentionner ni la victoire électorale du Front Populaire en 1936 ni ce qu’était le journal Gringoire.

Publié ou mis à jour le : 2020-05-09 11:38:32

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