La poste comme nous la connaissons est jeune, à peine plus que centenaire. En effet, avant que nos aïeux songent à échanger des lettres d'amour, des lettres de rupture, des factures et des cartes postales, il a fallu qu'ils apprennent d'abord à lire et écrire. C'est seulement au XIXe siècle que l'alphabétisation a gagné les masses et c'est alors que les postes ont connu un premier et spectaculaire essor.
Notons tout de même que dans l'empire romain, la proportion élevée de personnes alphabétisées a conduit Auguste à instaurer un service postal quelque peu analogue au nôtre, le cursus publicus. Cela n'a pas duré. Au Moyen Âge et au-delà, il n'y eut plus que les puissants, les moines et les marchands pour échanger des plis avec leurs homologues éloignés. Ils recouraient à des réseaux de messagerie privés et onéreux.
En France, Louis XI, soucieux de consolider l'État, a mis en place un très efficace réseau de relais de poste réservé aux courriers du roi. Mais c'est seulement un siècle plus tard que ses successeurs ont permis à ces relais de servir aussi les riches particuliers contre une coquette rémunération.
Le dispositif s'étant révélé rentable, il s'est structuré sous le règne de Louis XIV avec la création de la Ferme des postes, jusqu'à conduire à nos chers facteurs si joliment mis en scène par Jacques Tati (Jour de Fête, 1949).
Avec l'irruption de l'internet et de la messagerie numérique, voilà nos postiers appelés à se renouveler. L'aventure continue...
La Poste française s'est dotée en 1946 d'un musée d'Histoire. C'était au temps où elle s'appelait encore les PTT (Postes Télégraphes et Téléphones) et avait un ministre dédié. Sis dans un bel immeuble contemporain, 34 boulevard de Vaugirard, face à la gare de Paris-Montparnasse, ce musée d'entreprise raconte l'histoire du courrier en France depuis les origines, avec pour commencer un facsimilé de la Table de Peutinger, curieuse carte longiligne réalisée vers 1265 par des moines de Colmar et qui est censée représenter les messageries de l'époque romaine. Le musée raconte à la suite, sur trois étages, l'évolution de la poste depuis le Moyen Âge, de l'apparition des premiers relais de poste à l'arrivée de la messagerie numérique. Postillons, maîtres de poste, facteurs, agents de tri et demoiselles du téléphone sont ici mis à l'honneur et l'on peut découvrir tout à la fois leur grandeur et leur misère.
En 2023, le Groupe La Poste est une société anonyme dont le capital se partage entre la Caisse des Dépôts et Consignations (66%) et l'État et dont les activités se partagent entre le courrier (La Poste), la messagerie et les colis (Chronopost), la banque et l'assurance (la Banque Postale). Elle compte 250 000 salariés dans le monde. Complètement séparés de La Poste, le téléphone et les télécommunications relèvent pour leur part du groupe Orange (avec des capitaux privés).
À pied, à cheval...
Pas de poste sans volonté d'État ! Seul un pouvoir fort et une administration bien rodée peuvent financer un système fort coûteux puisqu'il faut assurer l'établissement de voies de communication et de relais, veiller à l'ensemble de l'organisation et répondre de la sécurité des messages et messagers.
C'est chose faite en Égypte au Nouvel Empire (XVIe-XIIe siècles avant J.-C.) si l'on en croit ces quelques mots désespérés : « Ô si tu pouvais venir en hâte vers la bien-aimée / Comme le courrier royal / Dont la monture attend le messager avec impatience ! »
Mais c'est bien aux fonctionnaires de Cyrus le Grand que l'on attribue officiellement la mise en place du premier système de poste. Toujours réservé aux courriers royaux, il est d'une telle efficacité que l'historien Hérodote ne peut qu'applaudir : « Rien de si efficace parmi les mortels que ces courriers ! » (Histoires, Ve siècle av. J.-C.). À l'autre extrémité de l'Eurasie, le Premier Empereur chinois met aussi en place au IIIe siècle av. J.-C. un important réseau de messagerie à son usage exclusif. Et ne parlons pas du réseau de messagers à cheval mis en place par Gengis Khan, beaucoup plus tard, au XIIIe siècle de notre ère, à travers son immense empire, le plus vaste qui fut jamais !
Les cités grecques, pour leur part, n'ont pas fait comme tout le monde en ne développant pas de poste à relais de chevaux. Compte tenu des contraintes naturelles, elles préféraient faire appel au service de navires ou encore des hémérodromoi, ces coursiers dont le niveau sportif n'avait rien à envier à nos champions ! Ceux-ci ne font aujourd'hui que suivre les traces d'un messager légendaire qui aurait couru d'une traite les 42 kilomètres séparant Marathon d'Athènes pour annoncer la victoire sur les Perses. « Nenikamen ! » (« Nous avons gagné ! »).
De jour, de nuit, par tous les temps... Il en fallait du courage aux coursiers perses pour aller d'un point à l'autre de cet empire immense ! Pour connaître en détail ce mode de transport, il suffit de parcourir le témoignage de l'historien grec Xénophon :
« Nous connaissons encore une autre invention de Cyrus, appropriée à la grandeur de son empire et grâce à laquelle il était promptement informé de ce qui se passait même dans les contrées les plus lointaines. S'étant rendu compte de la distance qu'un cheval monté peut parcourir en un jour sans être excédé, il fit construire des écuries écartées de ce même intervalle, y mit des chevaux et des gens chargés de les soigner et plaça dans chaque relais un homme capable de recevoir et de transmettre les lettres qui arrivaient, de recueillir les hommes et les chevaux fatigués et d'en envoyer d'autres tout frais. On dit que parfois même ces transports ne s'arrêtent point la nuit et qu'à un messager de jour succède un messager de nuit. On prétend qu'avec cette manière de voyager, on va plus vite que les vols des oiseaux. Si cela est exagéré, il est, du moins, indéniable que de toutes les manières de voyager sur terre, celle-là est la plus rapide. Or il est bon d'apprendre les nouvelles le plus vite possible, pour prendre les mesures les plus rapides possible » (Cyropédie, Ve siècle avant J.-C.).
Une affaire de relais
« Il disposa sur les routes stratégiques, à de courtes distances, d'abord des jeunes gens, puis des voitures, afin d'avoir des nouvelles plus promptes des provinces... » (Suétone, Vie des douze Césars, IIe siècle). Cet homme prévoyant, c'est Auguste, initiateur du cursus publicus, un vaste réseau de poste développé au Ier siècle.
Dans cet empire s'étendant alors du nord de l'Angleterre à l'Euphrate, cavaliers et conducteurs de chariot disposaient de relais tous les 12 kilomètres mais aussi d'auberges, à 50 kilomètres. D'abord réservée aux services de l'État, cette entreprise très élaborée finit par s'ouvrir aux administrations, aux militaires et finalement aux marchandises au point de devenir la première entreprise « mondiale » de logistique.
Mais pour les mots doux, les réflexions ou les cancaneries, comment faire ? Un homme riche et influent tel que Cicéron pouvait avoir recours à des esclaves de confiance mais pour ceux qui choisissaient de laisser leur missive entre les mains d'un tabellarius, un porteur de lettres professionnel, difficile d'être sûr qu'elle parviendrait à son destinataire ! Dans le doute, mieux valait multiplier les copies et les envois...
Mais la poste de l'époque avait un avantage puisqu'elle permettait aux rares privilégiés de voyager à moindre frais. C'est ainsi qu'au IVe siècle l'empereur Julien l'Apostat fit venir à ses côtés un certain nombre d'intellectuels tandis qu'un sénateur, certainement moins intéressé par la philosophie, y vit un bon moyen de se procurer des ours croates !
Chacun pour soi
La belle toile d'araignée tissée par les Romains ne résiste pas à la chute de leur Empire, et c'est une multitude de liaisons plus ou moins organisées qui se mettent en place à travers des campagnes aux chemins plus que rudimentaires. Pas facile donc, le métier de chevaucheur ! Ces messagers, employés par les plus hautes personnalités du Moyen Âge, sont rares, à peine une quinzaine par exemple pour Saint Louis au XIIIe siècle.
Plus nombreux sont les moines qui se voient chargés par leur ordre religieux d'apporter à leurs frères éloignés des nouvelles de la congrégation ou de faire parvenir un rotulus, rouleau annonçant généralement la mort d'un des leurs. Chaque prieuré y ajoutant un commentaire, certains écrits pouvaient atteindre jusqu'à 11 mètres de long !
Une autre population, plus inattendue, a elle aussi droit à un service de poste : les étudiants. Pour eux, impossible de rester éloigné de sa famille sans échanger nouvelles et argent ! Compréhensive, la faculté des arts de Paris fonde à partir du XIIIe siècle un corps de messagers chargés d'y remédier. N'occupe pas cet emploi qui veut : il faut en effet beaucoup de courage, vu les convoitises que provoque le courrier. Trop dangereux, trop lent, trop confidentiel... le service doit évoluer !
Les bottes magiques
C'est un Louis XI en plein conflit avec Charles le Téméraire qui va trouver la solution : désireux de suivre l'évolution de la situation politique et militaire aux quatre coins de son pays, il lance en 1464 par l'édit de Lucheux une poste royale réservée à ses messagers.
S'inspirant des messageries mises en place dès le siècle précédent par les républiques italiennes, il constitue des relais établis tous les 30 kilomètres (7 lieues), les « postes assises ». Quelle efficacité ! C'est de la magie ! Voilà une hypothèse dont se souviendra Charles Perrault en imaginant ses fameuses bottes de 7 lieues.
Mais tout comme son fameux chat, certaines fripouilles sont futées : elles ont vite compris l'intérêt qu'elles pouvaient trouver à cette nouvelle vélocité et acheminent courriers et paquets privés, en toute illégalité.
Comprenant qu'il doit répondre à un besoin essentiel de la population, Henri IV décide donc en 1603 d'ouvrir le service de ses estafettes tous les usagers… en situation de le payer.
Facile à dire, moins facile à faire ! En 1624, Pierre d'Almeras, « Grand maître des coureurs », relève le défi. Il commence par décider que le courrier partira à intervalles fixes et selon un tarif unifié, prenant en compte la distance et le poids. Le paiement se fait alors à réception, pour être assuré que celle-ci ait bien lieu !
Pour gérer l'envoi et la distribution sont créées des charges de « maîtres de courriers », sortes de directeurs régionaux qui s'emploient à ouvrir des guichets dans leur juridiction. Ne reste plus aux messagers qu'à se lancer sur les routes.
« J’ai trouvé dans le paquet de Gand une lettre de la qualité de celles que Votre Éminence sait qu’elle m’a commandé de retenir et de lui faire voir. J’ai cru qu’elle aurait agréable l’envoi que je lui fais tant de l’original que de la copie d’icelle… J’estimerais, sauf le meilleur avis de Votre Éminence, qu’il serait nécessaire de supprimer entièrement ledit paquet comme perdu... ». Quelle attention pleine de délicatesse ! En écrivant ainsi, le surintendant Jérôme de Nouveau savait bien qu'il ferait plaisir au cardinal de Richelieu, tant l'ouverture des courriers était alors chose banale et même recommandée au plus haut niveau de l'État.
Encres sympathiques, messages chiffrés ou pseudonymes ne sont guère efficaces face aux experts du « service du secret » qui savent aussi bien traduire chaque missive que les recacheter soigneusement. Enfin, en règle générale... car pour la princesse Palatine, belle-sœur de Louis XIV, c'est tout simplement du travail bâclé : « La poste nous fait l’honneur de refermer bien subtilement nos lettres. Mais à cette bonne madame la Duchesse [de Bourbon] on les lui envoie souvent dans un singulier état et déchirées par en haut. » (Lettre à la duchesse de Hanovre, 1682). Il reste à la Palatine à se montrer plus discrète pour éviter une fois de plus d'être convoquée par son royal beau-frère, mécontent qu'elle ait traité dans un courrier madame de Maintenon de « vieille ordure » !
Il faut attendre la Révolution pour que l'on s'attaque à la violation du secret de la correspondance, « une des plus infâmes inventions du despotisme » (comte de Clermont-Tonnerre) dénoncée dans nombre de cahiers de doléances. Mais le décret du 10 juillet 1791 sera souvent battu en brèche, notamment sous le Second Empire qui fait de la quête des écrits séditieux une de ses priorités. C'est ainsi que les postes de l'Yonne firent ouvrir tous les courriers venus de l'étranger pour contrer le contestataire Victor Hugo. Peine perdue, les Châtiments (1853) réussirent à passer l'obstacle !
Laissez passer les brouettes !
Même si les échanges épistolaires restent rares, l'argent commence à s'entasser dans les caisses de la poste. Et s'il y a quelqu'un qui s'en rend compte, c'est bien Louvois !
A partir de 1668, le tout-puissant ministre de la Guerre de Louis XIV manœuvre donc discrètement pour obtenir la jouissance de ce qui est à présent un monopole. Fini les messagers indépendants ! À la tête de la Ferme des postes, Louvois multiplie les relais jusqu'à atteindre le nombre de 760, tous prêts à recevoir les « brouettes », ces charrettes qui transportent le courrier dans une « malle aux lettres » fixée et verrouillée.
Chaque relais est géré par un maître de poste. C’est un personnage important qui exploite les terres alentour pour l’entretien de ses chevaux et héberge parfois aussi les voyageurs. Quand arrive un courrier royal, ses chevaux sont immédiatement remplacés et pendant qu’ils regagnent le relais précédent accompagné de leur postillon, lui-même poursuit sa route jusqu’au relais suivant avec des chevaux frais et le « postillon fidèle » du relais qui devra ensuite ramener les chevaux.
Personnage souvent truculent, le postillon exerce un métier dangereux et épuisant qui l'oblige à enfiler de lourdes bottes de 3 kg, à demeure sur la selle. Est-ce pour cela qu'on le dit porté sur la dive bouteille ?...
La Poste royale a le monopole des lettres et des colis de moins de 25 kilos. Pour le reste, il existe aussi quelques messageries privées qui transportent les gros paquets et les voyageurs. La voiture de messagerie a l'obligation d'aller au pas ou au trot, le galop étant le privilège du maître de poste. Elle a aussi l'obligation de faire étape à la nuit tombée.
Pour les envois proches, le problème semble plus simple. Et bien, pas du tout ! Il est en effet interdit de distribuer une lettre dans une même ville, le jour même. Faute de « petit Savoyard » ou de personnel de maison auquel confier le courrier, mieux vaut aimer marcher... Est-ce alors par compassion pour ses contemporains que le philanthrope Piarron de Chamousset décide en 1759 de reprendre une idée venue d'Angleterre et rendue possible par l'apposition des plaques de rues en 1728 ?
Avec sa « Petite Poste », il assure enfin la collecte et la distribution des missives dans Paris puis plusieurs grandes villes. On prend l'habitude d'être hélé depuis la rue par ces « facteurs » (de l'ancien français « faiteur », qui agit pour le compte d'autrui) qui savent si bien se faire entendre à l'aide d'une sorte de crécelle, la cliquette. Le montant de la course est versé à l'avance et attesté par un cachet apposé sur le courrier ; c'est déjà l'amorce du timbre-poste...
Mais cela n'amuse pas tout le monde : en 1780, toutes les Petites Postes citadines sont rachetées par l'État et rattachées à la Grande Poste. À elle à présent d'engranger les bénéfices !
L'histoire commence au XIIe siècle, en Lombardie, dans le château de Tasso (« le blaireau »). Bien placée sur les routes d'échange entre Méditerranée et pays du Nord, une famille propose d'abord un service de transport par mules avant de vite développer sa petite entreprise pour prendre en charge le courrier de la seigneurie de Venise. L'affaire a bonne réputation au point de séduire à la fin du XVe siècle la cour des Hasbourg.
Les Tassi organisent alors à partir de leur maison-mère de Bruxelles des relais dans toute l'Europe, organisation d'une telle efficacité qu'elle leur permet d'être anoblis par Maximilien Ier en 1512.
En 1669, Louvois fait appel aux Tassi, en situation de monopole, pour développer la poste en France. Les maîtres du courrier s'enrichissent donc mais souffrent toujours d'une généalogie quelque peu obscure : qu'importe ! En un tour de main les voilà descendants d'une famille « della Torre » milanaise. Les « della Torre e Tasso », « de la Tour et Tassis » ou « von Thurn und Taxis » sont nés. A noter que les liens entre cette dynastie d'entrepreneurs et nos taxis n'est pas certaine, le nom des véhicules venant plus sûrement du mot « taxe », à l'origine de « taximètre ».
À leurs risques et périls
Arrive la Révolution. La « sécurité des lettres », autrement dit la confidentialité de la correspondance, figure en bonne place parmi les revendication exprimées dans les cahiers de doléances, en préparation des états généraux de mai 1789. Mais cela ne va pas mettre fin à la pratique du « Cabinet noir » où l'on ouvre le courrier des personnes en froid avec le régime. Aujourd'hui, la police préfère surveiller les messageries internet et les réseaux sociaux... « S'ils veulent échapper à sa surveillance, les malfaiteurs et les terroristes auraient davantage intérêt à communiquer par courrier postal ! » note avec ironie Sébastien Richez, historien au musée de la Poste (Paris).
Quoi qu'il en soit, on ne change pas une équipe qui gagne ! C'est pourquoi nos révolutionnaires ne s'attaquent pas à la Poste, cette « industrieuse circulation [qui permet] que s'étendent et se multiplient les progrès des Lumières » (Legrand, secrétaire général des postes, 1792).
Notons que c'est à un maître de poste observateur, Jean-Baptiste Drouet, que l'on doit l'arrestation de Louis XVI au relais de Varennes, le 21 juin 1791.
Le 24 juillet 1793, en pleine Terreur, la Convention enlève les postes aux financiers à qui elles étaient précédemment concédées. Elle les confie à une nouvelle Régie nationale des postes et messageries. Mais l'administration ne peut s'empêcher d'ajouter nombre de règlements, parfois étranges, comme l'interdiction de l'envoi de cartes de visite, jugées trop ostentatoires. Il faut aussi s'habituer aux nouvelles dénominations des villes et être capable par exemple de situer Berceau-de-la-Liberté...
Vous n'avez pas reconnu l'ancien nom de Versailles ? Heureusement, les agents de la toute nouvelle agence nationale des postes auraient su vous y conduire puisque, depuis 1793, leurs brouettes avaient été remplacées par des voitures plus grandes, les « malles-poste », habilitées à recevoir des voyageurs. Mais gare aux bandits ! La douteuse affaire du courrier de Lyon, en 1796, qui déboucha sur le vol sanglant de 7 millions d'assignats, est là pour rappeler à quel point les employés, désormais fonctionnaires, pouvaient exercer un métier à risques.
Alors que Chappe crée la concurrence avec son télégraphe aérien (1793) qui met Paris à 3 heures de Toulon, la poste aux armées relève le défi avec son service rapide d'estafettes. Sous l'Empire, son rôle était de faire passer par les postillons de chaque station les dépêches de cabinet transportées dans des sacoches dont seuls l'expéditeur et le destinataire possédaient la clef. On ne plaisante pas avec le courrier de l'Empereur !
Facteurs tout-terrain
On a tous dans nos souvenirs une place pour le facteur, qu'il soit maigre comme un coucou à l'image de Jacques Tati (Jour de fête, 1949) ou très barbu comme l'ami de Vincent van Gogh, le fameux Roulin.
Certains peuvent se faire remarquer par leur grande imagination, mais sans parvenir à rivaliser avec Ferdinand Cheval qui a élevé, pierre après pierre pendant 33 ans (1879-1912), son Palais idéal à Hauterives, dans la Drôme.
Reconnaissable à sa blouse bleue et son képi, le facteur rural du tournant du siècle doit apprendre à éviter les pièges, notamment le « p'tit verre pour la route » que lui procure sa popularité au sein des villages qu'il se doit de parcourir tous les jours avant l'obtention du repos dominical, en 1906.
D'abord condamné à faire ses tournées à pied, qu'il pleuve ou qu'il vente, il va profiter des avancées de la technologie dans les transports : ainsi le tricycle des débuts est vite devenu une bicyclette, assistée depuis les années 2000 par un moteur électrique. Autrefois juché sur des échasses dans les Landes, on l'a vu aussi en équilibre dans une barque sur le marais poitevin ou muni de skis vers les sommets.
Aujourd'hui c'est bien sûr la fameuse petite camionnette jaune qui reste le mode de transport privilégié. On compte près de 70 000 facteurs et factrices (depuis 1914) qui distribuent les factures et « poulets » (billets doux) que l'on a pris soin de déposer dans les vieilles mougeottes, ces boîtes-aux-lettres construites dans une fonte bien solide (1899). Ils peuvent aussi à présent prendre en charge la distribution de repas et autres missions de proximité.
Un jour, à Claquebue, naît une jument verte... Romancier des gens ordinaires, Marcel Aymé nous plonge ici dans un village imaginaire où officie bien sûr un facteur, le sieur Déodat...
« Ce matin-là, Déodat avait quinze lettres et trois imprimés. Il quitta Valbuisson un peu avant dix heures pour franchir les neuf kilomètres qui le séparaient de Claquebue. Ses lettres étaient bien rangées dans le sac de cuir qu’il portait en bandoulière, et lui, il marchait d’un bon pas, mais sans se presser, juste comme il fallait. Il pensait à ses lettres, se récitait les noms des destinataires dans l’ordre où il les toucherait, et sans jamais se tromper, preuve qu’il savait son métier. [...]...
Pour faire un bon facteur (il y a facteur et facteur, c’est comme dans tout), il faut savoir des choses dans sa tête ; et d’abord savoir marcher. Tout le monde ne sait pas, qui croit pourtant. […] Pour être facteur, il y a tout de même la chose d’être plaisant avec le destinataire, et le monde qui a mal au pied ne peut pas être gracieux. [...] Ce qu’il faut, c’est marcher posément, comme un homme posé, en regardant où on marche, pour ne pas mettre le pied dans une bouse de vache. [...]...
C’est une bonne place, un bon métier. On peut dire tout ce qu’on voudra sur le métier de facteur – et au fond, il n’y a rien à dire – mais c’est un bon métier. L’uniforme, il faut en avoir soin, bien entendu, mais pour celui qui en a soin, il fait propre. Quand on rencontre un facteur, on voit tout de suite qu’il est facteur » (La Jument verte, 1933).
Un petit rectangle qui change tout
Mandats, lettres recommandées, cachets circulaires... L'administration postale du premier tiers du XIXe siècle ne manque pas d'idées pour faire face à explosion des envois, liée à la reprise économique sous la Restauration.
Mais que faire pour les campagnes ? Aller chercher un pli en ville est tellement compliqué que la population préfère ne pas se déplacer, au point qu'on trouve pas moins de 260 000 objets abandonnés dans les bureaux de poste en 1819.
Antoine Comte, directeur général, recrute donc 5 000 facteurs censés boucler chaque jour un trajet d'environ 25 kilomètres. Les paysans prennent l'habitude de croiser ces courageux vêtus d'une blouse de drap bleu et d'un chapeau haut de forme, vite remplacé par une simple casquette, tout de même plus pratique !
Face au progrès, la poste doit de nouveau se réinventer au tournant du siècle : fini les malles-postes, vive le train ! Tous les yeux se tournent vers le Royaume-Uni qui a adopté ce transport dès 1838 avant, deux ans plus tard, d'avoir l'ingénieuse idée d'apposer des vignettes noires sur les plis puis sur les toutes nouvelles enveloppes (1840).
Avec ce Penny Black, premier timbre de l'Histoire, les expéditeurs ne payent qu'une taxe unique, quelles que soient la distance et la destination. Quelle révolution !
Le profil de la jeune reine Victoria, ravie de cet hommage inattendu, s'impose partout dans son pays avant d'être rejoint en France par celui de Cérès, déesse des moissons (1848). Même si les utilisateurs se montrent réticents, rapidement l'offre s'étoffe et la timbrologie, ancêtre de la philatélie, voit le jour avec la première exposition en 1852.
Les timbres ne sont pas les seuls à avoir obsédé les amateurs d'accumulation. En 1869, un professeur autrichien, Emmanuel Herrmann, a l'idée de fournir aux paresseux une carte toute prête à être postée. L'année suivante, la Société de secours aux blessés permet aux familles d'obtenir des nouvelles de leurs proches grâce à ses cartes estampillées du symbole de la Croix-Rouge. Le succès de ce bout de carton, vite décoré de toutes sortes de motifs, est tel qu'il devient indispensable pour envoyer quelques mots bien trouvés... Moyen de communication populaire par excellence, la carte postale joue un rôle capital de soutien aux familles comme aux soldats pendant la Première guerre mondiale. Fournies gratuitement, les millions d'entre elles qui sont diffusées sont aussi un outil de propagande patriotique. En déclin face aux nouveaux outils de communication instantanée, les cartes postales restent un témoignage unique sur les modes de vie et les goûts de leur époque.
Lui aussi accroché souvent en bonne vue, l'almanach des Postes agrémente depuis 1854 les murs de nombre de cuisines. Proposé pour les étrennes par les facteurs, il est apprécié pour ses indications pratiques liées à chaque département (plans, dates des foires, marées...), astucieuse innovation que l'on doit à l'imprimeur Claude Oberthur (1864). Les calendophiles (ou buxidaphiles), n'en ont pas fini de comparer les photographies d'adorables chatons...
Alternatives de choc
Toujours plus vite ! En 1793, la Convention valide l'invention du télégraphe optique par Claude Chappe. Elle permet à un message de 30 mots de traverser la France en une heure. Utile aux militaires, cette invention demeure un luxe inaccessible (l'envoi de vingt mots de Paris à Marseille en 1850 coûte l'équivalent de dix journées de salaire ouvrier). Tout change avec le télégraphe électrique de Morse, inventé en 1840. Il va permettre au télégramme de conquérir la France à partir de 1879 (avant de lui-même mourir en 2018). Entretemps, des concurrents ont aussi tenté leur chance commme l'air comprimé.
Le « télégraphe atmosphérique » séduit les milieux d'affaires parisiens qui apprécient ce mode de communication rapide et confidentiel. C'est ainsi que les « pneus » vont se frayer un chemin jusqu'en 1984 dans 70 kilomètres de tubes, souvent installés dans les égouts de la capitale.
Utilisé intra-muros, le système montre ses limites lorsque la ville est encerclée par les troupes allemandes en 1870. Comment faire entrer ou sortir le courrier dans Paris assiégé ? Et pourquoi pas à l'aide de boîtes métalliques confiées à la Seine ? Aucune de ces « boules de Moulins » ne remplira son office. Mieux vaut chercher l'inspiration dans le ciel !
C'est le photographe Nadar, aérostier à ses heures, qui suggère à la Poste de passer par-dessus l'ennemi. Pendant 5 mois, plusieurs millions de lettres s'envolent ainsi, parfois accompagnées par quelques téméraires comme Léon Gambetta, ministre de l'Intérieur, qui prend place dans un de ces ballons montés pour s'échapper du piège.
Autre type de passagers, les pigeons-voyageurs sont envoyés ainsi en province pour ensuite revenir à leurs propriétaires, toujours par les airs et lestés de près de 100 000 messages sous forme de photographies microfilmées, poétiquement baptisées « pigeongrammes ». Comme le reconnut lui-même le chancelier Bismarck, « ces diables de Parisiens sont bien ingénieux ! »
Entre Asnières et Buenos-Aires
Le courrier déborde les frontières nationales. Dès le XVIIe siècle, les Anglais établissent des lignes régulières entre Calais et Douvres pour le transport du courrier et des paquets. Les bateaux affectés à cet usage seront habilités à partir de 1818 à transporter aussi des passagers. Ils sont appelés packet-boats, d'où nous vient le mot « paquebot ». En 1783, la France de Louis XVI, alliée des jeunes États-Unis inaugure un premier service postal maritime transatlantique. En 1786, des lignes régulières sont établies vers l'île Maurice et l'île Bourbon (La Réunion).
Entre les deux guerres mondiales, Mermoz, Saint-Exupéry, Guillaumet... vont emprunter la voie aérienne et risquer leur vie pour acheminer billets doux et factures commminatoires aux quatre coins du monde. Avec l'Aéropostale (1927-1931), la Poste se crée des héros qui, aujourd'hui encore, font rêver les amateurs d'aventure.
« Bonjour Madame la téléphoniste... Je voudrais le 22 à Asnières... » Cette pauvre Demoiselle des postes importunée par Fernand Raynaud en 1966 est l'héritière de ces « ombrageuses prêtresses de l'Invisible » (Marcel Proust) qui furent affiliées à la Poste en 1889.
La diversification est alors une priorité. En 1881 est créée la Caisse nationale d'épargne par la volonté du premier ministre des Postes et Télégraphes, Adolphe Cochery. Vite surnommée « la banque des pauvres », la banque postale est en fait révolutionnaire puisqu'elle répond aux besoins d'une clientèle populaire, mais aussi parce qu'elle est ouverte aux femmes et aux enfants mineurs.
Grâce à ses dix mille bureaux qui couvrent tout le territoire avant la Grande Guerre (six mille aujourd'hui), elle permet aussi de collecter et faire fructifier l'épargne des ruraux.
Si l'efficacité du service est reconnue, les conditions de travail des employés de la Poste restent si précaires que des grèves à répétition sont déclenchées entre 1899 et 1909, avant que la Première guerre mondiale envoie tout ce beau monde sur le front. Cet exil forcé permet enfin aux femmes d'hériter de la casquette de facteur ou de devenir l'indispensable receveuse des petits villages, fer-de-lance de la lutte contre l'isolement rural.
Le courrier prospère avec la Grande Guerre, quand les « poilus » mettent à profit leur savoir scolaire acquis à l'école de Jules Ferry pour échanger des lettres avec leurs familles. De trois milliards en 1914, le nombre de plis transmis par la Poste française bondit à douze milliards en 1918...
Le courrier remontera à ce total dans les années 1960 pour plafonner à vingt milliards de plis annuels avant de retomber en 2022 à moins de six milliards. Malgré la percée de la messagerie numérique qui le voue à disparaître, il constitue encore 75% du chiffre d'affaires du Groupe La Poste, le reste venant des activités financières.
Cher papa Noël : pour les années à venir, je voudrais...
La Poste se révèle aussi très active pendant la Seconde Guerre mondiale et l'Occupation. On estime qu'un facteur sur dix aurait eu un rôle actif dans la Résistance, que ce soit en collectant des renseignements, en détruisant des lignes téléphoniques ou en « perdant » du courrier...
Fortement touché par les années de guerre et ses destructions massives de bâtiments, le service ne tarde pas à se remettre en route, quitte à trouver asile dans des baraques provisoires. Les « préposés », qui ont pris la place des « facteurs » en 1957, ne chôment pas dans l'après-guerre, d'autant plus qu'en 1962 on les met enfin dans la confidence : la boîte aux lettres du père Noël serait en fait du côté de Libourne...
Notre vieille institution ne perd pas de vue qu'elle doit aussi vivre avec son temps et se moderniser. Dans les années 1980 est créé le Minitel à l'initiative de la direction générale des Télécoms. Les PTT inventent pour l'occasion la banque à distance. En 1990, sous le ministère de Paul Quilès, de séparer télécommunications et poste pour donner naissance à France Télécoms et à La Poste qui, de fait, devient un établissement public à part entière.
Désormais confrontée à la désertification rurale et au triomphe du courrier électronique, elle doit aussi faire face à une intense concurrence dans le transport des colis, domaine en pleine explosion grâce au commerce en ligne.
Incarnation du service public, elle profite d'un fort capital sympathie auprès de la population, fruit de longues années de proximité. A elle de tirer parti de cet atout et de relever le défi de la diversification auquel la condamne la disparition, à terme, de ce qui est sa raison d'être depuis sa naissance : le transport du courrier.
Autrefois, quand les enfants écrivaient des lettres, ils aimaient bien noter sur l'enveloppe un petit mot gentil à destination du facteur... Stéphane Mallarmé, ce grand enfant, eut la même idée. Voici quelques exemples de ces adresses originales. Bon courage, facteur !
Sans t’étendre dans l’herbe verte
Naïf distributeur, mets-y
Du tien, cours chez Madame Berthe
Manet, par Meulan, à Mézy.
Apte à ne point te câbrer, hue !
Poste et j’ajouterais : dia !
Si tu ne fuis II bis rue
Balzac chez cet Hérédia.
Monsieur Monet, que l’hiver ni
L’été, sa vision ne leurre,
Habite, en peignant, Giverny
Sis auprès de Vernon, dans l’Eure.
Leur rire avec la même gamme
Sonnera si tu te rendis
Chez Monsieur Whistler et Madame,
Rue antique du Bac II0.
Bibliographie
Camille Allaz, Histoire de la poste dans le monde, éd. Pygmalion, 2013,
François Bertin, La Poste. Du messager à cheval au courrier électronique, éd. Ouest-France, 1999,
Paul Charbon, Quelle belle invention que la poste ! , éd. Gallimard (« Découvertes »), 1991,
Eugène Vallé, Histoire des postes françaises, éd des Presses universitaires de France (« Que sais-je ? »), 1947.
La science et la vie
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Jacques Groleau (24-09-2023 17:57:34)
Superbe article ! Ah, oui, "le bon vieux temps" des cartes postales (d'anniversaire, etc.)... hélas remplacées (par moi aussi !) par un courriel, plus rapide et moins cher (le timbre devient hors de... Lire la suite