Sylvain Roussillon (Bernard Giovanangeli, 190 pages, 18 euros, 2012)
Deux guerres ont ouvert et refermé le XIXème siècle aux États-Unis, que ses habitants préfèrent en général s’abstenir de rappeler : il s’agit de la «Seconde Guerre d’Indépendance américaine» de 1812-1815 qui est l’objet du livre de Sylvain Roussillon, et de la guerre hispano-américaine de 1898 qui marque l’irruption des États-Unis dans le rôle de première puissance économique et militaire mondiale.
La Seconde Guerre d’Indépendance américaine commence pour de mauvaises raisons en 1812, après que la marine anglaise confrontée au blocus napoléonien ait arraisonné un peu trop de bateaux américains neutres et enrôlé de force un peu trop de leurs marins dans la Royal Navy. Le président américain Madison, plutôt que de se borner à quelques protestations diplomatiques agrémentées de mesures de rétorsion, préfère déclarer la «guerre de M. Madison» pour assurer sa réélection. Le Royaume-Uni n’est pas en reste, car il nourrit le secret espoir de faire rentrer au bercail les Treize Colonies américaines qui avaient récemment conquis leur indépendance.
C’est ainsi que l’on s’embarque, la fleur au fusil, dans une guerre inutile et qui se terminera sans vainqueur ni vaincu.
Même si elle se déroule sur des théâtres d’opérations d’ampleur limitée quoique nombreux et qu’elle ne met pas en jeu des effectifs militaires considérables, il s’agit bien d’une véritable guerre avec son cortège de batailles, de demi-succès et de vraies défaites, dont l’ouvrage relate les multiples péripéties. Nous en retiendrons quelques-unes que leur caractère pittoresque a sauvées de l’oubli, et qui s’avérèrent riches d’enseignements pour la suite.
Entre pittoresque et tragédie
Le premier théâtre d’opérations est la région des Grands Lacs américano-canadiens, qui marquent la frontière entre les nouveaux Etats-Unis et la colonie canadienne de leur ancienne métropole anglaise.
Après quelques défaites initiales, les Américains prennent le mors aux dents, construisent une base navale sur le lac Ontario et cinglent en 1813 sur la capitale régionale canadienne de Toronto qu’ils mettent à sac, incendiant même son Parlement. La leçon ne sera pas perdue de vue par les Canadiens lorsqu’ils obtiendront leur indépendance, 70 ans plus tard : jugeant que la situation de leur plus importante ville Toronto au bord d’un grand lac américano-canadien la rend indéfendable, ils préfèreront établir la capitale fédérale plus au Nord à Ottawa.
Nous n’en sommes pas encore là en 1814, et les Anglais sont ulcérés par l’incendie de Toronto. Bien que la marine américaine ait largement prouvé sa valeur durant cette guerre, les Anglais n’hésitent pas à organiser un audacieux raid maritime sur Washington : après que la Royal Navy ait remonté la baie de Chesapeake dans laquelle se jette le fleuve Potomac, l’armée anglo-canadienne débarque et ne fait qu’une bouchée de la milice américaine qui était censée défendre sa capitale.
Le président Madison n’a que le temps de fuir pour ne pas tomber aux mains de l’ennemi : il quitte la Maison Blanche talonné par le général anglais qui fait son entrée, mange le dîner encore chaud servi dans la salle à manger du président, aurait même fumé un de ses cigares… et repart après avoir mis le feu, histoire de venger l’incendie du Parlement de Toronto.
Les Américains aiment se gargariser de la fable selon laquelle ils n’auraient jamais été envahis par l’ennemi, alors que la destruction de la résidence présidentielle dans la capitale fédérale prouve le contraire et déboucha sur la construction d’une nouvelle Maison Blanche plus vaste.
Notons aussi que la défense de Washington relevait de la milice parce que l’armée américaine de création récente était occupée sur d’autres théâtres d’opérations militaires : par mesure d’économie, les Américains avaient en effet licencié leur armée après la première guerre d’indépendance pour confier la sécurité du pays à la milice des citoyens, dont l’armement avait été rendu possible par le 2ème amendement à la Constitution («Une milice bien organisée étant nécessaire à la sécurité d’un État libre, le droit qu’a le peuple de détenir et de porter des armes ne serait pas transgressé»). L’armée est devenue par la suite régulière et une police a été créée, mais le 2ème amendement n’a jamais été aboli, ce qui explique certains débordements actuels de citoyens surarmés.
Terminons cette évocation par le dernier exploit de cette drôle de guerre, la défense de La Nouvelle-Orléans au début de l’année 1815 contre un débarquement anglais par un obscur général américain du nom d’Andrew Jackson, alors même que la paix entre les belligérants avait été signée fin 1814 à Gand mais que la nouvelle n’en était pas encore parvenue aux oreilles de tous sur le terrain. Peut-être faisaient-ils semblant de ne pas être au courant, car une guerre est une mine d’occasions pour obtenir des grades militaires puis assouvir des ambitions politiques.
Telle fut la destinée d’Andrew Jackson, qui, tout auréolé de sa victoire dans le Sud des États-Unis, se fit élire Président quelques années plus tard, continuant la série des élections à la présidence de généraux victorieux qui commence avec Georges Washington (guerre d’indépendance) et se poursuivra avec Ulysses Grant (guerre de Sécession) puis Dwight Eisenhower (2ème guerre mondiale).
Voir : Les États-Unis en guerre contre les Anglais
Publié ou mis à jour le : 10/06/2016 09:42:47
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