Du bonsaï au séquoia en passant par le modeste platane, l'arbre est notre compagnon de tous les jours, à la fois impavide et exubérant, rassurant et mystérieux. Combien de fois passons-nous à côté de lui sans le voir… Arrêtons-nous un instant sur les liens qui nous unissent à ce géant, ce reflet de l'Homme profondément enraciné dans notre culture.
Présent sur Terre depuis 370 millions d’années, l'arbre a occupé une place centrale parmi les premières civilisations et croyances de l'humanité. Vénéré par les Grecs et les Romains à travers leur mythologie, il perd son caractère sacré dans la religion chrétienne qui lui réserve pourtant une place de choix...
Un vieil ami discret
On le sait désormais : l'homme descend de l'arbre, comme son cousin le singe. Ou plutôt il en est tombé, si l'on croit les dernières recherches sur la cause de la mort de notre ancêtre Lucy. Malgré cet accident malheureux, on peut penser que les premières relations entre hominidés et arbres ont été cordiales, ce dernier servant de point de repère, de source de nourriture et de refuge avant d'offrir ses branches pour allumer l'indispensable feu.
Apparu il y a 370 millions d'années, l'arbre a en effet toujours fait partie du paysage de nos ancêtres, qu'ils aient vécu dans l'espace ouvert du paléolithique ou dans les grandes forêts du mésolithique (à partir de 10 000 ans av. J.-C.). Pour ces hommes de l'Âge de la pierre, le bois est indispensable sous la forme d'armes comme les propulseurs, d'outils, de combustible ou de matériau de construction.
Mais sur les murs des grottes, des objets du quotidien ou sous la forme de statuettes, nulle représentation d'arbre ! À moins que l'on s'accorde à dire que certains tracés représentent branches ou feuilles, la part belle est faite au monde effrayant des bêtes sauvages qui ne laissent aucune place à notre végétal pacifique. Voilà une mise à l'écart bien mystérieuse quand on pense à l'importance de notre arbre par la suite !
Il faut attendre le néolithique pour que les chasseurs-cueilleurs devenus agriculteurs-éleveurs daignent les représenter sous la forme de palmiers-dattiers du côté du Tassili, en Algérie. Ici simple symbole de richesse, il devient avec le développement de la spiritualité celui de la puissance des forces cosmiques : comment l'Homme aurait-il pu en effet rester indifférent à cette image de la liaison terre-ciel, de la renaissance printanière, voire même de la vie et de l'éternité ?
Spécialiste de l'histoire des religions, Mircea Eliade s'interroge ici sur la place de l'arbre dans les croyances :
« Il est certain que, pour l’expérience religieuse archaïque, l’arbre (ou plutôt, certains arbres) représente une puissance. Jamais un arbre n’a été adoré rien que pour lui-même, mais toujours pour ce qui, à travers lui, se " révélait ", pour ce qu’il impliquait et signifiait. […] c’est en vertu de sa puissance, c’est en vertu de ce qu’il manifeste (et qui le dépasse), que l’arbre devient un objet religieux. Si l’arbre est chargé de forces sacrées, c’est qu’il est vertical, qu’il pousse, qu’il perd ses feuilles et les récupère, que par conséquent il se régénère (il " meurt " et " ressuscite ") d’innombrables fois, qu’il a du latex, etc. C’est en vertu de sa puissance, autrement dit, c’est parce qu’il manifeste une réalité extra-humaine – qui se présente à l’homme dans une certaine forme, qui porte fruit et se régénère périodiquement – qu’un arbre devient sacré. Par sa simple présence (« la puissance ») et par sa loi propre d’évolution (" la régénération "), l’arbre répète ce qui, pour l’expérience archaïque, est le Cosmos tout entier. » (Mircea Eliade, Traité d'histoire des religions, 1989).
Entre Terre et ciel
C'est logiquement qu'on retrouve l'arbre au cœur des premières croyances sous la forme de l'arbre cosmique, représentation de l'axe du monde qui permet aux différentes parties de l'univers de tenir en équilibre : figuier dans la civilisation de l'Indus, frêne pour les Indo-Européens, il est kiskanu à Sumer. Dans cette région désertique, où la vie est issue de l'irrigation, l'arbre en lui-même est un miracle qu'on associe au culte de la Déesse-Mère et de la fertilité.
Mais pour leurs constructions, les Sumériens dédaignaient leurs peupliers ou palmiers-dattiers et regardaient avec envie du côté de l'ouest, vers ces terres où pousse le cèdre.
Il n'est donc pas étonnant que cet arbre soit l'objet d'une des quêtes de Gilgamesh, premier héros littéraire. Mais d'arbre sacré, point ! On le vénère non pour ce qu'il est, mais pour ses liens avec les divinités.
Et sur les bords du Nil, où on rencontre le sycomore sur nombre de places de villages, c'est cet arbre-là qui recevait les offrandes des fidèles habitués à en envelopper les fibres dans des amulettes protectrices.
Il était aussi vu comme le représentant de la déesse Nout qui, au moment de la mort, émergeait de ses branches pour offrir au défunt eau et nourriture. Porteur de vie, le sycomore était assimilé à la déesse Isis et pouvait donc être représenté en train d'allaiter lui-même Pharaon.
Lorsque celui-ci parvenait au pouvoir, la proclamation officielle du début de son règne se déroulait au temple d'Héliopolis. Elle était inscrite par le dieu Thot sur les feuilles du persea Ished, un type de laurier au pied duquel le chat de Rê aurait abattu le serpent Apophis, personnification du Chaos.
De l'autre côté de la Méditerranée, c'est bien une véritable dendrolâtrie (culte de l'arbre) qui se met en place dans les civilisations préhellénistiques, notamment en Crète, alors couverte de forêts. Certaines représentations minoennes montrent en effet un autel sur lequel on distingue un végétal dont devait sortir le dieu, c'est-à-dire l'énergie dont se nourrit la plante. À l'aide de danses, on participait à la regénération de la nature ; les arrosages devaient appeler la pluie tandis que l'arrachage évoquait l'entrée dans le sommeil de l'hiver.
C'est en Mésopotamie que l'on trouve la toute première mention d'un arbre, certainement un saule ou un peuplier, dans l'Épopée de Gilgamesh.
« Un petit arbre huluppu croissait au bord de l’Euphrate, qui le nourrissait de ses eaux. Un jour, le vent du sud l’attaqua sauvagement, et le fleuve submergea l’arbuste. Inanna, la déesse, l’emporta en sa ville d’Uruk. Elle le planta dans son jardin sacré et le soigna du mieux qu’elle put, car elle avait l’intention, une fois qu’il aurait grandi, de tirer de son bois un siège et un lit. Des années passèrent, et il finit par devenir grand. Mais lorsque Inanna voulut l’abattre, elle s’en trouva fort empêchée : le Serpent avait fait son nid au pied de l’arbre, l’oiseau Imdugud avait installé ses petits au sommet, et Lilith avait construit sa maison dans les branches. Ce que voyant, la jeune déesse, d’habitude si gaie, se mit à verser des larmes amères.
Le lendemain quand le dieu du soleil Utu, son frère, sortit à l’aube de sa chambre, elle lui raconta en pleurant ce qui était advenu de l’arbre huluppu. Sur ces entrefaites, Gilgamesh, ayant sans doute entendu ses doléances, vint à son secours de chevaleresque façon ; il endossa son armure, qui pesait cinquante mines ; et avec sa hache, qui pesait sept talents et sept mines, il tua le Serpent. » (Épopée de Gilgamesh, vers 2600 av. J.-C.).
Au pays de l'arbre de paix
S'il est une contrée où l'arbre joua un rôle majeur dans les croyances, c'est bien la Grèce ! On en a une belle preuve dans l'architecture des temples dont les colonnes se terminent à certaines époques sous une forme imitant la végétation, comme en Égypte autrefois.
Poursuivant la tradition crétoise, les anciens Grecs ont su rendre hommage à une de leurs principales richesses et notamment à la première d'entre elles, l'olivier. Il est bien sûr présent dès la fondation d'Athènes puisque c'est en offrant cet arbre à la ville qu'Athéna en devint la patronne.
Ce précieux cadeau était abrité dans un sanctuaire situé sur l'Acropole, le Pandroséion, qui fut brûlé par le roi Xerxès en 480. C'est alors, dit la légende, que l'arbre calciné renaquit de ces cendres, annonçant la défaite des Perses quelque temps plus tard, à Salamine.
Devenu le symbole de la paix dans toutes les civilisations méditerranéennes, c'est logiquement que, pendant la trêve olympique, ce sont des couronnes formées de ses branches qui étaient distribuées aux vainqueurs.
Et gare à celui qui ne montrait pas le respect dû à l'aïeul végétal ! La peine de mort pour cause de sacrilège lui pendait au nez.
Mais l'olivier n'était pas seul dans le cœur des Grecs puisque le chêne lui faisait de l'ombre. Apprécié pour sa puissance toute virile et sa capacité à atteindre le grand âge, il avait été dédié au roi des dieux lui-même, Zeus, qui utilisait son vieil ami pour faire passer ses oracles, à Dodone (Épire). Il suffisait aux prêtres de bien écouter le bruissement des feuilles...
Ulysse bien sûr ne manqua pas de s'y rendre pour trouver comment rentrer à Ithaque, à moins qu'il ne pensait y surprendre ces dryades qui dansaient autour des arbres sacrés.
Elles n'étaient pas les seules nymphes dont l'histoire était liée à celle des arbres : citons les Hespérides chargées de surveiller le pommier aux fruits d'or convoités par Héraclès, mais aussi Daphné, célèbre victime de métamorphose, tout comme le furent Cyparisse (en cyprès) et Philémon et Baucis (en chêne et tilleul).
On peut voir que dans chacun de ces mythes, l'arbre est perçu comme le prolongement de l'homme dont il peut partager les sentiments ou accueillir la personnalité. Sensibles à leur anthropomorphisme, les Grecs étaient attachés aussi à la préservation de ses témoins des temps passés : ainsi Pausanias assure qu'un platane planté par Ménélas était toujours bien vivant tandis que Théophraste (IVe siècle av. J.C.) trouve quant à lui douteux qu'on puisse encore lui montrer le palmier de Délos, admiré par Ulysse !...
Dans ses Métamorphoses, le poète Ovide transforme plusieurs de ses personnages en arbres, comme le vieux couple Philémon et Baucis, pour ne pas être séparés par la mort. Mais la plus célèbre des légendes reste celle de Daphné, jeune nymphe poursuivie par les ardeurs d'Apollon...
« Le dieu paraît voler, soutenu sur les ailes de l'Amour ; il poursuit la nymphe sans relâche ; il est déjà prêt à la saisir ; déjà son haleine brûlante agite ses cheveux flottants. Elle pâlit, épuisée par la rapidité d'une course aussi violente, et fixant les ondes du Pénée : "S'il est vrai, dit-elle, que les fleuves participent à la puissance des dieux, ô mon père, secourez-moi ! ô terre, ouvre-moi ton sein, ou détruis cette beauté qui me devient si funeste" ! À peine elle achevait cette prière, ses membres s'engourdissent ; une écorce légère presse son corps délicat ; ses cheveux verdissent en feuillages; ses bras s'étendent en rameaux ; ses pieds, naguère si rapides, se changent en racines, et s'attachent à la terre : enfin la cime d'un arbre couronne sa tête et en conserve tout l'éclat. Apollon l'aime encore ; il serre la tige de sa main, et sous sa nouvelle écorce il sent palpiter un cœur. Il embrasse ses rameaux ; il les couvre de baisers, que l'arbre paraît refuser encore : "Eh bien ! dit le dieu, puisque tu ne peux plus être mon épouse, tu seras du moins l'arbre d'Apollon. Le laurier ornera désormais mes cheveux, ma lyre et mon carquois : il parera le front des guerriers du Latium, lorsque des chants d'allégresse célébreront leur triomphe et les suivront en pompe au Capitole : tes rameaux, unis à ceux du chêne, protégeront l'entrée du palais des Césars ; et, comme mes cheveux ne doivent jamais sentir les outrages du temps, tes feuilles aussi conserveront une éternelle verdure." Il dit ; et le laurier, inclinant ses rameaux, parut témoigner sa reconnaissance, et sa tête fut agitée d'un léger frémissement. » (Ovide, Métamorphoses, Ier siècle ap. J.- C.).
Climat et environnement
Vos réactions à cet article
Recommander cet article
Aucune réaction disponible