8 novembre 2023. Les manifestations et les imprécations contre Israël se multiplient dans le monde. Elles dénoncent les bombardements israéliens sur la bande de Gaza, eux-mêmes consécutifs aux attentats terroristes du Hamas les 7 et 8 octobre 2023. Ce mouvement d'opinion s'accompagne d'une stigmatisation des juifs en maints endroits y compris sur les campus américains, au coeur de l'Europe occidentale et même en Allemagne. Il conduit à nous interroger sur la porosité entre l'antisionisme (refus d'un État juif) et l'antisémitisme (haine des juifs)...
Le sionisme est un mouvement politique apparu dans les années 1880 au sein des communautés juives d’Europe centrale. Son nom, inventé en 1886, fait référence à Sion, une colline de la Jérusalem biblique. Il prône le retour des juifs en Terre promise, en réaction à la montée de l’antisémitisme moderne qui prétend chasser les juifs de la sphère publique, voire les exterminer. Cet antisémitisme ne se satisfait pas de leur conversion ou leur soumission, à la différence de l'antijudaïsme médiéval, qu'il fut chrétien ou musulman.
Il y a aussi des juifs antisionistes
Sitôt qu’il est né, le sionisme a suscité l’antisionisme… Ces premiers antisionistes étaient des juifs hostiles à l’idée d’un retour à Jérusalem et qui préféraient dans toute la mesure du possible s’insérer dignement dans leur patrie de naissance.
Il y avait parmi eux des juifs bien intégrés dans les sociétés d’Europe occidentale. Il y avait également des juifs de Lituanie, de Pologne et de Russie qui militaient au sein du Bund (Union générale des travailleurs juifs) pour l’édification du socialisme. Les uns et les autres allaient attester de leur patriotisme pendant la Grande Guerre.
Mais les pogroms (dico) et surtout l’exacerbation de l’antisémitisme après la Grande Guerre allaient affaiblir cet antisionisme primitif tandis que progressait la colonisation juive en Palestine.
Naissance de l’antisionisme moderne
« Palestine » est le nom donné par les Romains à leur province de Judée après qu’ils eussent écrasé dans le sang la dernière révolte juive et chassé les récalcitrants en 135. Dès lors, le territoire situé entre le Jourdain et la Méditerranée se fondra dans les empires successifs (byzantin, arabe, ottoman) et ne fera qu’un avec la Syrie et la Transjordanie voisines (sauf pendant la brève période des croisades).
Les premiers sionistes achètent des terres sur le littoral marécageux et dans le désert du Néguev. Ils évitent les montagnes de Samarie et de Judée (Cisjordanie), habitées de longue date par des Arabes de confession musulmane ou chrétienne ainsi que par des juifs (environ 25 000). Dans les villes qui naissent sur les bords de la Méditerranée, ils font appel à une main-d’œuvre musulmane venue de Syrie.
À mesure que l’immigration sioniste prend de l’ampleur, l’hostilité monte dans les milieux musulmans, attisée dès les années 1920 par le Grand Mufti de Jérusalem Amin Hussein al-Husseini (note). Le chef religieux réactive l’antijudaïsme musulman en suscitant des attentats et des pogroms. Quand Hitler prend le pouvoir, il ne craint pas d’afficher son identité de vue avec le Führer et se plaît à le rencontrer.
Après la chute du nazisme et la révélation de toutes les horreurs de la Shoah, la nouvelle Organisation des Nations Unies (ONU) profite d’un rare moment d’unanimité en pleine guerre froide pour voter le 29 novembre 1947 le partage de la Palestine entre deux États, l’un juif, l’autre palestinien. Ainsi, pour la première fois depuis deux mille ans, les juifs et les Arabes de Palestine se voient les uns et les autres accorder un État souverain au sein d’une zone douanière commune. Il est prévu que le secteur de Jérusalem et Bethléem doit obtenir un statut international.
La part concédée aux colons sionistes ne paie pas de mine. Elle est réduite pour l’essentiel à la région littorale et au désert du Néguev. Les États arabes avoisinants, Syrie, Transjordanie, Irak, Liban et Égypte, n’en repoussent pas moins le plan et annoncent leur intention de rejeter les juifs à la mer. Sitôt que David Ben Gourion proclame le 14 mai 1948 la naissance de l’État d’Israël, les armées arabes se ruent donc à l’assaut de celui-ci avec l'intention clairement affirmée de détruire l'État hébreu et de rejeter ses habitants juifs à la mer.
C’est la naissance de l’antisionisme moderne. C’est aussi le début d’un conflit condamné à ne jamais finir. Il est nourri par la décision par l’ONU, en 1949, d’accueillir ad vitam aeternam dans des camps de réfugiés tous les Arabes qui auront fui l’État d’Israël ainsi que leurs descendants. Une organisation, l’UNRWA, est créée à cet effet.
La décision est unique dans les annales du droit international. En effet, dans les autres conflits, quels qu’ils soient, les réfugiés de guerre se voient accorder la possibilité de refaire leur vie rapidement dans un pays à leur convenance. Ainsi en est-il encore aujourd’hui avec le Donbass (Ukraine) ou le haut Karabakh.
Le refus tant par les États occidentaux que par les États arabes d’accueillir les réfugiés palestiniens, à l’origine de l’imbroglio palestinien, témoigne du traitement spécial réservé à l’État d’Israël, en dépit de sa légitimité onusienne.
Les juifs sont-ils des humains comme les autres ?
À côté de l’antisionisme brutal apparu en Palestine, l’Occident a développé dans les années 1970, après l’attentat terroriste des Jeux Olympiques de Munich, un antisionisme plus doux (du moins en apparence). Il prône la création d’un État palestinien unique au sein duquel les musulmans (très majoritaires) concèderaient la citoyenneté aux chrétiens et aux juifs… tout en interdisant à tout autre juif de s’établir en Terre promise (« loi du retour »).
Quoi qu'il en soit, la fin du XXe siècle a été marquée par une lente acclimatation de l’État d’Israël dans l’environnement moyen-oriental. C’est au point même que les représentants de l’Organisation de Libération de la Palestine (OLP) ont pu signer, le 13 septembre 1993, les accords d’Oslo avec le Premier ministre israélien, reconnaissant de ce fait même l’existence de l’État juif.
C’était il y a trente ans et l’on pouvait espérer aboutir à l’établissement de deux États conformément au plan initial de l’ONU. Las, cet espoir s’est éteint sous la poussée des extrémistes religieux dans les deux camps.
Le Premier ministre Itzahak Rabin, signataire des accords d’Oslo, est ainsi assassiné par un fanatique juif le 4 novembre 1995, cependant que la pression des micro-partis religieux en faveur d’une colonisation de la Cisjordanie tend les rapports entre l’Autorité palestinienne et l’État hébreu.
Dans le monde islamique, tous les mouvements islamistes persistent à vouloir détruire l’État d’Israël et rejeter les juifs à la mer. À la suite d’élections en 2006, le Hamas évince l’Autorité palestinienne de la bande de Gaza. Armé et soutenu par la République islamique d’Iran, il place la population du petit territoire sous sa férule.
Le Premier ministre israélien Benyamin Nétanyahou, chef du Likoud et allié à l’extrême-droite religieuse, croit habile de soutenir en sous-main le Hamas pour mieux diviser le camp palestinien et favoriser le grignotage de la Cisjordanie par les colons juifs. Mais le cynisme est rarement payant en politique comme ailleurs, surtout quand il se double de manœuvres politiciennes aussi tortueuses qu’impopulaires.
C’est ainsi qu’on en est venu aux attentats terroristes du 7 octobre 2023. Les tueurs du Hamas ont ce jour-là pris soin de filmer leurs crimes dans toute leur inhumanité. C’est un fait inédit et lourd de signification : jusque-là, du moins en Occident, les criminels et terroristes avaient toujours eu un soupçon de mauvaise conscience, y compris les nazis qui ont toujours pris soin de cacher leurs forfaits !
Confronté à un défi existentiel, Israël a réagi en attaquant les bases du Hamas, installées au cœur même de la ville de Gaza. Par un fait lui aussi inédit dans les annales militaires, Tsahal (l’armée israélienne) a prévenu les civils gazaouis d’évacuer autant que faire se peut la ville et de gagner la zone sud de la bande. Il semble que la population en ait été empêchée par les hommes du Hamas qui l’ont réduite au statut de « bouclier humain » de sorte que les bombardements israéliens ont conduit à de lourdes pertes civiles.
Scandaleux comme tout acte de guerre et discutables d'un point de vue stratégique et militaire, ces bombardements ont suscité des manifestations de protestation dans le monde entier, y compris même en Israël ! Mais parmi les protestataires, y compris en Occident, il s'en est trouvé pour dénier à Israël le droit de se défendre d'une façon ou d'une autre, un droit reconnu à tous les autres États. Où étaient ces protestataires quand les États-Unis ont mis à feu et à sang l'Afghanistan et le Moyen-Orient à la suite des attentats du 11-Septembre qui, si odieux qu'ils fussent, ne menaçaient en rien leur existence ? Se souvient-on qu'il y a ait eu des protestations lorsque les Anglo-Saxons ont bombardé les villes allemandes ou japonaises pendant la Seconde Guerre mondiale, sans motif stratégique, « seulement » pour tuer un maximum de civils et terroriser la population ?...
Face au drame qui se joue à Gaza et menace d’entraîner la région et le monde dans un nouveau cataclysme, chacun est encore à la recherche d’une solution politique qui préserverait le droit à l’existence d’Israël et de ses habitants tout en offrant aux Arabes de Palestine un meilleur sort que la relégation et le bagne.
Craignons tout autant le retour d'un mal que l'on croyait en voie d'éradiquation en Occident depuis la libération des camps en 1945 : l'antisémitisme. Il est troublant en effet que le soutien aux Arabes de Palestine se double dans les manifestations de cris de haine à l'égard des juifs, y compris de la part d'Européens bon teint, y compris même en Allemagne !
« Entendons-nous bien, dit l'historien Michel Wieviorka, la critique de la politique israélienne, même radicale, est tout à fait justifiée, et vivace, y compris en Israël. Mais l'antisionisme et l'antisémitisme se conjuguent lorsqu'il se dit que les Juifs n'ont pas droit à cet État, qu'il faut les jeter à la mer, que l'État hébreu, pourtant créé légalement en 1948, n'a pas le droit d'exister. Le discours de la gauche de la gauche nous rapproche chez quelques-uns de ce lien entre antisionisme et antisémitisme... Dans cette mouvance, il existe un substrat antisémite inconscient. Aucun militant ne se présentera, bien sûr, comme antisémite ou ne se réclamera de l'antisémitisme. Mais l'oubli, la minimisation, sans parler de la justification de la barbarie du 7 octobre y mènent tout droit. »
L'historien constate le caractère inédit de cet antisémitisme : « L'antisémitisme, en fait, a beaucoup régressé en France depuis la Seconde Guerre mondiale. L'antijudaïsme chrétien a, par exemple, quasiment disparu. Nous pouvons du coup nous retrouver face à des situations paradoxales : constater d'une part une flambée d'actes antisémites commis par certaines catégories de personnes et, de l'autre, le déclin général des préjugés antisémites, au sein de l'ensemble de la population » (Libération, 28 novembre 2023).
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Voir les 21 commentaires sur cet article
Jonas (01-03-2024 13:06:58)
Oui , absolument, il faut le crier dans tous les creux des oreilles de beaucoup , l'Antisionisme est bien de l'Antisémitisme. Le Sionisme est le mouvement national du peuple juif, pour son retour... Lire la suite
neiss (29-02-2024 15:08:08)
Désolant article dont le contenu ne répond pas ouvertement à la question posée dans le titre ! Mais on découvre petit à petit un parti pris qui sied fort mal à une démarche d'historien. Le ré... Lire la suite
Louchard (28-02-2024 18:56:31)
La guerre est horrible partout et il faut arrêter. l'histoire est faite de combats et d'invasion. Les juifs en débarquant dans le pays de Canaan pendant l'antiquité ont fait le vide de tous les hab... Lire la suite