Jean Jaurès (1859 - 1914)
« Le capitalisme porte en lui la guerre comme la nuée porte l'orage. »
Source : Discours à la Chambre des députés, 7 mars 1895.
La formule ci-dessus est une réinterprétation libre d'un discours de Jean Jaurès, député socialiste connu pour ses dons oratoires. S'exprimant à la tribune de la Chambre des députés, celui-ci prononce une vigoureuse dénonciation de la société capitaliste, qu'il accuse d'être belliciste par essence, et propose sa vision d'une armée démocratique au service de la paix. Il dit : « Tant que, dans chaque nation, une classe restreinte d’hommes possédera les grands moyens de production et d’échange, tant qu’elle possédera ainsi et gouvernera les autres hommes, tant que cette classe pourra imposer aux sociétés qu’elle domine sa propre loi, qui est la concurrence illimitée, la lutte incessante pour la vie, le combat quotidien pour la fortune et pour le pouvoir ; tant que cette classe privilégiée, pour se préserver contre tous les sursauts possibles de la masse, s’appuiera ou sur les grandes dynasties militaires ou sur certaines armées de métier des républiques oligarchiques ; tant que le césarisme pourra profiter de cette rivalité profonde des classes pour les duper et les dominer l’une par l’autre, écrasant au moyen du peuple aigri les libertés parlementaires de la bourgeoisie, écrasant ensuite, au moyen de la bourgeoisie gorgée d’affaires, le réveil républicain du peuple ; tant que cela sera, toujours cette guerre politique, économique et sociale des classes entre elles, des individus entre eux, dans chaque nation, suscitera les guerres armées entre les peuples. [...] Tandis que tous les peuples et tous les gouvernements veulent la paix, malgré tous les congrès de la philanthropie internationale, la guerre peut naître toujours d’un hasard toujours possible… Toujours votre société violente et chaotique, même quand elle veut la paix, même quand est à l’état d’apparent repos, porte en elle la guerre, comme une nuée dormante porte l’orage. (Très bien ! très bien ! à l’extrême gauche.) Messieurs, il n’y a qu’un moyen d’abolir la guerre entre les peuples, c’est abolir la guerre économique, le désordre de la société présente, c’est de substituer à la lutte universelle pour la vie — qui aboutit à la lutte universelle sur les champs de bataille — un régime de concorde sociale et d’unité. Et voila pourquoi si vous regardez non aux intentions qui sont toujours vaines, mais à l’efficacité des principes et à la réalité des conséquences, logiquement, profondément, le Parti socialiste est, dans le monde, aujourd’hui, le seul parti de la paix. » En 1899, l'intégralité du discours est publiée par Charles Péguy dans le recueil Action socialiste. On y retrouve déjà les thèmes qui seront développés en avril 1910 dans L'Armée nouvelle, un essai dans lequel Jaurès propose une alternative à l'armée de conscription. Son plaidoyer internationaliste et pacifiste lui vaut d'être assassassiné à la veille de la Grande Guerre.