François Guizot (1787 - 1874)
« Enrichissez-vous ! »
La postérité a retenu de François Guizot, ministre principal de Louis-Philippe Ier la formule ci-dessus en laquelle elle a voulu voir un éloge de l'avidité et une illustration des moeurs bourgeoises du temps de Louis-Philippe, moeurs représentées avec brio dans l'oeuvre du romancier Honoré de Balzac.
Mais est-il besoin de recommander à quiconque de s'enrichir ? À part quelques rares ascètes, tous les hommes ont cette préoccupation en tête...
Les partisans de François Guizot ont, après sa mort, prétendu qu'il aurait en réalité lancé à ses électeurs de Saint-Pierre-sur-Dives, dans le Calvados, à l'occasion d'une campagne électorale ou de comices agricoles entre 1842 et 1846, les mots suivants : « Enrichissez-vous par le travail, par l'épargne et la probité ».
Voilà qui est plus original. Cette formule traduit en creux l'attitude de la bourgeoisie du XIXe siècle vis-à-vis de la richesse. Celle-ci ne doit en aucune façon résulter de la spéculation, du vol ou de quelconques trafics (comme sous le règne des Bourbons). Elle doit être exclusivement la récompense d'un effort. En encensant le travail et l'épargne, par opposition à l'oisiveté et à la tricherie, le protestant François Guizot aurait donné raison à Max Weber. Le sociologue allemand a montré en 1920, dans un essai célèbre, L'Éthique protestante et l'esprit du capitalisme, que le capitalisme a pu naître et se développer en s'appuyant sur les vertus individuelles prônées par Luther et les protestants.
Le problème est que François Guizot n'a jamais prononcé cette formule-là. Il n'a même jamais lancé publiquement le fameux « Enrichissez-vous ! ». Son biographe Gabriel de Broglie n'en a retrouvé aucune trace dans les archives.
Les deux mots célèbres seraient en fait extraits d'une déclamation devant la Chambre des députés, le 1er mars 1843, lors d'un débat sur les fonds secrets : « Messieurs, il ne faut pas faire d'anachronisme ; ce qu'il y a de plus dangereux en fait de gouvernement, ce sont les anachronismes. Il y a eu un temps, temps glorieux parmi nous, où la conquête des droits sociaux et politiques a été la grande affaire de la nation... Cette affaire-là est faite, la conquête est accomplie, passons à d'autres. Vous voulez avancer à votre tour, vous voulez faire des choses que n'aient pas faites vos pères. Vous avez raison ; ne poursuivez donc plus, pour le moment, la conquête des droits politiques ; vous la tenez d'eux, c'est leur héritage. À présent, usez de ces droits ; fondez votre gouvernement, affermissez vos institutions, éclairez-vous, enrichissez-vous, améliorez la condition morale et matérielle de notre France : voilà les vraies innovations » (Gabriel de Broglie, Guizot, page 334, Perrin, 2003).