25 mars 2015

Guerre, pétrole... et révolution dans les berceaux

Le 25 mars 2015, l'aviation séoudienne est intervenue brutalement dans la guerre civile qui ravage le Yémen voisin. Depuis quelques mois, l'Histoire s'accélère au Moyen-Orient où tous les moyens sont bons pour déstabiliser l'adversaire : la guerre, la terreur, le vandalisme et même le prix du pétrole.

Le 25 mars 2015, l'aviation séoudienne est intervenue brutalement dans la guerre civile qui ravage le Yémen voisin. Comme s'il n'y avait pas assez avec la guerre larvée en Afghanistan et le chaos en Syrie et Irak, voilà que ce pays autrefois qualifié d'« Arabie heureuse » est entré à son tour dans la danse macabre moyen-orientale.

Les rebelles houthistes, de confession zaydite, se sont emparés de la capitale, Sanaa, le 21 septembre 2014 et en ont chassé le président de la République... Faisant fi des attaques aveugles des drones américains (avions sans pilote), ils sont aussi entrés le 25 mars 2015 à Aden, le grand port du pays. Mais le même jour, l'aviation séoudienne a pris le relais des drones américains et commencé de bombarder les environs de Sanaa en vue de briser la rébellion et son allié iranien.

Ces zaydites (ou zaïdites) sont présentés par les Séoudiens comme proches des chiites iraniens. Dans les faits, ils constituent une branche marginale et périphérique du chiisme, à la vérité plus proche des sunnites traditionnels que des chiites duodécimains (Iraniens) ou ismaéliens. Ils n'en souffrent pas moins d'être qualifiés de mécréants, au même titre que les Iraniens, par les sunnites wahhabites qui gouvernent l'Arabie séoudite.

Le roi Salmane (79 ans), qui a succédé le 23 janvier 2015 à son demi-frère Abdallah (91 ans), est intervenu au Yémen car il croit y voir un risque de mainmise de l'Iran et une menace pour son propre royaume.  Le roi et son fils Mohammed Ibn Salmane al Séoud (MBS, 29 ans) ont pris ce faisant un risque majeur sans en référer à leur allié américain. C'est que l'armée séoudienne, si bien équipée soit-elle, a une réputation déplorable et risque de s'embourber dans les montagnes yéménites comme, avant elle, dans les années 1950, l'armée égyptienne de Nasser

Notons enfin que l'archaïsme persistant du Yémen montre tout le danger qu'il y a à titiller ce pays. Avis aux dirigeants de Riyad.

Les musulmans chiites au Moyen-Orient

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La communauté musulmane s'est divisée dès le VIIe siècle de notre ère pour aboutir à la formation de plusieurs confessions rivales de la majorité sunnite. 
Les chiites sont aujourd'hui prépondérants en Iran et majoritaires en Irak. Ils sont aussi 40 millions au Pakistan pour 120 millions de sunnites (2013)...
Notons qu'en Arabie séoudite, les chiites constituent un cinquième environ de la population et sont qui plus est concentrés dans les régions pétrolifères, sur le Golfe. Mais ils se montrent fidèles à la monarchie et à leur identité arabe et se gardent de toute connivence avec leurs coreligionnaires iraniens.

Le réveil chiite

Dans la foulée de la révolution islamique iranienne, en 1978, les minorités chiites du Moyen-Orient ont commencé à s'agiter, en particulier au Liban, avec la fondation en 1982 du Hezbollah, mouvement politique, militaire... et terroriste.

Mais force est de reconnaître que c'est la chute du dictateur Saddam Hussein, à la suite de l'invasion de l'Irak en 2003 par les Américains, qui a attisé les ambitions de Téhéran. Elle a permis à la majorité chiite de prendre le pouvoir à Bagdad. Il s'ensuit un « arc chiite » qui s'étire du Liban à l'Iran en passant par l'Irak et aussi la Syrie dont les gouvernants appartiennent à une communauté proche du chiisme, les Alaouites.

Pour compléter le tableau, la population majoritairement chiite du petit émirat de Bahreïn, sur le golfe Persique, s'est soulevée contre son souverain en 2011, à la faveur du « printemps arabe », et il a fallu rien moins qu'une intervention de l'armée séoudienne pour briser le soulèvement.

Avec enfin la victoire des zaydites, qui constituent la majorité de la population yéménite, les monarques sunnites de la péninsule arabe craignent un encerclement presque complet par des gouvernements hostiles qui ne manqueraient pas de miner leur autorité. 

La menace djihadiste

Le 10 juin 2014, Mossoul, deuxième ville d'Irak, est tombée aux mains des djihadistes de l'État islamique (EIIL ou Daesh). Tragique conclusion à l'intervention américaine dans ce pays onze ans plus tôt. 

Forts de ce succès très médiatisé, les barbares de Daesh, en bonne partie originaires d'Europe ou d'Afrique du Nord, se sont sentis pousser des ailes et ont échappé à leur créateur, les familles régnantes d'Arabie et du Qatar... 

Les Arabes du Golfe attendaient des djihadistes qu'ils contiennent la poussée chiite en Mésopotamie et en Syrie, non pas qu'ils créent un « califat » destiné à leur faire de l'ombre ! Aussi ont-ils accepté sur le tard de rallier les Occidentaux dans leur guerre contre Daesh.

C'est le deuxième revirement des Séoudiens, après le soutien apporté au général Sissi en Égypte pour neutraliser les Frères musulmans qui menaçaient de prendre le pouvoir dans le plus peuplé de tous les pays arabes. Le général y est arrivé par le coup d'État du 3 juillet 2013.

Maintenant, le général Sissi serait bien aise que les Séoudiens et les Qataris l'assistent dans la guerre en préparation contre les Frères musulmans installés en Libye. Dans cette perspective, il a déjà pu acheter quelques avions Rafale aux Français avec leur aide financière...

Le retour en grâce de l'Iran

Plus encore que les souverains arabes, les gouvernants iraniens ont une crainte obsessionnelle de l'encerclement, ce qui explique leurs manœuvres en Mésopotamie, en Syrie, au Liban et maintenant au Yémen.

Ils peuvent compter à chaque fois sur le soutien bienveillant de Moscou car le président russe, en butte à l'ostracisme des Occidentaux, ne manque jamais d'aider les gouvernements en délicatesse avec Washington ou Bruxelles, que ce soit l'Iran, la Turquie, la Grèce ou la Hongrie. Il pourrait même demain apporter son aide à Israël pour le plus grand bonheur des 800 000 citoyens d'origine soviétique de ce pays...

Pour les Iraniens, l'horizon s'éclaircit avec la confirmation à Lausanne, le 2 avril 2015, de l'accord international sur le contrôle de leurs installations nucléaires. Cet accord ramène l'Iran dans le concert des nations en levant les sanctions économiques à son encontre à dater du 16 janvier 2016, mettant un terme à six décennies de rendez-vous manqués avec l'Occident. Les citoyens de ce pays, de loin le plus moderne du Moyen-Orient en termes de mœurs (émancipation féminine, éducation, culture...), caressent enfin l'espoir d'accéder à la normalité.

L'Arabie séoudite et l'arme du pétrole

Les consommateurs européens qui se félicitent de la baisse du prix du super et du fioul doivent remercier la famille royale séoudienne de ce cadeau. En quelques mois, de juin 2014 à avril 2015, le prix du baril de référence est tombé en effet de cent à cinquante dollars, sur une manœuvre de l'Arabie séoudite.

En refusant à la conférence de l'OPEP du 24 novembre 2014 de réduire ses quotas de production, le royaume aurait de la sorte voulu faire d'une pierre deux coups :
- casser les reins de l'Iran dont le pétrole a un coût de production plus élevé que le sien et ne peut supporter durablement une baisse du prix de vente,
- briser l'essor du pétrole de schiste américain, dont le coût de production est lui aussi beaucoup plus élevé que le pétrole arabe.

Mais ce calcul est aussi périlleux que l'intervention militaire au Yémen !...

L'effondrement du prix du baril pourrait en effet avoir des conséquences dramatiques en déstabilisant les autres exportateurs de pétrole (Iran mais aussi Venezuela, Nigeria, Russie...) et en compromettant le rebond américain, en partie fondé sur l'extraction du pétrole de schiste. L'Arabie séoudite elle-même pourrait ne plus être bientôt en mesure de financer ses services sociaux et son effort de guerre malgré ses énormes réserves de change.

Le facteur démographique, une révolution silencieuse

Autour du golfe Persique se font aujourd'hui face l'Iran (80 millions d'habitants en 2014) et les États de la péninsule arabe, Arabie séoudite, Yémen et émirats (75 millions d'habitants dont une quinzaine de millions de chiites et quelques millions d'immigrés asiatiques).

Derrière les chiffres bruts et les stéréotypes, une révolution silencieuse d'une immense portée est en marche. Elle se reflète essentiellement dans les indices de fécondité (nombre moyen d'enfants par femme), aussi fiables que les statistiques économiques peuvent être trompeuses (sources : INED/ONU).

En 1981, la fécondité était dans tous ces pays moyen-orientaux supérieure à 7 enfants par femme (Iran : 6,2).

En 1991, elle est stable dans tous les pays sauf dans les émirats (Bahrein, Qatar, Koweït, EAU) où elle témoigne d'une rapide décrue : entre 4 et 4,9 enfants par femme.

Depuis 2001, la baisse de la fécondité est amorcée en Arabie séoudite (5,7) mais le plus impressionnant est sa chute en Iran : 2,6 enfants par femme.

En 2019, la fécondité est inférieure à 2 enfants par femme en Iran, à Bahreïn, au Qatar et aux EAU ; elle est de 2 en Arabie séoudite, autrement dit analogue à ce que l'on observe dans les pays développés. Elle est à 2,2  au Koweït et 2,9 à Oman. Reste le Yémen où elle est encore à 3,7 enfants par femme.

Ces données ne surprennent pas quiconque connaît la société iranienne, étonnamment occidentalisée et même en voie de laïcisation, avec des mosquées à moitié vides et plus d'étudiantes que d'étudiants dans les facultés.

Par contre, elles sont troublantes concernant l'Arabie séoudite : comment cette société pourra-t-elle encore longtemps confiner toute leur vie des femmes qui ne veulent plus être seulement des reproductrices ? Si ces femmes obtiennent le droit de s'épanouir en société une fois leurs deux ou trois enfants élevés, comment le wahhabisme pourra-t-il encore s'appliquer avec toute sa rigueur ? Et si elles s'émancipent, les fous d'Allah ne vont-ils pas désespérer du « pays des deux mosquées » (la mosquée sacrée de La Mecque et la mosquée du Prophète de Médine) ?

André Larané
Publié ou mis à jour le : 2021-04-22 10:05:57
Anonyme (09-04-2015 14:02:51)

Il y a des pensées qui peuvent, ou sont, politiquement ou légalement incorrectes. Par exemple des statistiques nationales sur la fécondité des peuples émigrés ayant cette culture de la famille p... Lire la suite

Jacques (09-04-2015 11:31:25)

Cette analyse complète bien les rappels historiques associés. La transition démographique est effectivement un phénomène essentiel, déterminant pour l'avenir, mais la promesse d'apaisement qu'il... Lire la suite

Piesti (09-04-2015 09:53:19)

N'oublions en Iran la situation toujours déplorable des minorités religieuses : baha'is bien sûr, mais aussi sunnites, soufis, chrétiens... Leur sort s'est dégradé depuis Rouhani... Merci pour ... Lire la suite

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