13 novembre 2024. Dépassés par l'ampleur de la dette publique de la France, des ministres et des élus en quête d'économies de bouts de ficelle proposent la suppression d'un jour chômé. Le maire de Meaux Jean-François Copé suggère rien moins que de sacrifier le 11 novembre, anniversaire de l'Armistice.
Convenons qu'un peu de ménage dans les jours chômés serait bienvenu, pas seulement pour des motifs comptables. Mais s'il y a une fête civile à conserver en plus du 14 juillet, n'est-ce pas pourtant celle-là ?...
En août 2003, à l'issue d'une canicule sans précédent, qui avait occasionné plusieurs milliers de décès prématurés dans les maisons de retraite, le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin avait souhaité augmenté les aides publiques à ces établissements. Il avait alors imaginé de demander aux salariés de sacrifier un jour chômé, le lundi de Pentecôte, au bénéfice de leurs aînés.
Les économistes avaient supposé que cette journée de travail supplémentaire génèrerait automatiquement un accroissement de la richesse nationale et libèrerait ainsi des ressources qu'il suffirait au fisc de prélever et redistribuer aux anciens, sans dommage pour le pouvoir d'achat des ménages actifs. C'est un point de vue très discutable comme nous l'avions écrit alors : une présence prolongée sur le lieu de travail n'occasionne d'accroissement de richesse que dans le cas d'une activité de production sous tension (un fabricant de bicyclettes qui peine à satisfaire la demande par exemple).
Deux décennies plus tard, le même raisonnement fallacieux revient dans le débat : allongeons uniformément la durée de travail des salariés et la richesse s'accroîtra automatiquement !...
Repenser les fêtes et les jours chômés
N'en déplaise aux contempteurs de la France « paresseuse », le pays n'a pas un excès de jours férié en comparaison de ses voisins... ou en comparaison du passé (au Moyen Âge, plus du tiers des jours étaient chômés, pour un motif ou un autre).
Reste qu'il serait aisé d'améliorer le calendrier des jours chômés dans un sens consensuel et authentiquement laïque ainsi que nous l'avons déjà montré en... 2003 et rappelé en 2011 et 2015 ! Avec en prime davantage de souplesse dans l'organisation du temps par les entreprises, les ménages et les activités de loisirs.
Fêtes civiles et religieuses
En matière de laïcité comme en bien d'autres domaines, l'État français donne le mauvais exemple. C'est ainsi que la circulaire du ministre de la fonction publique 901 du 23 septembre 1967 fixe les « autorisations d'absence pouvant être accordées à l'occasion des principales fêtes religieuses des différentes confessions ».
En vertu de cette circulaire toujours en vigueur, les fonctionnaires français peuvent solliciter de leur chef de service :
• Un jour d'absence s'ils se recommandent de la religion orthodoxe (Noël orthodoxe),
• Trois jours s'ils revendiquent leur origine arménienne (Noël arménien, fête des saints Vardanants, commémoration du génocide du 24 avril 1915,
• Trois jours pour les musulmans qui se veulent ou se disent pratiquants (Aïd El Adha ou Aïd el-Kébir, Al Mawlid Annaboui, Aïd El Fitr),
• Trois jours pour les juifs qui se veulent ou se disent pratiquants (Roch Hachana, Yom Kippour),
• Un jour seulement (!) pour les bouddhistes (fête du Vesak),
Les fonctionnaires catholiques, protestants, pratiquants des cultes africains, mormons, athées, agnostiques... n'ont, eux, droit à aucune autorisation d'absence (sauf à se convertir publiquement à l'une des religions précitées).
La neutralité républicaine justifierait l'abrogation de cette circulaire discriminatoire.
Après cela, le souci d'équité entre tous les salariés français justifierait une remise à plat des jours chômés officiels :
- Noël, devenue fête universelle, et la Toussaint, qui permet d'honorer les défunts, débordent largement les milieux chrétiens et ont acquis avec le temps une légitimité aussi solide que le jour de l'An, la fête du Travail (1er mai) et les fêtes nationales du 14 juillet (célébration de l'unité nationale) et bien sûr du 11 novembre (fin de la Grande Guerre et hommage aux combattants de toutes les guerres). L'Armistice est la seule commémoration que nous partageons avec nos voisins : la Belgique et le Royaume-Uni bien sûr, mais aussi la Serbie, le Canada, les États-Unis...
Il en va autrement des autres jours chômés :
- Les lundis chômés de Pâques et de la Pentecôte permettaient à l'origine de se reposer des célébrations de la veille ! Ils autorisent aujourd'hui des week-ends prolongés et facilitent les retrouvailles familiales à la faveur du printemps. Pratique agréable mais injustifiée tant du point de vue religieux que du point de vue économique et social. Le pays ne perdrait rien à supprimer ces jours chômés et les traditions nationales, culturelles et religieuses n'en seraient aucunement affectées.
- Le jeudi de l'Ascension provoque chaque année un fameux « pont de l'Ascension » qui désorganise l'économie, sature les infrastructures hôtelières et embouteille les autoroutes. Est-il nécessaire qu'il soit chômé ? Les catholiques italiens ne le pensent pas et ont choisi de célébrer l'Ascension le dimanche suivant...
- Le « pont du 8-Mai » présente les mêmes inconvénients que le précédent quand le 8 mai tombe un mardi ou un jeudi. Qui plus est, avec la Fête du Travail du 1er mai, nous avons ici deux « ponts » à quelques jours d'intervalle avec des effets doublement négatifs sur l'économie et donc l'emploi.
Soulignons que le 8 mai est seulement chômé en France, et depuis 1981 seulement ! L'anniversaire de la capitulation militaire de l'Allemagne n'est chômé chez aucun des vainqueurs du nazisme, sauf en Russie où il est célébré le 9 mai. Rappelons aussi que le 8 mai ne coïncide ni avec la fin de la Seconde Guerre mondiale (elle s'est terminée le 2 septembre 1945 avec la capitulation du Japon) ni avec celle du nazisme (la capitulation allemande a été de fait signée à Reims le 7 mai 1945). En France, le 8 mai rappelle la répression de Sétif et, avec le 11 novembre, cela fait deux célébrations d'une victoire sur « nos amis allemands ». N'est-ce pas beaucoup !
- L'Assomption de la Vierge, le 15 août, est chômée dans la plupart des pays catholiques mais sa célébration est de plus en plus négligée par les fidèles, vacances obligent. Elle ne perdrait rien à être célébrée le dimanche qui suit le 15 août.
Ainsi le gouvernement pourrait-il remettre en cause les lundis de Pâques et de la Pentecôte, le jeudi de l'Ascension, voire le 8-Mai et l'Assomption, sans heurter les traditions tant religieuses que républicaines de la France.
Bien évidemment, l'opinion publique, indépendamment des convictions religieuses de chacun, verrait d'un mauvais oeil la fin de ces « avantages acquis » ! Aussi, entendons-nous bien. Il ne s'agit pas pour nous de supprimer des jours chômés mais d'assouplir le calendrier au mieux des intérêts des entreprises et des ménages...
Nous suggérons à cet effet que le gouvernement autorise l'ensemble des salariés du secteur privé comme du secteur public à prendre quatre ou cinq jours de congé à la date de leur choix. Ces « jours de congés mobiles » viendraient en contrepartie de la suppression des jours chômés des lundis de Pâques et de la Pentecôte, de l'Ascension, du 8-Mai et de l'Assomption (en incluant bien sûr l'abrogation de la circulaire du 23 septembre 1967).
Ainsi, chrétiens des différentes confessions, musulmans, juifs, bouddhistes, hindouistes, agnostiques et autres, chacun pourrait se libérer pour les fêtes religieuses de son choix sans avoir de compte à rendre sur ses convictions ou ses occupations privées. Mêmes facilités pour la participation à une fête familiale (baptême, mariage, etc.) ou à une réunion associative, civique ou autre. Et pour le coup, l'on échapperait aux rituelles complaintes sur les hécatombes des « ponts » et les blocages de l'activité.
Dispositions pratiques :
• Les salariés auraient pour seule obligation de déposer leur demande de « jours de congés mobiles » auprès de leur employeur avec un préavis suffisant (trois ou six mois) pour ne pas gêner leur service.
• Dans l'hypothèse où les demandes des salariés seraient excessivement dispersées au point de rendre impossible l'accomplissement du travail collectif, l'employeur pourrait exiger des salariés qui n'ont pas de motif sérieux (fête familiale ou religieuse) de prendre leurs jours mobiles dans le prolongement de leurs congés payés.
• Au contraire, dans l'hypothèse où le taux d'absence, tel jour, handicaperait l'activité (par exemple au-delà de 20% des salariés absents le même jour), le chef d'entreprise serait en droit d'imposer à l'ensemble de ses salariés de chômer ce jour au titre de leurs congés mobiles.
• Dans les établissements scolaires, enseignants et parents d'élèves seraient invités à communiquer leurs souhaits trois mois avant la rentrée de façon que le chef d'établissement et les professeurs principaux puissent s'organiser en conséquence.
Ces dispositions permettraient d'anticiper et donc mieux gérer l'absentéisme qui désorganise beaucoup d'écoles et d'entreprises le jour de l'Aïd el-Kébir, grande fête musulmane.
Disons-le à nos élus : une telle réforme, outre que sa mise en place ne coûterait rien, engendrerait plus de sérénité dans les ménages et les entreprises, avec au final des gains de productivité ! Ces gains, bien qu'invisibles, seraient mieux assurés que les « usines à gaz » concoctées dans les cabinets ministériels par des conseillers qui ont des tableaux Exel à la place du coeur.
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Voir les 34 commentaires sur cet article
jarrige (16-11-2024 10:32:59)
Une chose que je ne comprends pas bien, M.Larané: vous commencez par contester l'utilité économique qu'il y aurait à supprimer des jours fériés, pour la raison que ça n'induit pas automatiqueme... Lire la suite
Schneider (14-11-2024 23:29:19)
Il me semble que le prénom du Premier ministre est Jean-Pierre et non Jean-Louis. Sûrement une légère erreur due à la quantité importante d'articles que vous produisez pour mon plus grand plaisi... Lire la suite
Françoise (14-11-2024 10:36:50)
Tout à fait d'accord avec le contributeur Caillé. Pendant des années, le lundi de Pentecôte a été l'occasion de réunir ma famille, dispersée comme elles le sont souvent aujourd'hui. En revanch... Lire la suite