Malgré l’attention dont ils bénéficient, les enfants restent exposés dans le monde à des situations douloureuses ou dramatiques, livrés à la rue, à l'exploitation sexuelle ou à l'esclavage.
Il faudra encore de longs combats pour interdire le travail des enfants dans les usines et les champs, accorder un statut à ceux abandonnés à la naissance, faire primer l’éducation face à la délinquance juvénile et vaincre les perversions pédérastes.
« Ces enfants dont pas un seul ne rit » (Victor Hugo)
S'il est le plus célèbre, Victor Hugo n'est pas le seul écrivain a avoir dénoncé avec force la misère des enfants au XIXe siècle. À côté de ses Gwynplaine (L'Homme qui rit, 1869), Cosette et Gavroche (Les Misérables, 1862) se tiennent Rémi (Hector Malot, Sans famille, 1878), Tom Sawyer (Mark Twain, 1823) ou encore Oliver Twist (Charles Dickens, 1838).
Chacun s'accommode depuis l'origine des temps de voir les enfants travailler aux côtés de leurs parents à la campagne et dans les ateliers familiaux, mais la révolution industrielle change la donne.
Dans les usines et les mines qui rassemblent des centaines ou des milliers de travailleurs sous la férule de contremaîtres impitoyables, l'exploitation des enfants relève d'une nécessité pour les familles qui ont besoin du salaire apporté par leurs enfants, si médiocre soit-il, comme pour les patrons, qui réclament cette main-d’œuvre d'appoint ! Leur petite taille est un atout pour le travail de la mine où ils poussent les chariots dans les boyaux étroits, ou dans les filatures où ils sont chargés de rattacher les fils cassés ou de se glisser sous les métiers pour récupérer le coton.
Ce sont les écrivains de la génération romantique qui vont tirer le signal d'alarme en choisissant ces malheureux comme héros de leurs œuvres.
« Où vont tous ces enfants dont pas un seul ne rit ?
Ces doux êtres pensifs que la fièvre maigrit ?
Ces filles de huit ans qu'on voit cheminer seules ?
Ils s'en vont travailler quinze heures sous des meules ;
Ils vont, de l'aube au soir, faire éternellement
Dans la même prison le même mouvement.
Accroupis sous les dents d'une machine sombre,
Monstre hideux qui mâche on ne sait quoi dans l'ombre
Innocents dans un bagne, anges dans un enfer,
Ils travaillent. Tout est d'airain, tout est de fer.
Jamais on ne s'arrête et jamais on ne joue.
Aussi quelle pâleur ! la cendre est sur leur joue.
Il fait à peine jour, ils sont déjà bien las.
Ils ne comprennent rien à leur destin, hélas !
Ils semblent dire à Dieu : « Petits comme nous sommes,
Notre père, voyez ce que nous font les hommes ! »
O servitude infâme imposée à l'enfant !
Rachitisme ! travail dont le souffle étouffant
Défait ce qu'a fait Dieu ; qui tue, œuvre insensée,
La beauté sur les fronts, dans les cœurs la pensée […].
Travail mauvais qui prend l'âge tendre en sa serre,
Qui produit la richesse en créant la misère,
Qui se sert d'un enfant ainsi que d'un outil !
(Victor Hugo, « Melancholia », Les Contemplations, 1856)
Sous l'effet des ligues charitables, la Grande-Bretagne légifère dès 1829, dix ans avant la France qui n'interdit qu'en 1841 le travail avant huit ans, et limite pour les plus âgés (de douze à seize ans) la journée de labeur à douze heures.
En 1874, on fixe à douze ans le seuil d'admission en usine.
« Il faisait vraiment très, très froid ce jour là ; il neigeait depuis le matin et maintenant il faisait déjà sombre ; le soir approchait, le soir du dernier jour de l'année. Au milieu des rafales, par ce froid glacial, une pauvre petite fille marchait pieds nus dans la rue. Lorsqu'elle était sortie de chez elle ce matin, elle avait pourtant de vieilles chaussures, mais des chaussures beaucoup trop grandes pour ses si petits pieds. Aussi les perdit-elle lorsqu'elle courut pour traverser devant une file de voitures ; les voitures passées, elle voulut les reprendre, mais un méchant gamin s'enfuyait en emportant l'une d'elles en riant, et l'autre avait été entièrement écrasée par le flot des voitures.
Voilà pourquoi la malheureuse enfant n'avait plus rien pour protéger ses pauvres petits petons.
Dans son vieux tablier, elle portait des allumettes : elle en tenait une boîte à la main pour essayer de la vendre. Mais, ce jour-là, comme c'était la veille du nouvel an, tout le monde était affairé et par cet affreux temps, personne n'avait le temps de s'arrêter et de considérer l'air suppliant de la petite fille. […]
Après avoir une dernière fois offert en vain son paquet d'allumettes, l'enfant aperçut une encoignure entre deux maisons. Elle s'y assit, fatiguée de sa longue journée, et s'y blottit, tirant à elle ses petits pieds : mais elle grelotte et frissonne encore plus qu'avant et cependant elle n'ose pas rentrer chez elle.
Elle n'y rapporterait pas la plus petite monnaie, et son père la battrait.
L'enfant avait ses petites menottes toutes transies.
« Si je prenais une allumette, se dit-elle, une seule pour réchauffer mes doigts ? » […]
Elle frotta encore une allumette : une grande clarté se répandit et, devant l'enfant, se tenait la vieille grand-mère. « Grand-mère, s'écria la petite, grand-mère, emmène-moi ! » […]
Et l'enfant alluma une nouvelle allumette, et puis une autre, et enfin tout le paquet, pour voir sa bonne grand-mère le plus longtemps possible. Alors la grand-mère prit la petite dans ses bras et elle la porta bien haut, en un lieu où il n'y avait plus ni froid, ni faim, ni chagrin.
Le lendemain matin, les passants trouvèrent sur le sol le corps de la petite fille aux allumettes; ses joues étaient rouges, elle semblait sourire : elle était morte de froid, pendant la nuit qui avait apporté à tant d'autres des joies et des plaisirs. Elle tenait dans sa petite main, toute raidie, les restes brûlés d'un paquet d'allumettes ». […] (Hans Christian Andersen, « La Petite fille aux allumettes », Contes, 1845).
Sauvages et inadaptés
« Je suis venu, calme orphelin,
Riche de mes seuls yeux tranquilles,
Vers les hommes des grandes villes :
Ils ne m'ont pas trouvé malin »
(Paul Verlaine, « Gaspard Hauser chante », 1881).
Ces vers de Verlaine font allusion à un jeune Allemand apparu en 1828 à Nuremberg et dont l’identité reste aujourd’hui encore un mystère. Mais ils auraient pu être aussi dédiés à Victor, « l’enfant sauvage de l’Aveyron » capturé en 1800 et que le docteur Jean-Marc Itard va longuement observer.
Ne se satisfaisant pas du diagnostic d' « idiot congénital » que ses premiers collègues ont porté, le médecin élabore une méthode destinée à éveiller doucement les sens de son patient, installé dans sa propre maison.
Avec l'aide de sa gouvernante, il développe peu à peu sensibilité nerveuse, ouïe et expressivité grâce aux gestes mais ne parviendra jamais, au bout de cinq ans d'efforts, à faire parler l'enfant. Devenu adulte, Victor vécut à l'Institut des Sourds-Muets avant de mourir à l'âge de quarante ans.
Cette expérience hors du commun a été portée au cinéma avec talent par François Truffaut (L'enfant sauvage, 1970).
Elle a permis non seulement de développer l'oto-rhino-laryngologie mais a également enrichi la réflexion sur l’éducation des enfants inadaptés ou arriérés.
Ceux-ci, au début du XIXe siècle, étaient trop souvent laissés à l'abandon ou enfermés à Kremlin et Bicêtre.
Dans les années 1840, c'est un simple infirmier, Édouard Seguin, élève d'Itard, qui crée à l'hospice des Incurables (aujourd'hui hôpital Laennec) à Paris une « classe d'enfants idiots », la première de l'éducation spécialisée.
Mais sa méthode ne plaît pas : il préfère s'exiler aux États-Unis où sa prise en charge des handicapés mentaux est mise en place avec succès à travers tout le pays.
En France ce n'est qu'au début des années 1970 que la politique d'intégration des enfants handicapés, physiques et mentaux, se met vraiment en place, non sans difficultés et échecs.
Petit vaurien, va !
L'enfant n'a jamais échappé à la délinquance et à la marginalisation, et l'on s'est souvent demandé que faire de ces graines de voyous. Sous l'Ancien Régime, on faisait appel aux religieux pour recueillir ceux qui étaient rejetés par leur famille et que l'on regardait plus avec méfiance que compassion.
Lorsqu'en 1633, saint Vincent de Paul fonde l'ordre des Sœurs de la Charité pour prendre soin des « exposés », ce sont déjà près de douze mille orphelins qui ont été abandonnés depuis trente ans à Paris.
À son tour, la Révolution se penche sur la question et crée l'Assistance publique en 1793 pour prendre en charge les « enfants naturels de la patrie », sans sanction pour la mère.
Les pupilles de l'État apparaissent en 1811 tandis que l'abandon est facilité par la généralisation des « tours d'abandon » installés dans les murs des hospices : les mères désespérées y déposent leur nouveau-né sans craindre d'être vues (ces « boîtes à bébés » sont réapparues en Europe en avril 2000 !).
L'adoption, autorisée pour les mineurs à partir de 1923, sera par la suite encadrée par les DDASS (Directions départementales des affaires sanitaires et sociales) créées après 1964, organismes qui préfèrent cependant encourager le maintien dans les familles.
Pour ceux qui ont choisi la voie de la criminalité, la prison de la Petite-Roquette leur est réservée à partir de 1836 à Paris. L'idée d'une prison pour enfants est un progrès puisque jusqu'alors ceux-ci étaient mêlés aux détenus adultes : on passe « du cloaque à la ruche » (Victor Hugo).
Mais les conditions de captivité restent terrifiantes comme put le découvrir l'impératrice Eugénie lors d'une visite surprise. Devant le scandale, l'établissement fut fermé en 1865 et les enfants envoyés dans des colonies agricoles, toutes entières dédiées au travail à l'exemple de celle de Mettray, en Touraine, que connut Jean Genet dans les années 20.
En 1934, la révolte des enfants de la colonie de Belle-Île-en-mer mit en lumière l'existence de ces bagnes dont on réclama enfin la fermeture, qui ne fut totalement effective qu'en 1977. Il fallut attendre 1912 pour voir l'apparition des tribunaux pour enfants et 1945 pour que l'éducation prime désormais sur la sanction.
Bandit ! Voyou ! Voleur ! Chenapan !
Au-dessus de l'île on voit des oiseaux
Tout autour de l'île il y a de l'eau
Bandit ! Voyou ! Voleur ! Chenapan !
Qu'est-ce que c'est que ces hurlements
Bandit ! Voyou ! Voleur ! Chenapan !
C'est la meute des honnêtes gens
Qui fait la chasse à l'enfant
Il avait dit j'en ai assez de la maison de redressement
Et les gardiens à coup de clefs lui avaient brisé les dents
Et puis ils l'avaient laissé étendu sur le ciment
Bandit ! Voyou ! Voleur ! Chenapan !
Maintenant il s'est sauvé
Et comme une bête traquée
Il galope dans la nuit
Et tous galopent après lui
Les gendarmes les touristes les rentiers les artistes
Bandit ! Voyou ! Voleur ! Chenapan !
C'est la meute des honnêtes gens
Qui fait la chasse à l'enfant
Pour chasser l'enfant, pas besoin de permis
Tous les braves gens s'y sont mis
Qu'est-ce qui nage dans la nuit
Quels sont ces éclairs ces bruits
C'est un enfant qui s'enfuit
On tire sur lui à coups de fusil
Bandit ! Voyou ! Voleur ! Chenapan !
Tous ces messieurs sur le rivage
Sont bredouilles et verts de rage
Bandit ! Voyou ! Voleur ! Chenapan !
Rejoindras-tu le continent rejoindras-tu le continent ?
Au-dessus de l'île on voit des oiseaux
Tout autour de l'île il y a de l'eau.
(Jacques Prévert, Paroles, 146)
Inacceptables perversions
Exploité et violenté à l'usine, dans la mine, à la ferme ou dans l'orphelinat, l'enfant est aussi depuis toujours et dans toutes les sociétés une proie pour les prédateurs sexuels. On qualifie usuellement cette perversion de pédophilie mais à proprement parler, le mot désigne en grec toute personne qui a de l'affection pour les enfants (à commencer par leurs parents). Les pervers sexuels mériteraient d'être plutôt qualifiés de pédérastes (« qui a des rapports sexuels avec les enfants »).
L'exploitation sexuelle des enfants est réprimée dans la plupart des sociétés. Cette règle connaît toutefois des exceptions. Ainsi, dans les années 1970, profitant de la libération des mœurs et du déclin des mouvements ouvriers attachés à un modèle familial conventionnel, la bourgeoisie occidentale se désinhiba à la façon des libertins du XVIIe siècle. Au grand scandale de l'opinion commune, certains en vinrent à prôner la pédophilie comme une façon de « libérer » les enfants et leur apprendre les joies authentiques de la vraie vie.
Cet argumentaire fut développé en France jusque sur le plateau de l'émission Apostrophes par l'écrivain Gabriel Matzneff (Les moins de seize ans, 1974). C'est aussi dans cette émission célèbre de Bernard Pivot que le leader de gauche Daniel Cohn-Bendit énonça le 23 avril 1982 : « Quand une petite fille de cinq ans commence à vous déshabiller c’est fantastique ! » (note).
On peut hélas penser que ce relativisme moral a perverti à l'époque un certain nombre de jeunes éducateurs et de prêtres anonymes et il fallut attendre les années 1990 pour qu'en Europe, la pédophilie soit fermement condamnée.
Même si, en ce début du XXIe siècle, l'enfant semble dans nos pays occidentaux mieux protégé qu'ailleurs, il reste en danger à travers le monde. Maltraitances, guerres, prostitution, esclavage, illettrisme... sont autant de maux contre lesquels peinent à lutter les organisations telles que l'UNICEF (le Fonds des Nations unies pour l'enfance), créé en 1946.
Petite tape sur les fesses, gifle ou coups de règle sur les doigts, la punition a longtemps été l'épée de Damoclès pesant au-dessus de la tête des enfants turbulents. Toujours liée au XIXe siècle à l'idée chrétienne de pénitence, elle reçoit en 1804 le soutien du Code civil qui autorise le droit, pour un père, de corriger sa progéniture avec des châtiments physiques, voire, dans les cas extrêmes, par un enfermement judiciaire. Mais suite à la faiblesse grandissante de l'autorité paternelle, fragilisée par la multiplication des divorces, et à la nouvelle conception de l'enfant comme un individu à part entière, ces marques de violence sont petit à petit devenues inacceptables pour l'opinion publique. Le 2 juillet 2019, la loi « antifessée » suit donc l'évolution des mœurs en interdisant les « violences éducatives ordinaires ». Folcoche peut ranger son fouet.
Bibliographie
Philippe Ariès, L’Enfant et la vie familiale sous l’Ancien Régime, éd. du Seuil, 1973,
« L’Enfant et la famille », Les Collections de l’Histoire, juillet-septembre 2016,
Les Grands événements de l’Histoire des enfants, éd. Larousse (« La Mémoire de l’Humanité »), 1995,
Sébastien Allard, Nadeije Laneyrie-Dagen, Emmanuel Pernoud, L’Enfant dans la peinture, éd. Citadelles et Mazenod, 2011.
Jean-Philippe Charbonnier (1921-2004) est le photojournaliste à l'origine de ce cliché. Il écrit dans ses Mémoires :
« Au centre géométrique de la France, dans une région agriole, terre de nos aïeux, mon reportage consistait à suivre pas à pas un médecin de campagne. La femme d'un cultivateur allait accoucher. Le médecin arriva à la ferme dans sa vieille Ford, garda ses bottes en caoutchouc, enfila sa blouse blanche et, tandis que des voisines faisaient bouillir de l'eau, prépara la jeune future mère qui gémissait à peine, pattes en l'air dans son lit rustique. L'enfant naquit comme une grenouille qui sort de l'eau. "Où est le père ?" _ Oh, il est à la chasse, vous savez. C'est le septième gosse en sept ans." Et l'on habilla le nouveau-né d'un étonnant chandail à grosses raies bleues et blanches. Il ne lui manquait que le béret français jusqu'aux oreilles et la morve au nez pour tirer les sonnettes ».
Les âges de la vie
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