La littérature jeunesse

De Télémaque à Kirikou, des amis pour la vie

La littérature jeunesse était autrefois un parent pauvre de l’édition, considérée avec condescendance par les critiques littéraires.

Ce n'est plus le cas. Le secteur de la petite enfance est en pleine expansion. D'autre part, les albums illustrés, la BD, les mangas et les romans graphiques tiennent largement leur place. Cette littérature est entrée par effraction d’abord, puis très officiellement dans les manuels scolaires. Les contes de fées par exemple sont au programme du cycle 3 (CM1, CM2, 6e de collège).

Arrêt sur images sur une histoire qui a près de cinq siècles d’existence...

Voyages de Gulliver, nouvelle édition spécialement destinée à la jeunesse et ornée de nombreuses figures découpées, Jonathan Swift (1667-1745), Charles Letaille, graveur, lithographe et éditeur, Paris, 1839, BnF, Paris.

Pas de père fondateur mais de nombreux parrains

Télémaque et son mentor sur l'île de Calypso, Charles Monet, gravure à l'aquarelle du livre Les aventures de Télémaque, 1774.Le terme même pose question. Littérature enfantine, littérature de jeunesse, littérature jeunesse ? Jusqu’à quel âge ? Faut-il y annexer le parascolaire ? la BD ? les pop-up et les livres-objets ? la fantasy ? les adaptations livresques de films et de séries télévisées ?

Marie-Thérèse Latzarus, première historienne du genre donne en 1924 à Fénelon un rôle de pionnier. « Pour la première fois au cours des âges, un enfant aura dans les mains avec les Fables, les Dialogues des morts et le Télémaque, des œuvres écrites pour lui dans sa langue et des œuvres qui se proposent de l’instruire en l’amusant. » 

Mais il ne suffit pas que l’enfant soit le premier héros d’une histoire dans laquelle il deviendra adulte pour qu’il s’agisse de littérature enfantine.

D'aucuns datent l’avènement de la littérature jeunesse du moment où il est établi qu’on écrit différemment pour les enfants et pour les adultes.

C’est le cas d’Érasme qui dans son Institution des enfants (1529) pose les bases d’une spécificité des ouvrages pour les enfants avec des images pour visualiser les mots et une méthode active pour se les approprier.

La Lecture des contes en famille, iIllustration de Gustave Doré pour le frontispice des Contes de Perrault, Paris, Jules Hetzel, 1862. Gravure par Adolphe-François Pannemaker, BnF, Paris.

La constitution d’une littérature jeunesse : d’Érasme à la Révolution Française

Cette période se caractérise par sa dimension pédagogique affirmée : ouvrages d’apprentissage, alphabets et abécédaires, manuels de civilité, où l’illustration prend progressivement sa place.

L?Oiseau bleu, Madame d?Aulnoy, XIXe siècle.La transposition d’une intrigue dans le monde animalier ou son déplacement dans le temps ou dans l’espace permettent de délivrer discrètement des messages moraux ou civiques faciles à retenir. La Fontaine est prolongé par Florian. Perrault a de nombreux émules comme Mademoiselle d’Aulnoy, auteure du conte L’Oiseau bleu.

Puis de nouvelles formules éditoriales apparaissent comme les ouvrages de vulgarisation scientifique illustrés et les « magasins », des ouvrages où, comme leur nom l’indique, on trouve de tout, et dont l’exemple emblématique est le Magasin des Enfants de Madame Leprince de Beaumont (1757) qui contient le conte la Belle et la Bête dont Jean Cocteau fera une adaptation cinématographique en 1946.

Pendant le XVIIIe siècle, l’image populaire, par l’intermédiaire des livrets de colportages puis de l’image d’Épinal, diffuse des légendes et des récits moraux. La littérature étrangère pour la jeunesse se développe en France avec des adaptations des Contes des Mille et une Nuits par Galland, et des traductions des Voyages de Gulliver de Jonathan Swift ou de Robinson Crusoé de Daniel Defoe.

De la Révolution française aux débuts d’Hetzel

Le Premier Empire voit le retour d’ouvrages d’éducateurs religieux ou laïques qui proposent des fictions romanesques et des récits historiques où s’exaltent les vertus traditionnelles.

La loi Guizot de 1833 qui oblige toute commune de plus de 500 habitants à ouvrir une école publique pour garçons développe la production des manuels scolaires.

C’est aussi la véritable naissance des journaux pour la jeunesse comme le Journal des Enfants qui, dès 1832, pour fidéliser sa clientèle, invente le principe du roman-feuilleton.

Le suisse Rodolphe Töppfer propose des histoires en images dont il compose lui-même le texte et les illustrations.

Il manquait à cette littérature la légitimité de grandes plumes. Ce sera l’œuvre de l’éditeur Pierre-Jules Hetzel, véritable chef d’orchestre de la littérature de jeunesse. Il embauche les grands écrivains de son époque (Balzac, George Sand, Alexandre Dumas, Charles Nodier...) et les plus célèbres illustrateurs (Grandville, Bertall, Gavarni…) dans l’aventure d’une « littérature à hauteur d’enfance ».

1845-1890 : l’âge d’or de la littérature jeunesse

Cette période marquée notamment par la rivalité des deux éditeurs majors, Hetzel et Hachette, est celle où les plus grands écrivains n’hésitent pas à s’adresser à ce nouveau public. 

On y trouve en effet, outre les auteurs cités plus haut, Alphonse Daudet, Erckmann-Chatrian, Victor Hugo, Hector Malot, Jules Verne… et bien entendu la Comtesse de Ségur. Les illustrateurs ne sont pas en reste avec Gustave Doré, Geoffroy, Boutet de Monvel, Job, ou Robida. 

Le roman scolaire, mélange de pédagogie et de fiction, fait une entrée remarquée avec Le Tour de la France par deux enfants de G. Bruno (Augustine Fouillée) publié en 1877 chez Belin et qui réalisera 6 millions de ventes jusqu’en 1910. 

Cette vague a traversé toute l’Europe pendant le XIXe siècle. On peut citer Hans-Christian Andersen au Danemark, et en Angleterre Walter Scott, Edward Lear, Charles Dickens, R.L. Stevenson, Lewis Carroll avec les illustrateurs Walter Crane, John Tenniel, et Kate Greenaway.

En Allemagne, ce sont les frères Grimm et les deux Hoffmann, Ernst Theodor Amadeus qui inspirera Offenbach et Heinrich, l’auteur de Struwwelpeter, que Cavanna traduira par Crasse-Tignasse ainsi que Wilhelm Busch créateur de la série Max et Maurice. En Russie Pouchkine, Tolstoï, Gogol ne dédaignent pas d’apporter leur contribution à cette littérature qui s’épanouit.

Le tour de la France par deux enfants, Belin 1877, Bruno (Augustine Fouillée), gravure Perot, manuel scolaire, édition de 1904, université de Toronto.

1890-1918 : le déclin

La soif de découverte retombe. D’autres formes de production littéraire comme les illustrés, dont la mode est importée des États-Unis et qui sont plus à la portée des budgets populaires, conquièrent rapidement leur public avec des héros récurrents comme Bécassine pour les lectrices de la Semaine de Suzette et Les Pieds Nickelés pour ceux de L’Épatant.

Après l’armistice, des albums pour la jeunesse exaltent les grandes figures patriotiques (Joffre, Foch, Pétain, Clemenceau) ou l’Alsace heureuse, sous-titrée « le grand bonheur du pays d’Alsace raconté aux petits enfants par l’oncle Hansi. »

1918-1939 : À la recherche de la modernité

Une période se termine une autre commence. C’est l’âge de l’enfant-roi, dont on s’applique à contenter les moindres désirs et qui devient le foyer d’attraction de la galaxie éducative.

Des ouvrages lui proposent des activités comme les Albums du Père Castor. Des bibliothèques lui sont dédiées comme celle de L’Heure Joyeuse à Paris (1924). Des romans scolaires comme ceux de Charles Vildrac, Ernest Pérochon, Romain Rolland ou Gabriel Maurière rendent l’apprentissage plus ludique.

Le Voyage de Babar : Voilà la mer, la grande mer bleue, Aquarelle originale par Jean de Brunhoff, Le Jardin des modes, 1932, Don de Thierry de Brunhoff, Hachette, BnF, Paris.De nouveaux héros, animaliers ou compagnons de son âge, l’accompagnent dans ses périples imaginaires : Gédéon, Babar, Mickey, Tintin. Les grands classiques, La Fontaine, La Comtesse de Ségur, Jules Verne sont modernisés avec de nouvelles collections ou de nouvelles présentations comme les quatre bibliothèques de chez Hachette : la rose, la verte, la bleue et la blanche.

Les traductions d’ouvrages étrangers se multiplient et popularisent de nouveaux héros : Pinocchio, la marionnette en bois de Carlo Collodi, dont le nez s’allonge à chaque mensonge, Nils Holgersson, le petit héros de Selma Lagerlöf qui visite la Suède sur le dos d’oies sauvages, et l’intraitable Fifi Brindacier d’Astrid Lindgren qui ne fait que ce qui lui plait.

Cette période voit aussi le développement de la BD enfin acclimatée en France avec ses bulles et ses bruitages par Alain Saint-Ogan et ses héros Zig et Puce. Les journaux pour la jeunesse connaissent une croissance exponentielle. Parmi eux le journal de Mickey lancé en 1934 tire immédiatement à 500 000 exemplaires devançant de très loin ses concurrents et notamment les journaux de la presse militante comme Cœurs Vaillants pour les catholiques, Copain Cop pour les laïques et Mon Camarade pour les communistes.

De nouveaux auteurs pour la jeunesse se révèlent, dont des écrivains reconnus comme Georges Duhamel, Marcel Aymé ou Maurice Genevoix et d’autres qui produisent des ouvrages à succès comme Trilby, P.J. Bonzon, Paul Berna ou la suissesse Johanna Spyri enfin traduite et dont les Heidi enchanteront une génération de fillettes. La guerre de 39-45 met fin à cette efflorescence.

De 1945 à nos jours

La Libération marque un renouveau de la production jeunesse avec plus de 600 titres nouveaux ou réédités par an et une production de 15 millions d’exemplaires de magazines par mois.

De nouvelles collections apparaissent : « Rouge et Or », « Idéal Bibliothèque », « Bibliothèque de Suzette et aventures ». Le marché de la BD est porté par le succès des Spirou, Tintin, Lucky Lucke et des comics américains.

Kirikou et la sorcière, Michel Ocelot, Le livre de poche.Une évolution identique s’opère dans le secteur de la bande dessinée où l’hebdomadaire Pilote fait appel à des scénaristes et des bédéistes comme Druillet, Fred ou Gotlib qui font exploser les codes traditionnels.

Parallèlement, la révolution du format poche qui atteint le livre de jeunesse dans les années 70 avec des collections comme « Folio Junior », « Mouche » ou « Le livre de Poche jeunesse » met celui-ci à portée de toutes les bourses. 

L’édition jeunesse s’internationalise également. Des succès dans un pays donné deviennent vite planétaires, avec parfois des aller-retours entre le livre et le cinéma ou la télévision, comme on l’a vu avec Kirikou et la sorcière de Michel Ocelot, les albums d’Astérix, les œuvres de Stephen King ou la saga Harry Potter.


Publié ou mis à jour le : 2020-05-28 15:50:11
Yann Darko (15-12-2017 17:47:45)

"Une seconde crainte hante la profession : la disparition programmée de l’objet-livre." Romancier pour la jeunesse, je rencontre fréquemment mes lecteurs et je peux témoigner du fait que les jeu... Lire la suite

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