Syrie

De Sargon à Lawrence, 50 siècles d'Histoire

Dans les temps anciens, la Syrie désignait l’ensemble du Levant, entre la Méditerranée à l’ouest, le Sinaï au sud, les monts Taurus au nord et l’Euphrate à l’est. 

Elle a été constituée en province par les Romains et les Byzantins puis est devenue le coeur de l'empire arabe des Omeyyades et de celui de Saladin, au XIIIe siècle. Depuis lors et jusqu'à son indépendance, en 1946, elle a été soumise à des puissances étrangères.

La Syrie emprunte son nom au grec ancien. Mais dans le monde arabe, la région est plutôt appelée « Bilad as-sham » (« pays de Sham », Sham étant le nom arabe de Damas). Soulignons à ce propos que la capitale de l'État actuel, Damas, est habitée en continu depuis plus de 3500 ans. C’est très certainement la plus ancienne de toutes les villes de la planète.

André Larané
Les grands sites de la Syrie ancienne

Deir-Moussa, peinture murale (Syrie) (photo : G. Grégor)Située au confluent de tous les grands empires méditerranéens, de l’Assyrie à l’empire ottoman, la Syrie conserve de son passé un très riche patrimoine.
Cinq sites antiques sont classés par l’UNESCO : les anciennes villes d'Alep et Bosra, le Krak des Chevaliers et le château de Saladin, Palmyre et les « villes mortes » du Nord de la Syrie. Ces sites et bien d’autres font l’objet de belles pages illustrées dans ce dossier… [découvrir le patrimoine syrien]

Le berceau des civilisations orientales

Par son appartenance au Croissant fertile et sa proximité avec la région de Sumer, la Syrie est très tôt touchée par les bienfaits de l’urbanisation et de l’écriture.

- Âge du Bronze (2900 à 1200 avant JC) :

Au IIIe millénaire avant JC apparaissent les royaumes d’Ébla, dans la vallée de l’Oronte, et de Mari, sur l’Euphrate. Cette dernière, découverte et explorée en 1933 par l’archéologue André Parrot, a livré des milliers de tablettes d’argile couvertes d’écritures cunéiformes.

Ces archives ont permis de connaître les démêlés de ces royaumes avec leurs voisins de Mésopotamie et notamment Sargon, roi d’Akkad, qui les conquiert vers 2350 avant JC.

Ensuite, par un retournement de situation, les Amorrites, populations sémites de Syrie, s’infiltrent en Mésopotamie et fondent la première dynastie de Babylone.

Au milieu du IIe millénaire, la Syrie devient le théâtre d’affrontements entre les grands empires régionaux, le Mitanni à l’Est, les Hittites au nord et l’Égypte au sud.

Ramsès II à la bataille de Qadesh (d'après un bas-relief du temple d'Abou Simbel)Damas est mentionnée pour la première fois par Thoutmosis III sur un pylône du temple d’Amon à Karnak, après que le pharaon eut fait main basse sur la Syrie par sa victoire sur les Syriens à Megiddo (Palestine) vers 1482 avant JC.

Mais la bataille la plus mémorable est Qadesh, qui met aux prises le pharaon Ramsès II et le roi hittite Hattousil III vers 1274 avant JC. Elle se solde par un match nul… et le mariage du pharaon avec la fille de son adversaire. Ramsès II revendique néanmoins la victoire et pour l’affirmer, lance la construction du magnifique temple d’Abou Simbel, au bord du lac d’Assouan.

Toute l'Histoire du Levant en cartes

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La Syrie et le Levant (cartes d'Alain Houot)
Les premiers États sont apparus dans le Croissant fertile au IIe millénaire avant notre ère.
Depuis cette époque et jusqu'à nos jours, la région a connu d'immenses bouleversements géopolitiques qui se reflètent dans cette série de cartes historiques...

Le temple de la ville hittite d'Ain-Dara, en Syrie, avec les pieds de la divinité  (Syrie) (photo : G. Grégor)
- Âge du Fer (1200 à 300 avant JC) :

Au tournant du millénaire, de mystérieux Peuples de la mer mettent à mal l’ordre pharaonique. Alors, l’on voit s’épanouir des sociétés originales sur le littoral syrien : les cités marchandes de Phénicie, auxquelles nous sommes redevables d’une invention majeure, l’alphabet, et les royaumes hébreux, berceau d’une autre révolution, le monothéisme.

À l’intérieur de la Syrie s’infiltrent de nouvelles populations sémites qui parlent une langue originale, l’araméen. Au VIIIe siècle avant notre ère, ces populations se voient agresser par les Assyriens, ivres de conquêtes et de puissance.

À ceux-là, nous devons une invention dont nous nous serions bien passés : la « guerre totale ». Les Assyriens déportent d’un bout à l’autre de leur empire les populations vaincues, pour mieux s’assurer de leur soumission. Conséquence inattendue : l’araméen des malheureux Syriens va devenir pour plusieurs siècles la langue de communication de l’ensemble du Moyen-Orient ; ce sera la langue administrative de l’empire perse et la langue usuelle du Christ.

Les Babyloniens à leur tour déportent les peuples vaincus, parmi lesquels les habitants de la Judée. En 539 avant JC, le Perse Cyrus le Grand s’empare de Babylone et délivre les Juifs.

- Périodes hellénistique et romaine (300 avant JC à 600 après JC) :

Deux siècles plus tard, Alexandre le Grand vainc les Perses à Issos. L’ensemble du Moyen-Orient passent sous la coupe des Grecs et basculent vers l’Occident et la Méditerranée.

Monnaie séleucide (tétradrachme à l'effigie de Séleucos 1er), IIIe siècle avant JCAprès la mort d’Alexandre, ses généraux se partagent l’empire. Après force disputes entre les diadoques (« successeurs » en grec), Séleucos s’attribue la Syrie et la Mésopotamie. Il fonde à l’embouchure de l’Oronte une capitale à laquelle il donne le nom de son père, Antiochos (Antioche).

Sa dynastie va régner sur la région jusqu’à l’arrivée des Romains. Elle va diffuser la langue et la culture grecque dans les villes, lesquelles prospèrent grâce au trafic caravanier entre l’Orient et la Méditerranée.

Mais l’empire séleucide est bientôt pris entre deux feux : à l’Est, sur les bords de l’Euphrate, les redoutables cavaliers parthes, à l’Ouest, en Asie mineure, les légions romaines.

Celles-ci affrontent les phalanges séleucides à Magnésie du Sipyle, au nord de Smyrne, en 191 avant JC. Défait, le roi Antiochos III consent à céder aux Romains ses possessions d’Asie Mineure, notamment le royaume de Pergame.

L’empire séleucide, réduit à la Syrie et déchiré par les querelles intestines, est définitivement vaincu par le général Pompée en 64 avant JC et transformé en province romaine.

Peu après, Pompée forme avec César et Crassus un triumvirat en vue de gouverner Rome. Le riche Crassus tente de s’octroyer une gloire militaire qui lui fait défaut en attaquant les Parthes. Mal lui en prend. Son armée est anéantie à Carrhes, en Mésopotamie du nord, le 9 juin 53 avant JC. Lui-même est massacré en allant négocier sa reddition.

L’Euphrate va dès lors constituer une frontière insurmontable. Tout au long de la période islamique, c’est encore sur ses bords que les Ottomans s’affronteront aux Iraniens.

En attendant, la Syrie savoure la paix romaine. Antioche est après Alexandrie la plus grande ville d’Orient, sans doute plus peuplée qu’aujourd’hui (300.000 habitants).

Au IIIe siècle de notre ère, Rome, déjà déclinante, se donne plusieurs empereurs originaires de Syrie tel Héliogabale dont le nom évoque le culte du dieu Baal. Ces empereurs apparentés par les femmes à Septime Sévère n’ont pas laissé de bons souvenirs sur les bords du Tibre.

Mosaïque romaine dans la ville de Bosra, en Syrie  (Syrie) (photo : G. Grégor)
Les premiers chrétiens

Vers l’an 35 de notre ère, soit quelques années après la mort d’un homme nommé Jésus, quelques-uns de ses disciples quittent Jérusalem. Ils parlent le grec et, à la différence des autres disciples, veulent s’émanciper de la Loi juive.

Ils s’installent à Antioche dont ils commencent à évangéliser les habitants. Ce sont les premiers convertis non-juifs. D’après les Actes des Apôtres, « c’est pour la première fois à Antioche que les disciples ont été nommés chrétiens ».

Le mouvement va prendre de l’ampleur après la conversion à la nouvelle religion de Saul de Tarse, juif hellénophone converti sur le chemin de Damas. Sous le nom de Paul, il ne va avoir de cesse d’évangéliser les différentes populations de l’empire romain.

Quand l’empire romain se divise au IVe siècle, la Syrie passe bien évidemment sous la tutelle de Constantinople. Ses habitants deviennent chrétiens, avec une singulière propension à l’ascétisme. On compte plusieurs dizaines d’ermites qui choisissent de s’isoler sur une colonne, tel Siméon le Stylite.

Les Syriens se rallient massivement à la doctrine monophysite qui ne reconnaît dans le Christ qu’une nature divine. Cette doctrine est condamnée par le patriarcat orthodoxe de Constantinople qui tient pour la double nature humaine et divine du Christ.

Cette querelle théologique affaiblit la Syrie au moment du plus grand danger, quand les Perses sassanides envahissent le pays, au VIe siècle. À peine sont-ils repoussés que surviennent d’autres agresseurs, plus inattendus, les musulmans.

Irruption de l'islam
- la période arabe et ottomane (600-1918) :

Le 5 septembre 635, les troupes du calife Omar s’emparent de Damas. Elles sont accueillies à bras ouverts par les chrétiens monophysites !

Cavaliers arabes (manuscrit arabe de la BNF)Après l’assassinat du calife Othman puis du calife Ali, la direction des musulmans passe au gouverneur de Damas, Moawiya, à l’origine de la dynastie des Omeyyades. C’est l’âge d’or de Damas, qui supplante Médine comme capitale de l’empire arabe pendant près d’un siècle, avant de céder la place à Bagdad et aux Abbassides.

Le 2 juin 1098, les croisés s’emparent d’Antioche et y fondent le premier État franc de Palestine. Mais pendant les deux siècles que durera leur présence au Levant, ils n’arriveront jamais à s’emparer de Damas. La prestigieuse cité des Omeyyades devient en 1174 la capitale de l’empire syro-égyptien de Saladin. Mais sa dynastie, les Ayyoubides, ne va pas longtemps lui survivre.

En 1250, au Caire, des officiers de la garde, les Mamelouks, s’emparent du pouvoir. Ils défont et capturent le roi de France Louis IX qui s’était imprudemment aventuré dans le delta du Nil puis, plus sérieusement, affrontent les redoutables Mongols aux portes de Damas en 1258 et les empêchent in extremis de s’emparer de la ville.

En 1408, d’autres nomades, plus chanceux, sous la conduite de Tamerlan, réussissent à s’emparer de la ville et la mettent au pillage. Un siècle plus tard, le 24 août 1516, le sultan ottoman Sélim 1er bat les Mamelouks au nord d’Alep. La Syrie toute entière devient dès lors une simple province de l’empire turc et Damas un chef-lieu très secondaire. La ville s’endort sur ses souvenirs.

Elle ne se réveillera qu’à la chute des Ottomans, pendant la Première Guerre mondiale...

- Une indépendance contrariée (1918- ) :

Les Arabes voient dans le conflit l'opportunité de se libérer de la tutelle ottomane. Les Turcs étant alliés aux Allemands et aux Austro-Hongrois, ils se rapprochent quant à eux des Anglais et des Français. 

Thomas Lawrence (Lawrence d'Arabie), 1888-1935Les nationalistes de Damas, dont beaucoup sont chrétiens, formés à Paris et d'essence laïque, prennent langue avec les représentants du souverain de La Mecque, le chérif Hussein. 

Ce dernier se soulève contre les Turcs avec le concours d’un héros de légende, le colonel britannique Thomas E. Lawrence, dit  « Lawrence d'Arabie ». Cet ancien archéologue d'à peine 30 ans réorganise les troupes du souverain arabe et les conduit à la conquête du port d'Akaba, à la pointe nord de la mer Rouge en juillet 1917. Il s'engage ensuite dans la conquête de la Palestine aux côtés du général britannique Allenby.

En échange de cet appui, le gouvernement de Londres promet la constitution d'un royaume arabe uni, de la Méditerranée au golfe Persique, avec Damas pour capitale. Mais dans le même temps, il promet aux sionistes un « foyer national juif » en Palestine et plus gravement, par les accords secrets Sykes-Picot, il s’accorde avec le gouvernement français pour un partage des dépouilles ottomanes.

Le 3 octobre 1918, l’émir Fayçal, fils du chérif hachémite de La Mecque, fait une entrée triomphale à Damas. Mais cinq jours plus tard, le 8 octobre 1918, une escadre française débarque des troupes à Beyrouth en vue de prendre possession du pays. La déception est immense chez les nationalistes arabes. C’est le début des malentendus.

Le 11 mars 1920, dans un baroud d'honneur, un congrès national désigne Fayçal roi d’une « Grande-Syrie », étendue du Sinaï à la Turquie. Mais l’illusion ne dure pas. En vertu des accords secrets Sykes-Picot, les Britanniques renient leur promesse d’un royaume arabe indépendant. Ils mettent la main sur la Palestine et la Transjordanie. De leur côté, les Français obtiennent le 28 avril 1920 un « mandat » en Syrie et au Liban. Il s’agit d’un protectorat de fait cautionné par la Société des Nations (SDN), ancêtre de l'ONU.

L'armée de l'émir est défaite par les troupes du général Henri Gouraud le 24 juillet 1920, à Khan Mayssaloum, dans l'Anti-Liban, une chaîne de montagnes qui sépare aujourd'hui la Syrie du Liban. Les Britanniques obtiennent quant à eux un protectorat sur la Palestine ainsi que sur l’Irak, qu’ils transforment en royaume et dont ils confient la couronne à Fayçal, en lot de consolation.

C'en est fini de l'espoir d'une renaissance des Omeyyades. La Syrie, privée d'Antioche, son antique capitale, et du Liban, son ouverture sur la mer, va tenter tant bien que mal de se constituer en nation.


Publié ou mis à jour le : 2023-07-10 11:52:06

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