Charles Péguy (1873 - 1914)
« En temps de guerre, il n'y a qu'une politique et c'est la politique de la Convention Nationale. Mais il ne faut pas se dissimuler que la politique de la Convention Nationale, c'est Jaurès dans une charrette et un roulement de tambour pour couvrir cette grande voix »
Poète lyrique, catholique fervent et socialiste convaincu, défenseur d'Alfred Dreyfus, Charles Péguy fut aussi un nationaliste guerrier comme beaucoup de républicains de la Belle Epoque. Ses écrits ci-dessus, qui datent de 1913, témoignent de l'exaltation qui allait conduire l'Europe à la guerre suicidaire de 1914-1918. Le leader socialiste Jean Jaurès est assassiné pour cause de pacifisme le 31 juillet 1914 à la veille de l'entrée en guerre de la France... Charles Péguy tombe quelques semaines plus tard au champ d'honneur.
Sir Edward Grey (1862 - 1933)
« The lamps are going out all over Europe... We shall not see them lit again in our lifetime » (en anglais)
« Les lampes s'éteignent dans toute l'Europe... Nous ne les reverrons pas s'allumer de notre vivant » (traduction)
Ministre britannique des Affaires étrangères dans le gouvernement Asquith, à la veille de la première guerre mondiale, Edward Grey témoigne d'une grande lucidité face à la montée des menaces sur le continent. Après l'assassinat de l'archiduc François-Ferdinand à Sarajevo, il s'efforce de calmer le jeu, ce qui donne à l'empereur d'Allemagne l'impression que le Royaume-Uni n'est pas disposé à le combattre et l'encourage dans ses menées bellicistes.
Bethmann-Hollweg (1856 - 1921)
« Fetzen Papier » (en allemand)
« Chiffon de papier » (traduction)
Ainsi Theobald von Bethmann-Hollweg, chancelier allemand, qualifia-t-il en 1914 le traité garantissant la neutralité de la Belgique. Cette neutralité avait été garantie par la Prusse lors du protocole de Londres du 20 janvier 1831, confirmé par le traité de Londres de 1839. Or, l'Allemagne, héritière de la Prusse, l'avait violée en envahissant le territoire belge le 3 août 1914. Dès le lendemain, à Berlin, l'ambassadeur britannique fait part au chancelier de l'entrée en guerre de son pays suite à cette violation du traité. Bethmann-Hollweg accuse le coup. Il avait incité l'empereur allemand à déclarer la guerre à la Russie et à la France, les 1er et 3 août, car il était convaincu que l'Angleterre resterait quoi qu'il advienne à l'écart d'un conflit continental. Le chancelier répond à l'ambassadeur non sans dépit : «A cause d'un mot seulement : neutralité, chose qui a été si souvent violée pendant des guerres, et pour un chiffon de papier, l'Angleterre va combattre contre une nation qui est sa parente, et qui ne lui demande rien d'autre que de l'amitié !»
Raymond Poincaré (1860 - 1934)
« La mobilisation n'est pas la guerre ! »
Déclaration aventurée de Raymond Poincaré (54 ans) lors de la mobilisation générale décrétée le 1er août 1914 par solidarité avec l'Empire russe. Tandis que, dans tout le pays, le tocsin prévient la population de cette mobilisation, le Président de la République française, élu l'année précédente, déclare dans un Appel à la nation française : «La mobilisation n'est pas la guerre. Dans les circonstances présentes, elle apparaît, au contraire, comme le meilleur moyen d'assurer la paix dans l'honneur»! Le 4 août 1914, alors que la guerre est devenue effective, le président adresse aux parlementaires un message avec ces mots : «Dans la guerre qui s'engage, la France (...) sera héroïquement défendue par tous ses fils, dont rien ne brisera devant l'ennemi l'Union sacrée...» L'Union sacrée ! L'expression va faire florès. Une fois les hostilités engagées, le président échoue par son manque de charisme et sa raideur à stimuler les énergies. Il renonce à visiter le front et, à l'heure de vérité, en 1917, se résout à appeler son vieil adversaire politique, Georges Clemenceau, à la tête du gouvernement (la présidence du Conseil). En octobre 1918, il s'oppose à lui en plaidant pour la poursuite des combats jusqu'à l'effondrement complet des troupes allemandes. Dans une lettre à Clemenceau, qui préfère un armistice immédiat, il lui demande de ne pas laisser «couper le jarret à nos troupes». Clemenceau met sa démission dans la balance et l'oblige à retirer sa lettre.
Philippe Pétain (1856 - 1951)
« Courage !... On les aura ! »
Conclusion de l'ordre du jour du 10 avril 1916, signé Pétain.Le maréchal allemand von Falkenhayn a massé autour de Verdun des forces d'artillerie et d'assaut considérables sans éveiller l'attention de l'état-major français. L'attaque commence le 21 février 1916 au fort de Douaumont. Elle est contenue par le général Pétain, qui commande la IIe armée française. Professeur à l'École de Guerre avant le conflit, Philippe Pétain a déjà 58 ans en 1914. Il est tenu en suspicion par l'état-major en raison de sa prédilection pour la défensive et la guerre de positions. Déterminé et économe du sang de ses soldats («Le feu tue !» a-t-il coutume de dire), il va se rattraper à Verdun et gagner une immense popularité. Vingt ans plus tard, l'État français présidé par le même Pétain promulgue une série de lois discriminatoires vis-à-vis des citoyens israélites. L'écrivain Tristan Bernard (1866-1947) quitte alors Paris pour la zone libre en grommelant : Les Allemands, on disait - On les aura, on les aura ! - Eh bien, ça y est, on les a !».
Talaat Pacha (1872 - 1921)
« Le gouvernement a décidé de détruire tous les Arméniens résidant en Turquie. Il faut mettre fin à leur existence, aussi criminelles que soient les mesures à prendre. Il ne faut tenir compte ni de l'âge, ni du sexe. Les scrupules de conscience n'ont pas leur place ici »
Mehmed Talaat Pacha est un employé des Postes devenu militant actif des Jeunes-Turcs et leader de ce mouvement réformateur et nationaliste.
En 1913, devenu ministre de l'Intérieur du gouvernement ottoman, il constitue un parti unique et hégémonique, le Comité Union et Progrès (CUP) à la tête duquel il entreprend de forger une Turquie homogène avec deux autres leaders Jeunes-Turcs, Enver Pacha et Cemal Pacha.
Le 24 avril 1915, mettant à profit le désordre international consécutif à la Grande Guerre, il donne le coup d'envoi du génocide des Arméniens dans l'empire turc. Le télégramme ci-dessus, envoyé à la préfecture d'Alep en 1916, illustre on ne peut mieux ses intentions.
En 1917, Talaat Pacha sera nommé Vizir (Premier ministre) mais il devra s'enfuir à la fin de la guerre et se réfugier à Berlin. C'est là qu'il sera assassiné le 15 mars 1921, en punition de ses crimes passés, par un jeune Arménien, Soghomon Tehlirian, lequel sera jugé et acquitté.
À Rome et en Géorgie, Djemal Pacha et Saïd Halim Pacha seront aussi exécutés par de jeunes Arméniens réunis dans le cadre d'une opération punitive, Némésis.
C'est à l'occasion du procès berlinois de Tehlirian qu'un jeune étudiant en droit polonais, Raphael Lemkin , comprit qu'on se trouvait face à un vide juridique pour sanctionner de tels crimes commis contre un peuple. Confronté à l'extermination des juifs et se remémorant le cas arménien, Lemkin allait élaborer vingt ans plus tard la notion de génocide.