Otto von Bismarck (1815 - 1898)
« Macht geht über Recht » (en allemand)
« La force prime le droit » (traduction)
Otto Edouard Léopold, comte puis prince de Bismarck-Schönhausen, duc de Lauenbourg, est issu d'une famille de junkers, la classe des hobereaux prussiens conservateurs, militaristes et dévoués à leur souverain. Il se destine à vivre de ses modestes rentes sur la terre familiale lorsque son élection au Parlement ou Landtag de Prusse, dans les années 1840 le fait remarquer pour son attitude inflexible vis-à-vis des idées dites «révolutionnaires». Nommé ambassadeur à la Diète fédérale de Francfort de 1852 à 1858, puis ambassadeur à Saint-Pétersbourg et enfin à Paris, il est appelé à Berlin le 23 septembre 1862 par le roi Guillaume 1er qui le nomme ministre-président, autrement dit Premier ministre. Il va dès lors exercer son autorité sans mélange sur la politique prussienne puis allemande. Avec une froide détermination, Bismarck brave l'opposition libérale de l'assemblée législative du Landtag. Le budget et les crédits militaires, régulièrement rejetés par les députés, sont rétablis par ordonnance royale. Bismarck justifie sa fermeté en expliquant que la Constitution ayant partagé le pouvoir législatif entre le roi et les Chambres et ne prévoyant aucune solution en cas de désaccord, on devait d'abord chercher un compromis. Mais, «si le compromis est rendu inutile parce qu'un des pouvoirs veut imposer ses solutions avec un absolutisme doctrinaire, alors... au lieu de compromis arrivent les conflits qui deviennent des questions de force. Celui qui a la force en main va de l'avant dans son sens» Cette déclaration est aussitôt condensée par un député dans la célèbre formule ci-dessus (*).
« Ich habe Langweile. Die grossen Sachen sind fertig. Das Deutsche Reich ist gebildet » (en allemand)
« J'en ai assez. Les grandes affaires sont terminées. L'Empire allemand est désormais sur pied » (traduction)
Sitôt nommé chancelier (ministre-président du gouvernement prussien), le comte Otto von Bismarck n'a d'autre ambition que d'achever l'unité de l'Allemagne autour de la Prusse. En 1866, il engage un conflit avec l'Autriche en vue de mettre celle-ci hors jeu. La guerre se termine par la victoire spectaculaire de la Prusse à Sadowa et permet à Bismarck de constituer aussitôt une Confédération de l'Allemagne du Nord, bien évidemment sans l'Autriche. En 1870, c'est l'affrontement avec l'Empire français qui se solde aussi par une écrasante victoire et la proclamation, le 18 janvier 1871, de l'Empire Allemand (le IIe Reich) dans la Galerie des glaces du château de Versailles. Bismarck, surnommé le «Chancelier de Fer», peut savourer son triomphe lors de sa signature du traité de Francfort avec la France et c'est à cette occasion qu'il prononce les mots en tête de cet article. Néanmoins, il n'en reste pas là et va mener une politique audacieuse à l'intérieur (premier système national de sécurité sociale, séparation de l'église et de l'état, soutien à l'industrie lourde et au commerce) et conservatrice à l'extérieur (alliances successives avec l'Autriche, la Russie, l'Italie). Mais le nouvel empereur Guillaume II le renvoie en 1888 sur ses terres méditer sur l'ingratitude des souverains... De sa région natale, il disait vers 1880 avec humour : «Si la fin du monde devait s'annoncer, il y aurait grand intérêt à se réfugier en Poméranie antérieure, car tout y arrive avec cinquante ans de retard !» Mais le Prussien cultivait aussi de solides préjugés à l'égard de ses compatriotes méridionaux : «Les Bavarois sont l'intermédiaire entre l'Autrichien et l'homme», lui est-il arrivé de dire.
« Nous n'irons pas à Canossa »
En 1871, ayant fondé l'Empire allemand au prix de trois guerres, le chancelier Otto von Bismarck reporte son énergie dans la lutte contre les catholiques inféodés au Vatican. Il commence par accorder sa protection aux catholiques dissidents qui refusent le nouveau dogme de l'infaillibilité pontificale, proclamé lors du concile Vatican I (1870).
Mal lui en prend car, à l'assemblée du Reichstag, la domination prussienne commence d'être contestée dès mars 1871 par un parti du Centre, le Zentrum, composé d'une soixantaine de députés catholiques issus d'Allemagne du sud et de Rhénanie. Commence le Kulturkampf ou « combat pour la civilisation ». Un combat dont Bismarck aurait tout aussi bien pu se passer !
Il commence par nommer un ambassadeur au Vatican sans demander au préalable l'agrément du Saint-Père, contre tous les usages diplomatiques. Bien entendu, le pape Pie IX désavoue la nomination. Bismarck s'écrit alors au Reichstag, le 14 mai 1872 : « Soyez sans souci, Messieurs ! Nous n'irons pas à Canossa, ni en chair, ni en esprit ! », en référence à un épisode quelque peu oublié de la querelle entre les papes et les empereurs au Moyen Âge.
Ses partisans, soulevés d'enthousiasme, élèvent aussitôt à Harzburg une colonne de granit où l'on grave les mots désormais célèbres : « Nous n'irons pas à Canossa »...
Par les « lois de Mai » (votées en mai 1873, mai 1874, mai 1875), le chancelier multiplie les brimades à l'encontre des catholiques en Prusse et dans l'ensemble de l'Allemagne : contrôle de l'état sur le patrimoine de l'église, surveillance des candidats à la prêtrise, dissolution de la compagnie de Jésus (les jésuites), etc.
La résistance s'organise sous l'égide du député Ludwig Windthorst, un ancien camarade d'université du chancelier. « Vous voulez détacher les catholiques allemands de l'obéissance au Saint-Siège pour les soumettre au knout de votre police », lance-t-il. Les esprits s'échauffent...
Le 13 juillet 1874, aux bains de Kissingen, un jeune ouvrier tonnelier catholique du nom de Louis Kullmann, quelque peu déséquilibré, tire sur le chancelier et le blesse à la main, mais Bismarck n'en arrive pas moins à ceinturer son agresseur !
La montée des socialistes à l'extrême-gauche et la progression du Zentrum d'une élection à l'autre obligent le chancelier à réfréner sa haine du catholicisme. Après la mort de Pie IX en 1878 et l'avènement d'un pape plus conciliant en la personne de Léon XIII, Bismarck va progressivement abolir la plupart des lois de Mai, discrètement et par petites touches de façon à ne pas perdre la face.