29 avril 1899

Les Crétois se dotent d'une Constitution

Le 29 avril 1899, la Crète se dote d'une Constitution moderne cependant que les troupes du sultan évacuent l'île et sont remplacées par un corps expéditionnaire occidental.

C'est l'aboutissement d'une lutte de deux générations contre l'occupant ottoman. Pour les Crétois, l'étape ultime est l'Énosi, autrement dit le rattachement de l'île à la Grèce dont ils partagent la langue, la culture et la religion. Il appartiendra à l'un des leurs, Élefthérios Venizélos, de le mener à bien après qu'il soit devenu Premier ministre grec.

Venizélos et les insurgés à Akrotini, 1897.

Les Crétois pour l'Énosi

La Crète a été arrachée à la République de Venise par l’empire ottoman au terme d’une interminable guerre (1645-1669) qui a vu l’île perdre, par le glaive ou l’exil, la moitié de sa population.

Comme le reste de la Grèce, elle s’est soulevée en 1821. Moins chanceuse que la Grèce continentale, qui a pu devenir indépendante, l’île a été en définitive reconquise par les troupes d’Ibrahim, le fils du pacha (albanais) d’Égypte, Méhémet Ali. Pillages, massacres comparables à ceux de Scio (Chios), immortalisés par Delacroix et Hugo : la Crète n’a été véritablement pacifiée qu’en 1830.

Lorsque l’Angleterre, la Russie et la France imposent à l’Empire ottoman la création d’un État grec indépendant, ils laissent les Crétois en dehors de ses frontières : la petite Grèce, dotée d’un roi bavarois, n’aura que 800 000 sujets alors que 2,3 millions de Grecs demeurent ottomans.

Dès lors, au lieu de se polariser sur la modernisation du pays, la vie politique le sera par la question nationale, que les Grecs nomment la Grande Idée : comment intégrer au royaume de Grèce les territoires ottomans peuplés majoritairement, ou exclusivement, de Grecs ?

Les Crétois réclament le rattachement en 1839, et se soulèvent pour l’obtenir en 1841. Mais la répression s’abat de nouveau sur l’île. Et Londres ne craint pas de soutenir les Turcs en empêchant Athènes d’envoyer de l’aide aux insurgés !...

En 1866, rebelotte. Une nouvelle pétition des Crétois provoque une nouvelle vague de répression. Malgré l’appui de l'opinion occidentale, la révolte est de nouveau écrasée dans le sang : le 8 novembre 1866, les derniers des 300 maquisards qui défendent le monastère d’Arkadi, où sont réfugiés 600 femmes et enfants fuyant les massacres, se font sauter dans la poudrière plutôt que de se rendre, emportant avec eux dans la mort 1500 des 16000 assaillant turcs, et faisant d’Arkadi un des lieux de mémoire majeurs de la Grèce contemporaine.

L'assaut du monastère d'Arkadi, Crète (8 novembre 1866)

Venizélos prend en main le sort de la Crète

En 1875, la Grèce, qui a établi le suffrage universel masculin en 1864, devient une véritable monarchie parlementaire.

En effet, cette année-là, en nommant Charilaos Trikoupis Premier ministre, Georges Ier se rallie au principe défendu par celui-ci : un gouvernement ne peut accéder au pouvoir sans une manifestation explicite de la confiance du Parlement ; il ne peut s’y maintenir dès lors que ce dernier vote la défiance. Et durant ses sept passages à la tête du gouvernement (pour près de onze ans au total) jusqu’en 1895, Trikoupis donne au pays son premier élan de modernisation. Il sera le modèle du jeune Venizélos.

Étudiant en droit à Athènes, Élefthérios Venizélos s’illustre pour la première fois en 1886, par une réponse cinglante, dans la presse, au Premier ministre britannique Joseph Chamberlain qui, de passage à Athènes, a déclaré que les Crétois n’aspirent pas à l’union avec la Grèce.

De retour en Crète peu après, il fonde un journal, La Montagne blanche, qui défend un programme de modernisation inspiré par la politique de Trikoupis. Puis est élu député en 1889.

Elefthérios Venizélos vers 1897C'est l’un des chefs du groupe libéral pour lequel l’Énosi, c’est-à-dire le rattachement à la Grèce, s’imposera d’elle-même.

Mais la minorité musulmane n’accepte pas plus cette démarche gradualiste que les chrétiens conservateurs qui exigent l’Énosi immédiate.

L’autoritaire sultan Abdül-Hamid ne laissera pas passer l’occasion des troubles que provoquent ces deux groupes : le gouverneur chrétien est remplacé par un amiral musulman, la loi martiale proclamée, l’Assemblée dissoute, toutes les libertés sont suspendues ; la répression replonge l’île dans les pires heures de son histoire.

Au printemps 1896, les musulmans se livrent à de véritables pogroms avec la complaisance de l’armée, comme en Arménie à la même époque.

Les chrétiens qui contrôlent l’intérieur de l’île se dotent d’une direction collective (Épitropie ou Conseil des réformes).

En Grèce, l’émotion est immense mais depuis la banqueroute partielle de 1893, les finances publiques sont sous la tutelle des Occidentaux et le gouvernement contraint au statu quo.

À l’hiver 1897, les musulmans reprennent meurtres et exactions. Cette fois, la Grèce réagit en dépêchant sur place deux mille hommes.

Devant le risque de guerre entre la Grèce et l’empire ottoman, les Puissances décident enfin d’intervenir, en bombardant… les insurgés chrétiens ! Puis elles débarquent des troupes dans les principaux ports.

Le modéré et légaliste Venizélos a rejoint le camp retranché des Grecs, à Akrotiri. Face aux Anglais, il refuse d’amener le pavillon grec, se taillant du même coup une réputation de courage physique et de patriotisme intransigeant.

Tandis que la Grèce s’engage, sur le continent, dans une désastreuse guerre contre les Ottomans qu’elle perd en trente jours, la Crète fait l’expérience de l’autonomie.

Réaliste, Venizélos prône la coopération avec les amiraux qui ont pris l’administration en main, chacun dans une zone, et initient des réformes. Puis une Assemblée est élue, qui désigne un comité de cinq membres – dont Venizélos –, auquel les amiraux transfèrent certains pouvoirs en attendant l’arrivée d’un haut-commissaire.

Mais avant même sa nomination, les musulmans de l’île se livrent à de nouveaux pogroms antichrétiens. Cette fois, Londres prie l’armée ottomane de rembarquer. Elle est suivie par nombre des Crétois musulmans qui ne se voient plus d’avenir sans sa présence.

Le haut-commissaire sur lequel s’entendent finalement les Puissances sera le prince Georges, le deuxième fils du roi des Hellènes. Un choix hasardeux. Mais lorsqu’il débarque d’un navire de guerre français, le 21 décembre 1898, il n’en est pas moins accueilli en libérateur par la population.

Venizélos devient l’un des membres les plus actifs de la commission chargée de rédiger une Constitution. Adoptée par l’Assemblée crétoise puis corrigée par les Puissances (celles-ci refusent que le haut-commissaire soit élu), elle est promulguée le 29 avril 1899 sans même que la Porte ait été consultée.

La Crète entre ainsi dans l’univers de l’État de droit occidental : garantie des droits et libertés publics et individuels, abolition de l’esclavage, prohibition de la torture, répartition des pouvoirs entre un prince irresponsable et une Chambre élue au suffrage universel masculin direct…

Publié ou mis à jour le : 2020-05-09 11:38:00

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