622 au XXe siècle

L'esclavage en terre d'islam

Après la mort du prophète Mahomet et la soumission de la péninsule arabe, les musulmans ont conquis les rives méridionales et orientales de la Méditerranée. Multipliant les prises de guerre, ils ont prolongé dans ces régions l'esclavage à la mode antique. Ils ont inauguré aussi une longue et douloureuse traite négrière qui a saigné l'Afrique noire jusqu'à la fin du XIXe siècle.

L'esclavage en terre d'islam est hélas une réalité qui dure comme le montrent l'anthropologue Malek Chebel et l'historien Tidiane N'Diaye.

Islam et esclavage

Le Coran, texte sacré de l'islam, entérine l'existence de l'esclavage (voir la sourate XVI, Les abeilles) tout comme d'ailleurs les textes bibliques. Notons que le premier muezzin désigné par le Prophète pour l'appel à la prière est un esclave noir du nom de Bilal originaire d'Éthiopie.

La loi islamique ou charia, qui s'appuie sur le Coran et les dits du prophète (hadiths), considère qu'en pays d'islam, seuls sont esclaves les enfants d'esclaves et les prisonniers de guerre. Elle autorise d'autre part la réduction en esclavage de quiconque provient d'un pays non musulman. Mais si un esclave vient à se convertir, il n'est pas affranchi pour autant (note).

Très tôt, les Arabes raflent les jeunes gens et surtout les jeunes filles des pays qu'ils envahissent. Dans le dernier tiers du VIIe siècle, en Afrique du Nord, c'est quatre cent mille personnes qui sont asservies et transférées en Orient selon l'historien Mohamed Talbi (L'Émirat aghlabide, 1966). Les jeunes filles sont particulièrement appréciées si l'on en croit l'historien andalou Al Bakri (XIe siècle), cité par Bernard Lugan : « À Aoudaghost [Mauritanie] on rencontre des jeunes filles au beau visage, au teint clair, au corps souple, aux seins bien droits, à la taille fine, aux épaules larges, à la croupe abondante, au sexe étroit ; celui qui a le bonheur d’en posséder une y prend autant de plaisir qu’avec une vierge. » Les jeunes hommes sont quant à eux souvent castrés (dico) pour servir dans les harems. 

Une économie fondée sur l'esclavage

L'esclavage est ainsi rapidement devenu l'un des piliers de l'économie des empires arabo-musulmans de Damas et Bagdad du fait de très nombreuses prises de guerre et de l'avènement d'une très riche bourgeoisie urbaine. Pour s'en convaincre, il n'est que de lire Les Mille et une Nuits. Ces contes arabes sont censés se dérouler sous le règne du calife Haroun al-Rachid, contemporain de Charlemagne. Ils ne tarissent pas de commentaires brutaux ou salaces sur les relations entre Arabes et Noirs. 

Les harems du calife et des notables de Bagdad se remplissent de Circassiennes. Il s'agit de femmes originaires du Caucase et réputées pour leur beauté ; ces belles esclaves ont continué jusqu'au XXe siècle d'alimenter les harems orientaux en concurrence avec les beautés noires originaires d'Éthiopie.

Pour les tâches domestiques et les travaux des ateliers et des champs, les sujets du calife recouraient à d'innombrables esclaves en provenance des pays slaves, de l'Europe méditerranéenne et surtout d'Afrique noire.  D'autres esclaves et eunuques ont été employés comme soldats et chefs de guerre par les différentes dynasties musulmanes, du Maroc aux Indes. Ces esclaves-là accèdent parfois à des fonctions élevées, voire au pouvoir suprême. Ainsi en est-il des fameux Mamelouks d'Égypte (dico), que Bonaparte combattit en 1798.

Mais du fait de la rapidité même de leurs conquêtes et de l'impossibilité d'asservir les habitants des pays soumis à leur loi et à leur foi, les Arabes se sont très vite heurtés à une pénurie d'esclaves et ont dû se tourner vers le monde extérieur : la chrétienté et l'Afrique noire...

Esclaves blancs en terre d'islam

Dans les premiers temps de l'islam, les notables de Damas et de Bagdad s'approvisionnaient en esclaves blancs auprès des tribus guerrières du Caucase. Ils s'approvisionnaient aussi auprès des Européens. Les commerçants de Venise et Gênes ont ainsi fait fortune en leur livrant des prisonniers de guerre originaires des Balkans. Il s'agissait de régions slaves encore païennes, d'où notre mot « esclave », dérivé d'Esclavon ou Slave, pour remplacer servus, esclave en latin.

À la fin du Moyen Âge, comme le vivier slave s'épuise du fait de la christianisation de l'Europe orientale, les musulmans font appel aux pirates qui écument la Méditerranée. Ces derniers effectuent des razzias sur les rivages européens. Afin de leur résister au mieux et de prévenir leurs attaques, les habitants délaissent la côte et construisent leurs villages sur les crêtes qui dominent la mer. Le souvenir de leurs combats perdure dans... la tête de prisonnier maure qui sert d'emblème à la Corse.

Les pirates barbaresques témoignent dans la chasse aux esclaves d'une audace sans limite. Ils n'hésitent pas à écumer l’océan Atlantique jusqu’aux limites du cercle polaire. Les chroniques gardent le souvenir d'un raid des barbaresques algérois en 1627 sur l’Islande d'où ils ont ramené 400 captifs ou encore d'une attaque du village de Baltimore, en Irlande, le 20 juin 1631, dont tous les habitants ont été enlevés ou tués.

On estime d'un à 2,5 millions le nombre d'habitants enlevés en Europe occidentale entre le XVIe et le XVIIIe siècle, au temps de François Ier, Louis XIV et Louis XV. Ces esclaves, surtout des hommes, sont exploités de la pire des façons dans les orangeraies, les carrières de pierres, les galères ou encore les chantiers d'Afrique du nord. Des organisations chrétiennes déploient beaucoup d'énergie dans le rachat de ces malheureux, tel Miguel de Cervantès ou plus tard saint Vincent de Paul.

En Europe orientale et dans les Balkans, pendant la même période, les Ottomans prélèvent environ trois millions d'esclaves.

Jusqu’au début du XIXe siècle, les princes de la côte nord-africaine tirent eux-mêmes de grands profits de la piraterie en imposant de lourds tributs aux armateurs occidentaux en échange de la garantie que leurs navires ne seront pas attaqués par les pirates. En 1805, le président américain Thomas Jefferson lance une expédition navale contre le dey de Tripoli, en Libye, pour l’obliger à renoncer à ce rackett. Le dey d’Alger poursuivra quant à lui ce commerce jusqu’à la conquête française en 1830.

Esclaves noirs en terre d'islam

Si la traite des esclaves blancs a rapidement buté sur la résistance des Européens, il n'en a pas été de même du trafic d'esclaves noirs en provenance du continent africain, où l'esclavage est une institution solidement établie.

La traite arabe a commencé en 652, vingt ans après la mort de Mahomet, lorsque le général arabe Abdallah ben Sayd a imposé aux chrétiens de Nubie (les habitants de la vallée supérieure du Nil) la livraison de 360 esclaves par an. La convention, très formelle, s'est traduite par un traité (bakht) entre l'émir et le roi de Nubie Khalidurat. Ce trafic n'a cessé dès lors de s'amplifier. Les musulmans « blancs » de la frange sahélienne (Peuls, Touaregs, Toubous etc) ont multiplié les attaques contre les villages des noirs de la forêt et enlevé les meilleurs éléments pour les vendre aux habitants de l'empire ottoman ou du Maroc. 

Beaucoup de ces esclaves vont servir comme domestiques dans les harems après avoir été castrés (dico) pour empêcher qu'ils ne fassent souche et parce que le réapprovisionnement est facile et bon marché. Beaucoup sont aussi envoyés dans le bas Irak pour assainir cette région marécageuse et travailler dans les plantations de canne à sucre. 

Le trafic suit d'abord les routes transsahariennes. Des caravanes vendent, à Tombouctou par exemple, des chevaux, du sel et des produits manufacturés. Elles en repartent l'année suivante avec de l'or, de l'ivoire, de l'ébène et, donc, des esclaves pour gagner le Maroc, l'Algérie, l'Égypte et, au-delà, le Moyen-Orient. Au XIXe siècle se développe aussi la traite maritime entre le port de Zanzibar (aujourd'hui en Tanzanie) et les côtes de la mer Rouge et du Golfe persique.

Le sort de ces esclaves, razziés par les chefs noirs à la solde des marchands arabes, est dramatique. Après l'éprouvant voyage à travers le désert, les hommes et les garçons sont systématiquement castrés avant leur mise sur le marché, au prix d'une mortalité effrayante, ce qui fait dire à l'anthropologue et économiste Tidiane N'Diyae : « Le douloureux chapitre de la déportation des Africains en terre d'Islam est comparable à un génocide. Cette déportation ne s'est pas seulement limitée à la privation de liberté et au travail forcé. Elle fut aussi - et dans une large mesure- une véritable entreprise programmée de ce que l'on pourrait qualifier d'"extinction ethnique par castration" »  (note).

Les contes des Mille et Une Nuits, écrits au temps du calife Haroun al-Rachid (et de Charlemagne), témoignent des mauvais traitements infligés aux esclaves noirs et du mépris à leur égard (bien qu'ils fussent souvent musulmans, comme leurs maîtres). C'est au point que le mot arabe abid, qui signifie « serviteur », devient synonyme de noir.

Ce mépris, légitimé par la malédiction de Cham, a perduré au fil des siècles. Ainsi peut-on lire sous la plume de l'historien arabe Ibn Khaldoun (1332-1406) : « Il est vrai que la plupart des nègres s'habituent facilement à la servitude ; mais cette disposition résulte, ainsi que nous l'avons dit ailleurs, d'une infériorité d'organisation qui les rapproche des animaux brutes. D'autres hommes ont pu consentir à entrer dans un état de servitude, mais cela a été avec l'espoir d'atteindre aux honneurs, aux richesses et à la puissance » (Les Prolégomènes, IV). Ces propos précèdent de deux siècles la traite atlantique des Occidentaux.

Les spécialistes évaluent de douze à dix-huit millions d'individus le nombre d'Africains victimes de la traite arabe au cours du dernier millénaire, du VIIe au XXe siècle. C'est à peu près autant, peut-être même plus que la traite européenne à travers l'océan Atlantique, du XVIe siècle au XIXe siècle. « Comparé à la traite des Noirs organisée par les Européens, le trafic d'esclaves du monde musulman a démarré plus tôt, a duré plus longtemps et, ce qui est plus important, a touché un plus grand nombre d'esclaves », écrit l'économiste Paul Bairoch (note). Cet auteur note aussi qu'il ne reste plus guère de trace des esclaves noirs en terre d'islam en raison de la généralisation de la castration, des mauvais traitements et d'une très forte mortalité, alors que leurs descendants sont au nombre d'environ 70 millions sur le continent américain (note).

Les contingents très importants de main-d'oeuvre servile ont contribué à la stagnation économique du monde musulman en décourageant l'innovation technique et sociale. Ils ont causé aussi de nombreux troubles. C'est ainsi qu'à la fin du IXe siècle, la terrible révolte des Zendj (d'un mot arabe qui désigne les esclaves noirs), dans les marais du sud de l'Irak, a entraîné l'empire de Bagdad sur la voie de la ruine et de la décadence.

Alban Dignat
Publié ou mis à jour le : 2024-02-07 17:53:07

Voir les 22 commentaires sur cet article

Alkap (14-06-2020 11:58:19)

Pourquoi l'excellent ouvrage de Pétré-Grenouilleaux sur ce sujet n'est même pas cité en référence? Politiquement incorrect?Herodote.net répond : l'ouvrage en question est cité à propos d'autr... Lire la suite

Anonyme (26-02-2018 20:01:46)

le grand Carolus fut un bon pourvoyeur de "Slaves" qui refusaient la christianisation qu'il leur imposait, il fut longtemps en bute avec les saxons. Verdun ne fut elle pas à cette époque le centre... Lire la suite

Lainé (27-11-2017 10:30:33)

Je pense utile à la vérité de rappeler que le mot même "d'esclave" porte en lui l'origine.... slave de millions de victimes de l'esclavage. Fut-ce au prix du politiquement correct du moment !... Lire la suite

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