Tidiane N'Diaye (Gallimard - Continents noirs, 253 pages, 21,50 €, 2008)
Ce nouvel essai de l'anthropologue Tidiane N'Diaye, auteur de L'éclipse des dieux, fait le point sur l'esclavage en Afrique depuis la haute Antiquité. Il souligne le caractère monstrueux de la traite saharienne, qui conduisit les Arabes à razzier l'Afrique noire pendant treize siècles sans interruption.
Tidiane N'Diaye brosse le portrait de l'Afrique avant la pénétration de l'islam. Dans son infinie variété, le continent présente des sociétés hiérarchisées, généralement organisées autour du matriarcat et d'un système de « castes » très hiérarchisé.
Dans ces sociétés, les esclaves, captifs ou esclaves de naissance, représentent environ un quart de la population. Ils font partie de la famille au sens large, avec un statut qui les rapproche des serfs du Moyen Âge bien plus que des esclaves des plantations sucrières du Moyen-Orient ou d'Amérique.
Ils servent comme esclaves de case, esclaves de champ ou aussi bien comme guerriers. Les témoignages de voyageurs ne font pas état de sévices et de maltraitance particulière à leur égard et au temps de la colonisation, beaucoup d'Européens, tels Faidherbe ou Gallieni, répugneront à détruire cette forme de servitude avec le système social qui la soutient.
Tout autre est l'esclavage introduit par les conquérants et les trafiquants arabes dès le VIIIe siècle. Celui-ci s'accompagne de brutalités extrêmes, à commencer par la castration en ce qui concerne les hommes et les viols en ce qui concerne les femmes. Il se double d'un immense mépris pour les Noirs. Ce mépris est réciproque comme l'observe le voyageur écossais Mungo Park, à la fin du XVIIIe siècle. Les « Maures » sont craints tout autant que haïs par les sédentaires noirs de l'Afrique de l'Ouest.
La castration, effectuée sans ménagement avant la traversée du désert ou de l'océan, se solde par une mortalité effroyable, sans doute les trois quarts des hommes concernés. À la grande différence de la traite atlantique, la traite saharienne et la traite dans l'océan indien vont de ce fait se solder par la quasi-disparition des populations d'esclaves. Rares sont ceux qui feront souche au Moyen-Orient et en Égypte. Cette éradiquation méthodique a inspiré le titre de cet essai : Le génocide voilé.
En s'appuyant sur les témoignages des voyageurs, comme le géographe de Cordoue Al Bakri, Tidiane N'Diaye décrit avec brio le développement de la traite saharienne puis de la traite maritime, au départ de Zanzibar et à destination de la péninsule arabe, au XIXe siècle. Cette dernière bénéficie de l'acceptation tacite des Britanniques, intéressés au maintien de bonnes relations avec les trafiquants de l'océan Indien, au premier rang desquels Tippou Tip, célèbre négrier de Zanzibar.
Le génocide voilé est un ouvrage très documenté qui témoigne d'une grande érudition. Bien écrit, il se lit avec aisance. Il permet de comprendre la complexité d'un phénomène, l'esclavage des Africains, qui ne se réduit pas, loin de là, à la traite atlantique pratiquée par les Européens.
Voir : L'esclavage en terre d'islam
Publié ou mis à jour le : 10/06/2016 09:42:47
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