Ce recueil de contes populaires arabes est le plus universel qui soit : qui ne connaît Shéhérazade, Aladin, Ali Baba et les quarante voleurs ou Sindbad le marin ? C'est aussi le plus mystérieux. Sa genèse commence à peine à être connue des spécialistes.
Une découverte tardive par Antoine Galland
À la fin du XVIIe siècle, un diplomate de Louis XIV en poste à Constantinople demande à son secrétaire Antoine Galland de collecter des informations sur l'empire ottoman. Très doué pour les langues, Antoine Galland s'exécute avec brio et achète de façon compulsive des manuscrits dans toutes les langues de l'Orient.
De retour en France, il commence à mettre en forme ses notes de voyage. Là-dessus, en 1701, des amis d'Alep (Syrie) lui envoient un épais manuscrit destiné à le distraire. Il s'agit du premier tome d'un recueil de contes.
Antoine Galland en perçoit de suite la saveur romanesque. Il traduit les contes avec une grande habileté de plume et les publie en 1704 sous le titre : Les Mille et Une Nuits. Ils recueillent un immense succès auprès du public et vont contribuer, avec les peintures de Jean Baptiste Vanmour, à mettre l'Orient à la mode. Ainsi Montesquieu écrira-t-il plus tard les Lettres persanes et Voltaire Zadig.
Mais il y a un hic. Le recueil s'arrête à la 282e nuit et, faute de trouver les manuscrits suivants, Antoine Galland se rend soir après soir chez l'un de ses amis syriens, Hannâ Diyâb, qui est établi à Paris et divertit ses invités en leur racontant des contes de son pays. Antoine Galland prend scrupuleusement des notes et obtient de son jeune ami qu'il les corrige. C'est plus tard, à travers le journal intime d'Hannâ Diyâb, que l'on aura connaissance de ce manège.
Toujours est-il que les contes complémentaires d'Antoine Galland, publiés jusqu'à sa mort en 1715, vont au final se révéler très proches des contes originels, révélés dans des manuscrits antérieurs. Fruits d'une culture orale, ces contes connaissent autant de variantes que de conteurs mais sont issus d'un fond commun très ancien, comme on le verra plus loin.
Le succès des contes en France - et plus généralement en Occident - conduit les lettrés d'Orient et du Caire en particulier à s'y intéresser à leur tour, malgré leurs préjugés d'intellectuels. C'est que ces contes relèvent d'une culture citadine bourgeoise et sont exprimés en langue arabe « médiane », entre l'arabe dialectal (populaire) et l'arabe littéraire classique, ce qui nuit à leur prestige.
Une première édition complète en langue arabe est imprimée en 1835 par l'imprimerie de Bûlâq, dans la banlieue du Caire, avec les encouragements du pacha Méhémet Ali, fondateur de l'Égypte moderne. Cette édition porte le titre « Alf layla wa-layla » (Mille nuits et une nuits), jugé plus percutant que le titre ancien « Alf layla » (Mille nuits).
Elle compte un total de 169 contes quand le recueil d'Antoine Galland n'en comptait que 70. Parfois qualifiée de « Vulgate du Caire », elle est devenue la référence en la matière. Il n'empêche que son contenu souvent leste, qui expose des femmes légères et des hommes ivrognes, lui vaut d'être aujourd'hui condamné par les fanatiques d'un islam aux couleurs de la mort.
En attendant, à la Belle Époque, Charles Mardrus, médecin maritime de son état et ami de Stéphane Mallarmé, tue le temps en traduisant la Vulgate du Caire. Il en souligne tout particulièrement les aspects drus et érotiques. Publiée en 1904, cette deuxième traduction, autrement plus salace que celle de Galland, recueille un succès foudroyant auprès du public cultivé.
L'année suivante, le cinéaste Georges Méliès s'en inspire pour l'un de ses premiers films, avec des scènes colorisées à la main. Déjà, en 1902, de l'autre côté de l'Atlantique, Thomas Edison, pionnier du cinéma, a produit un court-métrage inspiré de l'histoire d'Ali Baba et des quarante voleurs. Les Mille et Une Nuits inspirent aussi en 1926 le premier film d'animation, Les aventures du prince Ahmed. Innombrables sont depuis lors les adaptations des contes au cinéma mais aussi à l'opéra, au théâtre, etc.
Plus fort que tout, les célèbres Ballets russes de Diaghilev créent en 1910 le ballet Schéhérazade sur une musique de Rimski-Korsakov, mais le sujet est moins la conteuse que la reine adultérine Zobéida qui trompa Shariyar avec un esclave noir. Les deux amants sont joués par Ida Rubinstein et Vaslav Nijinsky. Ils font les délices du tout-Paris.
Une origine indienne
À la fin du XIXe siècle, une étudiante américaine découvre dans une bibliothèque du Caire un fragment de vieux papier qui porte quelques lignes manuscrites. Il y est fait référence à une certaine Shéhérazade et à mille nuits ! Elle comprend qu'elle a affaire à une édition du célèbre recueil. L'analyse va montrer que le papier remonte à l'an 878 de notre ère. C'est la plus ancienne trace écrite connue à ce jour des Mille et Une Nuits.
Le fait que le document soit du papier et non du luxueux parchemin, et qu'il soit, qui plus est, couvert d'autres inscriptions, témoigne du peu d'estime dans lequel les lecteurs tenaient ce recueil de contes.
Les études linguistiques ont permis depuis lors d'identifier les lointaines origines des Mille et Une Nuits. Le récit qui ouvre le recueil, autour de Shéhérazade et du roi Shariyar, dérive très directement d'un conte indien passé en Perse, Kalila et Dimna. Les noms des héros précités sont eux-mêmes typiquement persans.
Rappelons brièvement la structure du recueil : tout commence quand le roi Shariyar découvre l'adultère de son épouse, qu'il croyait pure et au-dessus de tout soupçon. Consterné plus qu'il n'est permis, il décide d'épouser une vierge chaque jour et de la mettre à mort au terme de la nuit de noces. Ainsi en va-t-il pendant mille jours. Mais cela n'est pas du goût de son peuple qui rechigne à livrer de nouvelles victimes au minotaure.
Le vizir craint la colère de son maître s'il n'arrive plus à l'approvisionner en chair fraîche. Sa propre fille Shéhérazade, voyant son désespoir, propose d'être la prochaine victime mais rassure son père tant qu'elle peut...
Pendant la nuit de noces, suivant un plan convenu à l'avance, sa jeune soeur Dinarzade se présente à la porte de la chambre et supplie le roi de lui accorder la faveur d'entendre sa soeur lui raconter une dernière histoire, comme elle en avait pris l'habitude depuis plusieurs années. Soit, dit le roi. Et l'un et l'autre écoutent béatement Shéhérazade. À l'aurore, elle s'interrompt. Le roi, impatient d'entendre la suite, la supplie. Mais Shéhérazade ne fléchit pas et remet la suite à la nuit prochaine...
Ainsi va-t-elle maintenir en haleine son époux pendant mille et une nuits, au terme desquelles celui-ci lui accordera la vie et son amour.
Le stratagème de Shéhérazade tient dans un récit à tiroirs : à l'intérieur de chaque conte, un personnage raconte un épisode de sa vie ou un autre conte, de façon à entretenir l'attention des auditeurs (les contes sont avant tout oraux). Cette forme de récit est caractéristique d'un genre littéraire indo-persan destiné à éduquer les fils des rois et des gouvernants en leur montrant des personnages auxquels ils peuvent s'identifier et appelé pour cette raison : « Miroir des princes ».
Ces récits sont plus tard devenus de purs divertissements à l'usage des citadins, dans les grandes métropoles orientales, en particulier Bagdad, Damas et Le Caire. Ils mettent en scène aussi bien de grands souverains, tel le calife Haroun al-Rachid et son vizir Jafar, que de très humbles portefaix (porteurs, hommes à tout faire) ou d'habiles marchands.
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