Histoire des musées

Du palais des Muses à la multinationale

Rassembler des œuvres d'art pour que tous puissent les admirer, cela semble une idée toute simple. Et pourtant ! Il aura fallu des siècles pour que ce type de projet voie réellement le jour. Du simple collectionneur de curiosités à l'entreprise d'État, le chemin aura été long pour que vitrines et cadres ne proposent plus leurs trésors uniquement à une élite.

Isabelle Grégor

Bas-relief d'un piédestal, en marbre, provenant de Mantinée en Arcadie. La plaque présente trois des neuf muses tenant des instruments de musique et des rouleaux de parchemins.  Les reliefs sont de style praxitélien, IVe s. av. J.-C. Athènes, musée archéologique national. Agrandissement : Lawrence Alma-Tadema, Phidias montrant la frise du Parthénon à ses amis, 1868, musée de Birmingham.

Sous le patronage des Muses

Pas de musée sans Muses, bien sûr ! C'est grâce à ces neuf déesses sœurs que poètes, danseurs et savants grecs étaient supposés trouver l'inspiration (dico). Ces bienfaitrices n'avaient d'attention que pour les arts libéraux et ignoraient peintres et sculpteurs, considérés comme de simples artisans.

Ptolémée I (détail). Relief en pierre d'un temple de Ptolémée I. Ptolémée offre l'herbe et le papyrus d'Hathor, symboles respectifs de la Haute Égypte et de la Basse Égypte. Agrandissement : Ptolémée II Philadelphe discutant avec certains des 72 savants juifs qui ont traduit la Bible pour la grande bibliothèque d'Alexandrie, Jean-Baptiste de Champaigne, 1672, Château de Versailles. Les oeuvres de ces derniers n'en étaient appréciées par les personnes de goût et pouvaient être offertes aux dieux. Les esthètes parcouraient de longues distances pour contempler dans les temples les statues réalisées par Phidias ou Praxitèle.

Ce culte du beau va au IVe siècle av. J.-C. s'associer à celui du savoir, caractéristique du Lycée d'Aristote où a été formé l'orateur athénien Démétrios de Phalère.

Souverain ptolémaïque, probablement Ptolémée II Philadelphe, musée archéologique national de Naples. Agrandissement : Vincenzo Camuccini, Ptolémée II Philadelphe examinant un rouleau de papyrus, 1813, Naples, musée de Capodimonte.Contraint de se réfugier à Alexandrie-du-Nil en 307 av. J.-C, Démétrios suggère au roi d'Égypte Ptolémée Ier le Lagide d'ouvrir dans une aile de son palais une institution destinée à accueillir artistes, savants, livres et objets d'art. Elle est baptisée Muséion en référence à la tradition grecque.

Cette institution reste la plus belle illustration de l'hellénisme. Elle réunit les savants de toutes les disciplines. Parmi eux le mathématicien Euclide, le poète Théocrite, les mathématiciens Ératosthène et Hipparque, le géographe Strabon, l'astronome Ptolémée, l'ingénieur Archimède... Démétrios de Phalère inclut aussi dans l'enceinte de l'établissement une immense bibliothèque. Au fil des siècles, elle recueillera jusqu'à 700 000 manuscrits, soit l'essentiel du savoir antique.

Les Romains vont reprendre l'idée de Ptolémée à leur compte sous le nom de Museum (d'où nous vient le mot Musée). Collecte, archivage, recherche, accueil... les grands principes des musées modernes sont déjà là.

La chasse aux oeuvres d'art

Translation des reliques de saint Foillan, 1490, musée Condé. Agrandissement : la collection d'autoportraits du musée des Offices de Florence est le fruit d'une initiative du cardinal Léopold de Médicis, à la mort duquel en 1675 toutes les Å“uvres d'art qu'il avait collectionnées passèrent en héritage à son neveu Cosme III de Médicis, grand-duc de Toscane.La fin de l'Antiquité ne marque pas la fin de la « collectionnite », bien au contraire : marchands, souverains et hommes d'Église cherchent à acquérir les reliques les plus sacrées et les oeuvres d'art les plus prestigieuses pour faire de leur cité un lieu de pèlerinage ou un point d'attraction incontournable. Et cela marche ! Les marchands vénitiens en particulier l'ont bien compris. Profitant de la faiblesse de l'empire byzantin, ils font une razzia sur les oeuvres antiques.  Lors du sac de Constantinople de 1204, ils enlèvent les quatre chevaux qui ornent l'ancien hippodrome de la ville et les replacent en façade de la basilique de Saint-Marc.

À la Renaissance, le goût pour l'Antiquité, l'émergence d'un art profane et la curiosité scientifique nourrissent la passion des riches bourgeois et des aristocrates pour les « cabinets de curiosités ». Il s'agit d'attirer amis, curieux, artistes et copistes dans ces bric-à-brac où peuvent cohabiter sculptures romaines, peintures modernes, curiosités naturelles (fossiles, fruits exotiques, etc.). 

Les papes et les princes, tout comme les grandes familles de marchands, Médicis ou Strozzi, entrent en concurrence pour s'accaparer les plus belles oeuvres de l'Antiquité comme de leur époque.

Cette passion va vite passer les Alpes et séduire François Ier qui transforme Fontainebleau en succursale de l'Art antique à coups d'achats et de répliques. Il accueille aussi dans son palais les grands artistes italiens est expose leurs oeuvres dans un « Cabinet des tableaux » de 1500 tableaux de maîtres, où leurs oeuvres côtoient celles des artistes français et des écoles du Nord. 

Frans II Franken, Peinture, Poésie et Musique, XVIIe siècle. Agrandissement : Hieronymous Francken II, La Galerie d'Art de Jan Snellinck, 1621, Bruxelles, Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique.

Au siècle suivant, le cardinal Mazarin va jusqu'à faire construire des galeries supplémentaires dans son palais pour accueillir ses centaines de tapisseries et tableaux. « Que la folle n'entre pas dans mes cabinets car elle pourrait prendre mes petites peintures ! » a-t-il écrit à Colbert lors de la venue de Christine de Suède...

Il faut quitter tout cela !

Peu de temps avant la mort de Colbert en 1683, le comte de Brienne le surprend en train d’errer parmi ses chères collections...
Il s’arrêtait à chaque pas, car il était fort faible et se tenait tantôt d’un côté, tantôt de l’autre ; et, jetant les yeux sur l’objet qui lui frappait la vue, il disait du plus profond du cœur : « Il faut quitter tout cela ! » Et se tournant, il ajoutait : « Et encore cela ! Que j’ai eu de peine à acquérir ces choses ! puis-je les abandonner sans regret ? Je ne les verrai plus où je vais ! » J’entendis ces paroles très distinctement ; elles me touchèrent peut-être plus, qu’il n’en était touché lui-même. Je fis un grand soupir que je ne pus retenir, et il m’entendit. « Qui est là ? dit-il, qui est là ? — C’est moi, monseigneur, qui attendais le moment de parler à Votre Éminence… — Approchez, approchez », me dit-il d’un ton fort dolent. [...] « Voyez-vous, mon ami, ce beau tableau du Corrège, et encore cette Vénus du Titien, et cet incomparable Déluge d’Antoine Carrache [...] ; ah ! mon pauvre ami, il faut quitter tout cela ! Adieu, chers tableaux que j’ai tant aimés, et qui m’ont tant coûté ! » (Mémoires inédits du comte de Brienne, 1828).

Giovanni Paolo Panini, Galerie de vues de la Rome antique, 1754, Stuttgart, Staatsgalerie. Agrandissement : La Tribune des Offices, John Zoffany, 1772, Royal Collection. En haut à droite, la Vénus de Médicis.

Ticket, s'il vous plaît !

Le 21 mai 1683,  c'est sous le nom de « Musaeum Ashmolianum » qu'est inauguré le premier musée au sens moderne du terme, d'après le nom du généreux mécène qui en a eu l'initiative, Elias Ashmole. Installé dans un bâtiment de l'université d'Oxford, il rassemble les collections d'un grand voyageur, John Tradescant. À l'entrée on trouve un règlement, un gardien et des tickets à acheter. Tout le monde y est admis, « même les femmes pour 6 pences ».

Johann Zoffany, La Galerie de sculpture de Charles Towneley, 1782,  Towneley Park.À l'autre extrémité du continent, à Saint-Pétersbourg, Pierre le Grand inaugure à son tour en 1719 un cabinet de curiosités ouvert au public. Le tsar a ces mots, qui peuvent surprendre dans sa bouche : « Il faut que le peuple voie et s'instruise ».

40 ans plus tard, le 15 janvier 1759, à Londres, le British Museum ouvre ses portes au public dans un hôtel particulier, Montagu House, à Bloomsbury, où il est toujours présent. Il est constitué par les collections du médecin et scientifique sir Hans Sloane (1660-1753), soit environ 80 000 objets.

C'est le premier grand musée de l'époque moderne. Ainsi que l'atteste son nom, il affiche d'emblée sa valeur de symbole national. Le pillage des marbres du Parthénon et la victoire sur Napoléon vont très vite l'enrichir et en faire aussi le plus important musée d'archéologie du monde. 

Ce musée est suivi de près par celui de l'Ermitage, à Saint-Pétersbourg (1764), et des Offices, à Florence (1765). À partir de collections constituées par les puissants, ces nouveaux lieux de culture ambitionnent de mettre le savoir à portée du plus grand nombre, de s'ouvrir « à tout visiteur », nous dit le règlement du Belvédère de Vienne, « pourvu qu'il ait des souliers propres ».

Hubert Robert, La Salle des Saisons au Louvre, vers 1802-1803, Paris, musée du Louvre. Agrandissement : Guillaume Larrue, Devant le grand Sphinx, 1830, Paris, musée du Louvre.

Le Louvre du peuple

En France, le roi Louis XV ne faillit pas à la tradition familiale. Comme ses prédécesseurs, il s'applique à collectionner les oeuvres d'art. En 1750, il affecte une galerie du palais du Luxembourg à l'exposition d'une centaine de tableaux. Mais c'est essentiellement sous l'impulsion de Louis XVI et de son ami le comte d'Angiviller, directeur général des Bâtiments du roi, qu'une véritable politique muséale se met en place.

Paul Joseph Jamin, Brennus et sa part de butin, 1898, La Rochelle, musée des Beaux-Arts.Les collections royales sont rassemblées au Louvre, restaurées, complétées par des acquisitions et pour la première fois accompagnées de cartels explicatifs. Organisation de l'accrochage dans la Grande Galerie, éclairage et sécurité font l'objet de multiples réunions et commissions à tel point que, quand la Révolution éclate, rien n'a véritablement abouti.

C'est donc aux assemblées révolutionnaires que va revenir le soin d'achever un projet qui a pris des dimensions imprévues avec la confiscation des biens du clergé, de ceux de la Couronne et des immigrés. Il faut faire vite ! Le vandalisme que dénonce l'abbé Grégoire commence à faire des ravages, et c'est dans l'urgence que, le 19 septembre 1792, est voté un décret demandant le transport au Louvre des œuvres en danger dans les palais et églises du pays.

Les conditions sont réunies pour qu'un an après la chute de la royauté, la Convention décide de la création d'un « Museum des arts de la République », ce qui est chose faite le 18 novembre 1793.

Dans le même temps, les députés confient à un passionné d'art, Alexandre Lenoir, le soin de collecter les objets précieux issus des biens nationaux et menacés de destruction. Alexandre Lenoir se démène pour entreposer tout ce qu'il peut dans le couvent des Petits-Augustins, qui deviendra en 1795 le musée des monuments français (c'est aujourd'hui l'École nationale des Beaux-Arts).

Prises de guerre napoléoniennes, caricature de 1815.

Pillages en règle

Cinq ans plus tard, fort de ses victoires en Italie, le général Bonaparte pille les palais et les églises de la péninsule pour le bénéfice du Directoire. Ce sont alors des défilés grandioses qui accompagnent l'arrivée à Paris de l'Apollon du Belvédère, des chevaux de la basilique Saint-Marc ou encore des toiles de Raphaël.

Louis-Charles-Auguste Couder, Napoléon Ier visitant l'escalier du musée du Louvre, 1833, Paris, musée du Louvre. Agrandissement : l'Apollon du BelvédèrePour diriger le Louvre... et superviser ces pillages, Bonaparte, devenu Premier Consul, fait appel à un personnage haut en couleurs,  Vivant Denon.

Mais du fait de la nationalisation des biens du clergé et des émigrés, ainsi que des rapines des armées révolutionnaires à travers l'Europe, le gouvernement de la République est débordé par des oeuvres d'art dont il ne sait que faire.

À la demande du Premier Consul, le ministre de l'Intérieur Jean-Antoine Chaptal publie un arrêté le 13 fructidor an IX (31 août 1801) en vue d'instituer quinze musées dans autant de grandes villes françaises.

Chaptal propose de répartir entre chacune des villes concernées des lots tels que « chaque collection présente une suite intéressante de tableaux de tous les maîtres, de tous les genres, de toutes les écoles ». Le 1er septembre 1801, paraît un autre décret qui impose aux villes de préparer à leurs frais « une galerie convenable » pour recevoir lesdites œuvres. Ainsi vont naître les musées des Beaux-Arts de Lyon, Marseille, Bordeaux, Toulouse, Genève (annexé à la France), etc.

Avec la chute de Napoléon, la plupart des œuvres spoliées vont reprendre le chemin du retour mais l'élan aura été donné à la création de musées par les souverains européens soucieux du prestige de leur État et de l'instruction du peuple. Tous veulent « leur Louvre » : c'est ainsi qu'en 1811 s'ouvre le Prado à Madrid, en 1816 l'Alte Pinakothek à Munich, en 1823 la National Gallery à Londres...

En 1824, le roi de Sardaigne Charles-Félix achète une fabuleuse collection de pièces de l'Égypte pharaonique accumulée par Vitaliano Donati, premier Européen à avoir fouillé la vallée du Nil. Il fonde à Turin un musée égyptologique, le premier du genre et, encore aujourd'hui, le plus beau et le plus important après celui du Caire !

François Biard, Quatre heures, au Salon, 1847, Paris, musée du Louvre ; agrandissement : Jean-Auguste Bard, Inauguration de la galerie des Batailles, le 10 juin 1837, Versailles.

À chaque nation son musée

Léon-Matthieu Cochereau, Vue de la salle du XVIIème siècle au musée des Monuments Français, avant 1816, musées de Reims. Agrandissement : Jean Luigini, Émile Etienne Guimet, créateur et fondateur des musées Guimet, 1898, Lyon, musée des Confluences.

La passion pour l'art et le patrimoine apparaît au XIXe siècle comme un succédané de la ferveur religieuse. Cela tombe bien, la révolution industrielle et les conquêtes coloniales permettent aux grandes nations européennes de s'enrichir à peu de frais.

Diplomates, aventuriers, militaires et savants courent le monde en quête de trésors ignorés. C'est ainsi que les marbres du Parthénon, la Vénus de Milo ou encore les taureaux ailés de Khorsabad vont prendre le chemin de l'Europe.

Les musées et le patrimoine concourent au développement du sentiment national. Louis-Philippe Ier, dans un souci d'œcuménisme, restaure le palais de Versailles, à l'abandon depuis le départ de Louis XVI, en octobre 1789, et y installe le 10 juin 1837 un musée de l'Histoire de France, avec, au fronton, l'inscription : « À toutes les gloires de la France ». Le clou de ce musée est la Galerie des batailles, ornée de grandes peintures commandées par le roi aux artistes de l'heure pour illustrer les grands moments de l'Histoire de France !

Le souverain suivant, Napoléon III, se montre tout aussi désireux d'exalter la nation. Passionné par l'Antiquité, Jules César et la guerre des Gaules, il ouvre le musée des Antiquités nationales trente ans plus tard, en 1867, dans le château de Saint-Germain-en-Laye.

Dans le même sens, afin de renforcer le sentiment national et le prestige de leur capitale, les rois de Prusse s'appliquent à partir de 1830 à aménager un ensemble muséal au coeur de Berlin, sur une île de la Spree, à deux pas du Palais Royal. C'est l'île aux musées. Elle en compte cinq, le plus célèbre étant le musée de Pergame, ouvert en 1910 pour accueillir entre autres le grand autel de Pergame, un monument hellénistique en grande partie restauré. 

En Europe et plus encore aux États-Unis, bourgeois, banquiers et industriels ne sont pas en reste. Comme il serait présomptueux de prétendre tous les citer, évoquons seulement l'industriel lyonnais Émile Guimet. Collectionneur passionné d'arts asiatiques, il ouvre en 1889 derrière les Champs-Élysées le musée des Arts asiatiques qui porte son nom.

À New-York, dans les années 1930, des collectionneurs privés mettent en commun une centaine de tableaux impressionnistes dans ce qui deviendra le prestigieux MoMA (Museum of Modern Art). Son architecture résolument contemporaine rompt avec le modèle antique caractéristique des musées antérieurs.

La Russie n'est pas en reste. Une oligarchie outrageusement riche s'achète une conscience civique en collectionnant les oeuvres des artistes contemporains ou défunts avant de les léguer à l'État (ou de se les faire saisir par le gouvernement révolutionnaire). Les Parisiens ont ainsi pu découvrir ces dernières années à la Fondation Vuitton les collections Chtchoukine et Morozov. 

Gervaise et la Joconde

Ne pouvant aller se promener à la campagne, les invités de la noce de Gervaise se rendent au Louvre... Cette célèbre scène de L'Assommoir permet surtout à Émile Zola de rappeler que, si les musées sont ouverts à tous, il est encore difficile au peuple de vraiment accéder à la culture.
« D’un geste, [M. Madinier] commanda une halte, au milieu du salon carré. Il n’y avait là que des chefs-d’œuvre, murmurait-il à demi-voix, comme dans une église. On fit le tour du salon. Gervaise demanda le sujet des Noces de Cana ; c’était bête de ne pas écrire les sujets sur les cadres. Coupeau s’arrêta devant la Joconde, à laquelle il trouva une ressemblance avec une de ses tantes. Boche et Bibi-la-Grillade ricanaient, en se montrant du coin de l’œil les femmes nues ; les cuisses de l’Antiope surtout leur causèrent un saisissement. Et, tout au bout, le ménage Gaudron, l’homme la bouche ouverte, la femme les mains sur son ventre, restaient béants, attendris et stupides, en face de la Vierge de Murillo.
Le tour du salon terminé, M. Madinier voulut qu’on recommençât ; ça en valait la peine. […] la noce se lança dans la longue galerie où sont les écoles italiennes et flamandes. Encore des tableaux, toujours des tableaux, des saints, des hommes et des femmes avec des figures qu’on ne comprenait pas, des paysages tout noirs, des bêtes devenues jaunes, une débandade de gens et de choses dont le violent tapage de couleurs commençait à leur causer un gros mal de tête » (Zola, L'Assommoir, 1877).

Paolo Veronese, Les Noces de Cana, 1563, Paris, musée du Louvre. Agrandissement : Bartolomé Esteban Murillo, La Cuisine des anges, 1646, Paris, musée du Louvre.

Sens dessus dessous

Le Centre Pompidou vu de l'Esplanade. Agrandissement : Vue du musée Guggenheim de Bilbao.Garant des valeurs artistiques, le musée est devenu pour les artistes le lieu incontournable qui, seul, pourra faire entrer leurs œuvres dans la postérité. Nombreux sont ceux qui s'attachent de leur vivant à créer un lieu d'exposition permanent, à la manière d'Auguste Rodin qui va bénéficier d'un musée à sa gloire dans un hôtel magnifique au bord de l'esplanade des Invalides (1919) ou de Claude Monet dont les Nymphéas vont devenir le clou du musée de l'Orangerie, dans le jardin des Tuileries (1927).

Place à l'audace, et donc à la polémique : le Centre Pompidou (1977), qualifié de « raffinerie », la pyramide du Louvre (1989) et le musée en titane Guggenheim de Bilbao (1997) durent en leur temps répondre de leurs allures trop futuristes ou décalées.

En ce XXIe siècle, l'art est avec le sport un substitut aux grandes idéologies passées (religion, politique, philosophie), le dernier vecteur de sens social. Les musées et les expositions attirent plus de foules que les rassemblements religieux ou politiques. Pour les édiles municipaux, l’érection d’un musée d’art est peut-être même en passe de devenir l’équivalent de l’érection des cathédrales au Moyen Âge. Il n’est que de considérer le Centre Pompidou et le Musée d’Orsay à Paris, la Tate Modern Gallery à Londres, la Fondation Guggenheim à Bilbao, qui se donne pour vocation d’initier le public à l’art contemporain, ou encore le MAXXI (Musée d'Art du XXIe siècle) à Rome.

Georges Leroux, Dans la Grande Galerie du musée du Louvre, milieu XXe siècle, Paris, musée du Louvre. Agrandissement : La Piscine, musée d'art et d'histoire à Roubaix

Abu Dabi, musée du Louvre. Agrandissement : Musée d'art Sagawa à Moriyama, préfecture de Shiga, JaponL'art s'affiche partout. Anciennes gares, usines et piscines, tout est bon pour permettre au public de découvrir le patrimoine. À ces reconversions s'ajoutent des implantations ex nihilo chargées de revitaliser des régions (Louvre-Lens) ou exporter le prestige national (Louvre Abu Dhabi).

À l'image du Louvre, les musées deviennent de véritables multinationales, soucieuses de faire fructifier leur patrimoine par des prêts, des droits de reproduction et des produits dérivés. combinant présentation des œuvres, expositions prestigieuses et activités multiples d'un centre culturel. 

À l'heure où tout un chacun peut télécharger en un clic le pedigree complet d'une Joconde en haute résolution, le défi pour les musées de demain sera de se faire une place entre culture et loisir, entre contemplation et information instantanée. À eux de se réinventer sans transformer les œuvres en simples produits d'appel.

Bibliographie

Béatrice Fontanel, L'Odyssée des musées, éd. de la Martinière, 2007,
Krzysztof Pomian, Le Musée. Une histoire mondiale, 2020-2021,
Roland Schaer, L'Invention des musées, éd. Gallimard (« Découvertes »), 1993.


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Publié ou mis à jour le : 2022-04-25 20:36:57

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