19 novembre 2021 : l’Union européenne est régulièrement agitée par des conflits de préséance entre les instances supranationales et les États membres.
La dernière affaire est une campagne sur le thème : « La liberté est dans le hijab » lancée par le Conseil de l’Europe avec l’agrément de l’Union européenne, en contradiction avec les valeurs de la France et d'autres pays
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Avant cela, le 24 mars 2021, la Commission a présenté une « stratégie de l’UE sur les droits de l’enfant ». L'intention est louable mais que restera-t-il de la démocratie si des institutions supranationales et des magistrats non élus en viennent à s’occuper de tout ?
La Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) a été constituée pour veiller au respect des traités de l'Union et du droit dérivé par les États membres ainsi que par les instances européennes.
Elle doit s’assurer notamment de l’indépendance de la justice dans chaque État membre, ne serait-ce que pour éviter que les aides financières de Bruxelles ne soient détournées grâce à la collusion des gouvernants et des juges nationaux. Cette crainte est bien réelle dans plusieurs États tels que Malte, la Bulgarie, la Roumanie, la Hongrie ou encore la Pologne (liste non exhaustive).
Mais cette cour, par un travers propre à toutes les instances, tend à élargir ses prérogatives par glissements progressifs. Ainsi a-t-elle établi la primauté du droit européen sur les Constitutions des États membres en vertu d'une jurisprudence très ancienne qui remonte à 1964 (note).
Cette dérive se retrouve aussi dans les autres cours magistrales, comme la Cour européenne des droits de l'Homme (CEDH) ou le Conseil constitutionnel de la République française, qui grignotent peu à peu la souveraineté du Peuple, à la racine de nos démocraties.
Cela s'est vu avec éclat à l'issue des référendums français et néerlandais du 29 mai et du 2 juin 2005, par lequel les peuples ont rejeté avec netteté un texte soumis à leur approbation. Il n'empêche que ce texte a été malgré cela appliqué par la classe dirigeante européenne sous le nom de traité de Lisbonne (2009). Depuis lors, une rumeur monte selon laquelle il importerait de mettre des limites à l'expression de la démocratie.
Le 25 janvier 2022, le président du Conseil constitutionnel français Laurent Fabius déclare ainsi au journal Le Parisien : « L’une des caractéristiques des démocraties avancées comme la nôtre, c’est que la loi qu’elle soit votée par le Parlement ou le fruit d’un référendum, ne peut pas faire n’importe quoi et qu’elle doit être conforme à la Constitution et aux grands principes. C’est le rôle du Conseil constitutionnel mis en place par la Ve République de veiller et de contrôler cette conformité ». L'ennui est que seul le Conseil constitutionnel se juge habilité à définir les « grands principes » et il manifeste dans cette tâche une flexibilité qui laisse songeur (note).
Union européenne : quand l’idéologie prend le pas sur le droit constitutionnel
A priori, les textes fondamentaux de l'Union européenne contiennent tous les garde-fous souhaitables :
• La Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, signée à Nice le 7 décembre 2000, énonce joliment : « Consciente de son patrimoine spirituel et moral, l'Union se fonde sur les valeurs indivisibles et universelles de dignité humaine, de liberté, d'égalité et de solidarité ; elle repose sur le principe de la démocratie et le principe de l'État de droit ».
• Le Traité sur l'Union européenne (TUE, Maastricht, 1992) certifie (article 4) que l’Union européenne respecte « l'identité nationale [des États], inhérente à leurs structures fondamentales politiques et constitutionnelles » (note).
• Le TUE édicte aussi un « principe de subsidiarité » destiné à limiter les empiètements de l’Union sur les États (note).
Selon ce dernier principe, inspiré du droit canonique, les autorités de rang inférieur ont compétence pour toutes les décisions et actions qu'elles sont aptes à assumer ; c'est seulement lorsqu'elles se révèlent inaptes à les assumer qu'elles peuvent être confiées à une autorité de rang supérieur. On lit ainsi à l'article 5 du traité sur l'Union européenne (traité de Lisbonne) : « En vertu du principe de subsidiarité, dans les domaines qui ne relèvent pas de sa compétence exclusive, l'Union intervient seulement si, et dans la mesure où, les objectifs de l'action envisagée ne peuvent pas être atteints de manière suffisante par les États membres, tant au niveau central qu'au niveau régional et local, mais peuvent l'être mieux, en raison des dimensions ou des effets de l'action envisagée, au niveau de l'Union. »
Normalement, les compétences exclusives de l'Union européenne devraient donc se limiter à l'union douanière, aux règles de concurrence, à la politique monétaire des pays de la zone euro, aux accords commerciaux et internationaux ainsi qu'à la protection des plantes et animaux marins.La seule mission dont l'Union se défausse sur les États est le maintien de l'ordre public, autrement dit les basses besognes de la police (article 4).
Mais Bruxelles a retourné le principe de subsidiarité comme une chaussette au motif que les compétences économiques et commerciales de l’Union interfèrent avec tous les aspects de la vie publique : droit du travail, lutte contre les discriminations, protection de l’environnement, etc. Ainsi, au nom du principe de libre circulation des personnes, l'Union s'autorise à légiférer sur la procréation médicale assistée. Et par le fait que les oiseaux migrateurs peuvent traverser plusieurs pays et continents, elle s'autorise à décider des périodes d'ouverture de la chasse... dans la baie de Somme. D’aucuns y voient une variante du vieil adage attribué à Nikita Khrouchtchev : « Tout ce qui est à nous est à nous [les compétentes exclusives de l’Union], tout ce qui est à vous [les compétences des États membres] est négociable » (note).
Ce détournement des traités a aussi des conséquences sur l'industrie nationale ainsi que le soulignent les députés français : « La France doit cesser de subir des règles économiques qui fragilisent son industrie au mépris du principe de subsidiarité, » lit-on dans le rapport officiel de la commission d'enquête parlementaire sur l'énergie (6 avril 2023).
Plus gravement, les textes à l'origine de la construction européenne comme le traité de Rome ont été délibérément réécrits dans un sens très politique et donc contestable. Le traité de Lisbonne ne se limite pas, comme son nom l’indique, à définir les règles qui régissent les relations entre les États membres. Il énonce un programme qui, normalement, relève d'un vote démocratique (article 206) : « Par l'établissement d'une union douanière conformément aux articles 28 à 32, l'Union contribue, dans l'intérêt commun, au développement harmonieux du commerce mondial, à la suppression progressive des restrictions aux échanges internationaux et aux investissements étrangers directs, ainsi qu'à la réduction des barrières douanières et autres. » Ce texte reprend le credo néolibéral des années 1980-2000 qui n’a rien d’irréfutable. On n’a en effet jamais démontré que « le développement harmonieux du commerce mondial » et « la suppression des restrictions aux échanges et aux investissements » étaient « dans l’intérêt commun » (note).
Que la politique commerciale et douanière soit du ressort de l'Union européenne, quoi de plus normal dès lors que celle-ci a été conçue dès 1950 dans le but de créer un marché unique. Mais que les modalités de cette politique échappent complètement au débat politique, voilà qui l'est moins. Qui a décidé dans les années 1990 d'abaisser de barrières douanières aux frontières de l'Union et de faire désormais entièrement confiance au marché pour réguler les échanges avec la Chine ou les États-Unis ? Certainement pas les citoyens européens.
Pour le gouvernement polonais, la messe est dite. Affectant de dénoncer la promotion de l’idéologie LGBT+ par l’Union, le Premier ministre polonais a obtenu le 7 octobre 2021 de la Cour constitutionnelle de Pologne qu'elle s'affranchisse des traités européens.
D'aucuns pensent que le chef du gouvernement a surtout voulu éviter que la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) ne s'immisce dans ses affaires et découvre les petits arrangements de ses amis.
République française : un « coup d'État juridictionnel »
Approuvée par le peuple à l'issue d'un référendum, la Constitution française du 4 octobre 1958 a confié aux députés et aux sénateurs élus par les citoyens le soin de rédiger et voter les lois comme dans toute démocratie qui se respecte. L'exécution des lois est confiée au gouvernement, nommé par le président de la République avec l'agrément des députés.
Les neuf magistrats du Conseil constitutionnel, nommés pour neuf ans par le président de la République, le président de l'Assemblée nationale et le président du Sénat, ont reçu mission de veiller à ce que les lois respectent la Constitution.
Sans qu'il y paraisse, ces principes ont lentement dérivé jusqu'à trahir l'esprit initial de la Constitution et la démocratie représentative. Cette dérive a débuté le 16 juillet 1971 avec une décision du Conseil constitutionnel, alors présidé par Gaston Palewski, prise sans en référer au président de la République Pompidou ni aux élus : ce jour-là donc, sollicités par quelques députés de la majorité, les neuf « sages » de la rue de Montpensier récusèrent une loi destinée à réformer la loi sur les associations de 1901 en considérant que la liberté d'association figurait « au nombre des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République et solennellement réaffirmés par le préambule de la Constitution. »
C'était, sans qu'il y paraisse et sans que grand monde y prenne garde, un « coup d'État juridictionnel » (la formule est du philosophe Marcel Gauchet).
En effet, pour la première fois, le Conseil constitutionnel justifiait sa décision par le préambule de la Constitution de 1958, lequel était jusque-là considéré comme n'ayant pas de valeur juridique. Succinct, il énonce : « Le peuple français proclame solennellement son attachement aux Droits de l'homme et aux principes de la souveraineté nationale tels qu'ils ont été définis par la Déclaration de 1789, confirmée et complétée par le préambule de la Constitution de 1946. » Ce disant, il donne une valeur juridique et constitutionnelle à deux autres textes plus consistants : la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen du 26 août 1789 et le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 (IVe République). Cet ensemble, auquel a été ajouté en 2004 la Charte de l'Environnement, a été appelé « bloc de constitutionnalité » et c'est sur la base de celui-ci que le Conseil constitutionnel s'est désormais permis d'évaluer les lois et éventuellement les récuser.
Le problème est que la Déclaration de 1789 et le préambule de 1946 ont une très forte charge symbolique mais ne sont pas pour autant des textes juridiques à la différence de la Constitution proprement dite. Ils énoncent de grands et beaux principes mais ne disent rien des modalités de leur mise en oeuvre.
C'est normalement à la Constitution et elle seule qu'il revient de définir ces modalités. Si l'on s'en écarte, on peut tout faire dire aux grands principes, une chose et son contraire, simplement en jouant sur les mots. Au fil des années et des décennies, le Conseil constitutionnel s'est montré de plus en plus habile à ce jeu, jusqu'à s'ériger en législateur-en-chef par-dessus les élus du peuple, députés et sénateurs. On l'a vu récemment non pas à propos de la Déclaration mais à propos de la devise nationale, dans l'affaire Cédric Herrou (note)...
La dérive antidémocratique est venue aussi des parlementaires français eux-mêmes qui ont révisé régulièrement la Constitution pour la conformer aux traités européens ! Et tant pis si le marbre dans lequel est gravé le texte a la friabilité de la craie. Dans les faits, ces révisions constitutionnelles seraient inutiles car la Constitution reconnaît la primauté des traités internationaux sur les lois en vertu de l’article 55 : « Les traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve, pour chaque accord ou traité, de son application par l’autre partie. »
La réserve montre que dans leur infinie sagesse, les constitutionnalistes français ont ménagé la possibilité de se retirer d'un traité dès lors que l'une quelconque des autres parties ne le respecte pas. Il n'y a rien de plus normal à cela : que signifierait d'appartenir à une alliance (l'OTAN par exemple) dont l'un des membres (la Turquie à tout hasard ?) mènerait une politique agressive à l'égard de ses alliés, en collusion avec leurs ennemis ? Que signifie aussi de s'obliger à respecter scrupuleusement tous les termes d'un traité de libre-échange si les partenaires ne font pas de même ?
Peut-être eut-il fallu préciser que seul le gouvernement est à même de juger du respect d'un traité par tous les signataires. Mais la chose allait de soi en 1958 : depuis les débuts de la diplomatie, les traités internationaux durent aussi longtemps qu'ils satisfont l'intérêt de tous les partenaires. Lorsqu'un traité induit plus d'inconvénients que d'avantages pour l'un des signataires, celui-ci est conduit à le trahir ; ses partenaires, dès lors, ne se voient plus obligés de le respecter.
L'interprétation des traités est normalement l'affaire des gouvernements, seuls à même de juger des inconvénients et des avantages d'un traité ainsi que de l'attitude de leurs partenaires. L'article 15 du préambule de la Constitution de 1946 ne dit d'ailleurs rien d'autre. Il met clairement en avant l'exigence de réciprocité : « Sous réserve de réciprocité, la France consent aux limitations de souveraineté nécessaires à l'organisation et à la défense de la paix. »
Tous ces principes sur lesquels se fondent les relations entre États souverains ont été balayés le 20 octobre 1989 avec l'arrêt Nicolo du Conseil d'État qui s'en est pris à l'article 55 de la Constitution. Avec ledit arrêt, qui porte sur une disposition législative relative aux élections européennes, la Cour d'État autorise le Conseil constitutionnel et elle-même à juger de la compatibilité des lois avec les traités internationaux et le droit européen, lequel est produit par des cours constituées de magistrats désignés ou cooptés et en tout cas non élus.
Peu importe donc que ces traités et ce droit soient non seulement nocifs pour la France mais inappliqués par les autres signataires : le Conseil d'État et le Conseil Constitutionnel peuvent en imposer la mise en oeuvre par-dessus la volonté des citoyens et des élus sans se soucier de l'exigence de réciprocité ! Cela n'a rien de théorique. Si la France s'oblige à suivre les injonctions de la Cour Européenne des Droits de l'Homme, il en va tout autrement de bien d'autres États représentés au sein de cette instance comme l'Azebaïdjan, la Bulgarie ou Malte (note).
L’État de droit et la démocratie représentative
L’État de droit (Rechtstaat en allemand) est un concept apparu discrètement il y a deux siècles dans le droit allemand. Il est théorisé en 1934 par un juriste autrichien, Hans Kelsen, dans son ouvrage Théorie pure du droit. Kelsen définit l’État de droit comme une pyramide de normes au sommet de laquelle trône la Constitution et dont découle la validité de toutes les règles inférieures. À la base, les règlements et arrêtés des autorités doivent se conformer aux décrets du gouvernement, lesquels doivent se conformer aux lois votées par les représentants du peuple, lesquelles lois doivent enfin se conformer à la Constitution. Qui pourrait s’opposer à cette évidence ?
Après la chute du nazisme, les dirigeants de l’Allemagne fédérale, soucieux de protéger la démocratie contre le retour de l’hydre totalitaire, ont rappelé avec force la supériorité des textes constitutionnels sur les décisions des représentants du peuple. Mais ils ont aussi introduit dans la loi constitutionnelle des principes généraux (et généreux) sans valeur juridique et sujets à toutes les interprétations. L’article 1 de la Loi fondamentale sur la République fédérale allemande du 23 mai 1949 énonce ainsi : « La dignité de l’être humain est intangible. Tous les pouvoirs publics ont l’obligation de la respecter et de la protéger. » Et à l’article 2 : « Chacun a droit au libre épanouissement de sa personnalité pourvu qu’il ne viole pas les droits d’autrui ni n’enfreigne l’ordre constitutionnel ou la loi morale. »
Rien à redire à ces belles formules qui rappellent notre Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen du 26 août 1789, sinon qu’elles n’ont pas leur place dans une Constitution, laquelle se doit seulement d’édicter des principes de gouvernement : comment s’exprime le Peuple souverain (par l’élection de ses représentants et le référendum, dit la Constitution de la République française de 1958) ? Comment sont votées les lois ? Comment sont-elles exécutées ?...
Les Anglais, qui ont inventé la démocratie parlementaire, récusent l’État de droit (eux-mêmes n’ont pas de Constitution écrite). Ils lui préfèrent le concept de rule of law (« règne de la loi ») : la loi est votée par les élus dans le respect du « droit coutumier » (common law) et en veillant à le faire évoluer sans heurt. En d’autres termes, les limites à l’omnipotence des députés viennent non pas d’une quelconque instance supérieure mais des coutumes et des droits individuels sacralisés par le temps. La permanence de ces droits et de ces coutumes envers et contre tout fait le charme de la société britannique tout en la protégeant contre les dérives autoritaires. Les magistrats veillent à la bonne exécution des lois mais se gardent de les interpréter, laissant cette charge aux élus du Parlement.
Depuis que les Britanniques ont décidé en 2016 de quitter l’Union européenne, l’État de droit revient comme un leitmotiv dans le discours des gouvernants européens confrontés à la grogne des peuples. Il permet aux instances supranationales, noyautées par des entreprises ou des associations non représentatives, de promouvoir des « principes » et des « droits individuels » qui étaient encore ignorés ou honnis il y a vingt ans, comme le port du voile islamique ou le droit pour des adolescents mal dans leur peau d’exiger un traitement hormonal en vue de préparer leur changement de sexe (note) !
La désagrégation des États, un choix assumé
Comment se peut-il que les citoyens européens soient tenus à l'écart de choix aussi déterminants que la politique commerciale et douanière ? Comment se peut-il que les Parlements nationaux valident des traités commerciaux comme le traité avec le Canada (CETA) en dépit d'une forte hostilité des opinions publiques ? Sans doute pour la raison que les gouvernants et la classe politique partagent très largement le projet idéologique affiché par les instances européennes : l'abolition des nations dans une société « ouverte » et multiculturelle (note). L'asthénie des citoyens leur facilite la tâche comme cela s'est vérifié avec le référendum de 2005 sur le traité constitutionnel européen ; en dépit d'un rejet massif à l'issue d'un débat démocratique, ce traité a pu être mis en application sous le nom de traité de Lisbonne sans que les électeurs se révoltent contre cette forfaiture.
S'il est difficile à un pays de renier les traités internationaux ou les traités intra-européens dès lors qu'il a ratifié ceux-ci, il lui serait par contre tout à fait possible de contester les arrêts dérivés de ces traités.
De fait, les instances nationales arrivent à très bien contourner les traités quand elles le veulent. Ainsi, en 2015, la Cour de Justice de l'Union européenne a estimé que la loi française sur la collecte des données était contraire au droit européen sur la protection des individus. Mais le Conseil d'État, le 21 avril 2021, a renvoyé la CJUE dans ses buts en déclarant que cette loi était nécessaire à la sauvegarde de l'ordre public ; le droit européen n'étant pas en mesure d'assurer cette sauvegarde, seul primait en l'occurrence le droit français ! Bel exemple de casuistique qui montre que l'on peut faire dire ce que l'on veut aux textes. Avec le même raisonnement, on aurait pu légitimer la torture en Algérie, certes contraire aux droits humains mais nécessaire au maintien de l'ordre public, donc légitime !
Pourquoi cette casuistique n'est-elle pas pratiquée dans d'autres domaines comme le droit de la famille, le droit relatif à l'immigration ou même le droit commercial ? Et pourquoi la France ne fait-elle pas davantage usage du principe de subsidiarité, toujours valide ? Elle bénéficie pour ce faire de plus d'atouts qu'aucun autre État membre. D'une part, elle n'a pas à craindre de sanctions financières du fait qu'elle est créditrice nette ; d'autre part, elle ne peut être mise à l'écart de l'Union et de la zone euro du fait de sa position géographique et politique au centre de l'Union. Il ne lui manque que le plus important : la volonté politique.
Vivons-nous sous une République des juges ? En France plus qu'en aucun autre pays européen, l’idée est régulièrement mise en avant. Elle doit toutefois être nuancée, tant la justice part de loin sous la Ve République. De Gaulle considérait que les magistrats étaient, au même titre que les fonctionnaires et les ministres, sous son autorité. D’où la formulation de l’article 64 de la Constitution : « Le président de la République est garant de l’indépendance de l’autorité judiciaire ». Et jusqu’en 1993, c’était le président qui nommait tous les membres du Conseil supérieur de la magistrature !
Il n’empêche que bien des choses ont changé depuis les années 1990 et les premiers grands procès pour des questions de financement illégal des campagnes électorales. Les juges hésitent moins qu’avant à s’en prendre aux élus, créant parfois le soupçon qu’ils cherchent à se faire de la publicité, au besoin avec le soutien de la presse. Cependant, il ne faut pas s’exagérer le rôle des juges : souvent, les scandales publics précédent leur traduction judiciaire (ainsi de « l’affaire Fillon » longtemps dissimulée et opportunément révélée par Mediapart en pleine campagne présidentielle de 2017 de façon à briser le favori de l'élection et assurer l'élection d'Emmanuel Macron, candidat du camp européiste).
Autre évolution récente, l’introduction de la question prioritaire de constitutionnalité (QPC) en 2008, qui permet à tout justiciable de demander, à travers plusieurs filtres, au Conseil Constitutionnel de vérifier que les dispositions d’une loi sont conformes à la Constitution. Difficile toutefois de crier au scandale, tant il paraît inconcevable que jusque-là la constitutionnalité de l’immense majorité des lois n’ait pas été contrôlée ! De plus, la composition du Conseil Constitutionnel, dont les membres sont des personnalités politiques plus que des juges, fait qu’on ne peut pas parler de « gouvernement des juges ».
Enfin, la crise sanitaire liée au covid-19 a montré à quel point la justice est aujourd’hui saisie de requêtes et plaintes innombrables, demandant littéralement tout et son contraire, d’un durcissement du confinement à son annulation ! Face à cet afflux, les magistrats, tant judiciaires qu’administratifs, rappellent qu’il ne leur incombe pas d’intervenir dans la gestion des affaires politiques, celles-ci devant être seulement soumises à la sanction électorale.
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Yves Montenay (13-06-2024 21:05:32)
Bruxelles est un bon exemple de bureaucratie : la bureaucratisation est une tendance humaine spontanée et puissante. Les entreprises limitent les dégâts parce qu'elles feraient faillite autrement. ... Lire la suite
Gérard Lebrun (22-02-2024 08:26:12)
« En France, la Cour suprême, c’est le peuple, » a lancé de Gaulle. Les grandes questions nationales devaient à son sens être tranchées par le peuple et non par des magistrats non élus, ce q... Lire la suite
philabeille (13-11-2021 20:56:55)
Le mal est bien plus profond que simplement dû à un manque de volonté. En France, on ne veut surtout que le peuple se mêle de politique : c'était le cas sous la royauté ; c'est toujours le cas s... Lire la suite