West Side Story a d'abord été en 1957 une comédie musicale à grand succès avant de devenir en 1960 un incontournable du cinéma. Comment cette histoire d'un amour contrarié a-t-elle pu à ce point marquer les esprits et la culture occidentale ? Nous allons voir que, derrière sa musique et ses chorégraphies entraînantes, c'est une vision réaliste et somme toute optimiste de l'Amérique qui nous est présentée.
Merci William !
Tony aime Maria, et Maria aime Tony... Nous sommes bien sûr dans une histoire d'amour, mais comme le bonheur est dénué de suspense, cet amour ne peut être qu'impossible. Comment rendre les amants malheureux ? Depuis Homère et Chrétien de Troyes, les écrivains ont toujours utilisé la même astuce : il faut les séparer en les faisant appartenir à deux nations, deux clans ou deux familles différentes. Ici, nous aurons donc d'un côté les Jets, Américains d'origine polonaise, et de l'autre les Sharks (Requins), qui viennent d'arriver de Porto Rico.
Si le scénario vous rappelle quelque chose, c'est parce qu'il a été directement inspiré par Roméo et Juliette (1597) de William Shakespeare. Le coup de foudre pendant un bal, la rivalité des clans, la scène du balcon, l'annonce mensongère de la mort de Maria et la tragédie finale, tout était déjà chez le grand William. Le librettiste Arthur Laurens a cependant choisi de supprimer les parents des amoureux, ce qui permet de recentrer l'origine des malheurs des héros sur une « banale » histoire d'appartenance sociale. De même, il décide dans la scène finale de laisser Maria vivre, obligeant le spectateur à partager jusqu'au bout le désespoir de la jeune femme et ses reproches.
Les jeunes amants de Vérone n'ont cessé d'inspirer les créateurs. Hector Berlioz et Charles Gounod (opéra), Piotr Tchaïkovski et Sergueï Prokofiev ont tour à tour puisé dans William Shakespeare pour élargir leur répertoire.
Au cinéma, le couple reprend vie dès 1908 avant d'être de passer devant les caméras notamment de George Cukor et Franco Zeffirelli. En 1996, le film Roméo + Juliette de Baz Luhrmann, avec Leonardo di Caprio, offre une version rock'n roll de la tragédie avant que John Madden, dans Shakespeare in Love, ne revienne aux sources en donnant à Shakespeare lui-même le rôle du jeune amoureux.
Le sujet semble inépuisable puiqu'en 2021 c'est Steven Spielberg lui-même qui se réapproprie l'histoire à travers une relecture du West Side Story de 1961.
New York, New York
Ce que l'écrivain élisabéthain n'aurait jamais pu imaginer, c'est que ses Capulet et ses Montaigu se transforment en petits voyous d'une banlieue du Nouveau Monde. Tout est venu de l'acteur Montgomery Clift, jeune premier sollicité en 1949 pour le rôle de Roméo au théâtre. Embarrassé par le caractère quelque peu décalé des personnages, il s'en ouvre à son compagnon, le chorégraphe à succès Jerome Robbins.
Celui-ci a l'idée de transposer l'intrigue dans le New York contemporain. Il pense d'abord opposer Irlandais et Juifs, deux des minorités bien connues de New York, mais les tensions sociales de l'époque concernaient davantage les Blancs (Irlandais, Italiens et Polonais) installés depuis plusieurs générations et les Portoricains au teint plus sombre et plus ou moins métissés, nouvellement arrivés.
Robbins convainc son ami le musicien Leonard Bernstein de s'associer au projet. Une fois l'intrigue écrite, il a fallu l'agrémenter par quelques notes pour suivre la mode des comédies musicales. C'est là qu'est intervenu un trio de génies avec, outre Leonard Bernstein à la musique, Stephen Sondheim pour les chansons et Arthur Laurens pour les livrets. Voguant sur la mode des comédies musicales, ils créèrent une bande son qui a su traverser les décennies sans prendre une ride.