West Side Story (1961)

Guerre des gangs à New York

West Side Story a d'abord été en 1957 une comédie musicale à grand succès avant de devenir en 1960 un incontournable du cinéma. Comment cette histoire d'un amour contrarié a-t-elle pu à ce point marquer les esprits et la culture occidentale ? Nous allons voir que, derrière sa musique et ses chorégraphies entraînantes, c'est une vision réaliste et somme toute optimiste de l'Amérique qui nous est présentée.

Merci William !

Affiche du flim West Side Story, 1961Tony aime Maria, et Maria aime Tony... Nous sommes bien sûr dans une histoire d'amour, mais comme le bonheur est dénué de suspense, cet amour ne peut être qu'impossible. Comment rendre les amants malheureux ? Depuis Homère et Chrétien de Troyes, les écrivains ont toujours utilisé la même astuce : il faut les séparer en les faisant appartenir à deux nations, deux clans ou deux familles différentes. Ici, nous aurons donc d'un côté les Jets, Américains d'origine polonaise, et de l'autre les Sharks (Requins), qui viennent d'arriver de Porto Rico.

Si le scénario vous rappelle quelque chose, c'est parce qu'il a été directement inspiré par Roméo et Juliette (1597) de William Shakespeare. Le coup de foudre pendant un bal, la rivalité des clans, la scène du balcon, l'annonce mensongère de la mort de Maria et la tragédie finale, tout était déjà chez le grand William. Le librettiste Arthur Laurens a cependant choisi de supprimer les parents des amoureux, ce qui permet de recentrer l'origine des malheurs des héros sur une « banale » histoire d'appartenance sociale. De même, il décide dans la scène finale de laisser Maria vivre, obligeant le spectateur à partager jusqu'au bout le désespoir de la jeune femme et ses reproches.

Maria et Tony, scène du balcon, West Side Story, 1961

Roméo et Juliette, le duo magique

Affiche du film Shakespeare in Love (1999)Les jeunes amants de Vérone n'ont cessé d'inspirer les créateurs. Hector Berlioz et Charles Gounod (opéra), Piotr Tchaïkovski et Sergueï Prokofiev ont tour à tour puisé dans William Shakespeare pour élargir leur répertoire.
Au cinéma, le couple reprend vie dès 1908 avant d'être de passer devant les caméras notamment de George Cukor et Franco Zeffirelli. En 1996, le film Roméo + Juliette de Baz Luhrmann, avec Leonardo di Caprio, offre une version rock'n roll de la tragédie avant que John Madden, dans Shakespeare in Love, ne revienne aux sources en donnant à Shakespeare lui-même le rôle du jeune amoureux.
Le sujet semble inépuisable puiqu'en 2021 c'est Steven Spielberg lui-même qui se réapproprie l'histoire à travers une relecture du West Side Story de 1961.

New York, New York

Ce que l'écrivain élisabéthain n'aurait jamais pu imaginer, c'est que ses Capulet et ses Montaigu se transforment en petits voyous d'une banlieue du Nouveau Monde. Tout est venu de l'acteur Montgomery Clift, jeune premier sollicité en 1949 pour le rôle de Roméo au théâtre. Embarrassé par le caractère quelque peu décalé des personnages, il s'en ouvre à son compagnon, le chorégraphe à succès Jerome Robbins.

Celui-ci a l'idée de transposer l'intrigue dans le New York contemporain. Il pense d'abord opposer Irlandais et Juifs, deux des minorités bien connues de New York, mais les tensions sociales de l'époque concernaient davantage les Blancs (Irlandais, Italiens et Polonais) installés depuis plusieurs générations et les Portoricains au teint plus sombre et plus ou moins métissés, nouvellement arrivés.

Robbins convainc son ami le musicien Leonard Bernstein de s'associer au projet. Une fois l'intrigue écrite, il a fallu l'agrémenter par quelques notes pour suivre la mode des comédies musicales. C'est là qu'est intervenu un trio de génies avec, outre Leonard Bernstein à la musique, Stephen Sondheim pour les chansons et Arthur Laurens pour les livrets. Voguant sur la mode des comédies musicales, ils créèrent une bande son qui a su traverser les décennies sans prendre une ride.

Les Sharks dansant dans les rues de l'Upper West Side, à New YorkEn 1957, la comédie prend vie sur les planches du Winter Garden Theatre de Broadway pour plus de 700 représentations.

Elle est ensuite partie pour des tournées triomphales, lesquelles se renouvellent encore aujourd'hui avec toujours les mêmes chorégraphies, les mêmes chansons, les mêmes talents et le même succès (la dernière en date, en 2022-2023, a sillonné l'Europe, de Lausanne au théâtre du Châtelet, à Paris).

Devant un tel succès, la version filmée s'imposa vite, avec l'obligation pour le réalisateur Robert Wise de supprimer l'aspect artificiel du théâtre.

Heureusement, le budget généreux de 6 millions de dollars alloué par la Metro Goldwyn Mayer permettait toutes les audaces, comme de construire une cinquantaine de décors et même d'occuper pendant plusieurs semaines plusieurs rues de l'Upper West Side, quartier aujourd'hui détruit.

New York, symbole de modernité, fierté des États-Unis, devenait un des protagonistes essentiels du film. Les premières images lui sont d'ailleurs consacrées, faisant de la scène d'ouverture une séquence d'anthologie : de longs plans pris du ciel précèdent une plongée dans les bas-fonds qui va nous entraîner dans une promenade chorégraphiée au milieu des immeubles du quartier populaire, plus vrai que nature. Maria, Tony et Bernardo n'avaient plus qu'à s'aimer ou se détester, l'illusion était parfaite.

Scène d'ouverture, West Side Story, 1961

En musique, c'est mieux...

Jack Mitchell, Portrait de Leonard Bernstein, 1977Le talent de  Leonard Bernstein est pour beaucoup dans le triomphe de la comédie musicale et du film qui esn a été tiré. Pianiste, chef d'orchestre des plus grands ensembles classiques, ce touche-à-tout pouvait aussi bien s'attaquer à Berlioz que jouer de la musique populaire. Comme George Gershwin avant lui, il avait pour ambition de créer une musique propre à son pays, n'hésitant pas à aller puiser dans le jazz de nouvelles inspirations.

C'est ainsi que dans West Side Story vont se mêler mambo et cha-cha-cha, alors à la mode dans les années 50, mais aussi accents portoricains, jazz et notes classiques. Le résultat est grandiose : que ce soit les 10 minutes de musique qui ouvrent le film ou les chansons (« America » des filles portoricaines, « Tonight » pour la scène du balcon, « I feel pretty » de la jeune amoureuse ou encore l'incontournable « Maria, Maria... »...), c'est tout un ensemble de refrains qui entre d'un coup directement dans le patrimoine mondial, portés par les chorégraphies virevoltantes de Jerome Robbins.

Anita et Bernardo dans la scène du bal, West Side Story, 1961

Maria, Tony et les autres

Natalie Wood dans West Side Story, 1961Pour le choix des acteurs, un problème se posa très vite : il fallut des interprètes capables d'être crédibles aussi dans leur jeu de comédiens, qu'en chant et en danse.

À l'époque, les stars de Broadway délaissant le cinéma, il fallut chercher ailleurs : chez les chanteurs, Elvis Presley déclina la proposition, tout comme Warren Beatty dans la catégorie Jeune premier. Dans le rôle de Tony, ce sera donc Richard Beymer qui s'était déjà fait remarquer dans le Journal d'Anne Frank (1959).

Côté féminin, le nom de Natalie Wood s'impose vite : à 22 ans, l'héroïne de La Fureur de vivre (1955) et de La Prisonnière du désert (1956) n'a déjà plus rien à prouver.

Cependant ce sont les seconds rôles qui tireront leur épingle du jeu puisque George Chakiris (Bernardo, le frère de Maria) et Rita Moreno (Anita, sa fiancée) repartiront tous deux avec un Oscar, sans pour autant enchaîner sur une carrière de premier plan. A noter que seul George Chakiris fera lui-même les chants, les trois autres étant doublés.

La politique en fond de décor

West Side Story n'a rien d'une histoire d'amour à l'eau de rose comme on pouvait en trouver alors dans bien des comédies musicales. Au contraire, c'est un film d'une noirceur et d'un pessimisme qui vont contribuer à en renouveler le genre. Si la cruauté du destin et la tragédie finale étaient déjà présents chez Shakespeare, les scénaristes ont assombri le tableau en s'appuyant sur le contexte historique de l'Amérique des années 50/60.

Jets contre Sharks, image tirée de West Side Story, 1961Le public de l'époque n'a pas manqué d'y voir une peinture réaliste des tensions qui existaient alors entre bandes de jeunes, prisonniers de leurs origines ethniques et de leurs préjugés racistes. Ils sont pourtant de la même classe sociale défavorisée, partagent le même désœuvrement, les mêmes rêves de s'évader au-delà des limites de leur quartier. « I like to be in America ! » (« J'aime être en Amérique ! ») chantent ainsi les jeunes portoricaines, ignorant les remarques désabusées de leurs compagnons : « If you're white in America ! » (« Si tu es blanc en Amérique ! »).

Discrimination sociale, crime organisé, corruption... Derrière les notes de musique dansantes, c'est une remise en cause de l'Amérique triomphante de l'après-guerre et de sa théorie du « melting-pot » que nous proposent les auteurs. Alors que Kennedy accède au pouvoir, le film montre que l'« american way of life » qu'il popularise ne va rester qu'un rêve pour certains. Critique audacieuse, cette peinture de la société de l'époque a continué à parler au public dans les décennies suivantes, ce qui explique aussi que le film ne se soit jamais démodé.

Maria dans la scène finale, West Side Story, 1961

« I like to be in America ! »

Anita et ses amies portoricaines ne rêvent que d'intégration et de réussite, rêves que ne partage guère la bande des garçons..
« - Je me plais bien en Amérique
Tout me convient en Amérique
Tout est gratuit en Amérique !
- A condition de payer en Amérique !
On achète tout à crédit !
- Il suffit qu'ils nous regardent pour qu'ils doublent le prix !
- J'aurai ma propre machine à laver !
- Que te restera-t-il à laver ?
- Les gratte-ciel fleurissent en Amérique !
Les cadillacs filent en Amérique !
L'industrie explose en Amérique !
- Douze dans une pièce en Amérique !
- Beaucoup de maisons neuves avec plus d'espace !
- Beaucoup de portes qui vous claquent au nez !
- J'aurai un appartement avec une terrasse
- Il vaudrait mieux que tu perdes ton accent !
- La vie peut être radieuse en Amérique !
- Si tu sais te battre en Amérique !
- La vie est parfaite en Amérique !
- Si tu es blanc en Amérique !
- Ici tu es libre et tu as de la dignité !
- Aussi longtemps que tu restes dans ton coin !
- Tu es libre d'être ce que tu choisis !
- Libre de débarrasser des tables ou de cirer des chaussures ! »
(paroles de Stephen Sondheim).

La comédie musicale... Juste pour le plaisir !

Affiche de la comédie musicale The Broadway Melody, 1929« All talking ! All singing ! All dancing ! » (Tout en paroles ! Tout en chant ! Tout en danse !). Voilà une belle définition de la comédie musicale ! Elle est empruntée aux créateurs du premier film officiel du genre, The Broadway Melody, sorti en 1929. Dans cette mise en images d'une revue qui triomphait alors sur les planches de New York, le son, nouvellement arrivé sur les écrans, est à l'honneur. Dans cette période de crise, le public fait un triomphe à ces films légers qui s'attachent à intégrer dans une même intrigue dialogues, chant et danse.

A Hollywood, les héritiers de Molière et de sa comédie-ballet vont s'en donner à cœur joie pendant les années 1930-1950 : aux chorégraphies nautiques à grand spectacle de Busby Berkeley succèdent les numéros de claquettes plus intimistes des stars Fred Astaire et Gene Kelly, Gingers Rogers et Cyd Charisse. On chante sous la pluie à New York, on admire la Belle de Moscou, on succombe à la mélodie du bonheur en Autriche... Ces œuvres ont tout pour faire rêver les spectateurs : décors luxueux, chorégraphies millimétrées, musiques entraînantes composées par les plus grands, comme George Gershwin (Un Américain à Paris) et Michel Legrand (Les Demoiselles de Rochefort, 1967), et bien sûr des intrigues pleines d'optimisme.

Gene Kelly dans Chantons sous la pluie, 1952Mais, à la fin des années 50, exubérance et allégresse n'ont plus le vent en poupe, et les comédies musicales perdent leur aspect... comique. Si Elvis continue de provoquer des émeutes avec ses déhanchés dans Jailhouse Rock (1957), on n'hésite pas désormais à élaborer des œuvres plus sombres pour évoquer les tensions communautaires (West Side Story, 1961), les inquiétudes de la jeunesse face à la guerre (Hair, 1968) ou encore les grandes interrogations sur la mort (Que le spectacle commence, 1979).

Genre artificiel par excellence, bien trop vite enterré par certains, la comédie musicale n'a cessé dès lors de renaître de ses cendres. Elle a enchanté les années disco avec les costumes à paillettes de John Travolta dans La  Fièvre du samedi soir (1977), lancé la mode des lunettes noires empruntées aux Blues Brothers (1980) et a même séduit des réalisateurs dits « intellectuels » comme le Woody Allen de Tout le monde dit I love you (1997). C'est certain : la comédie musicale a encore de beaux jours devant elle !

Isabelle Grégor
Publié ou mis à jour le : 2023-10-27 16:01:14
Americana (22-10-2023 09:04:13)

Dans votre chapeau général d'aujourd'hui pour introduire cet article il est dit "Les célèbres amants immortalisés par George Gershwin"... Mais nulle part dans l'article développé vous ne repar... Lire la suite

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