31 octobre 2023. On pouvait tout craindre de cette idée folle de réhabiliter un château en ruine et loin de tout, d’autant qu’il était question de le dédier à la matière la plus abstraite qui soit, notre langue, qui plus est à une époque où elle est plus que jamais malmenée !
Le résultat, pour la coquette somme de 211 millions d'euros, balaie nos craintes et dépasse nos espérances. La Cité internationale de la langue française de Villers-Cotterêts a tout pour plaire aux familles et même pour séduire et amuser les collégiens les plus indisciplinés...
Il y a quelques années, personne n’aurait parié sur la survie du château de Villers-Cotterêts, connu seulement des historiens et des forts en thème pour être le lieu où fut signée en août 1539 l’ordonnance de Villers-Cotterêts, considérée comme l’acte de naissance officiel de la langue française.
Par cette ordonnance, le roi François Ier demandait aux curés de tenir un registre des baptêmes, ancêtre de notre état-civil. Par ailleurs, constatant que l’emploi du latin dans les actes administratifs, juridiques et notariaux était source de beaucoup de confusions, il ordonna que ces actes soient « prononcés, enregistrés et délivrés aux parties, en langage maternel français et non autrement ».
Dans les siècles suivants, le château a été oublié. Bien national sous la Révolution, il n’a échappé à la démolition qu’en devenant dépôt de mendicité puis maison de retraite pour les sans-logis de la capitale.
Mais comme dans les contes de fées, un « chevalier blanc » voué au sauvetage des monuments en péril du nom de Stéphane Bern a agencé la venue d’un président de la République en ce château endormi. Tombé sous le charme de l'endroit, Emmanuel Macron a conçu en 2018 le projet d'y établir une Cité internationale de la langue française, en référence à la fameuse ordonnance. L'inauguration était prévue le 19 octobre 2023 avant de devoir être reportée du fait d'un contexte tragique (attentat au lycée d'Arras).
Au départ, le projet paraissait irréaliste. Outre que le château était d’un intérêt architectural secondaire et voué à la ruine, on avait du mal à imaginer que des touristes fassent le déplacement jusqu’à Villers-Cotterêts, petite ville de dix mille habitants à 85 km de Paris et à cinquante minutes de train de la gare du Nord (Paris).
L’État n’a pas moins investi 211 millions d’euros dans le projet, sous la supervision du Centre des monuments nationaux (un montant du même ordre de grandeur que la reconstruction de Notre-Dame-de-Paris). Le président Macron y a vu l'opportunité d'inscrire son mandat dans l'éternité de la pierre, comme avant lui Georges Pompidou avec le centre qui porte son nom, Valéry Giscard d'Estaing avec le musée d'Orsay, François Mitterrand (la liste de ses grands travaux est longue) et Jacques Chirac (musée du Quai Branly).
Aujourd’hui, ce château que François Ier appelait « Mon plaisir » a retrouvé tout son éclat avec ses deux cours fermées ; la plus grande bordée par les offices, la plus petite dédiée au logis du roi.
L’entrée du château se fait côté rue, sur la grande cour ou cour des Offices. Après l’avoir traversée, on entre dans la cour du logis royal, dite cour du Jeu de paume. Celle-ci est tamisée par un décor lexical très contemporain qui joue avec les rayons du soleil.
Le parcours de visite permanent est situé au premier étage du logis royal. On y accède par l’escalier du roi, avec un plafond à caissons décoré de nombreux motifs Renaissance dont la sempiternelle salamandre de François Ier.
La visite se conclut par l’ancienne chapelle, restaurée dans le style italien d’origine et laissée nue. Noter de part et d’autre deux beaux escaliers.
Outre les expositions permanentes et temporaires, le château doit aussi inclure un auditorium de 250 places, douze ateliers-résidences d’artistes, un centre de formation, un café et une librairie.
En sortant du château, on rejoint le parc, devant la somptueuse façade du logis royal, au style très Renaissance. Le parc débouche lui-même directement sur la belle forêt de Retz. Avis aux amateurs de randonnées et de piqueniques bucoliques.
Autrement, la ville et la région de Villers-Cotterêts, au coeur du magnifique comté du Valois, se prêtent à de belles découvertes complémentaires. À défaut de visiter la maison natale d’Alexandre Dumas, qui appartient à des particuliers, on peut visiter celle de La Fontaine, à Château-Thierry, à 40 km de là, ou encore de Racine, à la Ferté-Milon, à 16km, sans oublier le château et le parc d’Ermenonville, à 40 km, où Jean-Jacques Rousseau vécut ses derniers jours. On peut aussi visiter le très impressionnant château néogothique de Pierrefonds, à 16 km de la Cité internationale, au bord de la forêt de Compiègne et pourquoi pas le chaos de grès de la Hottée du Diable dans la forêt de Concy, un lieu sauvage qui inspira Camille Claudel et son frère Paul qui venaient y jouer étant enfants.
À moins d'une heure de la gare de Paris-Nord, Villers-Cotterêts se prête à une visite par le train (le château est à quelques centaines de mètres de la gare) et les voyageurs en provenance de Paris peuvent prolonger le voyage jusqu’à Soissons et Laon, dont l’héritage médiéval et les cathédrales se doivent d’être connues.
La langue comme un jeu
La Cité internationale de la langue française, faut-il le préciser ? n’est pas un musée conventionnel. Elle contient très peu de pièces de valeur patrimoniale, hormis un exemplaire imprimé de l’ordonnance de Villers-Cotterêts, que l’on découvre à la fin du parcours, ou encore un portrait de Richelieu à son écritoire, par Philippe de Champaigne.
L’essentiel est dans l’animation qui met en œuvre des procédés audiovisuels et interactifs aussi divertissants qu’instructifs. De ce point de vue, les visiteurs, jeunes comme vieux, sont comblés. Et pas besoin d’être agrégé de grammaire pour se frotter à ces animations !
Les concepteurs ont réalisé l’idéal de Boileau (qui est aussi celui d’Herodote.net) : « Il obtient tous les suffrages celui qui unit l'utile à l'agréable, et plaît et instruit en même temps », Art poétique, III). Avec le comité scientifique (Xavier North, Barbara Cassin, Zeev Gourarier et Hassane Kassi Kouyaté), ils ont aussi évité tant le « déclinisme » que le « progressisme » à tout crin et c’est tout à leur honneur.
Dans les animations, la diffusion de la langue française dans le monde est ainsi évaluée à sa juste mesure, avec trois cents millions de personnes qui sont amenées à l’utiliser peu ou prou mais « seulement » 77 millions dont le français est la langue maternelle.
Une animation met en lumière les emprunts très nombreux et inattendus des autres langues au français. Ainsi peut-on interroger le dispositif sur la diffusion du mot « restaurant » ou du mot « coiffeur ».
Parmi les animations les plus spectaculaires, un dôme au-dessus de nos têtes présente l’histoire des mots et leur changement de sens et d’orthographe depuis parfois la haute Antiquité et les antipodes. Ainsi peut-on suivre l’aventure du mot « sirène » depuis la Grèce antique jusqu’à nos jours ou encore celle du mot « pyjama » venu des Indes via la Grande-Bretagne.
Une fresque nous interpelle avec l’article 2 de la Constitution : « La langue de la République est le français » environné de centaines d’expressions globish (anglais d’aéroport) empruntées à la publicité et aux médias comme à l’administration (« faire le buzz », « Black Friday », etc.) ; chacun peut ainsi se faire son opinion sur les conséquences potentielles de ces contradictions entre la Constitution et la réalité.
Les visiteurs de tous âges et de tous niveaux peuvent tester leur orthographe, seul ou à plusieurs, avec deux célèbres animateurs (en vidéo). Éclats de rire garantis. Ils peuvent également dialoguer avec un écran dit « intelligent » qui les questionne sur leur perception des choses et tire de l’interrogatoire une recommandation de lecture ! Amusant.
Retenons encore une cellule où l’on peut entendre aussi bien Louis le Germanique (serments de Strasbourg) que Jeanne d’Arc, François Ier ou Alexandre Dumas nous lire des passages de leur écrits et discours. Aux dires des spécialistes, ces reconstitutions vocales sont très probablement conformes à la réalité. Elles illustrent mieux que tout l’évolution de la langue et du langage au fil des siècles.
Lors de l'inauguration de la Cité internationale de la langue française, le 30 octobre 2023, le discours quelque peu emphatique du président de la République a suscité un torrent d'ironie sur les réseaux sociaux comme l'illustre le montage ci-dessous.
Beaucoup, en effet, n'ont pas manqué de relever les incohérences d'Emmanuel Macron qui, depuis son élection en 2017, a beaucoup contribué à la pollution de la langue française par le globish et en tout cas n'a rien fait pour la freiner... Cela n'enlève rien à l'intérêt de la Cité de Villers-Cotterêts.
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Voir les 18 commentaires sur cet article
Didier Fleury (06-10-2024 21:37:23)
La Commission européenne a créé l'"Alliance pour les technologies des langues", installée dans le château de Villers-Cotterêts l'année même de l'inauguration de la Cité internationale de la l... Lire la suite
Ploquette (06-10-2024 19:52:09)
Tout doit être fait pour préserver le français et c'est une richesse d'avoir la connaissance de plusieurs langues, le français doit être imposé dans le plus d'endroits possible, c'est une langue... Lire la suite
Michel J. (06-10-2024 14:25:45)
Choose France all right !
Big money inst it ?
Merci le France !