30 octobre 2023 (mise à jour : 5 octobre 2024). La Cité internationale de la langue française a été inaugurée à Villers-Cotterêts deux semaines après l'assassinat du professeur de littérature Dominique Bernard, nouvelle victime de la guerre livrée par les « fous d'Allah » à nos démocraties.
Cruelle coïncidence ! Notre langue est avec l'école le dernier rempart de notre art de vivre face à la barbarie...
Emmanuel Macron a inauguré le 30 octobre 2023 une Cité internationale de la langue française à Villers-Cotterêts. Un an plus tard, les 4 et 5 octobre 2024, il a réuni en ce lieu plus de 50 chefs d'État et de gouvernement pour un XIXe Sommet de la Francophonie.
Ces opérations de prestige ne sauraient cacher la situation périlleuse de notre langue, à laquelle le président de la République lui-même contribue pour une grande part ! Ainsi, on l'a encore vu récemment s'exprimer en public dans un anglais laborieux à Berlin, le 2 octobre 2024, en violation de l'article 2 de la Constitution (« La langue de la République est le français »), comme avant lui la maire de Paris à Kiev, le 1er décembre 2022.
Cette soumission volontaire à la langue du dominant témoigne de l'abaissement de notre pays et du mépris de la classe dirigeante pour sa culture.
La trahison des élites
Ouvrons l'oreille : « Hier, après une publicité pour les couches ultra dry de My Carrefour Baby, j'ai suivi la story du dimanche soir au lieu d'aller au cinéma voir The Revenant, avant de faire un tour au drive et d'attraper mon Ouigo ». What esle ? Et ce n'est pas la mode qui consiste à mélanger français et anglais jusque dans les institutions publiques (Ma French Bank ou Cold Cases, nom officiel du nouveau service en charge des affaires non élucidées à la Justice) qui va nous rassurer, au contraire : si ajouter « the » suffit pour donner une valeur ajoutée au produit, cela veut dire que le français n'est plus la langue « chic » que les classes cultivées appréciaient autrefois.
Ce galimatias en rappelle un autre, celui par lequel, en Angleterre, les élites francophones issues de l'invasion normande se sont lentement converties à l'anglais. Il est illustré par un compte-rendu de procès que cite The Spectator (2 juillet 2023) : dans un jugement de 1663, le prévenu est envoyé en prison car « il monstre son nude Corps in un Balcony in Covent Garden », jetant des flacons d'urine dans la rue « to the Scandal of the Government ». Et le juge de rappeler qu'il est le gardien de la morale « de touts les Subjects le Roy ».
De façon symétrique, les élites françaises semblent aujourd'hui habitées par la volonté d'abâtardir la langue française au point de rendre incompréhensible au plus grand nombre sa littérature, de Montaigne à Victor Hugo et Saint-Exupéry, et les valeurs qu'elle véhicule : tolérance, respect de la gent féminine, absence de préjugés raciaux, etc.
Depuis quelques années, chacun peut observer une montée en flèche des américanismes dans la publicité mais aussi dans la communication officielle. Le journaliste Stéphane Kovacs en fait le constat dans Le Figaro du 2 octobre 2023 : « Don't oublie ton little plaisir dans ta crazy journée » (Candia), « born to be mélangé » (Ricard), etc. Les instances publiques s'y mettent, telle la Poste (« Ma French Bank ») ou la Ville de Nice (« #ILoveNice »).
La volonté d'américanisation transparaît aussi depuis 2001 dans la diffusion des films anglo-saxons avec leur titre d'origine (The Revenant au lieu de tout simplement Le Revenant) cependant que les autres films étrangers sont diffusés avec avec la traduction du titre originel le plus souvent... en anglais !
Dans le monde du travail, l'américanisation est devenue un must. L'école du Prix Nobel d'économie Jean Tirole s'appelle Toulouse School of Economics (aurait-elle moins de succès autrement ?) ; et bien sûr, elle se pique de proposer des cours en anglais (avec l'accent !) tout comme les écoles de commerce et même l'École Centrale Supélec. (note).
Mauvais calcul : les bons étudiants préfèreront toujours l'original à la copie et une école américaine plutôt qu'un ersatz où les enseignants parlent anglais à la manière de la maire de Paris Anne Hidalgo (vidéo).
À la Commission européenne, selon le journaliste Jean Quatremer, il a été nécessaire de publier un dictionnaire anglais-bruxellish pour éviter les malentendus (for instance et « for example » par exemple). De la même façon, les grandes entreprises et bien sûr les institutions internationales se tournent vers l'anglais ou plutôt vers le global english ou globish, un patois qui a peu à voir avec la langue parlée dans les films de James Ivory ou les romans de Jane Austen.
Exception notable : Michelin, leader mondial du pneumatique, a prescrit jusqu'à ces dernières années à ses cadres étrangers des cours de français à son siège de Clermont-Ferrand, la direction estimant à juste titre que l'entreprise tirait sa force de son identité française et qu'elle ne gagnerait rien à la sacrifier.
Fait sans précédent, le président de la République lui-même se délecte de parler anglais, y compris dans certaines interventions publiques depuis l'Élysée (« Make our planet great again ») et plus gravement lors de ses voyages officiels dans des pays non anglophones, aux Pays-Bas devant des étudiants néerlandais ou, pire, à Berlin, en visite officielle (vidéo) dans une allocution en anglais laborieux que le site web de l'Élysée ne se soucie pas plus de le sous-titrer en français que de le traduire !
Emmanuel Macron signifie par là qu'à ses yeux, la langue française n'est plus réservée qu'à un usage familial et intérieur (note). Elle est devenue un objet de musée à laquelle Mr President a offert le beau mausolée de Villers-Cotterêts. C'est un message désastreux à tous les gouvernants de pays francophones qui se flattent encore de communiquer et d'échanger dans la langue de Victor Hugo et de Charles de Gaulle.
Se donnant en exemple, le président encourage les hauts fonctionnaires à suivre son exemple et correspondre en anglais avec leurs homologues étrangers, voire avec leurs concitoyens. Il se réjouit de toute évidence de l'américanisation de notre société, tant il semble désireux de couler au plus vite la start-up France dans la mondialisation sous protection américaine.
Florilège (à compléter)
• Emmanuel Macron lance en 2018 un sommet intitulé Choose France pour inciter les patrons étrangers à investir en France. Cinq ans plus tard, sitôt après l'inauguration de Villers-Cotterêts, il en remet une couche avec le slogan Make It Iconic pour promouvoir la France à l'étranger !
• En juin-juillet 2019, la Coupe du monde de football féminin (France, juin-juillet 2019) s'est tenue en France mais sous une appellation anglaise : FIFA Women’s World Cup et dans un environnement quasi-exclusivement anglophone.
• En juin 2021 a été créé un Parquet européen pour lequel l’anglais a été reconnu seule et unique langue de travail, au détriment du français et de l'allemand, autres langues officielles de l'Union. Il a été convenu toutefois que les arrêts du Parquet seraient rendus dans la langue du justiciable pour éviter toute équivoque. Dans la foulée, en octobre 2021, la Cour des comptes de l’Union européenne a choisi de ne plus travailler qu'en anglais, sans que la France ni aucun autre pays ne proteste. Tant pis pour les magistrats méditerranéens, si brillants soient-ils, qui peinent à s'exprimer dans la langue de Michael Jordan.
• Depuis le 2 août 2021, les cartes d'identité nationales sont entièrement bilingues sans que cela ait une quelconque utilité pratique (Bruxelles demande seulement que l'intitulé « Carte d'identité » soit écrit dans deux langues de l'Union).
• En février 2022, Brest, qui est connu pour être une ville française, a accueilli un événement international joliment dénommé « One Ocean Summit ?» sur une suggestion... du Président himself ! Lors de cette manifestation, le français était absent tant de l’affichage que des traductions. L'année suivante, Emmanuel Macron a promu un autre sommet au Gabon, pays francophone passé à l'« ennemi » (le Commonwealth britannique) : le « One Forest Summit ».
• En octobre 2022, le Conseil d'État a refusé de condamner l’État français pour les marques « Choose France » et « French Impact » en avançant que la Commission d’enrichissement de la langue française n'avait pas proposé des équivalents français au termes choose et french ! De ce fait, selon le Conseil d'État, la loi Toubon de 1994 qui exige l'emploi du français dans l'administration, ne pouvait donc s'appliquer ! C'est une nouvelle illustration de la malléabilité des magistrats actuels qui contournent les textes législatifs et leur font dire une chose ou son contraire selon le sens dans lequel souffle le vent.
• En décembre 2022, lors de la 15e Conférence internationale organisée par l’Agence française de développement (AFD) sur le thème de la « Sustainability », le philosophe sénégalais Souleymane Bachir Diagne a été contraint de traduire en anglais la communication qu’il avait rédigée en français, si l'on en croit Ilyes Zouari (Cermf). En février 2023, c'est encore l'AFD qui a réuni ses partenaires sous le slogan « Let’s Start Together - The Party ! ». Sans souci de cohérence, la France d'Emmanuel Macron se flatte par ailleurs d'élargir l'Organisation internationale de la francophonie (OIF) à des États non francophones (88 au total en 2023) mais ses rencontres avec l'Afrique francophone se parent d'américanismes tels que « Meet Africa » ou « Africa creative ». Comment en vouloir dans ces conditions aux Rwandais ou aux Algériens de remplacer le français par l'anglais comme langue de communication ?
• En juin 2023, à l'occasion d'un « Concert pour la planète » à Paris, au pied de la Tour Eiffel, le président brésilien Lula s'est exprimé en portugais et son discours a été traduit exclusivement en anglais !?
Si nous devions une nouvelle fois réviser la Constitution, suggérons donc d’effacer le premier alinéa de l’article 2 : « La langue de la République est le français », ce principe n’étant plus appliqué de longue date, y compris par les instances officielles et le sommet de l'État. Ou demandons au Conseil Constitutionnel de sanctionner comme il se doit le président de la République et maints autres élus et agents de l'État.
Du danger de ne pas s'aimer soi-même
L'américanisation du monde serait-elle devenue irréversible ? Dans The Spectator du 2 juillet 2023, le journaliste Ed West note que « la domination de l'anglais est telle que même Daech avait ouvert deux écoles d'apprentissage de l'anglais à Rakka ». Pourquoi s'inquiéter ? La langue doit évoluer nous dit-on. Les jeunes, d'ailleurs, s'en moquent comme de leur premier dictionnaire et continuent de tchatter sur leur smartphone sans se poser de questions.
Ces jeunes Français ne sont pas plus ouverts ni cultivés pour autant comme en conviennent très majoritairement les enseignants du collège et du lycée. Il n'y a pas de miracle en effet : la pratique d'une langue étrangère ne peut être meilleure que celle de la langue maternelle parlée à la maison et entretenue par la lecture. Au moins les cyniques verront-ils un avantage à cette dérive généralisée de la langue : les jeunes Français d'origine africaine ne se voient plus défavorisés par leur méconnaissance de la langue française !
Le recours général à l'anglais est-il au moins profitable à nos entrepreneurs ? Nullement car, dans une négociation, l'avantage va toujours à celui qui s'exprime dans sa langue maternelle. Le président Mitterrand en était conscient. Excellent lettré, il connaissait assez bien l'anglais mais il se refusait à l'employer dans ses entretiens officiels, préférant le recours à un interprète qui lui laissait le temps de réfléchir et surtout de trouver le mot juste dans sa langue maternelle.
Ce mouvement quasi-universel est pourtant en passe d'être contredit par l'évolution des outils de traduction automatique. Le jour n'est pas loin où nous pourrons parler dans notre langue maternelle avec n'importe quel humain, simplement en posant un mobile entre lui et nous. Dès lors, il n'y aura aucun avantage à apprendre et pratiquer un anglais d'aéroport. La qualité des individus se mesurera à la maîtrise de leur langue maternelle sous ses formes parlées, lues, écrites et littéraires. Hier comme aujourd'hui et demain, la langue maternelle demeure un préalable indispensable à la maîtrise et la compréhension d'autres langues et à l'ouverture sur d'autres cultures.
Soulignons que les barbarismes de la publicité et le recours à l'anglo-américain ne relèvent pas d'une demande populaire ni du sacro-saint usage. Ils sont bêtement imposés aux citoyens par des « élites » parisiennes et urbaines (publicité, politique, médias) qui ont depuis longtemps cessé d'aimer la France et ne rêvent que de se fondre dans l'anglosphère. Faut-il que ces « élites » ne s'aiment pas pour en arriver là ?
Ce désamour de notre langue et de notre culture est un obstacle majeur à l'union nationale. C'est le plus « beau » des cadeaux que nous puissions faire aux assassins de Samuel Paty, Dominique Bernard et autres...
Vos réactions à cet article
Recommander cet article
Voir les 26 commentaires sur cet article
François Ricard (13-10-2024 14:15:00)
La France, depuis Sarkozy, est devenue financièrement, politiquement et culturellement, une colonie des USA. Macron , en fait, est plus américain que français.
Jean-Marie Kaës (07-10-2024 14:14:19)
Merci pour cet article qui démontre avec le globish la colonisation culturelle et plus encore économique exercée par les USA sur le monde en général et notre pays en particulier.
Roland Berger (06-10-2024 18:25:01)
Comparés à cette situation des plus alarmantes, les efforts des gouvernements successifs du Québec et du Canada sont d'un total ridicule. Passons à l'anglais et n'en parlons plus.